7 mars 2014

Les éclairs volcaniques un peu mieux compris

L'avènement de la photo numérique, ces 10 dernières années, a permis un afflux sans précédents d'informations iconographiques sur tous les sujets de la planète, y compris les éruptions volcaniques. Là où, il y a encore à peine 50 ans, il était difficile de produire des images de qualité et de couvrir les événements volcaniques, n'importe quelle personne sur place au moment où une éruption se déclenche peut, aujourd'hui, en faire des images avec son smartphone et les envoyer via les réseaux sociaux.
Ce n'est sûrement pas moi qui vais m'en plaindre d'ailleurs car grâce à tout cela on peut avoir une vision bien plus précise des événements (déroulement, intensité etc) qu'il y a encore une dizaine d'années, lorsque les infos fiables étaient finalement encore rares et pas vraiment en temps réèl.

Parmi les phénomènes volcaniques que le public a découvert grâce à cette nouvelle donne numérique, l'un des plus spectaculaires est l'éclair volcanique. Peut-être parce qu'il rajoute aux images d'éruption
une touche de tragique là où, par ailleurs, il n'y en a pas toujours besoin, très probablement aussi parce que l’esthétique est souvent au rendez-vous. Sûrement enfin parce qu'avec les reflexs modernes il est un peu moins difficile (sans être facile toutefois) de capturer le phénomène.

Eclairs dans le panache du Puyehue-Cordon Caulle, en 2011. La pause longue donne l'impression que tous les éclairs se produisent en même temps, ce qui n'est pas le cas. Image: Carlos Gutierrez
Bien que les éclairs volcaniques aient été décrits d'un point de vue scientifique il y a fort fort longtemps, peut-être pour la première fois par Pline l'Ancien (23 -79 ap JC), les mécanismes qui les produisent restent en partie incompris et pour cause: il est aisé de comprendre qu'il est assez
difficile de faire des mesures sur place, c'est-à-dire au niveau de l'évent éruptif qui génère les éclairs.
Malgré cela de très nombreux travaux ont permis de faire des avancées importantes dans la compréhension de ce phénomène, par la modélisation analogique par exemple.
Déjà: ils fonctionnent sur le même principe que les éclairs "normaux": pour en créer un il faut qu'il y ait une séparation des charges électriques. Ce sont les mécanismes à l'origine de cette séparation qui diffèrent entre éclairs "normaux" et "volcaniques".

1- Un (très) rapide retour aux fondamentaux d'abord

Dans la nature, les atomes qui constituent la matière sont faits d'un noyau autour duquel tourne(nt) un (des) électron(s). Le noyau est un assemblage de protons, qui ont une charge électrique positive, et de neutrons, sans charge électrique. Les électrons, en orbite autour du noyau, ont une charge négative. Lorsque le nombre de charges positives égal le nombre de charges négatives l'atome dans son ensemble est électriquement neutre: si rien ne le perturbe, il garde cette neutralité. Mais, dans cette même nature, il existe une multitude de voies par lesquelles des électrons seront, même un court instant, arrachés à leur atome ou, au contraire, attachés de force à un autre atome. Lorsque cela se produit l'atome devenu incomplet porte le nom d'ion. Si on lui a enlevé un électron il porte une charge positive, si au contraire il a récupéré un ou plusieurs électrons supplémentaires, il porte une charge négative.

Les électrons arrachés, instables, appelés "électrons libres", se déplacent jusqu'à trouver un ion positif auquel ils se raccrochent pour reformer un atome stable.

En clair la séparation des charges produit une situation instable et la stabilité peut être retrouvée de manière douce ou de manière violente: cette seconde option s’appelle l'éclair.


2- Où ça se passe sur les volcans?

Les études menées depuis une dizaine d'années par diverses équipes ont permis de constater que, lors d'une éruption explosive, les éclairs résultent de 2 mécanismes différents, dans un même panache. L'importance de l'éruption jour un rôle car la plupart des éclairs se produisent pour des éruptions dont le VEI dépasse 2 (même si des éclairs peuvent être observés pour des VEI inférieurs, ils sont simplement moins fréquents).

Pour bien comprendre, regardons un de ces panaches d'un peu plus près. Lorsqu'une explosion se produit, un mélange de cendres et de gaz sous très haute pression est éjecté du cratère. Au fur et à mesure de son développement dans l'atmosphère on identifie 3 zones distinctes :

*dans les premières millisecondes de l'explosion, la lave est pulvérisée et se transforme en un mélange de cendres, bombes, lapillis noyé dans les gaz volcaniques. Le tout est éjecté droit vers le ciel et les particules s'entrechoquent avec une très grande violence. Cette zone, haute de quelques dizaines à centaines de mètres (fonction de la violence de l'éruption) s’appelle Jet Phase ("zone de jet").

*sous l'effet de la gravité, les particules les plus lourdes (bombes, lappilis) retombent au sol, plus ou moins loin du cratère qui les a expulsés. Les cendres, plus légères, sont emportées de force vers le haut par les gaz à haute température, plus légers que l'air ambiant. Cette seconde phase de la formation du panache se manifeste par la formation d'un bourgeonnement caractéristique: c'est la Convective Phase (zone convective).

*Plus haut encore, alors que les températures du panache et de l'air ambiant s'équilibrent progressivement, ce bourgeonnement cesse, en même temps que l'ascension des cendres. Le panache devient lisse, s'étale au loin avec le vent: c'est l'Umbrella Region (l'ombrelle).

Schéma très simplifié des trois zones qui constituent un panache. Image: Culture Volcan

Fondamentalement, deux mécanismes peuvent arracher les électrons aux atomes présents dans les panaches de cendres:
-la friction entre particules: appelée triboelectrification (je vous met au défi de le placer dans n'importe quelle conversation).
- la fractoemission (et de deux): la fracturation d'un solide engendre la création de particules chargées.

Les éclairs qui en résultent sont donc produits par de l'électricité dite "statique": les charges restent piégées à la surface des particules de cendres et ne bougent pas librement. C'est donc le support des charges qui se déplace et non les charges elles-mêmes, à l'inverse de ce qui se passe dans le courant électrique (les électrons se déplacent).

Reste maintenant à comprendre quels sont les mécanismes qui, dans le panache, pilotent la séparation des charges et à quel moment et par quel(s) mécanisme concrètement ces charges apparaissent. Il se trouve que les éclairs ne sont pas générés de la même manière en haut du panache ou à proximité de l'évent.


3- Une avancée significative en 2013

Les spécialistes s'étaient avant tout attachés à décrire et expliquer les décharges qui se produisent plutôt vers le haut du panache, dans la zone convective et l'ombrelle. Dans ce domaine, les travaux expérimentaux semblent montrer que la préparation et les déclenchement des éclairs sont semblables à ce qui se passe dans un nuage d'orage ce qui a conduit les spécialistes à parler "d'orage sale". D'ailleurs il semble que la présence d'eau condensée dans la partie haute du panache soit, comme dans les nuages, l'un des éléments de cette mise en charge électrique.

C'est donc pour la compréhension de ce qui se passe à proximité de l'évent éruptif que les travaux d'une équipe de géophysiciens ont permis de faire des progrès, travaux dont les résultats ont été publiés en décembre 2013 dans la revue Geology (voire citation en source en bas de post).
Corrado Cimarelli, Miguel A. Alatorre-Ibarguengoitia, Ulrich Kueppers, Donald B.Dingwel, Bettina Scheu, tous de la LMU (Ludwig-Maximilians Universität de Munich) ont, pour la première fois, réussi à reproduire en laboratoire ces fameux éclairs en propulsant à très grande pression (100 bars), un mélange d'argon et de cendres récoltées au Popocatepetl (Mexique), à l'Eyjafjöll (Islande) et au Soufriere Hills (Montserrat, Antilles).
Pourquoi des cendres différentes? Simplement pour savoir si, au cours de l'expérience, la composition chimique de la lave joue un rôle ou non dans l'apparition des éclairs.


Le mécanisme expérimental mis au point par l'équipe de C.Cimarelli. Image: C.Cimarelli et al, décembre 2013/Geology

Des expérimentations analogiques ont déjà produit des éclairs en labo, mais les décharges électriques étaient provoquées et c'est la répartition des charges qui était analysée en fonction de la trajectoire des éclairs. Au LMU par contre ces derniers sont apparus spontanément, sans sollicitation électrique externe, comme le montre cette vidéo.


Au cours de l'expérimentation les physiciens ont donc propulsé différents mélanges de particules, soit fines, soit grosses, soit les deux etc.. Comme dans la nature, c'est un gaz sous pression qui sert de moteur à l'expulsion. C'est l'Argon qui a été retenu (électriquement neutre) et libéré à travers une ouverte de 2.8 cm sous une pression de 100 bars (les pneus de voitures sont gonflés à ~2 bars, pour mémoire).

Les résultats de leurs multiples expérimentations ont permis de mettre en évidence que les décharges électriques ne dépendent absolument pas de la composition de la lave mais de la taille des particules.
- lorsqu'elles sont "imposantes" (plus de 500 millionième de mètre), il n'y a pas d'activité électrique.
- lorsqu'elles sont au contraire très fines (moins de 50 millionième de mètre), l'activité électrique est importante.
- lorsqu'il y a un mélange de particules imposantes et fines, il y a aussi des décharges.

Les différentes trajectoires des particules en fonction de leur taille et la répartition des charges électriques constatées. A droite l'expérience n'utilise que des particules fines: on voit que les charges se répartissent sous forme de paquets. Image:C.Cimarelli et al, décembre 2013/Geology

Les résultats indiquent que le rôle principal dans cette affaire revient à la quantité de cendres fines qui se forment au moment de l'explosion. Lorsqu’elles sont très présentes, les mécanismes de triboelectrification  et de fractoemission s'occupent de les charger (en + ou en -) dès leur formation. Ensuite, puisque ces dernières sont de petite taille, elles sont légères et donc emportées dans le flux de gaz qui devient rapidement turbulent. Ceci a pour conséquence de fractionner les charges + et - sous forme de paquets qui se disséminent dans le panache en cours d'ascension.

Ce mécanisme est d'autant plus probant pour expliquer les éclairs naturels qu'il peut aussi expliquer le fait que, lors de véritables éruptions, notamment au Sakurajima, les éclairs sont plus fréquents mais plus faibles tout en bas du panache, lorsque les paquets + et - ne sont pas encore trop éloignés, puis moins fréquents mais plus puissants au fur et à mesure qu'ils s'éloignent.


Un éclair électrique en bas de panache, produit par la formation et la séparation des paquets de charges électriques. Image: Martin Rietze, janvier 2013.


Sources:

C.Cimarelli et al, 2013: "Experimental generation of volcanic lightning" dans la revue Geology

Site web de Martin Rietze

10 commentaires:

  1. Très intéressant j'ignorai le fonctionnement de ce mécanisme physique!

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    1. C'est moi qui vous remercie, j'ai trouvé l'étude intéressante donc, normal que je la partage. :-)

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  3. Les éclairs ne sont ils pas dût au passage de l'air à l'état plasma ?

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    1. Bonjour. En fait c'est l'inverse: l'ionisation de l'air n'est pas une cause, mais une conséquence de la mise en charge électrique (différence de potentiel).
      Mais quoi qu'il arrive le post ici ne décrit pas la manière dont l'éclair lui-même se déplace ou se forme: c'est plutôt comment il se prépare qui est expliqué :-)

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  4. bonjour voir http://pdf.lu/hO6q dans une page (dessins inclus) vous saurez facilement pourquoi des éclairs se produisent au dessus de volcans

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    1. Bonjour.
      Mise à part que l'idée décrite dans le lien est extrêmement peu réaliste, et n'émane absolument pas de chercheurs, c'est surtout l'absence de lien avec les éclairs d'origine volcanique que je retiendrais ici avant tout.

      Bonne journée tout de même.

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