30 décembre 2020

Soufrière de Saint Vincent : départ d'éruption (mis à jour x3)

Vraiment cette fin d'année est pleine de surprises puisqu'une activité éruptive a démarré sur la Soufriere de Saint Vincent, sur l'île principale de l'archipel de Saint Vincent et les Grenadines, dans les Antilles du sud.

Cette activité est une surprise car jusqu'à présent il n'y pas eu de communication concernant des signes précurseurs d'une telle activité. Elle semble avoir débuté soit en seconde moitié de journée le 28 décembre, soit au cours de la nuit avec le 29 décembre si l'on en croit le MIROVA. Il semble toutefois y avoir eu un signal thermique faible détecté le 22 décembre, mais sa nature n'est pas déterminée à ce jour.

Le signal thermique qui indique la formation du dôme fait son apparition le 28 décembre. Images: MIROVA

 

Ce qui est le pus surprenant (mais pas inédit) c'est que cette activité éruptive début de manière tout à fait tranquille  : pour le moment aucune indication d'une activité explosive, seule la croissance d'un nouveau dôme de lave (activité effusive) a été constatée dans la zone sommitale de l'édifice. C'est donc une situation qui ressemble plus à celle de l'éruption de 1971-1972 que celle de 1979.

Le nouveau dôme de la Soufriere de Saint Vincent, le 29 décembre. Image : UWI Seismic Reaserch

D'après l'image ci-dessus il se localise à proximité du dôme de 1979, année de la dernière éruption connue de ce système volcanique. Si je me base sur la zone de fumerolles (tâche blanche) visibles sur la photo ci-dessus, il semble que ce dôme se localise plus précisément au pied du versant sud-ouest, mais une confirmation sera la bienvenue.

Localisation potentielle du dôme, basée sur le repérage de la zone de fumerolles. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

 

Je tiens à souligner au passage la qualité pédagogique de ce dôme, dont on voit bien à la fois la partie massive, sombre et bien arrondie (une forme parfaite, qu'on ne voit pratiquement qu'en dessin/schémas dans les livres) et la couronne de débris, plus claire, détachés de la partie massive en croissance et qui s'accumulent à son pied. Du fait de sa croissance la partie massive recouvre au fur et à mesure cette couronne.

Pour le moment les autorités sur place gèrent la situation et rappellent les consignes à tenir dans ce type de situation: ne pas s'approcher des rivières (en cas de coulées de boue) et cesser d'accéder aux zones à risque. Ils font circuler la carte de risques, avec une zone rouge, qui englobe plusieurs villes et villages côtiers (mais pas la capitale, Kingstown, en zone verte)

La carte de risques de la Soufriere de Saint Vincent. Image : via  UWI Seismic Reaserch

Le post sera évidemment mis à jour si la situation évolue, et en fonction de mes capacités de connexion.

 

Mise à jour, 22h20

Pour l'heure la situation ne semble pas évoluer ou, en tout cas, il n'y a pas de détails nouveaux. Je fais une mise à jour car une photo très intéressante circule. Elle a été prise le 27 décembre et montre que l'activité, ce jour-là, a déjà plus ou moins commencé.

Prise par Marlon Roudette depuis un secteur situé sur la crête Est du cratère sommital (je pense) elle montre une structure en forme de dôme mais qui a encore les teintes vertes des terrains alentours. Le sommet de cette structure est brunie et une activité fumerolienne, faible, est déjà présente. Au niveau de cette zone fumerolienne la teinte de la roche change et passe à un noir similaire à celui du dôme de lave.

L'activité avait déjà commencé le 27 décembre. Image : Marlon Roudette

 

Les données thermiques semblaient pourtant indiquer que le magma avait percé la surface le 28 décembre mais il y a trois limites principales à cette detection:

- la présence de nuages (l'eau absorbe le rayonnement infrarouge thermique)

- la température du corps qui rayonne (plus c'est chaud, plus c'est facile à détecter depuis l'espace)

- la surface du matériau qui rayonne (une toute petite surface même très chaude ne sera pas detectée depuis l'espace)

Or le 27 décembre, une très petite surface de lave est arrivé à la surface, ce qui peut expliquer que le rayonnement n'ait pas été détecté.

Mais ce qui m’intéresse en premier lieu avec cette photo, c'est qu'elle montre que le magma n'a pas simplement percé la surface : il l'a visiblement d'abord soulevée. Le magma a d'abord produit un "bulging" (la surface déformée) et a donc d'abord été un cryptodôme avant de devenir un dôme de lave. C'est une situation qui a déjà été observée, à l'Usu (Japon) en particulier (éruption de 1943-1945, Showa Shinzan).


J'ai oublié de préciser que l'alerte volcanique est à l'orange et que l'accès au sommet est maintenant fermé.


Mise à jour x2, 03 janvier 2021, 21h49

L'éruption se maintient et continue de produire le nouveau dôme de lave. Les scientifiques ont ajouté du matériel de surveillance dont une webcam (mais je ne sais pas encore si elle est en ligne ou non) et des sismomètres afin d'améliorer la précision de la surveillance. Il s'agit toujours exclusivement d'une éruption extrusive : le magma visqueux ne produit qu'un dôme et il n'y a aucune activité explosive, et c'est assez rare pour que cela soit signalé.

Une image satellite est tombée aujourd'hui. Elle montre ce nouveau dôme en ours de formation et il est intéressant de constater que son rayonnement thermique, lié à sa température, est plutôt faible : c'est cohérent avec le faible taux d'extrusion (le débit de lave visqueuse).

Le nouveau dôme de lave du Soufriere de Saint Vincent. Image : ESA/Copernicus

Dans le détail on peut constater :

- que la base du dôme n'est plus circulaire mais elliptique (~245m de grand axe et 160 m de petit axe) : c'est logique vue la topographie : coincé entre le dôme de 1979 et le rempart sud-ouest du cratère sommital, la lave visqueuse n'a qu'un couloir pour s'étaler. Difficile sans un estimation assez précisions des dimensions (en particulier la hauteur et la morphologie) du dôme, d'avoir son volume.

- la zone où le rayonnement thermique est le plus intense est le sommet du nouveau dôme : c'est logique puisque le magma visqueux le plus "jeune", donc le plus chaud, perce au sommet alors que le magma émis juste avant a eu le temps de se refroidir, de former une carapace avec un rayonnement moindre (mais j'aimerais pas m'y balader sans combinaison malgré tout*) et d'être repoussé sur les côtés.

- la seconde zone où le rayonnement est relativement intense, même si ça ne se voit pas nettement sur cette image-là (regardez de près tout de même vous allez voir) forme un anneau au pied du dôme : ce sont les blocs fraichement éboulés de la carapace qui s'accumulent. À peine détachés du dôme, la plupart d'entre eux exposent leur surface la plus chaude (celle qui regardait vers l’intérieur et pas vers atmosphère).

On voit aussi très bien, sur les images prisent récemment (aujourd'hui je pense) lors d'un survol de contrôle, que la végétation qui avait colonisé le rempart du cratère sommital et le dôme de 1979 près du nouveau dôme est en souffrance : la conséquence malheureusement classique des gaz volcaniques, acides.

Impact des gaz volcaniques, acides, de la végétation proche du dôme. Image extraite d'une vidéo d'UWISismic

Enfin, je suis soulagé de voir que la position que j'avais estimée à partir de photos est la bonne : au sud-ouest du dôme de 1979 (j'avais un doute et il était possible que ce soit plutôt à l'ouest).

Mise à jour x3, 04 janvier 2021, 14h47

Juste une vidéo trouvée sur youtube qui illustre précisément la formation de l'anneau de débris chauds qui s'accumulent au pied du dôme (en gris plus clair sur la capture d'écran ci-dessus): la carapace se forme par refroidissement et solidification de la surface -> alimenté par dessous,  le dôme grandit ce qui étire la carapace, qui se fragmente -> les fragments chauds se décrochent et roulent jusqu'en en bas (petites avalanches de blocs).



Sources : UWI Seismic Reaserch; MIROVA ;SENTINEL 2; Marlon Roudette

11 commentaires:

  1. bonjour je pense que la localisation que vous mentionnez est correcte si on analyse cette vidéo
    https://www.youtube.com/watch?v=acwcMiPPAI4

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    1. Bonsoir Flemaire (le Flemaire du Géoforum?). Oui ça peut coller, toutefois, à la lecture de cette vidéo je me demande si le dôme n'est pas un poil plus au nord-ouest que là où je l'ai positionné. Merci ! :)

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    2. oui c'est bien le même Flemaire

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    3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. Petite hypothèse de réveil de Nouvel An: je me demande si la forme quasi-parfaite du dôme ne serait pas - au moins en partie - aussi due au bulging?

    Merci pour ce blog et bonne année :)

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    1. Bonjour Olivier, et très belle année 2021 à vous aussi! Pour répondre à votre question : je ne pense pas, car la morphologie d'un dôme dépend avant tout d'un mélange viscosité du magma/morphologie de l'évent/Taux d'extrusion/topographie initiale.
      Par contre votre question m'en inspire une autre : le bulging est-il détruit, disloqué, effondré et maintenant recouvert par le dôme ou est-il préservé avec un dôme qui simplement l'englobe (comme si le bulging était pris en sandwich entre la partie "cryptodome" et la partie "dôme" en quelque sorte).
      Je me pose cette question parce que je me demande en même temps si des affleurements de dômes anciens ont déjà permis d'observer ce type de situation...
      Il ne faut pas oublier que ce que l'on observe aujourd'hui permet aussi d'expliquer ce qui s'est passé hier et qu'en rétroaction positive, ce que l'on sait d'hier nous permet de mieux comprendre aujourd'hui (voir en partie anticiper demain).
      Bonne journée à vous!
      CV

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  3. Bonjour,
    Je vais dire un truc qui sert à rien mais c'est mon ressenti: Il est tellement beau ce petit dôme parfait, deviendra t'il aussi gros que celui à côté? l'avenir nous le dira ... A si une question : est ce qu'il y a dans la chaine des puys un volcan qui aurai la même construction ?

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    1. Bonjour Flygar. Pour répondre à votre question sur la Chaîne des Puys, je dirais que ça dépend ce que l'on regarde. Si c'est uniquement la morphologie (on exclue tout le reste), je dirais que typiquement Cliersou et Grand Sarcouy peuvent éventuellement servir à une comparaison.
      Mais il y a tout de même des différences importantes : les magmas sont vraisemblablement différents (je parie sur une andésite basique à la Soufriere de Saint Vincent) alors que ce sont des trachytes pour le Cliersou et le Grand Sarcouy. Par ailleurs de violentes phases explosives ont précédé la formation des dômes Cliersou et Grand Sarcouy alors que ça n'a pas été le cas pour cette éruption à la Soufriere de Saint Vincent.
      Bonne journée :)
      CV

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  4. Bonjour,

    Sur un tout autre sujet, voici des images récentes d'Ol Doinyo Lengai:

    https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=F__fkEh_bqs&fbclid=IwAR1-fg_-rbGSZibtnj759pGUPDTDlhVXAKC3Ryu_1a_6pCaxQbMQCIlGnNs.

    Il faut regarder la fin de la vidéo, vers 15:10, pour voir un magnifique spatter cone (enfin ce n'est peut-être pas le bon terme) pyramidale, très élevé, au centre du cratère. Avec en prime une petite activité effusive!

    A noter aussi, à 14:36, une "fissure" (encore une fois, si c'est le bon terme) qui, si on en croit les auteurs de la vidéo, s'est formée lors de l'éruption de 2007 et qui fait tout le tour du cratère.

    Bonne journée, bonne année à tous, et merci CV pour ces posts toujours de qualité!
    MarcP

    PS: merci à la communauté de Volcanocafé qui a repéré cette vidéo.

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    1. Bonjour Marc P. Oui, une vidéo interessante (sur la fin surtout :) ) et j'ai laissé un commentaire il y a une semaine environ pour avoir quelques détails et leur indiquer que l'éruption était, en fait, continue. Quand à la fissure, elle est effectivement présente de longue date (déjà présente dans un post rédigé en 2014) mais je ne suis pas sûr qu'elle soit en lien avec l'activité de 2007 : dans les bulletins du GVP elle n'est décrite qu'à partir de 2014.Je ne saurais dire son origine mais comme c'est une extension lente(qui se poursuivait en 2019 d'après le GVP), il n'est pas impossible qu'on ait à faire:
      -soit à un bombement progressif
      - soit à un glissement progressive de la portion nord-ouest du cône (un tas de cendres et lapillis plus ou moins induré) dans le cratère.
      Je n'ai rien trouvé qui indique que la fracture fait le tour complet du cratère par contre. Elle est décrite plutôt à la base du versant nord, et recoupe le chemin d'arrivée, qui se trouve à l'ouest-nord-ouest.
      Pour l'heure je n'ai rien trouvé à dire de pertinent sur cette vidéo (et puis il y a eu Merapi et de belles chutes de neige sur la Chaine des Puys, qui m'ont détourné de l'ordinateur quelques temps :)). Tout de même : LE spatter-cone (car c'en est bien un, vous avez parfaitement raison) est absolument ahurissant! Son sommet est presque à hauteur de la lèvre du cratère, c'est fou! Difficile de dater le début de sa construction mais sur les images sat, il y a fréquemment des émissions de carbonatite dans la partie centrale du cratère depuis début 2020 donc peut-être une construction très progressive tout au long de l'année passée.

      ps: Quand à moi je remercie Mr Map de m'avoir fait passer le lien la semaine passée :).

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    2. Merci pour ces précisions!

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