C'est la surprise de ce début 2021 : une activité éruptive a débuté au Merapi. Et elle n'a pas du tout démarré violemment puisque, pour l'heure, elle reste une activité de très faible ampleur, caractérisée par des avalanches de blocs chauds.
Variations de la sismicité au volcan Merapi sur 90 jours. Image : Id-Magma |
Mais revenons maintenant aux avalanches.
Lorsqu'elles ont débuté, elles étaient faibles et très peu fréquentes. Par ailleurs aucune phase explosive n'avait été observée, qui aurait pu alerter sur l'arrivée possible de magma (dont le déplacement peut expliquer la sismicité hybride, justement). Au cours des premières dizaines d'heures donc, l'origine de ces avalanches chaudes n'est pas claire et pouvait être aussi bien pu avoir une cause "accidentelle" (décrochements de blocs maintenus à haute température par la présence de fluides hydrothermaux par exemple) qu'à une origine éruptive (émission de magma). Puis, assez rapidement, en voyant non seulement les blocs incandescents (donc à très très haute température) et l'augmentation de la fréquence des avalanches, l'origine "accidentelle" a pu être écartée : c'est bien une éruption qui a débuté au sommet du Merapi. Le fait que l'activité débute tranquillement n'est pas particulièrement inhabituel: ce n'est pas la première fois au Merapi (souvenez-vous qu'en 2018 la présence du nouveau dôme avait surpris aussi).
Non, ce qu'il faut peut-être regarder de plus près c'est que ce n'est pas le versant sud-est, pourtant largement échancré (depuis l'intense phase de 2010), qui accueille cette nouvelle phase d'activité, mais le haut versant sud-ouest. Ce qui signifie que le nouveau dôme de lave ne se forme pas du côté de l'échancrure de 2010, mais plus au nord ouest, en arrière du dôme de 2018.
Une avalanche sur le haut versant sud-ouest, le 09 janvier 2021, vue depuis le sud. Image: Id-Magma |
Ce nouveau dôme est maintenant assez grand pour être bien visible depuis des points de vue situés à l'ouest et au sud-ouest de l'édifice, et il déborde d'une autre échancrure ouverte dans le rempart.
La question qui se pose alors est : d'où sort cette échancrure???? Car en regardant les images prisent en 2018 par la webcam qui (à l'époque) était au sommet, on voit nettement qu'elle n'existait alors pas (et elle n'existait pas non plus sur d'autres images de cette même webcam faites en septembre 2019).
Pas d'échancrure dans le rempart sur le haut versant ouest du Merapi en août 2018. Image : PVMBG |
Mais cette comparaison, aussi interessante soit-elle, a un biais : elle ne montre qu'un dépôt situé sur le versant qui nous intéresse, mais ne montre pas la présence ou l'absence de l'échancrure. Donc il faut pouvoir dire si un lien existe entre le dépôt et l'échancrure. Et pour cela je vous met une autre comparaison d'images, SENTINEL 2 cette fois (16 juin et 02 juillet 2020), où l'on peut constater que dans la période juin-juillet 2020, il y a bien une retouche du rempart lui-même.
L'origine de l'échancrure n'est donc pas directement liée à la crise en cours, mais remonte à un événement qui a eu lieu fin juin 2020. Et en cherchant bien on trouve rapidement une belle activité explosive le 21 juin 2020, avec la formation d'un beau panache de cendres...et d'un bel écoulement pyroclastique sur le versant sud-ouest! Qui plus est, cet écoulement est clairement détaché du panache ce qui suggère qu'il ne résulte pas de l'effondrement de ce dernier. Vus les éléments dont on dispose, on peut se permettre, je crois, de supposer que cet écoulement est la conséquence de l’effondrement du rempart, donc de l'ouverture de l'échancrure.
Mais pourquoi donc s’intéresser à cette échancrure?
Et bien parce qu'elle conditionne toute la suite. En effet le quart sud-ouest de l'édifice n'a plus été affecté par une activité éruptive depuis 2001, lorsqu'un important écoulement pyroclastique s'était mis en place non loin de l'observatoire de Babadan (versant ouest) et c'est un versant qui avait été surtout affecté par l'activité au cours des années 80 et 90. Les personnes qui doivent maintenant être extrêmement vigilantes sont donc celles situées au pied du quart sud-ouest de l'édifice car le dôme, en devenant plus volumineux, risque de générer des écoulements pyroclastiques de plus en plus importants, longs, volumineux...et le risque lié aux coulées de boue associées, évidemment. Sans compter qu'on ne peut exclure la possibilité que cette phase ne soit que le démarrage d'une phase éruptive plus intense, plus explosive, qui pourrait aussi affecter d'autres versants (en particulier le versant sud-est, puisqu’il y a l'autre échancrure (celle de 2010) susceptible de canaliser des écoulements pyroclastiques aussi).
Bref : même si l'activité reste pour l’heure assez tranquille, il est clair que les volcanologues Indonésiens ont l'oeil ouvert et la vigilance au maximum. Le niveau d'alerte volcanique est d'ailleurs maintenu à 3.
Et enfin il est intéressant de remarquer qu'en peu de temps nous avons pu assister à la formation de dômes de lave de manière tout à fait tranquille (Sinabung, où la croissance du nouveau dôme sommital se poursuit même si elle est extrêmement faible), Soufriere Saint Vincent et, donc, Merapi. Ce qui n'indique pas du tout qu'il y ait un lien direct entre eux mais, tout simplement, que ce type de situation n'est finalement pas si rare.
Mise à jour, 16 janvier, 21h47
Je suis...troublé. Troublé parce que la situation semble un tout petit peu différente de ce que j'ai décrit ci-dessus. Troublé parce que l'idée que l'on se fait d'une situation dépend tellement de ce que l'on voit que, parfois, un décalage suffit à l'éclairer encore plus alors qu'on la percevait déjà comme très claire.
Et là c'est un décalage vers l'ouest qui est éclairant.
Le BPPTKG (Balai Penyelidikan dan Pengembangan Teknologi Kebencanaan Geologi, centre en charge de la prévention des risques géologiques) a publié aujourd'hui des photos, faites depuis le versant ouest ou sud-ouest, face au nouveau dôme. J'ai souligné "face" car ce dernier détail est essentiel parce que jusqu'à présent les images qui circulent le plus sont:
- soit le sommet dans les nuages
- soit prisent depuis le sud
- soit d'une qualité visuelle (résolution, contraste, éclairage global) insuffisants pour être immédiatement lisibles.
Aller hop: voilà l'image, sans plus de palabres (qui sont plus loin, je vous rassure :) ).
Le nouveau dôme de lave au sommet du Merapi, dans la nuit du 16 au 17 janvier 2021. Image : BPPTKG |
L'échancrure n'existe pas!
Le nouveau dôme de lave au sommet du Merapi, dans la nuit du 16 au 17 janvier 2021 (bis). Image : BPPTKG |
L'effondrement, qui a eu lieu à priori en juin 2020, a bien eu lieu, ça c'est clair, pas de doute. Mais cet effondrement n'a fait que "ronger" le rempart, et ainsi en atténuer l'épaisseur, plutôt que de tout enlever. Et c'est parce que la plupart des photos sont faites depuis le versant sud que ça ne se voit pas tout de suite. En effet l'effondrement a créé un couloir bordé par les restes de deux anciens dômes de lave (1992 à gauche (~au nord) sur la photo et 1911 à droite (~au sud)) et le fond de ce couloir, vu du sud, est masqué par le dôme de 1911.
Une illustration avec une photo faite hier par Oystein Lund Andersen, depuis le versant sud : vous constaterez facilement qu'on voit le couloir...sauf le fond que l'on peut penser ouvert (échancrure) mais qui, en fait, est encore fermé (pas échancrure). Sur cette photo, par exemple, on a l'impression que le dôme sort du cratère et déborde dans la pente. Ah les impressions! Toujours s'en méfier.....
Le sommet du Merapi, vu le 15 janvier, annotée par Marufen (twitter). Image: Oystein Lund Andersen |
Car le risque est de voir se former des écoulements relativement importants malgré une éruption dont l'intensité resterait modeste : par le fait qu'il oriente les contraintes mécaniques vers la pente, la présence du rempart est ici un facteur aggravant de la situation et modifie sensiblement l'approche du risque volcanique **, sans en changer fondamentalement la cartographie.
L'autre changement est anecdotique puisqu'il s'agit de l'obligation pour moi de réinterpréter une image satellite que j'ai partagé via twitter le 13 janvier. Sur cette image on peut voir, en fausses couleurs, un signal thermique...et le sommet du Merapi malheureusement dans le nuages.
Parce que je partais du principe que l'échancrure était ouverte et que le dôme croissait DANS le cratère, j'ai logiquement attribué ce signal aux avalanches issues du dôme, et pensé "Pas de bol, le sommet est dans les nuages, le dôme est masqué, j'aurais bien aimé voir à quoi il ressemble", etc, etc. Voilà l'image que j'avais annotée le 13 janvier.
Le sommet du Merapi, le 13 janvier. Image :SENTINEL 2 - ESA/Copernicus |
Mais puisque le dôme croit hors du cratère, je peux maintenant supposer que ce signal thermique est celui du dôme. J'ai donc utilisé une version géoréférencée de cette image pour la placer sur Google Earth et voir la position du signal par rapport au couloir...à la lecture de l'image du BPPTKG, évidemment. Voilà une petite comparaison d'image pour vous faire une idée.
Vous reconnaitrez certaines détails visible sur l'iamge du BPPTKG qui permettent de supposer que ce signal est bien celui produit par le dôme, et non des avalanches issues du dôme.
J4ai souligné "supposer" par deux fois parce je préfèrerais une image satellite sans nuages pour me faire une idée vraiment nette de la situation au sommet.... ("patience et longueur de temps font plus que force ni que rage" et toute cette sorte de chose). Il ne faut pas oublier que le sommet est dans les nuages sur l'image satellite, ce qui n'en rend pas l'interprétation facile.
Dernier détail, sur lequel je n'ai encore aucune opinion : des bouffées d'incandescence ont été observées dans le cratère, juste de l'autre côté du rempart par rapport au dôme. Il pourrait donc y avoir un autre évent actif dans le cratère, mais impossible pour le moment de savoir ce qu'il s'y passe : ces lueurs incandescentes pourraient être liées à des explosions ou des bouffées de gaz chauds. Affaire à suivre...
* avec l'échancrure, l'idée était que le dôme croisse dans le cratère puis déborde dans la pente.
** dans le sens où les événements les plus générateurs de risques (écoulements pyroclastiques et lahars associés) peuvent potentiellement survenir plus tôt que supposé, et sans nécessité d'une hausse de l'intensité de l'éruption. Et si l’éruption devient encore plus intense, le risque augmente encore plus, évidemment.
Sources : Id-Magma, SENTINEL 2 - ESA/Copernicus; Google Earth; PVMBG; youtube; Global Volcanism Program; BPPTKG; Oystein Lund Andersen & Marufen
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RépondreSupprimerSalut CV !
RépondreSupprimerMerci pour tous ces éléments qui sont importants car comme tu l'écris, "cela conditionne la suite de l'éruption et les risques engendrés".
Au regard des dernières photos faites du dôme, on a même l'impression qu'il s'extrude sur le haut versant sud-ouest du volcan, presque en-dehors de l'ancien cratère. Est-ce une erreur de perspective ? As-tu trouvé une image satellite qui confirme exactement l'emplacement de ce dôme ?
N'y a t-il pas également des avalanches au niveau de l'échancrure du versant sud-est ?
Merci et bonne journée,
Salut Ludovic! Je suis plutôt d'accord : l'impression est que le dôme commence à franchir l'échancrure mais ça mériterait d'avoir plus d'images de qualité pour se faire une idée. En tout cas la masse de lave était bien visible sur la selle de l'échancrure hier. L'instabilité du front est d'ailleurs assez parlante: c'est une conséquence de cette situation perchée.
SupprimerCôté image satellite, la dernière ne montre que des blocs d'avalanches, le reste est dans les nuages : sur le secteur Merapi il faut être patient pour avoir une visi sans nuages...
Et pour les avalanches côté sud-est, je n'en ais pas vue une seule sur les images des webcams donc je serais tenté de dire "non" (jusqu'à ce qu'il y en ait une, évidemment :) )
Bonne journée à toi aussi
CV
Ok, merci !
SupprimerEspérons des images bientôt pour répondre à ces questions...