5 novembre 2023

Volcans Klyuchevskoy et Ioto : activités éruptives exceptionelles

Klyuchevskoy, Russie, 4754m

L'activité éruptive qui a débuté en juin s'est poursuivie jusque début novembre. Mais après plusieurs mois d'une activité marqués d'une relative stabilité, les derniers jours de l'éruption ont montré d'importantes évolutions jusqu'à aboutir à une spectaculaire séquence paroxysmale.

Au cours des premières semaines, l'éruption est restée uniquement faiblement explosive. Les fragments de lave produits et projetés par les explosions ont commencé à remplir le cratère sommital en édifiant un petit cône, probablement type "cône de scories".

Ce n'est que fin juillet que l'activité, alors toujours modeste, à commencé à devenir mixte explosive/effusive, avec la mise en place d'une coulée dans la ravine Apakhonchich (haut versant sud-est).  Dès début septembre les données satellites suggèrent l'ouverture, dans le cratère sommital, d'un second évent éruptif, proche de la bordure sud-ouest du cratère et quelques jours plus tard des blocs commencent à se déverser sur ce versant : le 18 septembre une coulée se forme sur le haut versant sud-ouest. Toutefois, de juillet jusqu'à mi septembre au moins la composante effusive (coulée de lave) de l'éruption va rester intermittente et seules de courtes coulées seront produites.

Coulée de lave dans la ravine Apakhonchich (haut versant sud-est), fin juillet 2023. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Coulée de lave sur le haut versant sud-ouest, 16 septembre 2023. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus


À partir de fin septembre l'effusion devient permanente mais elle va se manifester par la production de coulées sur plusieurs versants : ravine Apakhonchich (versant sud-est) fin septembre-mi octobre avec un débit qui augmente progressivement, puis le versant ouest après le 17 octobre; puis de nouveau Apakhonchich fin octobre mais simultanément avec l'ouverture d'un nouvel évent effusif sur le haut versant nord-ouest. À noter que la coulée nord-ouest ne provient pas d'un débordement depuis le sommet mais d'un évent ouvert directement dans la pente (évent latéral et non sommital) dont on déduit qu'une partie du magma a pu faire intrusion latéralement à travers le stratocône, éventuelle conséquence d'une hausse du débit magmatique qui se manifestait déjà par la hausse du débit d'effusion.

Effusion depuis deux zones séparées: une coulée qui descend depuis le sommet en direction du sud-est, un autre qui descend au nord-ouest depuis un évent latéral. Image : SENTINEL 2-ESA/Copernicus
 

Le 29 octobre l’effusion versant nord avait baissé en intensité, contrairement à celle du versant sud-est qui elle avait un débit nettement en hausse produisant une coulée longue de plus de 3500 m.


Longue coulée en direction du sud-est : hausse du débit de l'effusion se ce versant. Image : SENTINEL 2-ESA/Copernicus


Dès le 31 octobre la situation avait de nouveau évolué avec un débit qui semblait moins important versant sud mais une nouvelle coulée abondamment alimentée qui descendait le versant nord. Difficile, par contre, de dire si cette nouvelle coulée partait du sommet ou prenait sa source au niveau de l'évent latéral car des nuages et probablement du gaz volcanique masquaient le sommet.

Nouvelle coulée de lave sur le versant nord. La fonte de neige induite provoque la formation de coulées de boue en avalanches (trace sombre dans la pente). Image : SENTINEL 2-ESA/Copernicus

Les images webcams suggèrent que la coulée sud-est reste alimentée. Toutefois ce que l'on voit côté sud-est pourrait aussi être une avalanche de blocs roulant dans la pente, soit depuis le sommet, soit depuis le front de la coulée sud-est. Interprétation pas simple sur ce cas. Image : KB-GS-RAS

En tout cas il est clair que l'activité restait à ce moment là soutenue mais c'est le 31/10 vers 20h00 21h00 TU (08-09h du matin le 01/11) que l'activité semble franchir  un cap et devenir nettement plus violemment explosive, après une hausse de l 'activité sismique dès la nuit du 31/10 au 01/11. Sur les données satellites Himawari 8 le panache commence alors à prendre un ampleur plus importante.

Changement d'ampleur du panache de cendres et gaz autour de 21h00 TU. Images : Himawari 8

C'est peu après le démarrage de cette phase paroxysmale que se met en place, sur le versant nord-ouest de l'édifice, un puissant écoulement pyroclastique qui atteint en à peu près 1 min une distance d'à peu près 3 à 4km (le front semble avoir presque atteint le col avec le volcan Ushkovsky)! Soit une vitesse de déplacement qui semble située vers 50 à 66 m/s, soit environ 180 à 230 km/h!!! Mais ceci n'est qu'une estimation réalisée à partir de l'analyse des images webcam et il faudrait la tester, la préciser et, si nécessaire, la remettre en question. Le panache co-pyroclastique s'est élevé jusqu'à environ 14 km d'altitude (tropopause à cette latitude), alors que le panache éruptif (dont la source est l'activité explosive sommitale) s'est maintenu à une altitude de 10-11 km environ. La source de ce panache éruptif était une activité explosive très intense de type fontaine de lave (haute d'au moins 500m, même si des projections sont montées à plus de 700m de hauteur), non sans évoquer, dans le style et l'intensité, les phases paroxysmales qu'on peut observer assez fréquemment sur l'Etna par exemple.

Mise en place d'un puissant écoulement pyroclastique sur le versant nord. Images : IVS-KVERT

La plus haute altitude a été atteinte par le panache co-pyroclastique. Image: IVS-KVERT

Fontaine de lave au soir du 01 novembre; Sur l'image elle est haute d'environ 700m. Image : IVS-EB-RAS-KVERT

 

Il est possible que cet écoulement pyroclastique trouve sa cause dans l'instabilité de la coulée en cours de mise en place sur le versant nord depuis la veille et/ou d'une déstabilisation locale de l'édifice au niveau de l'évent nord et/ou de la déstabilisation d'une partie de la lave accumulée au sommet depuis le début de l'éruption en juin. Cette activité avait effectivement construit un nouveau cône (cône de scories probablement) d'environ 50m de hauteur au sommet, mais au bord de la lèvre sud du cratère sommital, pas au nord, ce qui exclu d'emblée la destruction de ce cône comme cause possible de la production de l'écoulement.

Évolution de la morphologie du sommet entre fin août et fin octobre 2023. Images :IVS-FEB-RAS-KVERT

 

Au cours de cette séquence d'autres écoulements pyroclastiques ont été produits sur le versant nord-ouest, tous de plus faible ampleur que le premier. On aperçoit l'un de ces écoulements à l'ombre de l'immense panache de cendres produit par l'activité explosive sommital sur l'image satellite LANDSAT produite le 01 novembre, et cet écoulement est en lien avec la coulée de lave qui, à ce moment, continue d'être produite sur le versant nord-nord-ouest. Des coulées de boues dues à la fonte de la couche de neige et glace a provoqué d'importants lahars dont un dans la rivière Studenoy qui a incité les autorité à fermer la route fédérale reliant Kozyrevsk à Petropavlovsk et un autre dans la rivière Krutenkaya qui a provoqué la fermeture de la route qui part su sud- de Klyuchi.

Coulées de lave et imposant panache de cendres le 01 novembre. Image : LANDSAT 8/9 - NASA/USGS

La fin de cette séquence paroxysmale exceptionnelle, dont une bonne partie s'est tout de même déroulée dans les nuages malheureusement, a eu lieu le 01 novembre aux alentours de 18h00 TU (le 02 novembre, 06h du matin, heure locale), donc un séquence qui a duré une vingtaine d'heures consécutives, ce qui est assez long pour une activité de cette intensité.

Ce qui me surprend le plus toutefois c'est l'absence de trace évidente de l'écoulement pyroclastique principal sur l'image satellite du 03 novembre. Je ne peux que supposer que la neige l'a rapidement recouvert et que sa température n'était pas trop élevée (ce qui, à priori, renforcerais l'hypothèse selon laquelle l'importance de cet écoulement pyroclastique était en partie dûe à une interaction avec la couche de neige/glace.)

Situation plus calme le 03 novembre mais la zone est totalement empoussiérée par les cendres. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus


Sources : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus; LANDSAT 8/9 - NASA/USGS; IVS-EB-RAS-KVERT; Himawari 8


Ioto, Japon, 169 m


Depuis 1 an la situation au large de la côte sud de l'île d'Iwo-Jima est marquée du signe de l'instabilité. En juillet 2022 une activité éruptive sous-marine, probablement à l’origine de la formation d'une petite île rapidement érodée. Cette éruption semble avoir été la première ayant été décrite durant la période historique, toutes les manifestations précédentes ayant été décrites comme phréatiques (seul un doute subsiste sur une manifestation sous-marine en 1974 au large de la côte nord-ouest). Les dernières manifestations éruptives caractérisées remontaient à il y a 2800 à 2900 ans.

Depuis juillet 2022 il y a parfois eu de courtes phases de dégazage sur la même zone (juin 2023, septembre 2023 notamment). Mais c'est fin octobre 2023 que la situation est devenue plus concrète avec le démarrage d'une activité phréatomagmatique soutenue, rapidement à l'origine d'une nouvelle île et de radeaux de ponces flottantes à proximité.

Éruption phréatomagmatique au large de la côte sud d'Iwo-Jima le 30 octobre 2023. Image: Mainchi daily news


 

La nouvelle île, et le signal thermique indiquant la présence de magma en surface le 02 novembre 2023. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus


À partir du 03 novembre 2023 les images montrent une composante phréatomagmatique toujours présente mais moins marquée : l'activité devient progressivement plus magmatique (interaction avec l'eau moins prononcée : l'accumulation de lave coupe le dyke de son contact avec l'eau de mer) et les projections incandescentes deviennent de plus en plus visibles : le cône de cendres et ponces s'édifie.

 

Activité au soir du 03 novembre : les projections incandescentes sont bien visibles, mais le style du panache est encore assez phréatomagmatique (composante importante de l'eau et forme cyperessoïde). Image: Asahi Shimbun

Sources : Asahi Shimbun; SENTINEL 2 - ESA/Copernicus; Mainchi daily news


4 commentaires:

  1. ACTIVITE QUI MONTE CRESCENDO en Indonésie (hors Bali Sumatra) ! ET QUE DIRE DE LA COLOMBIE ! LE MONSTRE NEVADO DEL HUILA ET DEL RUIZ montrent des signes très inquiétant !

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour cette présentation très intéressante ! Les éruptions du Kamtchatka font très peu parler d'elles mais elles sont à surveiller. Des panaches pareils ne connaissent pas les frontières..

    RépondreSupprimer
  3. Merci pour cet article, comme toujours passionnant !

    RépondreSupprimer