9 décembre 2020

Un point sur l'activité aux volcans Semeru, Bagana et Klyuchevskoy

Semeru, Indonésie, 3676 m

L'activité éruptive, quasi-permanente depuis 1967, est essentiellement explosive (et la plupart du temps faiblement à modérément). Mais il arrive qu'une masse de magma un peu plus chaud, un peu plus riche en gaz et donc un peu plus fluide remonte depuis la "chambre magmatique" et perce au sommet. À ce moment-là l'activité explosive s'intensifie un peu et, assez fréquemment, une coulée de lave se forme. La dernière fois, c'était en mars 2020 (et puis un peu en 2019, un peu en 2018, en 2017 etc, etc).

Mais "la dernière" fois sous-entend "avant celle qui est en cours" puisque une nouvelle coulée de lave a entamé sa mise en place un peu avant le 16 novembre, toujours sur le versant sud-est, guidée par la topographie du sommet*.

 

Mise en place d'une nouvelle coulée de lave sur le versant sud-est. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Toutefois cette activité effusive a visiblement connu une évolution à partir du 28 novembre, avec ce que les volcanologues Indonésiens décrivent comme une hausse de la fréquence des avalanches de blocs, produites par l’effritement de cette coulée de lave dans la pente. Ceci peut être simplement la conséquence d'une légère hausse du débit de l'éruption.

Mais au matin du 01 décembre à partir de 01h23 (heure locale), une série de très volumineux et particulièrement impressionnants écoulements pyroclastiques s'est déroulée, à priori dans la rivière Lengkong. Les écoulements les plus longs ayant atteint une distance de 11 km, ils ont détruit une zone d'intense extraction de gravier, constitué du dépôts de lahars, abondants dans cette rivière.

 


 

Une des photos a particulièrement tourné sur les réseaux sociaux, et pour cause : elle montre un éclair frappant le sol, émis visiblement depuis le panache de cendres qui accompagne cette phase intense, ce qui rehausse encore le côté spectaculaire, évidemment. La photo  en question a été prise depuis le poste d'observation du Gunung Sawur, au pied du versant est de l'édifice.

Écoulement pyroclastique en direction du versant sud-est, accompagné d'un bel éclair. Image : PGA Semeru

Le problème principal pour tenter d'y voir clair est l'heure de survenue : milieu de nuit = peu de lumière = peu d'images du moment clé, du déclenchement de tout ça.

Au niveau du contexte on peut déjà noter que la mise en place de ces écoulements a été très limitée dans le temps. En l'absence d'images de ces écoulement en cours de journée, on peut donc supposer qu'ils se sont tous produits entre 1h23 et avant 05h27 du matin (heure locale, à laquelle le soleil s'est levé ce jour-là, d’après les éphémérides). Ces écoulements pyroclastiques ne se sont pas poursuivis jusqu'à présent et l'éruption a poursuivit son cours sur la même intensité (d'ailleurs les volcanologues Indonésiens n'ont pas modifié le niveau d'alerte volcanique, toujours à 2, depuis mai 2012).

Le panache de cendres, repéré depuis l'espace. Images : Himawari 8

 

Donc il est vraisemblable** que cette phase de mise en place d'écoulements pyroclastiques ne soit pas due à un nouvelle arrivée de magma neuf, plus riche en gaz et donc pas à une activité explosive plus intense au niveau de l'évent (= au sommet).

Dans le contexte (hausse du débit de l'effusion quelques temps avant), et avec les éléments disponibles (une seule séquence d'écoulements puis retour à une activité classique) il semble qu'un scénario type "Fuego 2018" n'est pas impossible. À savoir que la source de ces écoulements pyroclastiques est peut-être plus à chercher du côté de l’instabilité de la coulée, dont une belle portion se serait décrochée (pente forte, substrat granulaire fait de cendres etc), que du côté d'une intensification de l'activité explosive sommitale.

La photo faite le 05 décembre par Oystein Lund Andersen depuis un secteur situé en face du versant sud montre d'ailleurs ce qui ressemble à une cicatrice d'avalanche. Si c'en est bien une, cela renforce l'hypothèse "décrochage de coulée" mais il faut garder en tête qu'il n'est pas possible d'associer directement, à partir de cette seule photo, cette cicatrice à l'événement du 01 décembre. Disons qu'au mieux il est tentant d'imaginer qu'un lien soit possible, mais qu'il faudra démontrer qu'il  ne soit pas qu'une illusion. Remarquons tout de même qu'une petite avalanche de blocs démarre de cette cicatrice, ce qui semble indiquer que ses parois sont instables et donc, peut-être, toutes récentes.

Il semble qu'une cicatrice récente soir présente sur cette photo, mais est-elle liée aux événements du 1er décembre? Image : Oystein Lund Andersen

Pour l'heure l'éruption se poursuit, avec une intensité similaire à celles qui a précédé la mise en place des écoulements pyroclastiques. Les explosions sont toujours là, modérées, et la coulée de lave reste alimentée.

Les conséquences de la mise en place d'un gros volume de cendres et de blocs (le tout à plusieurs centaines de degré celsius) dans le lit d'une rivière, dans un pays au climat équatorial humide, est direct et sans appel : des lahars chauds ont immédiatement suivi la mise en place des dépôts d'écoulements pyroclastiques. Là encore, les images ont probablement été tournées sur la rivière Lengkong (on reconnait le double pont de Supiturang sur certaines images).


 

Il y a eu quelques mouvements de panique au moment de ces événements, des surface cultivées ont été couvertes de cendres et il y a eu quelques évacuations préventives qui avaient surtout pour but d'éloigner ces personnes des abords de la rivière, le risque le plus important étant lié au lahars. Et si j'ai bien compris la traduction automatique des articles de presse que j'ai parcouru, les familles peuvent aller chez eux et au travail sur le secteur à risque mais doivent dormir à l'extérieur.


 * le sommet du Semeru est éventré en direction du sud-est, seule échappatoire possible à toute coulée de lave, pour le moment (ça changera avec le temps évidemment).

** pour mémoire je rappelle que ça ne signifie pas "vrai", mais que c'est une possibilité qui mérite de n'être contrée que par des arguments solides.

Sources : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus; Himawari 8; Oystein Lund Andersen; Presse Indonésienne; CNN; KompassTV


Bagana, Papouasie Nouvelle-Guinée, 1750 m

Depuis le précédent pic d'activité, tout au long du mois de juin 2020, la situation était revenue à la normale à savoir, pour ce système volcanique : un puissant dégazage, à haute température (plusieurs centaines de degrés vraisemblablement puisque la bande 12 de SENTINEL 2 enregistre un signal thermique). La situation a de nouveau évolué peut-être à partir de fin octobre si l'on se base sur les données du MIROVA, qui a détecté à ce moment-là un signal thermique plus important que depuis juin.

Un groupement suspect de signaux thermiques fin octobre : recrudescence de l'activité? Image : MIROVA

En tout cas il est clair que l'activité a connu un pic courant novembre puisque l'image satellite SENTINEL 2 prise le 23 novembre en montre les traces, sous la forme de signaux sismiques, faibles mais étalés et surtout situés en contrebas du sommet, versant nord-ouest.

 

Des signaux thermiques louches sont présents ce 23 novembre 2020. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus
 

En comparant des images composées à partir d'autres longueur d'onde (d'autres "couleurs" si vous préférez bien que ça ne soit pas la même chose en réalité*) captées par le satellite, on peut distinguer, dans ce même secteur, un objet en forme de langue, qui ressemble fort à une coulée de lave.


C'est du front de cette langue de lave que partent les signaux thermiques révélés sur l'image précédente, ce qui permet de supposer que, très vraisemblablement, ces signaux étalés sont produits par des blocs détachés de la coulée, ce qui induit que cette coulée était encore alimentée le 23 novembre.

Difficile de dire si ce pic d'activité se poursuit actuellement puisque les nuages ne permettent pas un suivi "serré". Mais en tout cas il n'a rien d'inhabituel en comparaison avec ceux qui l'ont précédé sinon qu'il semble un peu moins "pêchu".

Affaire à suivre, on ne sais jamais.

* la couleur et une sensation produite par l'interprétation et le "mélange", par le cerveau, des longueurs d'ondes captées par les yeux. Deux personnes qui regardent un même objet peuvent voir des couleurs différentes alors qu'une longueur d'onde est une caractéristique physique qui ne dépend pas de qui la regarde.

Sources: MIROVA; SENTINEL 2-ESA/Copernicus


Klyuchevskoy, Russie, 4835 m

L'activité éruptive reste très soutenue au sommet de l'édifice avec des explosions stromboliennes fortes, qui s'enchainent à un rythme effréné (vue à travers les webcams on dirait une fontaine de lave même si ce n'est probablement pas tout à fait ce type d'activité). Les images de cette nuit montrent par ailleurs qu'il y a un évent principal, relativement proche du bord est du cratère, où se déroule l'essentielle de l'activité explosive, et qu'il y a aussi, de temps en temps, une activité explosive plus modeste qui se manifeste sur un second évent, plus proche du centre du cratère. 

On peut parfois voir deux évents éruptifs au sommet. Image : IVS-FEB-RAS/KVERT

Cette activité sommitale semble accrue par rapport au nuits précédentes et je suppose qu'il y a un lien avec l'arrêt de l'activité effusive sur le versant Est, dans la ravine Apakhonchich. Un arrêt qui a débuté au matin du 08 décembre vers 06h30  (heure locale) lorsque l'activité au sommet a subit un brusque changement avec la mise en place, sur le versant sud cette fois, d'une nouvelle coulée de lave.

Voici une séquence de trois images prises avant, au moment du changement d'activité au sommet, et après, lorsque la coulée Sud se met en place alors que la coulée Est reste alimentée, aux premières lueurs du jour le 08 décembre.

Évolution de l'activité au matin du 08 décembre. Images : KB-GS-RAS

Au cours de la journée du 08 la coulée de lave sud descend assez bas tandis que la coulée Est a totalement cessé d'être alimentée. Il semble par contre que l'alimentation de la coulée sud ne soit pas aussi importante, voir même qu'elle ait fortement diminué au cours de la journée car sur les images prisent depuis la webcam située à une cinquantaine de kilomètre à l'ouest, elle ne semble produire qu'assez peu d'infrarouges (captés par la webcam lorsqu'elle passe en mode "nuit").

La coulée sud est visible sur cette image faite en début de nuit, mais elle ne semble pas très alimentée

Et même pour tout dire, à en croire les dernières images de cette webcam, qui arrivent pendant la rédaction de ce post, on dirait même que la l'alimentation à totalement cessé mais comme des nuages s'installent, je me méfie de cette conclusion.


Sources: IVS-FEB-RAS/KVERT; KB-GS-RAS

6 commentaires:

  1. Salut CV,

    Merci pour ces différentes nouvelles.

    Concernant le Semeru, j'ai cru comprendre (j'arrive plus à trouver la source) que la séquence d'écoulements pyroclastiques avait fait suite à une forte explosion... As-tu des éléments en ce sens, même si l'événement a eu lieu la nuit ?
    En tout cas, j'ai été très surpris de la longueur de ces écoulements pyroclastiques, les plus longs de cette phase éruptive atteignant tout juste 1 km ! Heureusement qu'ils sont restés canalisés dans la ravine...

    Bonne journée,

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Ludovic. Non je n'ai rien croisé concernant une explosion qui aurait déclenché la série d'écoulements.Peut-être qu'une explosion à pu faire vibrer la coulée et provoquer sa déstabilisation mais alors le lien entre explosion et écoulements n'est pas direct (la cendres qui constitue l'écoulement n'est pas la cendre produite par l'explosion), mais je n'ai rien croisé du tout là-dessus. Par ailleurs je me méfie du mot "explosion" qui est parfois utilisé à tord et à travers: il est dommage qu'il n'y ait pas un time-lapse des images de la webcam (HS depuis le moi d'avril :( )C'est vrai que 11 km de long, c'est pas fréquent. Le fait qu'ils soient canalisés dans la ravine viens peut-être d'une densité relativement forte et d'une vitesse d'écoulement (d'une fluidité, globalement) relativement (je dis bien relativement) faible, ce qui collerais plutôt bien avec un écoulement ayant une origine non explosive, ou il y a plus de gaz, une plus haute température donc une fluidité accrue et une capacité plus grande à sortir des ravines.
      Enfin, le fait qu'il y ait eu une série d'écoulements, à priori étalés sur environ 3 heures au total (j'ai croisé ça dans la presse), est aussi cohérent avec une coulée de lave qui s'émiette progressivement (quelque chose de similaire à l'érosion régressive que l'on voit sur les dunes de sable, même si il y a des différences puisque le matériaux n'est initialement pas granulaire, contrairement à une dune).
      Voilà pour les quelques réflexion complémentaires qui me viennent.
      @+! Et bonne journée à toi aussi
      ps: dis-donc, c'était bref mais joli au Piton!

      Supprimer
    2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

      Supprimer
    3. Il est aussi dommage de ne pas avoir de vrais rapports d'activité des organismes en charge de la surveillance, même s'il est vrai qu'ils ont fort à faire avec les nombreux volcans actifs en Indonésie...

      Je n'arrive pas à retrouver l'article qui évoquait cette explosion. Peut-être que je me suis trompé. Dans tous les cas, la séquence d'écoulement est très probablement due à l'effondrement de la coulée, oui, ce qui explique qu'ils soient "peu" fluidisés... Mais 11 km quand même !
      Je n'avais pas vu l'information comme quoi ils ont eu lieu sur une période de temps de 3 heures. Et ça me chiffonne, car on passe en quelques heures de quelques avalanches et un écoulement pyroclastique d'1 km, à une séquence de plusieurs écoulements pyroclastiques de 2 à 11 km... On serait pas passé à côté de quelque chose ?
      Sais-tu si la configuration de la coulée a été profondément changée avant/après la séquence d'écoulements pyroclastiques ?

      Oui, très joli sur la Fournaise, comme d'habitude ! ;) La période est bizarre, avec des précurseurs sur lesquels on ne peut plus vraiment se baser et de nombreux événements intrusifs (3 cette année pour 3 éruptions) !

      Supprimer
    4. À ta première remarque je dirais que je ne connais pas assez dans le détail le système de fonctionnement pour avoir une opinion sur le sujet (j'ai toutefois vu des choses étonnantes à l'observatoire du Gunung Sawur il y a déjà longtemps). Il me semble, malgré tout, qu'un cap vers le mieux a été franchi ces dernières années. Il y a aussi du moins bien avec des webcams peu efficientes et pas très "open"...
      Pour l'explosion:statu quo. Je n'exclue pas qu'il ait pu y en avoir une, mais rien ne me l'a indiqué dans ma phase de recherche d'infos.
      Pour ta troisième remarque "est-ce qu'on a loupé quelque chose" : indéniablement oui, vu le peu de détails en images et en rapports. Des analyses ultérieures, de prélèvements ou de cartographie des dépôts apporterons peut-être (si ces analyses sont faites) des détails inconnus de nous. Je ne sais concrètement pas si la coulée a subit des modifications mais il semble, sur la base de photos, que les avalanches partent à nouveau directement ou presque du sommet (= il semble qu'il n'y a plus de coulée, ou qu'elle n'est plus aussi longue). Toutefois je tiens mes esgourdes wide opened.

      Fournaise : ce côté bizarre est très intéressant. Les éruptions se ressemblent toutes (je met de côté celle d'août-octobre 2015 à cause de sa longévité et de la dynamique de développement du champ de lave, exceptionnel, et celle de 2007 pour les raisons que l'on connait) mais il y a effectivement un côté mystérieux très attirant sur la phase de préparation de ces éruptions. Je me demande ce que ça raconte sur la structure interne, en tout cas sur les 2-3000 premiers mètres de profondeur... Un milieu fragile? Très fracturé? Serait-ce encore l'influence de la restructuration imposée en 2007?

      Supprimer
    5. Pour la Fournaise, on peut identifier certaines phases :

      1998 - 2007 : éruptions "annoncées" par des précurseurs sur le long terme, des éruptions plutôt longues permettant à des coulées d'atteindre le Grand Brûlé.

      2008 - 2014 : éruptions de poches résiduelles (magma cristallisé, dynamique très faible) et origine très superficielle. La restructuration suite à 2007 expliquerait la localisation sommitale de ces éruptions ?

      2015 - 2019 : éruptions précédées de précurseurs à moyen terme, assez courtes en générale (mis à part août 2015), liées assez clairement à une alternance flanc nord / flanc sud qui aurait comblé les différents fractures dans les rift-zones au niveau de l'Enclos, obligeant les éruptions à avoir ensuite lieu dans des endroits moins habituels comme les flancs ouest et est du cône sommital et jusqu'assez loin de la zone centrale (cassé des Grandes Pentes).
      La période est également liée à plusieurs phases de recharge magmatique, bien suivie par l'instrumentation de l'observatoire, et une notamment pendant l'éruption d'août 2015, ce qui a forcément un lien avec la dynamique de cette éruption.

      2020 : éruptions + intrusions nombreuses, sans forcément de précurseurs. La fin de l'éruption d'avril peut interroger tout comme l'accélération du glissement du flanc est (ou d'une partie au moins) suite à l'intrusion qui suivit...

      La question de la fracturation de l'édifice est intéressante. Est-ce que l'édifice est désormais plus "consolidé", les différents dykes aillant comblé un certain nombre de fractures... Est-ce que cela annonce des éruptions dans des endroits plus atypiques (sans être surprenant, la dernière éruption est franchement à l'ouest) ou plus bas en altitude ?
      Une autre question intéressante concerne la plomberie magmatique "superficielle" ! Est-ce qu'il y a bien des poches magmatiques distinctes au-dessus du niveau de la mer ainsi qu'un réservoir commun entre 2 et 5 km de profondeur sous le niveau marin ? Dans ce cas, comment s'effectuent les transferts de magma entre ces deux zones ? Et puis quels sont les déclencheurs des éruptions, car la mise en pression de l'édifice n'est pas toujours là...

      Bref, de nombreuses questions ! ;)

      Supprimer