21 octobre 2021

Activité explosive intense aux volcans Aso et Manam

 Aso, Japon, 1592 m

Cela fait plusieurs jours que le système volcanique de l'Aso semble instable et peut-être même un peu plus longtemps puisque le niveau d'alerte volcanique avait été brièvement élevé à 2 en mai puis juin 2021. Toutefois la situation semble s'être d'avantage tendue à partir du 14 octobre avec la survenue d'une explosion, visiblement assez intense pour arroser tout le sommet de blocs. 

Cette activité explosive avait provoqué le passage en alerte volcanique de niveau 2 mais était passée pluôt inaperçue car tout le massif était alors noyé dans une épaisse couche de nuages. Toutefois les images faites quelques heures plus tard montraient un paysage couvert de cendres claires qui ne laissait que peu de doutes quand à la survenue d'une telle explosion (en plus des enregistrements sismiques, bien sûr).

Une image satellite faite le 18 octobre montrait encore parfaitement le dépôt allongé en direction du sud-est lié à cette phase explosive qui a semblé assez soutenue. La brièveté de cette phase, ainsi que la présence d'un système hydrothermal très vaste (il y a un lac permanent au fond du cratère), oriente les hypothèses quand à sa cause vers trois directions différentes mais proches:

- soit une activité purement hydrothermale : le système hydrothermal est entré dans une phase d'instabilité (et ça fait partie de l'évolution d'un système hydrtohermal) et une partie de l'eau surchauffée parvient à s'évaporer brusquement générant l'explosion.

- soit une activité phréatique: la déstabilisation du système hydrothermal est le résultat d'une intrusion magmatique mais le magma ne fournit que la chaleur et, éventuellement, une déstabilisation mécanique (+ de contraintes donc +de fracturation) qui favorise l'évaporation explosive de l'eau surchauffée : il ne participe pas directement (pas de trace de ce lave neuve dans les dépôts).

- soit une activité phréatomagmatique : tout pareil que n°2 mais cette fois le magma participe aussi plus directement et on en retrouve des fragments dans le dépôt.

L'activité ne semble pas être assez intense pour favoriser l'idée n°3 (mais c'est un à priori, donc rien de bien concret) et je dirais qu'en prenant en compte les deux changements de niveaux d'alerte de mai et juin 2021, le contexte pourrait bien être compatible avec l'hypothèse n°2. Mais bon : il faut une analyse fine des données géophysiques (sismicité, déformation en particulier) et une analyse des dépôts pour y voir plus clair et pouvoir privilégier sur des bases solide une hypothèse.

Le dépôt gris qui part du cône actif, où se maintient un dégazage important, en direction du Sud-Est est parfaitement visible. Il est intéressant de noter qu'un second dépôt, plus clair et allongé dans la même direction est présent près du cône actif, peut-être un dépôt d'écoulement pyroclastique car il s'arrête contre une paroi rocheuse.  Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Alors je ne sais pas si les volcanologues Japonais ont eu le temps d'échantillonner les dépôts du 14 octobre mais j'espère que l'opération n'était pas prévue pour le 20 octobre. Car c'est à partir de 11h43 (heure locale) qu'une nouvelle séquence explosive, extrêmement impressionnante, a eu lieu.

Elle démarre par une magnifique et très caractéristique gerbe cypressoïde (description dans un autre post (janvier 2018) qui traduit le rôle de l'eau (le système hydrothermal ici) dans cette nouvelle phase. Gerbe qui prend sa source au pied de al paroi nord du cratère du cône actif.

Gerbe cypressoïde qui émerge du cône actif : une activité explosive vient de démarrer et l'eau joue un rôle. Image : RKK

Pendant que le mélange de cendres de la gerbe cypressoïde commence a retomber au sol, une second explosion démarre, toujours dans le cratère du cône actif mais un poil plus au sud (à priori) du point de départ de la gerbe cypressoïde. Toutefois il faut rester méfiant : des nuages masquent les point de départ des explosions : la première a pu être oblique et l'autre verticale, mais partir d'un même point au fond du cratère. Ce qui ne change rien qu'il y a eu deux explosions, raison pour laquelle je préfère le terme "séquence explosive".

Seconde explosion, peu après la première. Image : RKK

Les deux panaches sont très lourds, du fait que les cendres qui les constituent sont en bonne partie agglutinées par l'eau et retombent massivement sur le sol, générant alors des écoulements pyroclastiques qui sont, pour le coup, plutôt à basse température et se déploient en corolle autour du cône actif. L'écoulement le plus avancé à parcouru environ 1000 m avant de s'arrêter. Le premier parking se trouve à environ 900 m (on le voit sur les images, tâche grise au-dessus de la date) mais il me semble que le front le plus long n'est pas partit dans sa direction. Par contre, si il y avait du monde là-bas, il ont du avoir plus qu'une grosse frayeur : l'écoulement s'arrête à proximité et les cendres l'ont probablement abondamment recouvert. Normalement ce parking n'était pas autorisé puisqu'en alerte niveau 2 il est interdit d'approcher à moins de 1000m du cône actif.

Au cours des quelques minutes suivantes l’écoulement finit de se déployer et les cendres retombent. Il y a eu quelques faibles bouffées de cendres par la suite mais, rapidement, l'activité s'est calmée.

 


Cette seconde phase explosive, intense, moins d'une semaine après la précédente, tend à favoriser encore plus l'hypothèse 2 (phréatique). Une phase phréatomagmatique, du fait du contact directe entre le magma et le système hydrothermal, serait probablement plus intense encore. Toutefois, là encore, seule une analyse des dépôts pourrait trancher à coup sûr entre phréatisme et phréatomagmatisme (absence ou présence de particule de magma frais). Pour le moment aucun signal thermique n'est détecté : aucun magma n'est parvenu à percer la surface de la Terre.

Des chutes de cendres ont été enregistrées dans la ville d'Aso (quelques km au nord) mais aussi jusqu’à la ville de Gokase (25 km au sud-est)

Le Japan Meteorological Agency a de suite élevé le niveau d'alerte à 3 et il ne faut donc plus s'approcher à moins de 2km du cône actif maintenant.

Sources : JMA; RKK


Manam, Papouasie Novuelle-Guinée, 1807 m

La journée du 20 octobre dut décidément celle des phases intenses mais courtes puisque l'une d'entre elles a eu lieu aussi au Manam. Toutefois, cette dernière a quand même été un cran au-dessus de celle d'Aso avec un panache de gaz et cendres qui a atteint une altitude d'environ 15 km!

Le panache principal, le 20 octobre 2021. Image : Maryanne Kamone

 

Côté précurseur on peut noter que cela fait plusieurs semaines, et même mois, que l'activité est nettement plus soutenue qu'à l’accoutumée au sommet de l'édifice. Sur la base de la très faible production de cendres on peut supposer soit que cette activité était strombolienne, soit qu'un lac de magma s'était mis en place dans le cratère sud.

Une hausse claire de l'intensité des signaux thermiques depuis début juin suivi d'une pause et d'une reprise en octobre. Image : MIROVA


Par ailleurs cette activité intense pouvait être perçue sur l'image satellite produite le 16 octobre, sur laquelle on voit, sous le cratère sud, un signal thermique allongé, dont la nature est sujette à question. S'agissait-il d'une courte coulée ou de retombées récentes d'une explosion assez forte? Le sujet reste ouvert, mais j'ai peur que la réponse n'arrive pas tout de suite...

Un signal thermique allongé sous le cratère sud : coulée ou accumulation de blocs encore chauds? Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Un autre précurseur éventuel peut être détecté sur les images du satellite Himawari 8 sous la forme d'une émission continue de cendres (absente la veille) dont la teinte semble tirer vers le brun ce qui tendrait à supposer que ces cendres seraient constituées de laves anciennes et altérées.

Émission continue de cendres brunes au levé du jour, le 20 octobre (sur place, encore le 19 octobre en TU). Image : Himawari 8

Ensuite seulement démarre la phase principale de l'activité explosive et la production de la colonne de cendres verticale, dont le sommet vient percuter la tropopause et s'étaler. On peut tout de suite noter la teinte très claire de ce panache, signe d'une charge en cendres probablement assez faible. Ce détail était déjà bien visible sur la photo plus haut, mais c'est aussi très nette sur les images satellites, dont celle du MODIS-TERRA.

Le panache de cendres en cours de dispersion au moment du passage du satellite, à 00h00h TU. Image : MODIS-TERRA/NASA

Peut-être aurez-vous noté au passage que sur la gauche du panache principale, de teinte claire, un autre panache situé nettement plus bas en altitude et de teinte bruine, était visible? Il n'apparait sur les images qu'après le démarrage de la phase principale. Il ne s'agit donc pas d'un reste de l'activité précurseur mais d'un panache dont la cause est différente et postérieure au démarrage de la phase explosive sommitale. La faible altitude et la faible densité de ce panache plaide pour un phénomène d'une ampleur modeste : probablement pas un écoulement pyroclastique dû à la colonne de cendres, car alors on ne comprendrait plus très bien la différence de teinte entre les deux...

Les données radar SENTINEL 1 permettent de constater que la partie sommitale a subit quelques modifications visibles sur l'image prise à minuit TU (et entourées en noir ci-dessous), donc au moment où l'image MODIS a été prise. Tout d'abord il semble que le cratère sud se soit élargit, peut-être éventré en direction du sud mais ce n'est pas tout à fait clair. Par ailleurs la partie amont de la ravine qui éventre le versant sud du Manam a, quand à elle, changé localement de morphologie, peut-être sous l'effet d'un effondrement localisé.

La partie sommitale de l'édifice a subit quelques modifications. Image : SENTINEL 1 - ESA/Copernicus

Trois images radar prisent entre fin septembre et le 20 octobre permettent de voir la modification du haut versant sud. Images : SENTINEL 1 - ESA/Copernicus

 

Alors voilà un potentiel scénario qui mettrait ces différents éléments dans la chronologie observée. Tout d'abord l'activité devient plus intense et se maintient à un niveau élevé au cours des semaines précédent le paroxysme. Dans les heures qui précèdent un débourrage au niveau du cratère sud produit un panache brun et lorsque la phase paroxysmale démarre, le rebord sud du cratère sommital se décroche et part en avalanches dans la ravine sud. Pendant que la colonne éruptive principale se développe en altitude, l'avalanche déstabilise une partie des dépôts accumulés dans la partie amont de la ravine sud ce qui accentue l'intensité de l'avalanche de blocs. L'ensemble de ces dépôts étant altérés, l'avalanche produit un panache de teinte brune emporté vers l'est par le vent.

Bon : j’attends d'avoir des images bien dégagées et en haute définition pour savoir si ce scénario tient la route...

Sources : SENTINEL 1&2 - ESA/Copernicus; MODIS/NASA; MIROVA; Himawari 8

 

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