9 février 2020

Un point sur l'éruption au volcan Sangay et ses conséquences

L'éruption qui a débuté en mai 2019 se poursuit actuellement. Elle ne fait pas particulièrement de bruit car elle semble rester plutôt stable. Jour après jour la roche en fusion, probablement plutôt dégazée, sort lentement du haut versant est (depus l'évent nommé Ñuñurco) et forme une coulée de lave, tandis qu'au sommet le gaz,
séparé de la roche en fusion, produit une activité explosive qu'il est difficile de se représenter (intense ou pas? Quel style? etc.). L'IGEPN relaie, dans ses bulletins, la détection des panaches par le VAAC de Washington, et que la hauteur évaluée de ces derniers est de l'ordre de quelques centaines à plus de 1000 mètres. C'est une activité explosive globalbmente modeste qui est décrite généralement.

Les dimensions de la coulée ne semblent pas vraiment varier non plus: lorsqu'on la voit sur les images satellites, elle ne semble toujours faire qu'un peu plus de 1000 m de long (sa longueur a dépasé les 2000m à un moment). Il semble que son instabilité chronique n'ait pas cessé car des émissions de cendres dues à des éboulement sont toujours observés, notamment par la webcam du service de sécurité ECU911, dont l'une pointe vers le volcan. Au passage, lors de mes recherches pour la rédaction de ce post j'ai appris, car le détail m'était passé littéralement sous le nez, que la coulée de lave a changé de direction. Ca s'est passé fin août/début septembre et cela  avait été notifié par l'IGEPN. On peut constater ce changement grâce à la webcam d'ECU 911.

En haut la coulée de lave vue par la webcam en août 2019; en bas la coulée vue en janvier 2020, le trait rouge marque l'emplacement de la coulée en août 2019. Images : ECU 911

Cendres qui, d'après les bulletins de l'IGEPN retombent en faibles quantité sur des zones habitées parfois distances de plusieurs dizaines de kilomètres (tout de même), comme Pumallacta (~60km au sud-ouest).

L'activité éruptive semble rester stable, mais la coulée, elle, semble rester instable. Image : SENTINEL 2 -ESA/Copernicus

Toutefois ce n'est pas du tout la stabilité de l'activité qui me fait rédiger ce post, mais une conséquence que j'ai remarquée grâces aux images satellites.

La majeure partie des fragments produits par l'éruption sont les cendres et blocs issus de la fragmentation de la coulée de lave. Les bulletins de l'IGEPN indiquent qu'une partie de ce qui se décroche de la coulée forme des écoulements pyroclastiques: les dépôts de ces derniers s'accumulent donc en contrebas. Difficile de voir ce processus d'accumulation car il y a une couverture nuageuse pour ainsi dire permanente à mi hauteur du Sangay, pile à l'endroit critique!

Toutefois on peut "voir", grâce à l'imagerie satellite basée sur les ondes radar de SENTINEL 1, que tout ce qui s'éboule et s'écoule forme bien progressivement un talus au pied de l'édifice. Les spécialistes de ce genre de données et de leur traitement pourraient, je pense, en tirer une estimation du volume accumulé.

Il semble par contre évident que si cette accumulation a été visiblement peu importante au cours des premiers mois d'éruption, elle s'est considérablement accélérée fin octobre-début novembre. Vous le constaterez par vous-même grâce au gif animé ci-dessous, préparé à partir des données SENTINEL 1 récoltées entre le 10 mai 2019 et le 04 février 2020. 

Imagerie radar du Sangay sur 9 mois : entre fin octobre et début novembre une tâche vert sombre apparait et s'agrandit, c'est la zone d'accumulation! Images: SENTINEL 1/ESA-Copernicus

Vous avez probablement remarqué la tâche vert sombre, qui est la zone d'accumulation. Cette tâche mesure environ 5000 m de long et sa partie frontale, environ 2300 m en contrebas du sommet, mesure à peu près 500 m de large.

Une telle accumulation, rapide et formant un dépôt relativement peu dense (pas le temps de se tasser), en climat équatorial humide, ne peut n'être qu'une source de coulées de boues (lahars).

Les bulletins de l'IGEPN indiquent la présence de ces lahars et des observations sur place ont été réalisées. Les volcanologues avaient pu constater, dans un bulletin spécial mis en ligne tout début juillet 2019, l'engorgement progressif de la rivière rio Volcan par ces dépôts de lahar, et la présence de cendres dans les eaux du rio Upano*. Pour les amateurs de sédimentologie, l'endroit pourrait être paradisiaque car le cours de la rivière change à vitesse grand V et différents faciès de dépôts s'entremêlent joyeusement.
Le taux de remplissage du rio Volcan a été progressif entre mai et décembre 2019 comme le montre ce petit GIF animé que j'ai réalisé pour vous à partir d'images assez dégagées (trop rares malheureusement) du satellite SENTINEL 2. Mais on peut noter que certains événements (en juillet-août 2019), probablement torrentiels, ont permis au lahar de déborder hors du lit principal et envahir, juste après la confluence avec le rio Upano, des bras peu utilisés et végétalisés.

Les lahars successifs, alimentés en cendres et blocs par la zone d’accumulation en amont, remplissent progressivement le lit du rio Volcan. Images: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Mais ce qui a déclenché la décision de faire un post sur tout ça, c'est le fait que cet engorgement a pris récemment une toute autre importance. En effet j'ai volontairement arrêté mon gif animé en date du 13 décembre 2019, dernière date de l'an dernier où la vue est dégagée sur le secteur.

Aussi quelle ne fut pas ma surprise lorsque j'ouvris la première image dégagée de 2020 (22 janvier): la confluence rio Volcan/rio Upano est totalement bouleversée. Le lit est remplit et la largeur occupée par les sédiments est doublée. La quantité de sédiments déposés par les lahars est telle qu'elle a bloqué l'écoulement des eaux du rio Upano et provoqué la formation d'un lac de barrage (probablement temporaire), indiquant que le niveau de l'eau est monté de plusieurs mètres.  La végétation aux abords de ce lac semle en mauvais état, peut-être à cause du fait qu'elle a maintenant les racines dans l'eau. Quand à l'écoulement des eaux du rio Volcan, je n'ai pas pu la distinguer sur les images satellites: l'eau liquide doit s'écouler entièrement ou presque dans la couche de sédiments. Le rio Volcan semble réduit à un filet d'eau.

Pour vous montrer ce changement (que je trouve) spectaculaire, qui a eu lieu entre fin décembre et fin janvier, je vous propose une comparaison d'images prisent en novembre (situation tout à fait comparable à décembre) et début février (situation tout à fait comparable à fin janvier). Il s'agit de deux images ayant un minimum de nuages donc le plus de détails visibles, et donc une comparaison plus facile à constater qu'avec les images de décembre et janvier.



La leçon qu'on peut tirer de cela c'est qu'une activité éruptive mineure, essentiellement effusive, peu provoquer à contrecoup, si les conditions le permettent, des modifications importantes, rapides voire brutales à une distance non négligeable. Souvent ces perturbations sont associées aux seules phases éruptives intenses et explosives : il est clair que faire ce raccourci n'est pas judicieux.

Je ne fais pas un suivi de la météo sur la zone donc je serais bien incapable de dire si cette accélélération est due à un épisode pluvieux particulièrement abondant. Mais on peut déjà supposer que s'il a pu se produire c'est parce qu'au cours des mois précédents l'activité éruptive, même peu intense, à provoqué la mise en place d'une vaste zone de dépôts de fragments assez faciles a remobiliser par les eaux de pluies.

* Le rio Volcan est un affluent du rio Upano

Sources: IGEPN ; SENTINEL 1 & 2 ESA/Copernicus; ECU 911.

1 commentaire:

  1. Etude très intéressante !
    Sais-tu s'il y a une vulnérabilité particulière en aval de la confluence ? Car cette retenue naturelle, si elle cède, pourrait engendrer un lahar bien plus conséquent !

    Merci en tout cas,

    Ludovic Leduc

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