8 décembre 2023

Activité explosive léthale au volcan Marapi (Sumatra)

Le système volcanique nommé "Marapi" (Sumatra), dont vous aurez probablement déjà lu 1000 fois ces derniers jours qu'il ne faut pas le confondre avec le Merapi (Java, ça fait donc 1001 fois au moins maintenant), fait partie des édifices:

1-  qui sont surveillés

2- pour lesquels il y a une carte de risques

3- qui sont une destination prisée des randonneurs Indonésiens notamment, mais...

4- dont le fonctionnement n'a pas encore été étudié à fond. Avant de parler des tristes événements du 03 décembre je vais donc faire un résumé sur ce que l'on connait de ce système volcanique... autant dire pas grand chose.

 

A] Généralités

Le système volcanique nommé "Marapi" se trouve sur l'île de Sumatra, non loin d’importants centres urbains, à savoir Batusangkar (16 km au SE du sommet, 89000 habitants environ), Padang-Panjang (10 km au Sud-Ouest, 53000 habitants environ) et Bukittinggi (13 km au Nord-Ouest, 120 000 habitants environ).

Il fait partie d'un groupe de 3 systèmes volcaniques distincts et alignés d'ouest en est avec à l'ouest la caldera de Maninjau (dernière phase éruptive repérée il y a environ 280 000 ans, le plus vieux, en sommeil ou en éteint, difficile à dire), puis juste à l'est le système de Tandikat-Singalang (3 éruptions historiques en 1889, 1904 et 1924) et enfin le Marapi. Plus à l'est encore s'élève le vieux système volcanique en cours d'érosion (et considéré comme éteint) de Melintang (ou Sago).

L'ensemble est coupé par la Grande Faille de Sumatra (Maninjau et Tandikat à l'ouest de la faille; Marapi et Sago à l'est).


Les différents systèmes volcaniques dont fait partie le Marapi, et la Grande Faille de Sumatra (trait noir épais) ainsi que les stations sismiques présentes. Image : D.Nurfiani et al, 2021
 


L'histoire de la construction du Marapi a été, sur la base d'analyse des dépôts accessibles, séparée en 7 phases mais, pour des questions de clarté et de synthèse je vais les regrouper en trois séquences qui n'ont rien d'officiel:

- La séquence 1 regroupe les phases 1 (appelée Marapi ancien) et 2 (Sikumpar Tuff Cone) : il s'agit là des dépôts les plus anciens retrouvés. Une datation faite par la méthode Argon-Argon sur des coulées qui recouvrent le Cone de tuff Sikumpar (à la base du versant nord-est) a donné un âge 170000 à 196 000 ans. Les phases 1 et 2 sont donc plus anciennes, peut-être plus de 200 000 ans mais les dépôts, essentiellement des retombées de panaches de cendres (activité explosive donc) sont rares (et probablement pas mal altérés en raison du climat équatorial).

- La séquence 2 : n'est faite que de la phase 3, dire "phase Bancah". Lors de cette phase un édifice imposant est construit. Les dépôts qui le constituent sont essentiellement des coulées de lave et des dépôts de retombées de panaches de cendres mais cette phase semble se terminer par la mise en place d'une caldera* de 1400m de diamètre environ, aujourd’hui très végétalisée et dont la partie encore visible constitue le cratère sommital nommé Bancah.

- La séquence 3 est composée des phases 4 (dite "Tuo Crater") - 5 (dite "Kebun-Bungo) - 6 (dite "Maar Kayutanduk", représentée par un seul dépôt entièrement phréatique à la base du versant ouest de l'édifice) et 7 (dite "Bongsu & Verbeek").

En terme de morphologie l'édifice est clairement composé de deux secteurs qui ne se ressemblent pas et qui sont séparés par un ligne imaginaire passant entre le cratère Tuo et le cratère Bancah. Toute la zone Bancah (plus ancienne, séquences 1 et 2) compose un massif profondément abimé par l'érosion, couvert d'une végétation dense. La zone Tuo/Kebun-Bungo/Bongsu/Verbeek compose, de son côté, un massif aux pentes régulières, peu ravinées ce qui témoigne de son âge plus récent.

Topographie (hillshade) du Marapi; données SRTM 30, qui montre clairement la différence d'aspect entre le 1/4 sud-ouest, plus récent, et les 3/4 au nord-est, plus ravinés en ancien. Image : Open Topography

Tuo, Kebun-Bungo, Bongsu et Verbeek sont les noms des 4 cratères où une activité historique a été observée. La première l'a été en 1770 et, depuis lors, la fréquence des manifestations volcaniques est proche d'au moins une par an (la pause la plus longue a été de 17 ans seulement) faisant de ce système volcanique l'un des plus actifs d'Indonésie. Au cours de cette période 1770-aujourd'hui, l'activité a pu se manifester sur les cratères Tuo, Kebun-Bungo, Bongsu et Verbeek. Ce n'est que depuis les début des années 2000 que l'activité reste concentrée sur le cratère Verbeek (du nom du géologue Néerlandais qui a décrit l'éruption cataclysmale du Krakatau en 1883).

Les nom des principales zones cratèriques qui composent le sommet du Marapi. Image : D.Nurfiani et al, 2021

 

L'ensemble des activités historiques, éruptives ou non (=émission de magma ou non) ont été faiblement explosives (VEI 1 à 2) mais les données géologiques indiquent que, par le passé, des épisodes bien plus violents ont eu lieu : d'autres peuvent donc survenir dans le futur.

 

Dans l'article "Combining Petrology and Seismology to Unravel the Plumbing System of a Typical Arc Volcano: An Example From Marapi, West Sumatra, Indonesia" (D.Nurfiani et al, AGU, 2021), dont sont extraites les informations et images qui m'ont permis la rédaction de ce post, les auteurs précisent que ces phases volcaniques brèves et explosives surviennent classiquement avec peu de signes précurseurs et qu'elles constituent un risque majeur pour les randonneurs qui, fréquemment, occupent le sommet (la zone de campement est à environ 600m du cratère Verbeek).

Localisation de la zone de campement principal, de la voie pour y accéder et du cratère Verbeek. Image : Google Earth

Dernier point concernant les généralités sur ce système volcanique dont le fonctionnement est encore assez largement méconnu: quelques progrès ont été faits (article de D.Nurfiani et al dont j'ai parlé plus haut) concernant la partie souterraine du système volcanique: l'organisation des zones de remontées et de stockage/différentiation/mélange des magmas.

Les auteurs ont travaillé à la fois sur des données sismiques et des données de géochimie de minéraux  composant des échantillons prélevés sur le terrain (feldspath plagioclase et pyroxènes). Ces données , très différentes puisque d'ordre géophysique et géochimiques, convergent vers un modèle où  du magma, probablement produit depuis le manteau supérieur, s'accumule et stagne entre 15 et 26 km de profondeur donc dans la moitié inférieure de la croûte continentale (le Moho (interface manteau/croûte) est à un peu plus de 30 km dans cette zone). La présence d'une éventuelle petite zone de stockage vers 5km de profondeur est soupçonnée sur les données géophysiques mais rien n'indique sa présence dans les données géochimiques: son existence n'a donc pu être ni confirmée ni infirmée lors de cette étude.



Vous noterez sur le schéma de gauche que la partie sommitale est notée "plug?" car il est suggéré que la partie supérieure de ce système volcanique soit assez rigide et/ou relativement imperméable ou que, tout du moins, cette zone ne laisse pas percoler correctement les fluides magmatiques (volatiles** seuls et/ou magma), pouvant éventuellement faciliter le mise en place de surpressions. La particularité de ce système volcanique, si le modèle ci-dessus est confirmé par d'autre études) c'est la simplicité de son organisation: une zone de fusion (= production de magma) dans le manteau et une zone d'accumulation (="chambre magmatique") dans la croûte inférieure.

Vous allez me dire "c'est bien joli mais ça sert à quoi de savoir ça?". Et bien si la chambre est située à grande profondeur, sa mise ne pression est plus difficile à détecter, en particulier avec les mesures de déformation, qui ont tendance être efficace si la mise ne pression se fait à relativement faible profondeur : si une petite quantité de magma remonte depuis le manteau, il est fort possible que seule la sismicité donne quelques informations et que la déformation soit trop faible pour être détectée, voire nulle et pour les volcanologues (qui ne vivent qu'à la surface de la Terre, dois-je le rappeler) cela fait une situation moins claire à interpréter (un peu plus de doute, si vous voulez). Donc avoir une image à peu près fiable de l'organisation d'un système volcanique c'est rendre plus lisibles les signaux qu'il produit et donc augmenter l'efficacité de la surveillance.


B] L’événement du  03 décembre 2023 et son contexte

Avant d'arriver à l'activité explosive du 03 décembre il semble important de rappeler qu'il y avait eu d'autres activités explosives à priori similaires dans le style mais moins intenses, à savoir des épisodes explosifs brefs. Le système volcanique était donc en alerte niveau 2 (Waspada, "Alerte") depuis 2011 et est toujours en alerte 2 actuellement*** et, à priori, une interdiction de faire l'ascension était aussi en cours depuis 2011. La carte de risques est, à ce sujet, très claire : toute la zone sommitale est en niveau KRB ("Kawasan Rawan Bencana" qui peux se traduire par "zone exposée aux catastrophes") de niveau 3 : recommandation de ne mener aucune activité autour du cratère, dixit le site MAGMA Indonésien créé par le PVMBG, organisme en charge de la surveillance des risques volcanique en Indonésie.

La carte de risques du Marapi, la zone sommitale en rouge indique le KRB niveau 3 (=  présence déconseillée à partir de l'alerte volcanique niveau 2). Image : PVMBG

Mais l’ascension du Marapi est une randonnée fort prisée et ce 03 décembre la zone sommitale (sens large) accueillait pas moins de 75 personnes. C'est juste après 15h30 (heure locale) qu'une activité explosive relativement intense se déclenche depuis le cratère Verbeek. Rapidement le panache s'élève à plusieurs kilomètres au-dessus de l'édifice : le VAAC de Darwin estimera l'altitude maximale atteinte à 15000 m, même si la majeure partie des cendres se disperse à plus basse altitude.

Démarrage de l'activité explosive. Image: PVMBG


Les images prises justes après le démarrage de l'activité explosive indiquent la mise en place d'un écoulement pyroclastique, peut-être sur le versant nord-ouest (mais c'est vérifier).

Mise en place d'un écoulement pyroclastique. Image : X-Cipta Panca Laksana

Comme pour les phases explosives précédentes les signes précurseurs clairs manquent: pas de sismicité anormale, et à priori pas de déformation suggérant une intrusion magmatique ou une quelconque mise en pression du système volcanique (il faudra tout de même attendre des données complémentaires de ce côté-là).

Rien à signaler côté sismicité avant le 03 décembre, mais les choses changent après la survenue de l'activité explosive. Image : PVMBG

 

Cette phase intense a été très brève, comme permettent de le constater les données satellites qui montrent un panache rapidement séparé du sommet de l'édifice et dispersé. La charge en cendres n'est pas très importante : bref : cette activité explosive n'a pas été, globalement, d'une très grande intensité et il serait étonnant que son VEI dépasse2, activité sommes toutes habituelle donc pour ce système volcanique (cf l'hitorique résumé plus haut). Par ailleurs, à ma connaissance, il n'y a eu aucun signal thermique repéré ce qui suggère que le magma n'est pas parvenu en surface, en tout cas pas en grande quantité: pas de formation de dôme, pas de coulées, rien de tout ça, mais seule l'analyse des dépôts pourra dire qsi du magma frais est parvenu à sortir, même en très faible quantité.

Formation et dispersion du panache de cendres. Images : Himawari 9

Dans les jours qui ont suivi cette phase initiale, des émissions de cendres plus modestes ont continué de se manifester au sommet, notamment pendant les recherches et évacuation des victimes, en particulier les corps des 23 personnes décédées (derniers bilan officiel à la date de publication de ce post). J'ai aussi vu passer des images montrant une incandescence au sommet : je n'ai pas pas pu en vérifier la source et la date donc je préfère ne pas les partager sans leur contexte, mais si elles correspondent bien à cette séquence de début décembre, ces lueurs sont probablement dues au seul dégazage à haute température qui se poursuit après l'explosion du 03 décembre.

Les zones habitées au pied du versant sud-ouest ont subi quelques chutes de cendres mais rien de très important : pas de dégât matériel à ce niveau.

Sources:

- Combining Petrology and Seismology to Unravel the Plumbing System of a Typical Arc Volcano: An Example From Marapi, West Sumatra, Indonesia (D.Nurfiani et al, AGU, 2021)

- PVMBG;  Himawari 9; X-Cipta Panca Laksana; Open Topography


* Caldera dont l'origine n'est pas déterminée. Toutefois à la base du versant sud-ouest le terrain à l'air quelque peu accidenté: si on m’annonçait que la caldera est due à une avalanche de débris je serais pas plus surpris que ça. D'autant que le contexte tectonique local (proximité de la Grande Faille de Sumatra) est favorable à l'instabilité des édifices volcaniques.

** pas les oiseaux hein !) . Ce qu'on appelle "volatiles" ce sont les gaz et/ou les liquides sous pression qui, en remontant vers la surface (base pression) se vaporisent.

*** Le système d'alerte volcanique Indonésien va de 1 (RAS) à 4 (Danger). Un niveau d'alerte volcanique est objectif : il ne se base que sur une estimation, à partir du suivi géophysique (sismicité/déformation) et géochimique (composition des gaz, débit du dégazage, composition des sources à proximité etc) régulier de l'instabilité d'un système volcanique. Sur le principe, plus on surveille longtemps plus on a une image précise de ce qu'est un comportement stable ou non du système volcanique surveillé (on définit la "ligne de base", qui est en fait le "comportement habituel"). Si ce comportement manifeste un changement, le niveau d'alerte est changé, si le comportement ne change pas, le niveau d’alerte n'est pas changé.


2 commentaires:

  1. Bonjour et merci pour l article. J ai eu l occasion de monter au sommet fin 2016 et déjà à l'époque une forte odeur de gaz et surtout beaucoup de jeunes indonésiens et un vent terrible. La randonnée n est pas très difficile mais une fois en haut le terrain est très complexe et en 2 minutes les nuages vous piègent. Les cratères sont très ABRUPT ! La forêt d accès est magnifique !

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  2. Pour voir à quoi ressemble le sommet, vous pouvez regarder mes images ici: https://pascal-blonde.info/portefolio-volcans-indonesie-sumatra/ (ma dernière ascension remonte à mai 2022) et ici: https://pascal-blonde.info/ascension-du-marapi-de-sumatra/ Ma belle-famille habite à Bukittinggi et j'y retourne donc souvent. Je n'ose pas imaginer une éruption lors de Idul Fitri (fête et retrouvailles familiales qui suivent le Ramadan)... c'est bondé au parking des motos et même au sommet!

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