26 octobre 2020

Volcan Bezymianny : quelques détails sur le paroxysme du 22 octobre (mis à jour)

Cela faisait déjà plusieurs mois que le calme régnait, en tout cas superficiellement (sans données géophysiques, c'est pas simple de se faire une idée de l'activité profonde) au Bezymianny. La dernière phase explosive intense remontait à mars 2019, et une intensification de l'activité avait été notée en décembre 2019, avec ce qui ressemblait à la mise en place d'une extrusion depuis la zone sommitale.

Et au petit matin du 22 octobre 2020, le VAAC de Tokyo détecte la présence d'un important panache de cendres, qui atteint l'altitude de 9000 m environ, se dispersant en suite en deux "branches" emportées et dispersées dans les courants atmosphériques au-dessus de la péninsule du Kamchatka.

Vue de l'ouest, cette phase explosive intense est spectaculaire, comme toutes celles qui l'ont précédé ces dernières années.



Sur la vidéo ci-dessus, on peut noter la formation de deux panaches de cendres successifs. Le premier, et principal, est émis à la verticale de l'édifice mais poussé vers l'ouest-sud-ouest (en direction de la caméra). Le second, visible à partir de la 14ème seconde, part d'abord horizontalement sur la gauche (en direction du nord ou nord-ouest (sans parallaxe c'est pas clair) avant de monter à la verticale. Il est donc envisageable qu'il soit le fruit d'un phénomène type "écoulement pyroclastique.

Sur l'image satellite prise le 24 octobre par SENTINEL 2, on peut noter au sol, à l'ouest de l'édifice, deux dépôts de cendres distincts. Le plus sombre, qui est le dépôt principal de cette phase, a une direction qui correspond à celle du premier panache. Le second dépôt est plus "light" , bien moins chargé en cendres et pourrait correspondre au dépôt du second panache.


Les dépôts de cendres à l'ouest du Bezymianny 2 jours après la phase paroxysmale. Image :SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Un autre dépôt est visible sur l'image satellite, mais il est ténu. Il se dirige plein nord en direction du Kamen, sur environ 1 km de long. Je ne l'avais pas vraiment remarqué avant de regarder dans l'infrarouge thermique et de me rendre compte qu'au 24 octobre (2 jours après le paroxysme), il y avait encore des zones à très haute température! Cela me semble donc cohérent avec un dépôt d'écoulement pyroclastique, et ce d'autant plus que sa direction, plein nord, est cohérente avec celle prise au démarrage du second panache.



On peut aussi clairement distinguer sur cette image satellite un dépôt très sombre sur la neige, au pied du versant sud-est, au débouché de la ravine qui sépare le rempart sud de la caldera d'effondrement de 1956 et le complexe de dôme. Sa morphologie fait clairement penser à un dépôt d'écoulement, mais ne présentant pas de hautes températures, il pourrait plutôt s’agir d'un écoulement boueux (lahar) mis en place pendant l'activité explosive.

Quand aux potentiels signes précurseurs, ils sont ténus. Au cours des jours précédents toutefois on peut noter sur les images l'apparition de dépôts liés à des éboulements depuis la zone sommitale. Ils se manifestent essentiellement sous la forme de traces sombres sur le manteau neigeux qui apparaissent d'un jour sur l'autre, lorsque les nuages veulent bien s'écarter. On peux prendre comme une chance la capture de l'un d'entre eux par la caméra positionnée à l'est.

Petit éboulement capté la veille de la phase paroxysmale. Image: KB-GS-RAS

Un autre signe précurseur potentiel, car difficile à confirmer malheureusement, pourrait être visible sur une image prise le 20 octobre sous la forme de ce qui ressemble à une "bosse"  au sommet de l'édifice. Toutefois je n'ai pas pu trouver d'autres images plus claires qui montreraient mieux cette potentielle "bosse" qui, honnêtement, pourrait aussi être un artefact produit par la pixellisation et la présence de fumerolles au sommet... Je vous montre tout de même la comparaison d'images qui m'a amené à supposer la présence de cette "bosse", sans parvenir à me convaincre absolument de son existence toutefois. Il semble par contre que sur la partie gauche du sommet (côté sud donc) il y ait une partie du sommet qui ait disparu, peut-être par de petits effondrements.



 

Après le paroxysme les comparaisons d'images permettent de constater une nouvelle modification de la morphologie du sommet de l'édifice, avec l'apparition d'une masse sombre, plate, qui peut correspondre à une nouvelle extrusion de magma.

Il n'a pas été rare qu'avant des paroxysmes précédents des modifications importantes de la morphologie du sommet aient été notées. Il pouvait s'agir de l'extrusion de la partie supérieure de la colonne de magma, rigide et cristallisée, poussée hors de l'édifice par une mise en pression, comme du dentifrice hors de son tube, ou la formation de coulées de lave visqueuse, le tout accompagné d'inévitables avalanches de blocs. Certaines phases de déformation ont pu avoir lieu seulement quelques jours avant les phases explosives, raison pour laquelle la "bosse" potentielle m'intrigue en l'occurence.

De plus, en connaissant ce contexte, l'activité de décembre 2019 apparait elle-aussi comme un potentiel précurseur de ce paroxysme. En effet, pour les phases explosives des 09 mars et 16 juin 2017, les précurseurs les plus importants avaient débuté plusieurs mois avant, avec la mise en place d'une coulée visqueuse dès décembre 2016 (et d'autres précurseurs avait eu lieu avant) : plusieurs mois d'écart entre certains phénomènes et la phase explosive n'est donc pas quelques chose d'inenvisageable.

Il semble donc que cette fois encore il y ait eu des précurseurs, plus ou moins discrets, à cette phase explosive intense, mais les nuages fréquents n'aident malheureusement pas à y voir clair. Par ailleurs les changements de morphologie restent très discrets, d'autant plus que la webcam est éloignée, et ils sont donc plus faciles à identifier à postériori (ce qui est quand même un comble pour ce qui est censé être un précurseur..).

Mise à jour 27 octobre, 08h54

Le site Volkstat.ru a publié des images réalisées, d'après les nom des fichiers, les 24 et 25 octobre. On y voit très clairement la nouvelle extrusion au sommet du Bezymianny dont on ne pouvait que supposer l'existence sur les images de la webcam. Le magma à l'air plutôt visqueux et le taux d'extrusion semble faible. La bordure nord de l'extrusion commence à s'écouler dans la pente et forme un court lobe.


Nouvelle extrusion de lave visqueuse au sommet du Bezymianny. Image : Volkstat.ru

Le texte accompagnant les images confirme par ailleurs la présence d'un petit écoulement pyroclastique en direction du nord, confirmant l'interprétation du dépôt visible sur l'image satellite.

Sources : KB-GR-RAS; SENTINEL 2 - ESA/Copernicus; volkstat.ru

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