4 novembre 2020

Le plutonisme un peu mieux compris grâce à deux éruptions volcaniques

Je pense que tout le monde voit à peu près ce qu'est le volcanisme, mais peut-être que le plutonisme est une notion moins claire.
Ces deux termes sont en réalité deux aspects du phénomène que l'on appelle, en géologie, le magmatisme c'est-à-dire l'ensemble des conditions terrestres* par lesquelles un magma se forme à l'intérieur du globe, se déplace vers la surface, s'installe dans la croûte terrestre et, parfois, parvient à sortir.

Car, contrairement à ce que pensent nombre de personnes, "magma" n'implique pas "éruption" car la roche fondue qui se forme en profondeur n'atteint pas obligatoirement la surface.

De quoi parle-t-on là?

Le plutonisme est le phénomène par lequel des masses de magma se forment et s'installent dans la croûte terrestre. Ces roches dites "plutoniques" ne sont visibles à la surface du globe que lorsque des (souvent dizaines de) millions d'années d'érosion ont pu enlever les kilomètres d'épaisseur de roches qui les séparaient de la surface au moment de leur mise en place. Tenir une roche plutonique dans la main, le granite étant la plus connue, c'est donc forcément faire un saut très loin dans le passé, et à plusieurs kilomètres sous Terre. La magmatologie et la tectonique sont les deux principales disciplines qui s'y intéressent.

Le volcanisme, quand à lui, est l'ensemble des phénomènes qui conduisent un magma jusqu'à la surface de la Terre, et ceux qui se produisent pendant qu'il est émis. Il peut exister des roches volcaniques anciennes mais il est tout à fait possible, au contraire des roches plutoniques, de tenir en main un morceau de roche bien plus jeune que soi-même, et ce quel que soit votre âge chèr(e)s lecteurs(trices)! La science qui tente de comprendre le volcanisme est, bien évidemment, la volcanologie.

De fait, lorsqu'on fait des études de géologie, on apprend à distinguer les roches plutoniques et les roches volcaniques. Leurs histoires étant différentes, elles ont caractéristiques, aussi bien microscopiques que macroscopiques, distinctes.

Rhyolite alcaline, roche volcanique c'est-à-dire produite par l'éruption et le refroidissement rapide d'une lave à la surface de la Terre. Image: Michael C. Rygel - Own work, CC BY-SA 3.0

De composition quasi identique à celle de la rhyolite, ce granite alcalin a pourtant un aspect très différent: c'est un magma qui a refroidit dans la croûte terrestre. Image:Khruner - Own work, CC BY-SA 4.0,

Du fait de ces différences il peut sembler paradoxal que deux éruptions très récentes, à savoir:
- l'éruption plinnienne du Puyehue-Cordon Caulle (Chili) en 2011 (magma visqueux émis)
- l'éruption sous-marine d'El Hierro (Canaries), en 2011-2012 (magma fluide émis)

permettent de jeter un oeil neuf sur des problématiques qui concernent les roches plutoniques, et les intrusions magmatiques en général.


Les intrusions magmatiques

1- C'est quoi?

Lorsque le magma est produit en quantité suffisante, une partie entame une migration vers la surface par différence de densité avec les roches qui l'entourent (dites "encaissantes"). Mais une grande partie de ces masses de magma ne parvient pas jusqu'à la surface et reste coincée sous et/ou dans la croûte terrestre, qu'elle soit océanique ou continentale: ce sont les intrusions.
Selon la forme qu'elles prennent au moment où elle s'installent, on va en distinguer plusieurs types :

- les dykes, qui recoupent toutes les roches qu'elles traversent, sans suivre les éventuelles strates. Il peuvent être plus ou moins rectilignes (verticaux ou obliques) ou incurvés ("ring dykes").
 
- les lopolites sont des intrusions qui prennent la forme d'une coupole incurvée vers le bas (comme une assiette). Elles se mettent en place entre des strates sédimentaires, qui se déforment vers le bas.

- les laccolites ressemblent aux précédents mais dans l'autre sens. Elles ont la forme de dômes et leur mise en place soulève, les strates situées au-dessus, un peu comme un abcès.

- les sills ont une forme aplanie et plutôt régulière. Elles se mettent en place dans des roches stratifiées et sont parallèles aux strates.

- les batholites ont une forme arrondie. Il s'agit de très volumineuses masses de magma qui recoupent les roches encaissantes.

Il existe un continuum entre les différentes intrusions : lorsqu'un petit volume de magma traverse la croûte, sous la forme d'un dyke, il peut s'arrêter, s'étaler et former un sill. Mais si le volume de magma augmente ce dernier va commencer à enfler et former un laccolithe ou un lopolite. Enfin si le volume devient vraiment très important, il peut former un batholite.

2- Comment ça se met en place?

Quatre principaux modèles ont été élaborés pour expliquer comment, concrètement, un volume plus ou moins important de magma peut s'installer dans la croûte:

- le "stoping": lorsqu'une masse de magma se met en place, les roches encaissantes se fracturent autour de lui, des blocs s'en détachent et "tombent" dans l'intrusion.

- le balooning: lorsqu'une masse de magma remonte vers la surface sa partie sommitale peut se refroidir plus vite que sa base. Le sommet devient donc rigide et immobile tandis que la  base, toujours fondue, continue de remonter et fait "gonfler" la partie déjà rigide.

- le "coup par coup": c'est un mécanisme qui semble être important. Dans ce modèle la croissance des intrusions est progressive, par adjonction de petits volumes successifs sur de longues échelles de temps.

- le diapirisme: lorsqu'un volume important de magma commence à remonter d'un bloc vers la surface depuis sa zone source. Pour des questions de contraintes mécaniques, ce type de mise en place semble réservée aux zones où les roches sont plutôt ductiles (plastiques), c'est à dire le manteau, voire la base de la croûte, où les températures sont importantes.


Vraisemblablement plusieurs mécanismes interviennent dans la mise en place des intrusions de gros volume. Au départ, sous la forme de sill, seul le coup par coup joue. Mais si cela dure trop longtemps, le volume du sill augmente** et sa partie centrale enfle. Le sill devient laccolithe ou lopolite.
Toutefois la mise en place concrète de certaines intrusions laisse perplexe. Un dyke par exemple, se met en place dans une  fracture préexistante ou qu'il forme lui-même. Les roches s'écartent donc à son passage et il occupe l'espace laissé vacant : pas de soucis pour comprendre. Pour les laccolites, sills et lopolites la question ne se pose pas vraiment non plus car leur mise en place "décolle" et déforme des strates rocheuses, et l'intrusion se met en place dans le décollement.

Par contre, la question est épineuse pour les intrusions de type batholite.

3- Qu'est-ce qu'on ne comprend pas et qu'a-t-on appris?

Concernant les Batholites 

Tous les modèles ci-dessus sont fondés sur des observations de terrains et le stoping semble être le favori pour expliquer leur mise en place des batholites, même si on soupçonne plusieurs modèles de pouvoir fonctionner, à différents moments et/ou à des vitesses différentes.

Le souci est double:

1- sur le terrain, les roches encaissantes qui entourent les batholites apparaissent relativement peu déformées, ce qui suggère que la masse de magma prend la place des roches encaissantes .
La présence de fragments des roches encaissantes piégées dans les roches plutoniques (on les appellent alors "enclaves") est une observation clé qui a permis l'énonciation de l'hypothèse "stopping". L'image ci-dessous, tirée de wikipedia, a été faite au Nunavut: un granite s'est mis en place dans d'anciennes roches volcaniques, en les fracturant. Les morceaux ainsi détachés laissent la place au granite.

Un morceau de basalte (roche encaissante, sombre) s'est détaché et "flotte" dans une masse de granite (intrusion magmatique, claire). Image : Mike Beauregard,Nunavut, Canada CC BY 2.0

Et c'est là qu'apparait le souci n°2: le volume des enclaves observées est généralement bien plus faible que le volume de l'intrusion, alors où passe le reste des roches encaissantes? Elles ne peuvent évidemment pas disparaitre. S'il est envisagé qu'une partie des fragments qui se détachent dans le liquide magmatique de l’intrusion finissent par s'y refondre, les spécialistes ne trouvent pas, ou pas souvent, la signature géochimique claire de ce mélange. La compensation du volume de l’intrusion par la déformation des roches encaissantes ne semble pas non plus suffisante. Alors ou est passé le volume de roches encaissantes qui a disparu, remplacé par le Batholite?

C'est à ce problème que l'éruption sous-marine d'El Hierro (2011-2012) vient apporter peut-être un bout de solution. En effet, pour celles et ceux d'entre vous qui s'y sont intéressés à l'époque, vous vous souvenez peut-être que les premiers jours ont été marqués par l'arrivée à la surface de l'eau d'abondants fragments d'une roche très poreuse. Formée de l'alternance de bandes noires et blanches, il lui avait été donné le nom de Restingolite, du nom du village de La Restinga, le plus proche du site de l'éruption.


Fragments de Restingolite au large de la Restinga. Image Alicia Rielo, IGN, via le GVP

Un article paru l'an dernier dans les Scientific Reports de la revue Nature, et intitulé "Erupted frothy xenoliths may explain lack of country-rock fragments in plutons" [Des xénoliths [type d'enclave, NDLR] mousseux émis par une éruption pourraient expliquer le manque d'enclaves dans les plutons] apporte en effet une possible explication sur ce qui pourrait se passer lorsqu'une intrusion se met en place.

Les auteurs émettent l'hypothèse que lors du stopping une fraction non négligeable des enclaves qui se forment sont réchauffées à tel point que les fluides qui s'y trouvent piégés se libèrent et forment des bulles au sein des enclaves. Ces dernières leurs donnent l'aspect mousseux et, par ailleurs, réduisent leur densité de manière drastique ce qui leur permet, d'après les modélisations réalisées, de flotter dans la partie supérieure de l'intrusion magmatique. Si une partie du magma parvient à faire éruption, alors les xénolithes mousseux (aussi appelés xéno-ponces***)  sont libérés à la surface du globe.
Or comme on n'étudie les intrusions que plusieurs millions ou dizaines (et même centaines) de millions d'années après leur mise en place, ces "xénolithes éruptés" ont été détruits par l'érosion et sont donc absents dans les affleurements étudiés.

L'éruption du Cordon Caulle a, quand à elle, révélé des informations concernant les intrusions de type laccolithes.

Il est courant d'observer, et c'est logique, la mise en place d'intrusions de faible volume avant une éruption: le magma se stock a plus ou moins grande profondeur ("chambre magmatique") avant de finir sa course, souvent la forme d'un ou plusieurs dykes, à la surface de la Terre.

Mais en étudiant le site de l’éruption de 2011 du Cordon Caulle, les volcanologues ont tout de suite remarqué, au niveau de l'évent, une vaste zone soulevée, complètement fracturée. En étudiant à posteriori les données satellites, ils ont pu recréer la topographie de la zone avant et pendant l'éruption: ils ont alors eu la confirmation qu'une intrusion avait eu lieu à faible profondeur.

Leurs recherches les a amené à estimer son volume à environ 0.8 km3 (800 000 000 de m3), de quoi remplir plus de 210 000 piscines olympiques. Mais le plus étrange c'est qu'elle n'existait pas en début d'éruption, et n'a commencé à se former que plusieurs jours après le départ de cette dernière. Toujours sur la base des données satellites, les volcanologues ont pu retracer l'enchainement des événements et ils se sont rendus compte que la formation de cette intrusion, très superficielle, correspondait à une diminution du diamètre du conduit éruptif. Il en ont déduit (avec d'autres arguments) que la pression qu’exerçait le magma en cours d'ascension était devenue supérieure à la pression libérée par l'éruption, forçant le magma à s'injecter latéralement, en soulevant le terrain.
Au bout d'un peu moins d'un mois d'éruption, certaines portions de la zone étaient ainsi soulevées de près de 200 m!


Modifications de la topographie suite à l'éruption de 2011. Le point d'altitude 1430 m,  se retrouve à 1600 m d'altitude. Image: extraite de J Crolos et al, 2016, Nature Communications

En se basant sur la déformation de surface, les volcanologues ont pu modéliser la forme et estimer la profondeur de cette intrusion, qu'ils nomment "laccolithe" dans leur article paru en 2016: "Rapid laccolith intrusion driven by explosive volcanic eruption" ("Mise en place rapide d'une intrusion de type Laccolithe, provoquée par une éruption explosive").

La leçon donnée par cette éruption est donc qu'une intrusion magmatique n'est pas toujours la première étape d'une éruption, mais peut aussi  en être une conséquence. Et ça c'est plutôt nouveau.


* Pour l'instant c'est à grosso modo le seul magmatisme que l'on connaisse, même si l'on soupçonne que des phénomènes similaires se produisent ailleurs dans le système solaire, mais avec des modalités, et même des matériaux, différents de ceux de notre chère planète.

** toute similitude avec une pub pour les maquillages est purement fortuite

*** du grec "étranger"

Sources:
 
- "Rapid laccolith intrusion driven by explosive volcanic eruption"", J.Castro et al, 23 novembre 2016, Nature Communications.

"Erupted frothy xenoliths may explain lack of country-rock fragments in plutons", S.Burchardt et al, 02 novembre 2016, Scientific Reports/Nature

3 commentaires:

  1. La mise en place de ce laccolithe en 2011 au Chili est impressionnante ! À l’époque, je ne suivais pas l’actualité volcanique comme maintenant, mais je n’ai pas l’impression qu’on ait vraiment parlé de cette intrusion d’importance pendant l’éruption… Je me trompe ?

    Plusieurs questions me viennent à la lecture de ton article : tu parles de fluides piégés dans les enclaves qui leur permettraient de « flotter » et de remonter dans la partie supérieure de la masse de magma, mais de quels volatils parles-tu ? Car à la rigueur il peut bien y avoir un peu d’eau, mais sinon je ne vois pas… Rien en tout cas en quantité suffisante !?

    Par ailleurs, la question de la refonte des enclaves me pose problème. Cela renvoie d’ailleurs à une question que j’ai posé à Oryaelle Chevrel qui a mis au point un viscosimètre à La Réunion (https://www.lequotidien.re/actualites/region/un-nouvel-outil-pour-les-volcanologues/?fbclid=IwAR0svYZ7jp1MWmKHIfE3CvOK3IemuJywOGaHTf6l8p9SG168wxEtVcimqeE). Suite à ma question concernant la manière dont les laves sous-jacentes d’une coulée active réagissent, elle m’a expliqué que la température de fusion (à la pression atmosphérique) est de l’ordre de 1300°C, supérieure donc à la température des magmas terrestres… Elle m’a aussi précisé qu’à la température de 1150°C (température moyenne des laves à la Fournaise), on ne peut pas vraiment imaginer que les roches sous-jacentes « ramollissent ». Difficile donc d’envisager une refonte des enclaves, d’autant que pour celles que j’ai pu voir dans des granites (et par chez moi il y en a !), il n’y a aucune auréole autour…

    Enfin, ton article m’a refait penser à une roche vue sur le Nyiragongo : une sorte de mousse rocheuse blanchâtre, extrêmement poreuse et légère (bien plus qu’une ponce) ! Peut-être un granite (ou une roche siliceuse) fondue et remontée dans le lac de lave ? Ou peut-être une sorte de mousse formée en surface du lac ? Etrange…

    Merci en tout cas pour cet article très intéressant !

    Ludovic

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    1. Bonjour Ludovic. Non ce laccolithe n'a pas été décrit à l'époque, et pour une raison simple: très peu d'images directes et répétées faites au sol, et qui auraient pu mettre en évidence la surrection par comparaisons d'images, et des images satellites trop peu résolues, et gênées par les émissions de cendres. Ce sont bien des observations de terrains qui ont permis de constater sa présence, alors que l'éruption n'était pas terminée, mais il faut parfois (souvent) du temps pour publier.
      Quand à la fusion des enclaves, pourquoi les comparer aux coulées du Piton? Les situations ne sont pas équivalentes, entre une roche déjà à haute température (et souvent pas basaltique) qui se retrouve enclavée dans un magma dont la température ne décroit que très très lentement (ce qui permet une hausse significative de la température de l’enclave, jusqu'à parfois sa fusion partielle) et une coulée de surface, donc à la température atmosphérique (ou à peu près) et qui se retrouve recouverte d'une coulée dont la température décroit très rapidement, on a quand même deux situations très différente, difficilement comparables.
      Quand aux fluides, je me rend compte grâce à ta remarque que le verbe"piéger" n'est peut-être pas le plus opportun. Il suggère que les fluides constituent dès les départ une phase à part dans l'enclave alors que, probablement, ces fluides sont au départ des composants de phases minérales solides (probablement "hydratées", micas, amphiboles etc) qui se retrouvent déstabilisées par la hausse de T°.

      Merci pour tes remarques en tout cas!
      CV

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    2. Tu as raison, la comparaison avec les coulées de lave de la Fournaise n'était pas vraiment adéquate...
      Ok pour les fluides, c'est bien plus clair. Merci.

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