Entre repas de famille et balade dans la neige en Chaîne des Puys, je reviens avec ce court post sur l'activité qui, début décembre, a impacté sur le versant sud-est de l'édifice, via de volumineux écoulements pyroclastiques (les "nuées ardentes") et les lahars chauds qui ont suivi. Une image satellite SENTINEL 2 permet en effet d'avoir une vue globale et quelques détails qui, je pense, permettent de se faire une idée un poil plus précise de ce qui s'est produit, bien qu'il manque toujours l'essentiel : la cartographie des dépôts* et leur analyse géologique (caractérisation des structures, des composants (lave fraîche, xénolithes etc) et, bien sûr leur échantillonnage pour analyse plus fines.
Dans le post qui décrivant la phase intense du 01 décembre, une idée était suggérée : l'origine de l’écoulement n'était pas dû à une intensification de l'éruption, mais à une déstabilisation rapide de dépôts progressivement accumulés au cours des ans. Mais bon, c'est comme d'habitude : avoir une idée c'est bien, argumenter pour la consolider ou la mettre à la poubelle, c'est mieux.
Rapide mise en contexte
Car l'activité éruptive qui, depuis 1967, illumine régulièrement le sommet du Semeru, est rarement très intense. La plupart du temps il s'agit d'explosions faibles à modérées, parfois accompagnées de coulées de lave assez courtes et au débit faible. MAIS, car c'est LA condition importante : tout cela s'accumule sur le versant sud-est, creusé de ravines. Et ça, c'est une situation identique à celle du Fuego au Guatemala.
Explosion après explosion, jour après jour, semaines après semaines, mois après mois, années après années, les blocs de lave projetés par les explosions, et ceux qui se détachent des coulées de lave (lorsqu'elles sont produites) viennent s'accumuler dans la pente, formant un gigantesque tas de débris...susceptible de glisser**. J'avais fait passer, en juillet, par twitter un gif montrant le remplissage de la ravine sud-est. Ce remplissage semblait s'être accéléré au cours de la première moitié de l'année 2020.
Synthèse des événements
1- Mi-novembre : une nouvelle coulée de lave se met en place dans la ravine sud-est. L'activité reste globalement modeste : des explosions faibles/modérées au sommet et un débit faible pour la coulée : situation pas rare mais une activité légèrement plus intense que l'habituelle (=sans coulée) donc.
2- Au matin du 01 décembre, de nuit, une série d'importants écoulements pyroclastiques se produisent, dévalant le versant sud-est. Le plus long atteint 11 km, ce qui est une distance plutôt rarement atteinte pour des écoulements : l'événement est donc important. Les écoulements sont faits de cendres et de blocs, qui se déposent dans le lit de la rivière Gendol. Le mélange cendres-blocs à plusieurs centaines de degrés et l'eau donne d'importantes coulées de boue (lahars) qui mettent en péril les populations riveraines.
3- Après le levé du soleil le 01 décembre et jusqu'à ce jour il n'y a pas eu d'autres écoulements pyroclastiques : la séquence a donc été courte, 3-4 heures environ.
4- La coulée de lave a continué d'être produite. Elle semblait avoir été détruite le 01 décembre puisque sa longueur a fortement diminué suite à la mise en place des écoulements pyroclastiques. Mais l'effusion n'ayant pas cessé, elle se reconstitue et mesure actuellement un peu plus de 2 km de long. Au sommet, une activité explosive tout à fait similaire à celle en cours habituellement se poursuit.
La coulée de lave qui a fait son apparition mi-novembre, continue d'être produite actuellement. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus |
Cette succession suggère que la phase d'écoulement pyroclastique est, en quelque sorte, détachée de l'éruption ou plus particulièrement n'est pas une conséquence d'une brusque et brève variation de son intensité. Mais alors comment expliquer de tels écoulements?
Dans le post précédent je suggérais que la coulée était partie en morceaux, mais il est clair pour moi maintenant que ce n'est pas le cas....pas directement disons.
Une comparaison de deux images satellites faites avant et après les écoulements pyroclastiques (21 novembre et 21 décembre, ci-dessous), permet de noter une différence importante de toute la zone sommitale : ce n'est pas la seule coulée qui, en partant en miettes, a généré les écoulements pyroclastiques, il manque tout une partie des dépôts accumulés au cours des mois et années précédentes! Je suppose que l'on peut considérer ce type de phénomène, qui ne semble pas si rare que ça (au moins 2 en 2 ans, voir 3 si Manam 2018 se confirme) comme un type particulier d'avalanche de débris.
La cicatrice laissée par le glissement de la couverture de dépôts est impressionnante. Image : SENTINEL 2 - ESA/copernicus |
La couverture de fragments récents a disparu et des roches bien plus anciennes et altérées ont été brusquement remisent à la lumière du jour! Ce qui s'est passé là est similaire à ce qui a eu lieu le 03 juin 2018 au Fuego (Guatemala) où, malheureusement, il y avait eu des victimes, à la différence près qu'à l'époque l'activité éruptive au Fuego se caractérisait par des enchaînements de spectaculaires paroxysmes, et que l'accumulation de fragments a probablement été plus rapide qu'au Semeru.
Le parallèle est intéressant car il indique qu'une phase paroxysmale (=activité éruptive extrêmement intense) n'est pas une condition nécessaire pour que ce type de catastrophe se produise!
Les mêmes images satellites (21 novembre et 21 décembre) composées à
partir d'autres longueurs d'onde permettent de constater l'ampleur des
changements occasionnés par ces événements. L'extension des écoulements
pyroclastiques e, surtout, les modifications induites par les lahars. Un
ravine qui n'avait plus été touchée depuis longtemps a été
partiellement comblée de dépôt et, sur ce secteur, les coulées de boue
sont passées à quelques dizaines de mètres seulement des maisons, qui
n'ont été sauvée que par la profondeur de la ravine, qui a parfaitement
canalisé l'écoulement boueux.
Pour l'heure l'activité au Semeru reste donc tout à fait habituelle, si ce n'est l'extension assez importante de la coulée (2 km c'est pas mal pour une coulée au Semeru).
Supposition de dernière minute: je me demande d'ailleurs si elle ne doit pas sa longueur plus à un changement de substrat qu'à une hausse de débit de l'effusion.
En effet, tant que la coulée se mettait en place sur le substrat de débris, instable, ce dernier pouvait éventuellement se déformer et déstabiliser la coulée plus fréquemment. Si elle s'effrite, sa longueur n'augmente que très peu.
Maintenant que la coulée avance sur un substrat plus cohérent, elle s’effrite peut-être moins, et gagne donc en longueur, à débit et pentes égales (en tout cas du même ordre de grandeur).
Fin de la supposition, et du post.
Bonnes fêtes de fin d'année à toutes et tous!
Sources : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus;
* les images satellites utilisées pour ce post permettraient d'en faire une.
** attention : dans le détail la manière dont un tas de débris très hétérogène [avec des tailles de grains (du micron à plusieurs mètres) et des formes très variées (ronde à très informe et anguleux), NDLR] posé sur un substrat non lisse (crêtes, bosses, ravines etc) glisse est très différent d'un tas de billes posé sur une planche lisse inclinée.
Un genre d'embacle qui peut céder après une petite pluie, mais solide et qui cède après une petite coulée ou une chute de blocs.
RépondreSupprimerMerci pour cette analyse qui permet de mettre le phénomène probable de cet écoulement pyroclastique de 11 km qui m'avait très étonné ! J'avais été aussi assez surpris qu'il n'y ait pas de plus larges évacuations... Ton analyse leur donne raison, même si cet ajout de matière dans les ravines va menacer les activités pendant quelques années je suppose !
RépondreSupprimerTop !
Bonne journée,