14 décembre 2019

Le point sur l'activité des volcans Shishaldin, Tinakula et Sangay

Shishaldin, États-Unis, 2857 m

La période d'activité qui a débuté tranquillement courant juin cette année se poursuit. Il s'agit d'une période marquée par des succession de phases éruptives et de phases de repos au cours desquelles soit l'activité éruptive cesse, soit elle est très réduite: ça ce n'est toujours pas clair semble-t-il.
Le dernier pic d'activité en date a débuté le 11 décembre, toujours au sommet de l'édifice. Cette activité a d'abord été uniquement explosive, avec la production de ce qui semblait être (en tout cas vu de loin et sur des images de webcam, donc à prendre avec des pincettes!!) des fontaines de lave. Les fragments projetés ont repris la construction du petit cône de scories qui semble occuper une bonne partie du cratère sommital maintenant.

L'activité éruptive, source du signal thermique intense, continue la construction du petite cône (la tâche noire autour du signal thermique) dans le cratère sommital. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus
Il faut préciser, car c'est une petite nouveauté par rapport aux pics précédents, que cette fois un panache de cendres a été repéré jusqu'à 7000m d'altitude, avec quelques éclairs intrapanaches produits d'après les volcanologues de l'Alaska Volcano Observatory. Ceci pose, évidemment, la question de l'origine de cette activité explosive.

Par ailleurs des photos prises le 12 décembre depuis la petite ville de Cold Bay, pourtant située à environ 95 km de distance, semblaient montrer aussi des coulées de lave sur le versant nord de l'édifice : l'activité est donc devenue effusive en plus d'être explosive, comme ce fut le cas pour la plupart des pics d'activité précédents depuis juin. À noter que cette activité éruptive est aussi visible sur les images prisent par l'une des webcams de la Federal Aviation Administration installée à Cold Bay.


L'activité éruptive photographiée le 12 décembre depuis Cold Bay. Image : Aaron Merculief, via AVO/USGS

La même activité éruptive vue par une webcam installée à Cold Bay. Image : FAA

Cette activité se poursuivait le 13 décembre, émettant toujours des quantités réduites de cendres. Impossible de dire si les coulées étaient toujours actives, mais l’interaction entre la glace et la lave est indirectement visible dur l'image satellite prise le 13 décembre, sous la forme de dépôts de coulées de boue sur le haut versant nord de l'édifice.

Les émissions de cendres et dépôts de coulées de boue sont bien visibles en ce 13 décembre. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Sources: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus; MIROVA; AVO/USGS; FAA

Sangay, Equateur, 5230 m

Et on se déplace maintenant vers la chaleur équatoriale, où l'éruption qui a débuté en mai 2019 se poursuit actuellement. Il s'agit toujours clairement d'une activité mixte, effusive et faiblement explosive (probablement strombolienne ou quelque chose d'approchant) au sommet. La coulée de lave produite continue d'affecter le haut versant sud-est, mais il se trouve que depuis quelques jours cette activité a aussi un impact plus large : des écoulements pyroclastiques ont été recensés.
L'un d'entre eux à fait un mini-buzz le 11 décembre car il a été photographié depuis un avion par un pilote (François Kaisin) et c'est vrai que malgré une qualité d'image "telephonemobilesque", l'ambiance est assez impressionnante il faut dire : tout le versant sud-est est sous les cendres!

Écoulement pyroclastique vu d'avion, le 11 décembre. Image: François Kaisin
Ces écoulements ne sont a priori pas dus à un profond changement de dynamique de l'éruption : elle ne semble ni plus ni moins intense. On voit très bien par exemple que l'écoulement n'est associé à aucune activité explosive puissante puisqu'il n'y a pas de panache de cendres important, vertical, qui s'élève dans le ciel. Non : cet écoulement ne résulte clairement d'aucune explosion importante. Il y a, à ce stade, trois possibilités à mon sens: 

- soit l'activité explosive sommitale, à priori modérée et permanente depuis juin, a progressivement édifié un tas de fragments (un petit cône) dont les dimensions font qu'il est arrivé au bord du cratère sommital. Et quand un tas de morceau arrive au bord d'une forte pente, des portions se décrochent et forment des écoulements pyroclastiques.

- soit la coulée de lave elle-même se déstabilise dans la forte pente et se fragmente pour former l'écoulement pyroclastique.

- soit l'activité produit une seconde coulée depuis le sommet. Cette seconde coulée est instable et produit les écoulements pyroclastiques, alors que la première coulée, elle, reste stable.

Il faut garder en tête ici qu'il ne s'agit que de trois idée qui me viennent pour expliquer ce que j'ai pu lire. En rien ce ne sont des hypothèses officielles!

J'avoue que j'aime bien la première ou la troisième solution, essentiellement pour deux raisons:
- tout d'abord l'écoulement pyroclastique sur la photo démarre clairement de la zone sommitale, ce qui ne semble pas coller avec la seconde solution. Si la coulée de lave principale était la source des écoulements, ceux-ci partiraient de la zone la plus instable, à savoir le front de la coulée (en aval), et non sa partie amont, qui est plus stable.

- ces écoulements pyroclastiques ont débuté il y a visiblement assez peu de temps : ils ne sont décrits dans les rapports de l'IGEPN que depuis début décembre (le terme "écoulement pyroclastique" a été  utilisé pour la première fois dans le rapport spécial du 04 décembre, auparavant seule le terme correspondant à "avalanches de blocs" était utilisé). Cela peut éventuellement s'expliquer par la progressive croissance d'un hypothétique cône sommital : il faut du temps pour que ses dimensions lui permettent de "déborder" du cratère sommital et être ainsi déstabilisé.

Malgré tout, quand je dis qu'il n'y a pas de profond changement de dynamisme, il faut tout de même que je précise que les volcanologues ont pu constater depuis plus d'un mois, une légère inflation (gonflement) de l'édifice. Ils l'interprètent comme une remontée supplémentaire de magma, et les écoulements pourraient aussi en être plus ou moins directement une des conséquences. Car si le débit de l'éruption a augmenté sous l'effet de l'émission de ce magma supplémentaire, cela a pu non seulement provoquer la déstabilisation de l'hypothétique cône sommital ( = participer à l'idée n°1), mais aussi éventuellement  produire une nouvelle coulée depuis le sommet par exemple ( = participer à l'idée n°3).

Les dépôts produits par les avalanches de blocs issus des coulées, et des écoulements pyroclastiques alimentent par ailleurs des coulées de boue (lahars) dans les vallées en contrebas.

Sources: IGEPN; François Kaisin

Tinakula, Îles Salomon, 851 m

Il y a maintenant plus d'un an que les premiers signaux thermiques ont été détectés sur cette petite île de l'archipel des Îles Salomon, avant qu'ils ne soient directement attribués à une activité éruptive. Il est évidemment difficile (et en l'état des choses impossible même) de connaitre précisément le déroulé de cette éruption, en particulier de savoir si l'activité a été continue ou discontinue, mais il est clair qu'elle est restée très modeste, probablement strombolienne.

Un coup d'oeil au MIROVA nous apprend qu'il y a eu des pics d'émissions de chaleur, qui peuvent peut-être traduire des phases éruptives entrecoupées de périodes de repos. Deux pics se démarquent par la plus grande fréquence des signaux thermiques détectés : en octobre et novembre. Un coup d'oeil aux images satellites permet de constater, pour ces deux périodes, une activité effectivement plus intense avec, dans les deux cas, la production de coulées de lave (activité effusive) en plus de l'activité sommitale, supposée strombolienne.

Coulée de lave détectée grâce à son signal thermique le 09 octobre. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Autre coulée de lave le 18 novembre: elle n'existait pas le 13 novembre. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Cette activité effusive est intermittente : les coulées de lave sont produites les unes après les autres car on peu clairement noter l'absence d'effusion sur plusieurs images satellites (celle du 13 novembre par exemple).

Pas de coulée de lave ce 13 novembre, mais l'activité explosive sommitale était bien visible (rare). Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Bref: ce système volcanique reste instable mais il n'est pas possible de savoir si l'émission de magma est continue ou non. Quoi qu'il arrive il y a des pics d'activité éruptive au cours desquels une partie du magma est émis sous forme de coulées.

Sources; MIROVA; SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

3 commentaires:

  1. Bonjour à tous,
    Je vous prie de me pardonner si ce post n'a rien à voir avec l'actualité présentée...
    Vous serez-t-il possible d’avoir plus d’informations que je peux en trouver sur internet.
    Cela fait plusieurs fois que j’observe des essaims sismiques assez intenses au large de Faial, à l’ouest (une 30aine de séismes par jour <2M), ça doit faire 3 ou 4 fois que ça arrive cette année… mais je n’ai jamais réussi à trouver aucun rapport sur le sujet… ni avoir aucun accès à des relevés de sismographes…
    Pour ma part, en tant que passionné de volcans, vu le contexte, une éruption sous-marine me parait assez probable… tout comme je l’avais aussi suspecté pour Mayotte… 😉
    Reste que je suis incapable d’appréhender la profondeur du site… si jamais une île nouvelle venait à surgir !

    Merci d’en parler autour de vous, vu que vous devez côtoyer des professionnels de la profession…

    Thierry Diogon

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    1. Bonjour Mr Diogon. Oui ça fait un bon moment que cette sismicité a débuté et je jette de temps en temps un oeil au site dont vous faite référence. Le problème est que je n'ai trouvé aucune étude récente sur cette crise sismique. Par contre il y en avait déjà eu une en 2007 à peu près dans le même secteur.
      N'ayant pas d'info concrète, précise, je n'ai jamais jugé bon d'en faire un post. Le problème en effet est qu'il ne faut en aucun cas assimiler systématiquement "crise sismique" a "éruption". En effet il y a de très nombreuses crises sismiques qui n'ont rien à voir avec une activité éruptive :c'est souvent le cas au nord de l'Islande par exemple, mais ce fut aussi le cas à la frontière Colombie-Equateur récemment aussi.

      Ce qu'il manque comme information c'est une analyse précise de cette sismicité: de quoi est-elle composée? Quelle est la cause des secousses : de la pure fracturation? De la circulation de fluides? Un mélange des deux? Parmi les fluides: y a-t-il du magma ou non? Par exemple, il manque une information essentielle sur les données du site dont vous partagez le lien : la profondeur (hypocentre) des secousses. Comment savoir si leur source est profonde ou superficielle? Et par là commencer à réfléchir sur les possibles mécanismes.
      Est-ce qu'une éruption est possible? Pourquoi pas. Est-ce qu'on peut associer cette sismicité à une activité éruptive? Non : pas assez d'infos sur les causes de cette sismicité. Cette situation n'est, pour le moment, tout simplement pas claire. Et je me demande même si elle est étudiée pour le coup, n'ayant pas trouvé d'articles la concernant.

      Sur les image satellites on voit parfois des tâches colorées...mais elles correspondent vraisemblablement à des formations de bancs d'algues, fréquents à proximité des îles. Car une chose est sûre : si une éruption devait avoir lieu à cet endroit, où le fond est entre 1500 et 1800 m, nous n'en verrions tout simplement rien....comme à Mayotte. Donc sans une analyse précise de la sismicité, et idéalement un couplage avec d'autres sources de données (GPS, déformations sur des stations installées sur les îles voisines), il n'y a tout simplement aucune conclusion concrète à apporter à cette crise.

      Désolé de ne pas pouvoir répondre à vos attentes, mais si j'ai des infos concrètes, évidemment elles seront sur ce blog!

      CV :)

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  2. http://www.cvarg.azores.gov.pt/civisa/Paginas/homeCIVISA.aspx

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