19 décembre 2023

Départ d'éruption sur la péninsule de Reykjanes (Islande) (màj)

Et elle aura mis un sacré moment à démarrer puisque l'intrusion magmatique a débuté le 24 octobre : il aura donc fallu au magma pas moins de 56 jours pour venir percer la surface de la Terre, dans une zone parfaitement délimitée par les scientifiques depuis déjà plusieurs semaines.


C'est à partir du 24 octobre 2023 qu'une sismicité intense se met en place sur la péninsule de Reykjanes, non loin de la petite ville côtière de Grindavik et du célèbre "Blue Lagoon" où aiment à se détendre les Islandais et les touristes. Cette zone de sismicité s'est donc mise en place un peu plus à l'ouest que les secteurs où ont eu lieu les éruptions de 2021, 2022 et 2023. En plus des milliers de secousses détectées dans les premières 48 heures, des déformations importantes sont enregistrées par le réseau de GPS. Le record, me semble-t-il, revint à une station qui a enregistré 1.2 m de déplacement latéral en quelques heures.

Déplacement de 1.2 m vers l'est de la station FEFC entre le 10/11 à 8h00 environ et le 11/11 vers 00h00 environ. Image :Verdurstofan

 

Ils indiquent que la croûte terrestre, dans le secteur de Grindavik est étirée latéralement. En conséquence une fracturation importante apparait et la zone de Grindavik s'affaisse petit à petit : c'est un graben (un bassin d'origine tectonique produit par affaissement dans une zone en extension) large d'environ 1800 m et long d'environ 8 km qui se forme.

Délimitation du graben bordé par les failles normales (trait noir avec pointes, les points vont dans la direction qui descent). Image : Vedurstofan Island Université d'Islande, Landmaelindgar Islands; Nätürufraedistofnun Islands; Jardvisindastofun

 

Une partie des fractures traverse la ville, affecte bâtiments et routes et, mi-novembre, génère même des coupures d’électricité (ruptures de câbles). La portion sud-ouest du graben, où se trouve la ville de Grindavik, s'enfonce dans une zone où se trouvent de petites lagunes proches de la côte : la surface de ces lagunes augmente, non pas que le niveau d'eau remonte (il reste le même) mais parce que le fond de la lagune s'enfonce. Par ailleurs il semble que le port de Grindavik soit maintenant plus profond qu'il ne l'était avant les déformations. L'enfoncement le plus important toutefois semble avoir eu lieu au nord de Grindavik, où les données GPS indiquent que le sol à perdu environ 1.5 m d'altitude.

Les modélisations réalisées alors sur la base des données de sismicité et de déformation suggèrent que le magma pourrait alors n'être qu'à moins de 1km sous la surface, sans qu'il soit possible de déterminer le secteur où il pourrait sortir. La ville de Grindavik est, de facto, totalement évacuée le 11 novembre et des digues sont construites en vue de protéger la centrale géothermique et la ville en cas de départ d'éruption.

Construction des digues mi-novembre. Image : mbl.is

Pendant tout le mois de novembre on va ainsi assister en direct, et à notre échelle de temps, à des phénomènes géologiques qui, la plupart du temps, se déroulent à une vitesse d'une extrême lenteur, sous l'effet de contraintes qui s'exercent en permanence pour une bonne partie de l'Islande elle-même.

Toutefois, début décembre, la crise sismique, qui compte alors près de 11 000 secousses, cesse après des semaines de hauts et de bas, dessinant, par la localisation des secousses, la forme allongée du dyke magmatique qui, à peut-être quelques centaines de mètre sous la surface, ne parvient plus à se déplacer.

Répartition des secousses sismiques entre début octobre et le 19 décembre 2023. Image : Vedurstofa Islands

Le 18 décembre à 21h00 (heure locale) une nouvelle crise sismique débute : pas le temps d'analyser la situation que le magma a parcouru le peu de distance qui le séparait encore de la surface et c'est à 22h17 (heure locale) qu'il perce enfin la surface du globe, à environ 4 km au nord-est de Grindavik, dans le secteur du pic Sundhnùksgigar ("Soond Nyuka Gigar"; qui pourrait signifier : "la rangée de cratères près du pic dans le passage" (Sundhnùksgigar se trouve en effet entre les reliefs Midhead au sud-est et Sylingarfell au nord-ouest)*.

 

Le départ de cette éruption est intense, marquée dès les premières dizaines de secondes de puissantes fontaines de lave là où la pression des gaz est la plus forte. Toutefois la majeure partie de la roche en fusion qui, quelques instants plus tôt encore formait le dyke (structure géologique souterraine par définition) s'épanche tranquillement en larges et multiples coulées de lave qui commencent à ennoyer progressivement la plaine alentour. Par chance, la topographie locale est en pente très douce vers le nord et les coulées ne se dirigent donc pas vers Grindavik.

Rapidement, sous la pression, la surface de la terre continue de se fracturer en direction du nord-est et à la fracture initiale s'ajoutent d'autres fractures éruptives formant un réseau (en échelon, c'est à dire que les fractures sont décalées )  qui, en quelques petites heures atteint une longueur totale de 3 km. Le débit estimé pour cette phase initiale est de plusieurs centaines de m3 par seconde.

Répartition des fractures éruptives : 2 fractures principales reliées par 3 petites fractures en échelon. Image : Icelandic Met Office -  Institue of Earth Sciences

 

Mais en quelques heures seulement l'intensité de cette éruption diminue, une fois que la pression initiale a fini d'être évacuée, et elle se stabilise à une intensité nettement moindre. Les fontaines de lave qui persistent au levé du jour sur certaines fractures commencent à édifier de nouveaux cônes alignés (une nouvelle "rangée de cratères", un nouveau "gigar" pour l'Islande) : le débit n'est plus que de  quelques dizaines de m3/s et la zone éruptive s'étend sur 3 à 500 m de long au matin du 19 décembre.

 

Le réseau de fractures éruptives et les coulées associées dans la nuit du 18 au 19 décembre. On devine les lumières de Grindavik au loin. Image : Almannavarnir

 

Activité magnifique mais très réduite au matin du 19 décembre par rapport au premières heures. Image : mbl.is
 

Il semblerai logique que cette éruption soit attribuée au nouveau système volcanique appelé Fagradasfjall (qui n'existait pas avant 2022 : la zone active du secteur était considéré comme une branche du système volcanique Krysuvik-Trolladyngja jusqu'à ce qu'en 2022 les volcanologues Islandais décident d'en faire un système à part entière après les éruptions de 2021 et 2022). Mais une question essentielle demeure : quel nom lui sera donnée?


Mise à jour, 20/12/2023

Premier point : j'ai modifié le titre du post qui était initialement "Départ d'éruption sur le système volcanique Fagradasfjall (Islande)" mais, si les premiers résultats de géochimie (analyse préliminaire des majeurs) donnent des similarités avec les laves de 2021-2022-2023 (système volcanique Fagradasfjall) les volcanologues Islandais attribuent encore cette éruption au système volcanique Reykjanes sur leur site web.

Etat de l'activité volcanique sur la péninsule de Reykjanes sur l site web des volcanologues. Image : Futurvolc

Aussi je considère que j'ai été un peu rapide quand à l'attribution de cette éruption à un système volcanique en particulier : le doute demeure et, comme tout le monde, j’attendrais une décision officielle des volcanologues Islandais.

Second point : je n'ai pas immédiatement pensé à localiser la position du dyke éruptif par rapport au graben formé quelques semaines auparavant mais l'éruption s'est mise en place hors des limites dessinées du graben. La partie sud du réseau de fractures se branche sur la faille bordière sud-est du graben mais la position et la direction de la portion nord est pile dans le prolongement de l'axe central du graben. On aurait pu penser que c'est dans le graben que le dyke aurait percé mais, pour des raisons actuellement non identifiées et probablement complexes, la voie la plus simple a visiblement été de sortir un peu au nord-est.


L'endroit où le magma sort dépend ainsi, par exemple:

- de l'état des contraintes mécaniques qui s’exercent sur la zone

- de l'état physique des matériaux traversés (solides pour les roches, présence de liquide dans la porosité, comme de l'eau infiltrée par exemple n'oublions pas que la côte n'est pas loin) ainsi que leur structure (fracturation préexistante, accumulation de coulées superposées mais non jointives, présence d'anciens cônes de scories ensevelis, éventuellement dépôts sédimentaires, glaciaires, éoliens, côtiers intercalés dans l'empilement des coulées,etc)

- de l'état physique du dyke lui-même (qui dépend de sa température, de sa composition chimique, de la proportion de cristaux présent dans la roche en fusion etc).

Et il y a certainement d'autres paramètres qui entrent en ligne de compte dans ce lien entre mise en place de magma et réaction mécanique de la croûte traversée.

Bref, tout ça pour dire que je trouve intéressant de voir ce dyke (ou réseau de dykes peut-être) finalement percer en dehors du graben que sa mise en place a généré.

En tout cas pour le moment l'activité se poursuit même si elle a très très nettement diminué.


* Je suis pas du tout sûr de cette traduction et j’attends des infos complémentaires à ce sujet. Quoi qu'il en soit Sundhnùksgigar peu, au minimum, se traduire par "la rangée de cratères près du pic Sundhnùkur."

Sources : Vedurstofan Island Université d'Islande, Landmaelindgar Islands; Nätürufraedistofnun Islands; Jardvisindastofun; mbl.is; Icelandic Met Office -  Institue of Earth Sciences; Almannavarnir


11 commentaires:

  1. Merci beaucoup pour ce point de situation très clair (comme d'habitude!)

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    1. Bonjour et merci :) (pour info, je ne parviens plus à publier de réponses en tant que Culture Volcan, j'ai pas encore trouvé la solution)

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  2. Salut,
    Aurais-tu déjà lu une estimation sur les volumes émis à ce jour?
    Merci bien pour ton article.
    Lydéric

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    1. Salut Lyderic. J'ai pas encore vu passer de donnée chiffrée sur le volume mais 3.7 km² de coulées ont été mis en place entre le départ de l'éruption le 18/12 à 22h17 et la première image radar du champ de coulée a été faite le 19/12 à 3:11 donc 17640 secondes avec un débit estimé à 300m3/s au départ: ca donne déjà une estimation à la louche de 5x10e6 m3 émis le premières heures (donc le champ de lave de 3.7 km² cartographié le 19/12 à 3h11 du matin devait avoir une épaisseur moyenne de 1,5m, ce qui semble cohérent avec ce qu'on voit sur les images). Le débit a ensuite diminué pour se stabiliser vers 10m3/s le 20 décembre mais sans des estimations régulières du débit difficile de faire une estimation assez précise de volume émis depuis le 19/12 à 03h11. Toutefois, si on veux vraiment faire à la grosse louche: 10 m/s depuis 3h11 le 19 jusqu'à aujourd'hui13h24 ca donne 209580 secondes donc environ 2 x10e6 m3. Total : on peut supposer qu'au moins, 7 millions de m3 ont été émis (sous forme de coulées, le volume constituant les cônes est exclu, car négligeable) depuis le départ de l'éruption. Et à mon sens ce chiffre constitue un minimum (le débit était au-dessus de 10m3/s le 19/12). Et pour info j'ai un souci : je ne peux pas publier de réponse sous le pseudo Culture Volcan et je sais pas encore pourquoi. En tout cas j'espère avoir répondu à la question (et j'espère surtout que l'estimation est pas foireuse). Bonne journée :)

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    2. ok cool! merci bien!
      du coup en gros, pour le moment 100 fois moins que Bardarbunga (2014-15).
      Tu sais quel volumes ont été émis lors des dernières éruptions du sud ces dernières années?
      ++

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    3. Fagradasfjall (2021) = 150 +- 3 x10e6 m3 (bulk; M.Parks & al, 2023)); Meradalir (2022) = 5,7 +- 0.76 x10e6 m3 (mais je sais pas si c'est bulk ou pas, dans le résumé que j'ai trouvé c'est écrit que c'est "DRE, 30% de porosité" ce qui est...étrange); Litli Hrutur (2023 .01 ) = J'ai pas trouvé de chiffre exact mais à partir des bulletin de l'IMO qui donnait un volume émis entre le 18 et le 31 juillet de 15,9x10e6 m3 (bulk à priori) et un taux moyen d'effusion de 4m3/s au moins jusqu'au 4 août (daet à partir de laquelle le trémor décline donc j'hypothétise que le débit aussi), je compte (de minuit [au pif] le 31/07 à minuit le 04/08 [moment où le trémor commence à décliner]) 345600 secondes donc un volume approximatif de 1,4x10e6 m3, pour un total de grosso modo 17x10e6 m3 (bulk). Les deux premiers sont des données officielles, le troisième c'est pas aussi précis :)

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    4. J'ai oublié de préciser pour le volume Meradalir : chiffre donné par W.M.Moreland & al, dans le résumé qu'ils ont préparé pour le 36ème Nordic Geological Winter meeting (janvier 2024); Pour le volume Litli Hrutur : estimation personelle à partir des bulletins IMO

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    5. Merci bien pour toutes ces infos!

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  3. Pour répondre en partie à la question ci-dessus, https://www.ruv.is/english/2023-12-18-eruption-on-reykjanes-peninsula-399922 indique que la surface couverte le 20 au soir est de 3,7 km carrés.

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  4. L'éruption semble terminée....

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  5. Bonjour CV,

    Sur la base de la sismicité et la déformation de la surface du sol, les volcanologues locaux ont estimé que le dyke formé à partir du 10/11 faisait 15 km de long, se prolongeant bien au-delà au NNE que la zone de la fissure éruptive... Celle-ci s'est donc formée dans la zone centrale du dyke initialement formé, un dyke qui était visiblement toujours ouvert (alimentation depuis le "sill" de Svartsengi toujours en cours). Par conséquent, pour moi, la question est plutôt de comprendre pourquoi le grabben ne s'est formé qu'à cet endroit (était-ce là que le magma est remonté le plus proche de la surface ? Cette zone était-elle plus fracturée ?)...

    Superbe fissure en tout cas ! 4 km de long, les images sont incroyables !

    Bonne journée,

    Ludovic LEDUC

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