25 mars 2021

Volcans Erta Ale, Sangay, Bagana: les actus du jour

Oui bon, l'Etna c'est spectaculaire, c'est beau....Mais y'a pas que lui dans la vie quand même! Voici donc deux- trois petites choses glanées au fil des jours.

Je vais commencer par la situation qui me semble la plus importante et qui concerne Sangay.

Sangay, Equateur, 5230m

L'éruption qui a débuté en mai 2019 (déjà!?!?) se poursuit et, globalement, ses caractéristiques restent inchangées : à la fois modérément explosive et effusive, avec une coulée qui part toujours en direction de l'est. Et c'est clairement la situation la plus importante des trois à mes yeux parce qu'il y a peu, précisément les 06 et 11 mars, deux très grosses émissions de cendres a été repérées sur les données satellites. Le panache de la première a atteint une altitude estimée à 8000 m et celui de la seconde a atteint une altitude estimée à 13 km (soit une colonne de cendres d'environ 9000 m de hauteur), avec un sommet qui n'est donc pas parvenu à la tropopause, dont l'altitude se situe à environ 17 km au niveau de l'équateur.


Peu après ce second panache des images impressionnantes en provenance de la ville de Riobamba ont commencé à circuler, la montrant noyée sous un épais nuage mimant le retour de la nuit alors que le jour était à peine levé. De quoi, évidemment, exciter la curiosité : de quelle nature fut le phénomène à l'origine de tout ça? 


 

Rapidement deux points supplémentaires ont émergé :

1- Ces deux émissions de cendres furent certes importantes mais brèves.

2- La teinte du premier panache était dans les bruns* alors que la teinte du second était presque blanche, à tel point que sur l'image plus bas, j'ai dû le marquer à l'aide de pointillés noirs pour le distinguer des nuages. Notez par ailleurs que le premier panache est aussi très dilué : on voit littéralement à travers, ce qui indique une charge en cendres relativement faible malgré sa teinte    .

Le panache du 06 mars. Image : GOES 16/NOAA


Le panache du 11 mars. Image : MODIS/NASA

Ces deux points amènent à presque 0 la possibilité que les panaches résultent d'une activité explosive intense, qui aurait généré plus de cendres et sur un temps plus long.

Pour comprendre ce qu'il s'est passé, on peut emprunter deux chemins : se souvenir de ce qui a eu lieu fin 2019 ou trifouiller d'autres données satellites. Du coup, je vous fait un mixe des deux.

Car souvenez-vous fin 2019, des émissions importantes de cendres brunes avaient été décrites. Leur source était des sortes d'écoulements pyroclastiques faits d'un mélange entre la coulée de lave en cours de formation et des roches volcaniques plus anciennes et altérées. Ces écoulements se formaient sur le versant est et étaient liés, par un mécanisme dont le détail n'est pas encore vraiment clair (probablement essentiellement de l'instabilité, dont la cause précise reste à définir, et un rôle de la pluie plutôt secondaire), à la formation d'une profonde ravine sur ce même versant, structure impressionnante balafrant l'édifice.

Et depuis seules des émissions de cendres modestes (voire modérées), parfois des écoulements de boue, ont été décrits par les volcanologues de l'IGEPN. Alors que s'est-il passé tout au long des mois écoulés depuis juin et qui pourrait avoir un lien avec les deux panaches cités plus haut.

Pas la peine de compter sur les images satellites composées à partir de longueurs d'ondes visibles : la présence permanente de nuages les absorbent, les diffusent, les réfractent et les images exploitables sont plus que rarissimes. Non, quand on veut rendre les nuages transparents, il faut aller chercher dans des longueurs d'onde plus faibles : les ondes radar. Par contre on perd en résolution mais c'est pas grave, puisque l'objet qui nous intéresse c'est le stratovolcan tout entier, et pas des détails de quelques mètres ou dizaines de mètres.

Alors voilà ce que donne un gif composé à partir des images radar  SENTINEL 1 réalisées entre juillet 2020 et mars 2021.


On y voit clairement que la ravine est progressivement comblée, probablement de la coulée de lave, puis qu'elle subit deux purges brutales : une autour du 22 septembre 2020 et une autre début mars, qui colle bien avec nos deux panaches.

Pour celle de septembre 2020 je me souviens avoir fait passer un tweet indiquant, précisément le 20 septembre, une grosse injection de cendres dans atmosphère, tout à fait similaire aux deux décrites début mars 2021.

Le panache de cendres du 20 septembre 2020. Image MODIS/NASA

Chaque phase de purge  visible sur le gif animé correspond donc, en terme de timing, à la formation d'importants mais brefs panaches de teinte clair, rapidement dispersés. Aller, assez tourné autour du pot : j'ose supposer que les purges sont la source des panaches.

Donc l'éruption, semble-t-il, ne change globalement pas de style ni d'intensité : elle reste faiblement à modérément explosive et effusive. Et c'est plutôt la nouvelle topographie de l'édifice (la ravine) qui génère des phénomènes intenses.

La question centrale reste donc: quelles sont les causes de l’apparition brusque de cette imposante ravine? Est-ce d'ordre tectonique ou volcano-tectonique c'est-à-dire liée à la présence de zone fragilisée par des contraintes mécaniques (liées à la tectonique locale ou régionale) exercées sur l'édifice? Ou s'agit-il d'une fragilité liée à l'édification même du stratocône (par exemple: une accumulation préférentielle de cendres sur ce versant à un moment de son édification, qui donnerait une zone plus apte à glisser)? Où s'agit-il d'une zone fragilisée par des infiltrations préférentielles d'eau de pluie et donc ayant subit une altération plus intense? Un mixe entre différentes causes?

Autre question, et pas des moindres : comment caractériser ce type d'événement. Une forme particulière d'avalanche de débris? Un cas extrême de mise en place de lahars (bien qu'il y ait déjà une gradation entre lahars et avalanches de débris)?  Seule l'étude des dépôts permettrait de comprendre le mécanisme de mise en place.

En tout cas il est clair que la chance pour cette situation, c'est que la zone proche est peu peuplée et le Rio Volcàn, qui descend de l'édifice, est surveillé. Et d'ailleurs il vaut mieux, car le 11 mars le service intégré de la sécurité en Equateur (ECU) alertait la population de la ville de Macas, non loin de l'édifice et au bord du Rio Volcan, qu'une digue avait lâché en amont, près de la confluence avec le Rio Upano (là où se forme le lac de retenu) et que le risque de coulées de boue à Macas était fort : une famille s'est retrouvée coincée sur une plage par la montée des eaux, mais à pu être secourue à temps. Le même genre de phénomène dans une zone plus peuplée (en Indonésie, au Japon en Italie etc) et il est probable que les conséquences seraient plus graves, alors que l'éruption elle-même n'est finalement pas très intense.

* il faut tout de même se méfier de cet argument : la teinte que l'on voit sur une image satellite est largement dépendante de la composition de cette image, donc des longueurs d'ondes (couleurs) sélectionnées pour la produire et des traitements qui lui sont appliqués. Sans compter que d'autres facteurs interviennent : les caractéristiques et réglages de l'écran du pc qui affiche l'image, la luminosité ambiante dans la pièce où l'on se trouve pour regarder l'image etc. Mais, à minima, ce type de teinte peut éveiller la curiosité, et c'est déjà pas mal.


Sources :  IGEN; SENTINEL 1 ESA/Copernicus; ECU911; MODIS/NASA; GOES 16/NOAA


Erta Ale, Éthiopie, 613 m

Ah, ça fait du bien d'écrire un petit quelque chose pour cet édifice! C'est plus si souvent depuis l'extinction de la phase éruptive latérale de janvier 2017-mars 2020. Le dernier post rédigé concernant Erta Ale remonte à juin 2020, époque où un important signal thermique indiquant une forte émission de lave dans le Pit Crater Sud était détecté. On rêvait alors que l'activité redevienne plus soutenue..mais non, l'activité est retombée. Pour autant, il n'y passe pas "rien" puisqu'assez régulièrement un signal thermique, souvent modeste malgré tout, est perçu depuis l'espace.

Et puisque le signal perçu par le satellite dépend de plusieurs paramètres (dimension et morphologie du cratère, du ou des évents, nuages ou pas etc) il est toujours un peu risqué d'attribuer de facto à ces signaux une origine éruptive, c'est dire de considérer que la source du rayonnement est une roche en fusion qui est arrivée à la surface (à l'affleurement comme on dit dans le jargon). Toutefois, parfois, on peut le faire avec un risque réduit, comme le 19 mars par exemple.

Signal thermique relativement intense dans le Pit Crater Sud le 19 mars. Image  : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Ces émissions plus intenses de lave ne sont pas fréquentes, la dernière qui valait probablement le coup d'être directement observée vue l'intensité du rayonnement thermique (incandescence visible depuis l'espace) a eu lieu les 28 et 29 novembre 2020. Le plancher du Pit Crater Sud a a lors été largement inondé par des coulées.

Les 28 et 29 novembre 2020 ont vu se dérouler une activité intense dans le Pit Crater Sud. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Ces phases, peu fréquentes, ont pour conséquence le progressif remplissage de ce Pit Crater Sud. Évolution qui n'est pas évidente à voir au premier abord mais qui le devient lorsqu'on regarde une séquence d'images. Le gif ci-dessous, à nouveau composé à partir de données radar prisent entre juin 2020 et mars 2021, montre que ce remplissage ne se fait pas de manière continue et régulière, mais par à coups.

Et on peut en particulier remarquer deux "à coups" principaux, correspondants à deux émissions intenses de lave, aux alentours du 11 août 2020 (pendant laquelle un signal thermique dans le Pit Crater Nord avait aussi été détecté), et celui de novembre, décrit au-dessus. Je précise tout de suite que certes le remplissage a été très important lors de ces deux séquences, mais il n'est pas possible d'exclure que des phases plus faibles contribuent aussi.


Remplissage du Pit Crater Sud, essentiellement lors de deux phases. Images : SENTINEL 1 - ESA/Copernicus

 

On n'en est pas encore au débordement...mais tout de même, l'évolution en un an est déjà importante et cette éventualité n'est pas probablement pas si éloignée dans le temps (sauf purge du Pit Crater, évidemment). 

D'autant plus que la partie superficielle d'alimentation semble bien remplie maintenant, puisqu'une partie du magma est même parvenue à inonder le plancher du Pit Crater Nord autour du 24 mars, là encore une activité qui mériterait certainement d'être observée .

Effusion abondante dans le Pit Crater Nord de l'Erta Ale, le 24 mars. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

 

Le moment du début de cette activité est difficile à identifier avec certitude mais le MIROVA relève des signaux thermiques très importants à partir du 20 mars, et il est raisonnable de penser que ces signaux ont été produits par l'activité dans le Pit Crater Nord. On ne peux pas non plus exclure la possibilité qu'une activité intense ait débuté dans le Pit Crater Sud, puisqu'il y ait eu un déplacement de l'activité dans le Pit Crater Nord mais, honnêtement, ça parait tarabiscoté (mais bon, on sait jamais....).

Un groupement de signaux thermiques importants fait son apparition le 20 mars. Image: MIROVA

La situation est à suivre de près, bien entendu.

Sources : SENTINEL 1&2 ESA/Copernicus; MIROVA

Bagana, Papouasie Nouvelle-Guinée, 1750 m

Voilà une zone reculée ou l'activité volcanique ne peut être raisonnablement suivie que grâce aux données fournies par divers satellites.

Ce sont ces données qui permettent au MIROVA de relever la présence de signaux thermiques plus intenses et plus fréquentes depuis le 08 mars environ.

Groupement de signaux thermiques intenses à partir du 08 mars. Image : MIROVA

Ce sont aussi ces données satellites qui permettent de constater que le 08 mars justement un signal thermique intense est présent au sommet (même si la source de ce signal (lave ou gaz) n'est pas facile à déterminer sur le coup). Et aussi qu'un signal thermique plus faible se trouve en contrebas de l'édifice, peut-être un bloc à très haute température détaché du sommet....


Le signal thermique principale est au sommet, mais une autre source de chaleue se trouve en contrebas. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Le diagramme MIROVA permet de constante que le signal thermique est resté intense et assez stable plusieurs jours et la chance veux que le 13 mars, chose rarissime en Papouasie Nouvelle-Guinée, l'atmosphère n'ai pas été trop encombrée de nuages (vraiment, c'est rare). Ce qui permet aussi de constater qu'à cette date, la surface de l'édifice se couvrait d'une nouvelle coulée de lave visqueuse, en cours de mise en place puisqu'encore à haute température sur toute sa longueur.

Nouvelle coulée de lave, en formation sur le versant nord-nord-est. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

 

Je rappelle, pour mémoire, que l'édifice que l'on appelle "Bagana" est en fait surtout un empilement de telles coulées.

Il est possible que, plus tôt cette année (courant janvier) il y ait eu un ou des effondrements d'ampleur limitée depuis le sommet. En effet l’image prise le 27 janvier montre un versant nord bien plus clair qu'à l’accoutumée, ce qui ressemble à un dépôt de cendres couvrant ce secteur. Le détail de cette phase reste malheureusement mystérieuse mais peut-être s'agissait-il d'un événement précurseur de l'activité débutée ce mois de mars (ça n'est qu'une hypothèse, un lien de cause à effet n'étant étayé par rien).

Le flanc nord avec un teinte anormalement claire, similaire à ce que produit un dépôt de cendres récent. Image : SENTINEL 2/ESA/copernicus

Cette activité éruptive, comme c'est le cas la plupart du temps, est donc avant tout effusive bien que le magma émis soit visqueux. Il n'y pas de traces de cendres détectées ce qui signifie qu'il n'y a aucune activité explosive, ou qu'elle est vraiment faible.

Sources : MIROVA; SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

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