27 juillet 2025

Volcans Bagana et Erta Ale (mis à jour x2) : un point sur l'activité de ces systèmes volcaniques

Bagana, Papouasie Nouvelle-Guinée, 1855 m

Il était temps de faire ce point puisque le dernier remonte à 2023 et qu'il y a eu quelques changements depuis, confirmant que ce système volcanique reste actuellement parmi les plus actifs sur Terre et, dans ce classement, un des très rares où le magma qui perce la surface de la Terre est très visqueux. Pour avoir plus de détails concernant ce système volcanique, je vous invite à lire ou relire mon post de juillet 2018

Le post mis en ligne en 2023 faisait le point sur une séquence assez importante d'effusion de lave visqueuse suivie d'émissions de cendres vraisemblablement en lien avec des écoulements pyroclastiques, très probablement dûs à des effondrements de ces masses de lave visqueuse depuis le sommet de l'édifice. Les écoulements avaient touché, à l'époque, le versant sud-ouest. Les imaegs radar SENTINEL 1 suggèrent que dans les semaines et mois qui ont suivi  ce haut versant sud-ouest a peut-être été le siège de petites avalanches de blocs pouvant s'accumuler sur la pente.

Mais il est clair que le magma visqueux recommence à être émis à un plus fort débit en septembre 2024. On voit clairement une nouvelle coulée épaisse descendre progressivement le haut versant ouest et, gênée dans son écoulement par une coulée précédente, va être scindée en deux lobes distincts après avoir parcouru une distance d'environ 400m. Cette chronologie est corroborée par le suivi des émissions thermiques par le MIROVA qui détecte des émissions d'infrarouge plus intenses et plus fréquents à ce moment-là et pendant les mois qui suivent.

Intensification des émissions thermiques à partir de septembre 2024. Image : MIROVA

 

Le lobe le moins important part en direction du nord et s'arrêtera après avoir parcouru environ 750m. Le lobe principale continue sa route vers l'ouest s'arrêtera après avoir parcouru une distance de 1660m environ (depuis le point de séparation, donc 2000m environ depuis la source, au sommet).

 

Mise en place d'une coulée visqueuse scindée en deux lobes par la topographie. Images: SENTINEL 1 - ESA/Copernicus

 

La surface couverte par le lobe ouest, depuis sa source jusqu'à son front, est d'environ 500 000m². Le lobe nord, quand à lui, couvre, depuis le point de séparation jusqu'à son front, une surface d'environ 100 000m² : la surface totale couverte est donc d'environ 600 000m². Si on imagine que l'épaisseur moyenne de cette coulée est de l'ordre de 10 m, on arrive à un volume de 6 millions de m3 de lave visqueuse et, même si ce chiffre est totalement hypothétique puisque je n'ai pas de moyen simple de déterminer l'épaisseur moyenne de la coulée (si je me fie au MNT de Google Earth, le front du lobe, qui est la partie la plus épaisse, doit faire environ 30m d'épaisseur), on a là un ordre de grandeur du volume émis lors de cette séquence qui a duré plusieurs mois.

 

Les deux lobes de coulée visqueuse mis en place entre 2024 et 2025. Image : SENTINEL2 - ESA/Copernicus 

 

Outre l'évolution de la topographie du massif volcanique par ajout des coulées, l'autre conséquence de cette activité est la modification profonde du réseau fluviatile: le lit du fleuve Torokina, qui prend sa source dans les reliefs autour du Bagana, est évolue rapidement par l'apport de gros volumes de sédiments d'origine volcanique (remobilisation des dépôts de l'activité éruptive). Cette modification est visible jusque sur la côte où un petit delta est mis en place et où le tracé de la cote est modifié suite à la dispersion des sédiments volcanogéniques par les courants marins locaux. Il n'est pas impossible que ces eaux boueuses, dont le cours change rapidement, puissent perturber la circulation des habitants entre les deux rives du fleuve.

 

Sources :  SENTINEL 1 &2 - ESA/Copernicus; MIROVA

 

Erta Ale, Éthiopie, 585m (mis à jour

 

Ce système volcanique a été calme pendant des mois. La dernière phase d'activité notable a eu lieu fin  décembre 2024 et janvier 2025 avec la mise en place de petites coulées depuis le Pit Crater sud et, depuis, seul un faible signal thermique marquait le probable maintient d'une petite activité éruptive dans ce Pit Crater. À noter, en février 2025, la présence d'un signal thermique dans le Pit Crater Nord aussi, suggérant une petite activité sur ce site à ce moment-là. Le reste du temps, les données suggèrent une activité très faible et stable.

Cependant si je rédige un post c'est que la situation a changé ces derniers jours. J'ai transmis, le 18/07 via les réseaux sociaux (Mastodon, Blue Sky et Instagram), une image satellite SENTINEL 2 indiquant une hausse de l'activité éruptive dans les deux Pit Crater. Toutefois je n'ai pas perçu à ce moment-là à quel point cette activité était inattendue et étendue.

 

Signaux thermiques plus intenses qu'au cours des mois précédents détectés le 18/07. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

 

En effet, alors que des signaux thermiques plus intenses avait attiré mon attention sur l'image du 18 juillet je n'avais pas remarqué que, 5 km plus au sud-est, d'autres signaux thermiques importants, mais atténués par les nuages, étaient présents depuis le 15 juillet : le magma avait commencé à sortir le long d'un vaste réseaux de fractures séparé en deux sections :

1- une section nord longue de 2 km environ, d'où était émis la très grande majorité du magma. Cette fracture éruptive a tranché le rempart d'une caldera donnant un champ de lave avec une morphologie "à deux visages":

a-le magma fluide émis dans la caldera, sur son plancher horizontal, s'est simplement étalé en toutes directions, couvrant une surface de 120 000m². 

b-hors de la caldera, sur le versant sud du massif où la topographie est plus complexe, la lave a été canalisée sous la forme de deux coulées l'une s'étendant vers l'ouest (surface de 40 000m², distance parcourue d'environ 1300m) et l'autre vers l'est (360 000m² environ, distance parcourue d'environ 2700m) . 

2- une section sud, longue de 1000m environ, commençant  2500m au sud et dans le prolongement de la fracture nord, au pied du système volcanique d'Haily Gubbi. Cette séquence éruptive a donc eu lieu plus au sud que celle qui a eu lieu de janvier 2017 à mars 2020. Cette seconde section de le fracture éruptive n'a été marquée que par une très faible activité : on note quelques zones très localisées d'où sont émis de forts signaux thermiques, suggérant une petite activité de spattering accompagnée de petits panache de gaz. Pas de coulées visibles sur les images satellites depuis cette section donc soit il n'y a eu aucune coulées soit elles sont tellement réduites qu'elles ne peuvent être distinguées sur les images satellites SENTINEL 2.

 

Le réseau de fractures éruptives des 15-16 juillet s'étirant sur deux tronçons espacés de 2500m environ, au sud du massif de l'Erta Ale jusqu'aux pied du Hayli Gubbi. Image : SENTINEL 2- ESA/Copernicus

Cette émission de magma fluide sur le versant sud-est du massif de l'Erta Ale est la conséquence du drainage du magma par le réseau de fractures qui traverse le massif. La partie sommitale de l'édifice n'étant plus alimentée par le magma, elle a connu une importante séquence d'instabilité (dès le 15 juillet probablement) marquée par une phase d’effondrements des deux Pit Crater. Remplis de lave solidifiée par une succession de coulées après 2020, tout s'est affaissé ne laissant que deux trous béants, situation similaire à celle qui avait suivi le drainage du système magmatique en 2017, reformant in fine les deux Pit Craters. 

Ainsi le Pit Crater nord, rempli presque à ras bord avant le 15/07 est-il devenu dès le 16 juillet un trou large 300m, qui s'est élargi encore un peu par la suite pour atteindre un diamètre de 400m environ. Quand au Pit Crater sud, il est devenu un trou d'abord large de 130m qui s'est élargi par la suite jusqu'à environ 200m.


 

Cette phase d'effondrement a été la source de production de cendres emportées vers le sud formant un dépôt bien visible, long de 6500m au moins et large d'environ 500m. Depuis le 18/07 plus aucun signal thermique n'est détecté au sommet, ni sur les fractures éruptives des 15-16 juillet. : cette séquence éruptive particulière, issue de la purge de la colonne de magma, a été d'une intensité faible et d'une très courte durée suggérant qu'elle n'est pas en lien avec une arrivée de magma supplémentaire. Toutefois il faudra attendre encore un peu pour écarter définitivement cette hypothèse.

 

Le dépôt de cendres produit par les effondrements des Pit Crater Nord et Sud suite au drainage de la colonne de magma par le réseau de fractures du versant sud-est. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

 

Mise à jour, 31 juillet, 6h46

La séquence éruptive décrite ci-dessus a été analysée par plusieurs spécialistes du COMET (Centre for the Observation and Modelling of Earthquakes, volcanoes and Tectonics) fondé en 2002 et utilisant des données satellites radar (InSAR) pour analyser des situations géologiques dans des sites peu ou pas monitorés mais pouvant avoir un impact sur des populations. Ce sont ces chercheurs qui ont permis de déterminer que cette séquence résulte de l'intrusion d'un dike magmatique sur une trentaine de kilomètres de long au sud de l'Erta Ale, accompagnant un extension de la croûte terrestre. Un graben large de 2km au niveau de la partie sud de l'intrusion est décrit dans le rapport mais il semble que la partie nord du dike, au niveau d'Erta Ale, ait subi, au contraire, une contraction sur une portion d'environ 3 km de long, en raison de la purge de système magmatique. Ils estiment à 200 000 000 m3 le volume de magma intrudé dans la portion sud du dike, dont la profondeur atteindrait les 6 km.

Par ailleurs, en tentant de voir si sur les images satellites on pouvait éventuellement distinguer des fracturations en surface, je me suis rendu compte que dans le cratère d'Hayli Gubbi, large d'environ 260m, il y avait une nappe de "brume". Par ailleurs, en utilisant les données infrarouges il semble  qu'il régnait une température relativement élevée (mais trop faible pour être compatible avec un processus éruptif) au moment du passage du satellite mais je n'ai pas réussit à déterminer si la source de ce rayonnement thermique était la "brume" (du gaz chaud (émis par l'intrusion?) coincé dans le cratère) ou si la brume masquait une source de rayonnement située sur le plancher de cratère. 

 

Faible signal thermique dans le cratère du Hayli Gubbi, le 26/07/2025. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

 
Présence d'une "brume" dans le cratère du Hayli Gubbi le 26/07/2025; Image : SENTINEL 2-ESA/Copernicus

 

Signal thermique toujours présent dans le cratère du Hayli Gubbi, le 28/07/2025. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Je n'ai pas l'impression qu'il y ait eu de changements de morphologie dans le cratère donc pour le moment je pars du principe qu'il n'y a eu que du gaz émis. Mais si ce gaz est à une température assez élevée pour que le signal infrarouge soit détecté depuis l'espace, on peux supposer qu'il s'agit du dégazage du dike décrit dans le rapport du COMET. Dans le détail le seul changement de surface que j'ai pu relever c'est la présence, le long des failles qui découpent le massif, de rares petits éboulements très probablement dû à la sismicité qui a accompagné l'intrusion.

 

mise à  jour 02/08/2025, 7h57 

Sur le massif d'Hayli Gubbi le "brouillard" décrit dans la première mise à jour s'est fortement densifié . L'image du 31/07 montre ainsi un véritable "lac" de brouillard dont la composition précise n'est pas connue pour l'heure mais qui, si l'on en croit la composition colorée réalisée à l'aide du script Normalizied Difference Moisture Index (NDMI), qui permet d'extraire des informations concernant le taux d'humidité d'un milieu, il semble que l'eau soit un des composants majeurs de ce "lac de brume".

 

"Lac de brume" dans le cratère d'Hayli Gubbi le 31/07/2025. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

 
Le taux d'humidité semble très important dans le cratère du Hayli Gubbi : l'eau semble être un composant majeure de la "brume". Images : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

L'eau absorbant efficacement les infrarouges thermiques il est difficile de dire si le faible signal thermique décrit dans la première mise à jour est toujours produit mais absorbé par la brume (et donc non détectable depuis l'espace) ou si il a simplement cessé d'être émis.

Quoi qu'il en soit cette situation n'est pas sans rappeler le phénomène décrit en début d'année sur le système volcanique Fentale au sud de l’Éthiopie où une nappe de brume avait aussi fait son apparition dans la caldera suite à une importante intrusion magmatique dans le secteur.

 

Sources :  SENTINEL 1 &2 - ESA/Copernicus; COMET

 

5 commentaires:

  1. Bonjour, merci pour cette mise à jour! Pour l'Erta Ale, il semble y avoir eu en même temps que l'activité que vous reportez la formation d'un dyke assez long, de 30 à 40 km, vers le Sud-Est. Voir par exemple: https://www.volcanocafe.org/erta-ale-erupts-and-produces-a-giant-dike-intrusion-could-the-caldera-collapse-is-there-more-to-come/

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    1. Bonjour Anonyme, et merci pour ce lien! Je n'ai pas vu passer cette info mais c'est vraiment intéressant. Je reste toutefois un peu circonspect concernant le présence d'un dyke : l'interférogramme permet d'identifier des déformations de la surface de la Terre mais rien de plus: je ne comprend pas comment ils déterminent que cet interférogramme est en lien avec une intrusion magmatique longue de plus de 30 km et pas seulement un déplacement d'ordre tectonique (un tronçon de rift qui bouge à cause des tensions accumulées, qui constituerait une excellente cause de la purge de la colonne de magma). Pour le dire autrement l'interférogramme peut très bien monter une fracturation "sèche" (sans magma, en tout cas pour toute la partie depuis Hayli Gubbi jusqu'au lac Afrera) ou une intrusion de dyke. Je vais continuer de chercher de l'info sur ce point. Mais en tout cas merci! Et bonne journée à vous.

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    2. En effet, c'est un peu la poule et l'oeuf... Ce qui est surprenant par ailleurs c'est l'absence de sismicité significative: rien de répertorié par l'USGS. Même s'il n'y a pas non plus beaucoup de stations dans le secteur j'imagine, ça pose question... J'avais vu une interpretation en déplacement LOS des mesures INSAR mais je ne retrouve pas l'image. Il faudrait voir les déplacements sur les mois précédant l'éruption. Deux articles intéressants (je n'ai que survolé) sur les déplacements observés sur le système: https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1029/2020JB019562 et https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1029/2020GC009488 (à noter au passage l'inflation significative du Corbetti, 30cm entre 2015 et 2020). Pour info des photos des nouveaux pit craters: https://x.com/joblington/status/1947716260134785095.

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    3. Bon il semble que l'interferogramme permette de discriminer des mouvements purement tectoniques de déformations liées à une intrusion magmatique (dyke) ce qui permet donc de dire qu'il y a bien eu intrusion de magma sur une trentaine de km de long. Merci MarcP pour les liens!

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  2. Salut CV,

    Merci beaucoup pour toutes ces infos très intéressantes !

    Un dyke de 1 m de largeur pour 30 km et 5-6 km de hauteur fait environ 200 millions de m3 en effet ! Ça fait quand même une sacrée intrusion, bien plus importante que ce qui est sorti en surface, comme assez souvent.

    Bonne journée,

    Ludovic

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