16 mars 2022

Volcan Bezymianny : phase d'activité intense

Une phase d'activité intense a eu lieu les 14 et 15 mars mais elle n'a pas été totalement surprenante car dès le 12 mars le niveau d’alerte volcanique était à l'orange en raison d’une sismicité au-dessus de la normale ce qui, vues les circonstances, pourrait-être un signal précurseur. Ce pic d'activité survient environ 17 mois après le précédent (octobre 2020) et s'inscrit dans le cadre plus général d'une phase marquée par des pics d'activité intense mais courts, entrecoupés de périodes de calme (avant celle d'octobre 2020 il y avait eu mars 2019, janvier 2019, décembre 2017, juin 2017).

Tout commence donc, de ce que l'on en sait pour l'heure, vers le 12 mars. Les webcams sont, malheureusement a ce moment-là, souvent bouchées par les nuages mais lors d'une légère trouée on peux noter ce jour-là que la moitié supérieure du versant est de l'édifice est couvert de dépôts non enneigés. Ils recouvrent des structures antérieures (anciennes coulées visqueuses, dépôts précédents) et ne semblent donc que napper ce qui existait déjà. Aussi l'explication la plus satisfaisante quand à leur nature est celle d'éboulements rocheux, récents ou en cours, qui se produisent depuis le sommet.

Comparaison d'images entre les 10 et 12 mars : le versant est est couvert de dépôts récents. Images : KB-GS-RAS

Ce jour-là le KVERT n'émet pas de bulletin mais, comme déjà dit plus haut, la sismicité est supérieure à la normale et l'alerte volcanique est élevée à l'orange.

La situation évolue à partir du 14 mars avec la première alerte du VAAC de Tokyo, émise à 16h22 TU  soit 04h22 du matin le 15 mars heure locale, et indique que des cendres ont été observées sur les données du satellites Himawari 8 horodatées à 03h10 (heure locale) à environ 5000m d'altitude. Toutefois une image webcam semble indiquer que ces émissions de cendres ont démarré vers 02h40 (heure locale). J'ai retravaillé les niveaux de l'image ci-dessous pour tenter de mieux faire apparaitre le panache (pas évident quand même :) )

Émission de cendres a 14h40 TU (02h40 HL). Image :KB-GS-RAS

 

Cette activité s'est poursuivie tout au long de la journée du 15 mars avec des émissions de cendres toujours soutenues formant un panache qui s'est étiré sur plus de 90 km vers l'ouest.

Le panache au maximum de son extension, le 15 mars. Image : MODIS/NASA

Les images de la webcam située à l'est de l'édifice permettent aussi de monter la formation d'écoulements pyroclastiques qui descendent en direction de l'est sur environ 2000 m. Ces écoulements ne semblent ni très volumineux ni très dynamiques et, surtout, il ne sont pas nombreux.

Écoulement pyroclastique sur le versant est.Image : KB-GS-RAS

Par ailleurs les images webcams et satellites montrent clairement que la teinte des cendres est brune, indiquant que l'essentiel de ce qui compose le panache et les écoulements est constitué de roches anciennes et altérées. Toutefois les données du satellites SENTINEL 2, et en particulier les données infrarouge, permettent de constater que de très hautes températures sont atteintes, suggérant que du magma neuf est aussi de la partie.On peux donc supposer que si on analysait les dépôts de cette séquences, on trouverais un mélange de fragments altérés, dominants, et un peu de fragments de lave fraîche.

Cette image satellite montre la mise en place d'un écoulement pyroclastique. La composition intègre à la fois les longueurs d'onde visibles (rouge-vert-bleu) donnant les couleurs naturelles, et différents infrarouges qui mettent en évidence les zones à haute température. Image : SENTINL2-ESA/Copernicus; composition et traitement : Culture Volcan


Vue plus large du panache et de sa teinte brune très marquée. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

 Cette activité s'est poursuivie avec une intensité assez constante et sur le même mode toute la journée du 15 mars mais pendant la nuit, le 16 mars vers 01h10 du matin (heure locale), elle a été marquée par une activité explosive plus intense et brève. 

Activité explosive soutenue dans la nuit du 15 au 16 mars 2022. Image : KB-GS-RAS

Suite à cette explosion l'activité a semblé beaucoup plus calme : moins d’avalanches et, surtout, plus du tout d’écoulements pyroclastiques. 

Cette séquence des 15-16 mars (heure locale) aura modifié de façon notable la morphologie du sommet, détruisant tout ou partie (difficile à voir sur les images) du dôme-coulée de 2020.

 

 

Je soupçonne toutefois, sur la base d'une comparaison d’images webcams, que l'essentiel de cette modification est intervenue au moment de la phase explosive décrite plus haut. Mais je ne peut aller au-delà du soupçon, l'une des images utilisée pour la comparaison étant en partie à contrejour et masquée par des cendres (et c'est la meilleure de la série pour la comparaison, voyez quel indice de confiance je peux avoir pour l'interprétation....).

On peut aussi noter la formation au cours de cette séquence, d'un couloir d'avalanche qui entaille maintenant le haut versant est, juste sous le sommet. Cette zone se trouvant au niveau du départ des écoulements pyroclastiques, on peut émettre l'hypothèse que ces écoulements ont été produits pour l'essentiel par la déstabilisation et le décrochage, morceau par morceau, de cette zone. Cette cicatrice d'avalanches serait dès lors antérieure à la phase explosive, et expliquerait au passage la teinte brune des cendres des écoulements.

Nouvelle cicatrice d'avalanche au sommet du Bezymianny. Image : KB-GS-RAS

Tout pousse à croire que cette séquence résulte de l’intrusion d'une masse de magma dans l'édifice, soulevant le sommet jusqu'à le déstabiliser. Il ne serait pas étonnant que dans les jours qui viennent on voit émerger au sommet un dôme ou une dôme coulée mais pour l'heure aucune de ces structures n'est visible sur les images. Par contre je n'oublie pas que, grosso modo, on ne voit qu'une petite portion de l'édifice et que j’ignore ce qu'il se passe sur les versants opposés aux webcams (toujours faire attention aux angles morts) : qui sait si une coulée visqueuse n'est pas déjà en place sur l'un de ces versants?

La situation reste donc à surveiller de près. 

Sources  : KB-GS-RAS; KVERT; SENTINEL 2 - ESA/Copernicus; VAAC de Tokyo; MODIS/NASA


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