14 août 2021

Eruption au volcan Fukutoku-Oka-no-ba : on fait le point (mise à jour x2)

Comme souvent en ce qui concerne les éruptions qui démarrent dans les zones très peu  peuplées, ce sont les données satellites qui, hier, ont donné l'alerte concernant le démarrage, vers 20h50 TU le 12 août, d'une activité éruptive sur le volcan Fukutoku-Oka-no-ba (5 km au nord de l'île Minami Iwojima), située à environ 1200 km au sud de Tokyo, dans l'archipel Ola première depuis 2010.

Cette éruption étant sous-marine, elle aurait pu passer inaperçue mais que neni : la faible profondeur de la tranche d'eau a, au contraire, permis une hausse importante de l'intensité des explosions, générant une colonne de gaz (enrichi en vapeur d'eau en raison du caractère sous-marin de l'éruption) et de cendres qui s'est élevée à une altitude estimée par le VAAC de Tokyo à environ 16 km! C'est pas souvent qu'une telle colonne de cendres se forme, et c'est la seconde cette année de cette ampleur avec certaines colonnes formées lors de l'éruption à la Soufrière de Saint Vincent et les Grenadines en avril. Il est donc vraisemblable que cette éruption soit catégorisée comme plinienne, ou du moins phréatoplinienne du fait de l’interaction eau-magma.

Mise en place de la colonne éruptive, en fausses couleurs. Images : Himawari 8

 

Les images satellites permettent de bien suivre l'évolution de l'activité éruptive avec une première séquence qui débute donc le 12 août vers 20h50 TU et se poursuit sans interruption jusqu’au 13 août 12h00 TU environ. Elle est marquée par une activité explosive intense, qui génère la colonne de cendres principale (altitude 16 km) elle-même directement étirée vers l'ouest-sud-ouest par les vents sur plusieurs centaines de kilomètres. Le panache de cendre atteint, dans sa plus grande largeur (loin du site éruptif), une centaine de kilomètres environ. Du fait du caractère bien trempé (ah ah) de cette éruption, aucun signal thermique n'a été détecté, les infrarouges étant absorbés efficacement par les molécules d'eau.

Cette phase se caractérise aussi, au niveau de l'évent éruptif, par d'importantes écoulements pyroclastiques, nommés "base surges", caractéristiques de ce type d’éruption sous-marine. Ce sont des écoulements produits par les retombées d'un mélange d'eau liquide (mais sous forme de gouttelettes) et de particules (lave fraiche et éventuellement des fragments de sédiments arrachés au passage). Sur la vidéo ci-dessous on les vois très bien entre les secondes 27 et 33: il s'agit d'écoulements qui se développent tout autour de la base de la colonne de cendres et progressent sur la surface de l'eau.

 


De nombreux éclairs ont pu être observés dans la colonne de cendres, frappant parfois la surface de l'eau, phénomène habituelle produit par la friction des particules.

La séquence suivante se marque par une baisse de l'intensité de l'éruption avec une activité qui devient discontinue : des explosions toujours puissantes, mais séparées les unes des autres et cette séquence se poursuit ce matin.

Les images satellites permettent aussi de constater que cette activité sous-marine a produit un radeau de ponces, bien visible dès les premières heures de l'éruption et qui se déploie maintenant au gré des courants marins.

Le radeau de ponces produit par l'éruption dérive vers le nord-ouest. Image : MODIS/NASA

La question se pose alors des signes précurseurs d'une telle activité. Côté géophyisque (sismicité, déformation etc) : rien, non pas parce qu'il ne s'est rien passé, mais parce qu'il n'y a aucun appareil de mesure à proximité qui aurait pu les détecter. Du côté des images satellites, la seule chose que j'ai pu constater en regardant toutes les images depuis 2015, c'est qu'au niveau du site éruptif, on ne voit apparaitre une décoloration de l'eau qu'à partir de février 2020 et encore, elle n'est pas permanente mais traduit des phases de dégazages plus soutenues.

Dégazage sous-marin assez soutenu en janvier 2020 .Image : LANDSAT 8/NASA/USGS

Ce type de phénomène avait déjà été décrit dans le passé et il est à priori difficile d'en faire un signe précurseur, même s'il s'était à nouveau produit en début d'année et que de très très faibles décolorations peuvent être perçues de temps en temps (et en accentuant les images pour les voir...). 

Dégazage sous-marin assez soutenu en février 2021 .Image : LANDSAT 8/NASA/USGS

Il faut dire que dans les semaines qui ont précédé l'activité éruptive, cette décoloration n'était pas flagrante, et même discrète en comparaison des deux images partagées ci-dessus. Donc, pour l'heure, pas de précurseur clair à cette éruption! En tout cas rien de directement observable mais les volcanologues Japonais ont peut-être pu collecter quelques données. Et puis il faudrait regarder ce que racontent les données radar aussi...

Mise à jour, 15 août, 07h55

L'activité s'est calmée sur le site éruptif, d'où n'ont plus été produite que quelques explosions, probablement assez fortes pour les observateurs directes, mais bien plus modestes que l'activité explosive de la phase principale.


Une activité éruptive qui se calme avec des explosions moins fréquentes et moins fortes. Images : Himawari8

Pour le moment toutefois il est difficile de savoir précisément ce qu'il se passe sur le site, et il n'est pas impossible qu'une activité surtseyenne modérée, similaire à celle observée en janvier 1986 par exemple, se maintienne: encore faut-il des images autre que satellite pour le savoir.

Activité surtseyenne observée en janvier 1986 .Image : Japan Coast Guards

La seule chose qui puisse être dite c'est que le calme plat n'est pas encore revenue : la tâche colorée, signe de l’interaction entre le gaz magmatique et l'eau du Pacifique est toujours très étendue (55x22 km sur l'image ci-dessous) et le radeau de ponce continue de s'étendre progressivement au gré des courants marins (environ 93 km de long en comptant les zigzag, sur l'image ci-dessous). Je note qu'il n'est pas encore détaché du site éruptif ce qui incite à penser que des ponces sont toujours produite sur place (peut-être une trace indirecte de la possible activité surtseyenne), à moins qu'l ne s'agisse de ponces piégées sur place par des courants locaux....Je met une réserve sur l'interprétation de l'observation "radeau de ponces attaché au site éruptif".

La tâche colorée et le radeau de ponces à la dérive encore bien visibles le 15 août 2021. Image : MODIS/NASA

Et puis il reste quelques questions : 

1- cette activité va-t-elle parvenir à produire une nouvelle île pérenne, comme au Nishinoshima? Car toutes les précédentes ont été rapidement effacées par l'érosion marine, très efficace.  

2- quelles sont les caractéristiques du magma de cette éruption? Quelle composition chimique?


Mise à jour, 16 août, 09h45

Des images faite hier lors d'un survol par le Japan Coast Guards confirme qu'une activité surtseyenne modeste se poursuit au niveau de l'évent éruptif, ainsi que la présence d'une nouvelle île, qui n'est rien de moins que l'anneau de dépôt des surges décrits plus haut.


Faible activité surtseyenne le 15 août 2021. Image : JCG


La nouvelle île, fragile. Image : JCG




Sources : JCG; MODIS/NASA; LANDSAT 8-NASA/USGS; VAAC de Tokyo


2 commentaires:

  1. Merci pour ce joli travail de synthèse, comme toujours. Merci et bravo !

    Bonne soirée,

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  2. Un bel anneau pour les jeux.
    Tout le monde participe là-bas 😉

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