A l'approche du possible classement de la Chaîne des Puys à l'UNESCO (en juin prochain) il m'est impossible de ne pas parler des volcans qui sont à ma fenêtre et qui, de facto, sont une source permanente de motivation.
L'un des édifices les moins connus de cette zone volcanique est le cratère Kilian, qui s'avère aussi être l'un des plus récents. Et pour cause: le volcan tout entier se résume à un cratère caché au milieu de cônes plus anciens et masqué par une dense couverture forestière: lorsqu'on le cherche des yeux pour la première fois il est d'ailleurs presque impossible de le repérer du premier coup sans l'aide d'une carte.
Autrefois appelé le Cros ("creux") Manau il porte le nom de Kilian depuis qu'il a
été baptisé ainsi par Philippe Glangeaud, géologue auvergnat de grand talent qui réalisât la première carte volcanologique de la Chaîne des Puys au début du siècle dernier. Au moment de la découverte de ce cratère il lui donna le nom de Wilfrid Kilian, son professeur.
1- le volcan Kilian
Tout commence il y a environ 9300 ans au pied du versant sud du tout jeune Puy de Dôme (il n'a alors que 1500 à 2000 ans environ). Une violente activité explosive vraisemblablement vulcanienne éventre un ancien cône de scories (le Puy des Gromaneaux (déformation de "Cros Manau")) et ouvre un vaste cratère.
Cette activité explosive est l'une des plus violentes qu'ait connu la Chaîne à en croire ce que racontent les dépôts. Des écoulements pyroclastiques partent en effet dans toutes les directions, remontent à contrepente une partie du versant sud du Puy de Dôme tandis que d'autres écoulements le contournent par sa base. Simultanément, les blocs de trachyte pouvant faire 20 cm sont projetés et retombent,
mélangés à des cendres, au sommet du Puy de Dôme, à plus de 1500 m au nord-est et 400 m plus haut que le Kilian.
Les travaux d'excavation du train à crémaillère, qui permet maintenant l'accès au sommet par l'ancienne route, ont mis à jour les dépôts d'écoulement pyroclastiques de cette éruption contre le versant sud du Puy de Dôme. Au milieu des blocs de trachyte, dont certains sont de véritables ponces, se trouvent les restes carbonisés de la forêt qui avait commencé à recoloniser les basse-pentes du Puy de Dôme.
2- le temple de Mercure
Pour celles et ceux qui, parmi vous, ne connaissent pas très bien la Chaîne des Puys, il y a un site remarquable et d'une haute portée historique: le Temple de Mercure installé au sommet du Puy de Dôme (point culminant de la Chaîne). Si depuis peu on peut accéder au sommet par un train a crémaillère, la voie la plus spectaculaire pour rejoindre le temple est le chemin (pédestre, voire cyclable pour les plus sportifs) des Muletiers qui serpente sur le flanc ouest du dôme de lave qu'est le Puy de Dôme**.
Il a été construit en deux étapes distinctes:
- un premier temple de taille modeste en 50 après JC, réalisé en Arkose, une roche sédimentaire abondante et facile à travailler.
- un second temple remplace le premier un siècle plus tard, vers 150 après JC, construit cette fois en trachyte, roche volcanique claire abondante dans la partie centrale de la Chaîne des Puys.
Il faut noter qu'à l'époque de sa construction, la réputation de ce temple, visiblement d'une grande beauté, débordait largement les frontières de notre actuel pays.
Longtemps on a cru que les carrières ouvertes dans le Puy de Cliersou en particulier avaient servi à la construction du temple. Bien que le Puy de Dôme soit lui-même en trachyte, aucune carrière d'une dimension suffisante n'a été découverte sur ses versants: il ne pouvait donc en être la source.
Mais voilà: "l'hypothèse Cliersou" a toujours été surtout l'"hypothèse par défaut" car acheminer des blocs pouvant aller jusqu'à 5 tonnes jusqu'au du Puy de Dôme depuis ce volcan est techniquement très complexe. Et puis..le trachyte des blocs du temple et celui du Cliersou présentent des différences que les géologues avaient déjà remarquées auparavant.
3- Le lien entre Kilian et Temple
Les choses commencent à évoluer en 1999. La tempête couche alors de nombreux arbres au niveau du col de Ceyssat (entre le Puy de Dôme et le Cratère Kilian) ce qui met à jour des blocs taillés. Les fouilles menées alors mettent en évidence la présence d'une ville gallo-romaine. Et visiblement il ne s'agissait pas d'un simple bourg mais au contraire d'une petite cité assez riche, traversée par un axe routier majeur, la via Agrippa (qui rejoint Lyon à Saintes, du côté de Cognac). Installée au col de Ceyssat, la ville semblait accueillir entre autres les pèlerins venus faire l'ascension jusqu'au temple du Puy de Dôme. L'analyse des blocs de la ville montre qu'ils sont aussi faits de trachyte, visiblement le même que celui qui constitue une bonne partie du temple. Mais que fait une ville ici?
Ainsi les roches de la ville et le temple ont été extraits de la même carrière. L'hypothèse Cliersou reste alors la seule valide mais reste fragile: le volume extrait pour construire ville + temple ne semble pas coller avec le volume des cavités du Cliersou.
En 2008, Didier Miallier*** se balade au col de Ceyssat. En cette journée qui ne sera pas comme les autres, il se promène dans la zone du Kilian et voit une cavité ouverte dans du trachyte, qu'il se décide à fouiller un peu. Des traces d'outils sur les parois l'incitent à contacter Bertrand Dousteyssier**** et Pierre Boivin***** pour tenter d'en savoir plus. Les recherches qu'ils mènent dans le cratère leur font prendre conscience qu'en réalité sa forme actuelle est le résultat d'une large retouche par l'activité humaine car deux périodes d'exploitation d'une carrière ont été déterminés:
- à l'époque Gallo-Romaine, où c'est le fond du cratère qui a été exploité.
- durant le Haut Moyen-Âge, période pendant laquelle la partie supérieure de la carrière a été exploitée.
Le sous-bois qui rempli le Kilian est en effet en partie comblé par un système de terrasses qui sont en fait l’amoncèlement organisé des déchets des fronts de taille. Organisé car avec le peu d'espace qu'offre le Kilian, l’extraction des bloc puis leur sortie de la carrière se faisaient par des chemins aménagés grâce aux déchets de taille.
L'analyse pétrographique du trachyte du Kilian montre qu'il a des caractéristiques très similaires à celui qui constitue les blocs du temple et de la ville du col. Cependant, malgré la composition, le faciès semble différent. En effet, dans la partie "Haut Moyen Age" de la carrière, la seule zone exploitée encore discernable dans le sous-bois, le faciès ne correspond pas à celui de la roche constituant le temple...bien que le trachyte ait les même caractéristiques chimiques.
"Faciès"? Kezako? En géologie, le faciès est l'ensemble des caractéristiques d'un échantillon. Il les aquiert au moment de sa formation puis de son éventuelle transformation. Pour les dômes de lave et protrusion en l'occurence, la même lave va présenter des faciès (caractéristiques) différents selon que l'on regarde un échantillon qui provient du coeur ou de la bordure du dôme ou de la protrusion.
Le coeur est plus massif (les gaz ont du mal à s'échapper et faire des bulles) tandis que la bordure, d'où s'échappe le gaz, est plus poreux, pulvérulent.
Et bien sûr, par nature, la coeur est moins accessible à l'exploitation que la bordure et la plupart des trachytes connus ont donc un faciès pulvérulent.... Mais alors d'où viennent les trachytes compacts utilisés pour le temple et la ville du col?
La présence de trachyte compact au Kilian est attestée par sa présence dans les déchets de taille trouvés dans les remblais du sous-bois. Cependant toutes les exploitations du haut moyen-âge tapent dans le faciès pulvérulent. L'équipe de chercheurs en déduit que le front de taille Gallo-Romain, qui à priori tape dans le faciès "compact", est masqué par les déchets produits durant le Haut Moyen-Age.
Pour avoir des infos techniques concernant le matériau, l'équipe s'élargit et fait travailler des étudiants du Master Professionnel "Géologie de l’Aménagement" qui auront pour mission de tester les propriétés mécaniques des différents faciès des trachytes de la Chaîne des Puys. Cela sert notamment à tenter de comprendre pourquoi les gallo-romains auraient exploité le trachyte du Kilian plutôt qu'un autre.
Après récolte les échantillons sont donc écrasés, étirés, irradiés d'ultrasons. Les résultats de ces séances de torture déterminent que les trachytes de la Chaîne des Puys se regroupent en trois familles aux caractéritstiques mécaniques distinctes:
- les matériaux de faible résistance mécanique
- les matériaux de résistance mécanique moyenne
- les matériaux de haute résistance mécanique
Le trachyte du Kilian tombe dans la catégorie de résistance moyenne et il se trouve que les trachytes du Puy de Dôme et du Chopine ont des résistances mécaniques supérieures. Leur "non choix" semble, d'après les premières considérations des chercheurs, lié à leur nature: le trachyte du Chopine est très fracturé (pas facile a exploiter en sécurité et pas facile à tailler), celui du Puy de Dôme contient trop de cristaux, ce qui pourrait gêner une taille précise (et pour un temple, avoir des blocs mal taillé, ce n'est pas envisageable).
Par ailleurs les analyses ont montré que le facteur essentiel qui conditionne le comportement mécanique de ces trachytes est leur porosité. Un bloc taillé dans un trachyte moyennement compact est plus poreux, et donc moins lourd.
Il semble donc que les Gallo-Romain aient exploité le Kilian pour deux raisons essentielles et complémentaires:
1- sa présence au pied du Puy de Dôme rend l'acheminement des blocs taillés plus facile "directement du producteur au consommateur" en quelque sorte. Une faible distance à parcourir est aussi synonyme de moindre coût financier pour l'opération. La ville du col de Ceyssat serait alors aussi la ville ou vivaient les carriers ce qui, en plus de la présence des pèlerins et sa présence sur un axe routier majeur à l'époque, participe à sa richesse et peut expliquer ses dimensions.
2- la qualité intermédiaire du trachyte "compact" du Kilian le rend à la fois suffisamment résistant pour le rendre apte à la construction du temple mais aussi moins dense que d'autres trachytes, ce qui simplifie son acheminement (blocs moins lourds que si le trachyte du Puy Chopine avait été exploité par exemple). Or, acheminer plus facilement les blocs c'est gagner du temps...donc de l'argent.
Bref, même si à l'heure actuelle il n'y a pas de certitude absolue quand à la provenance des blocs, en particulier parce que la zone du cratère Kilian exploitée par les Gallo-Romains n'est pas visible (donc pas de comparaison possible pour le moment) car enfouie sous les déblais du Haut Moyen-Age, le faisceau d'arguments pointe largement en direction de ce cratère pour les avantages évidents qu'il aurait offert.
Il manque aux chercheurs la possibilité d'estimer le volume extrait, pour le comparer au volume estimé de roche employé pour le temple et la ville. Il manque aussi à repérer le chemin qui a permis l'acheminement des blocs jusqu'en haut puisqu'à ce jour aucune preuve de l’existence d'un hélitreuillage n'a été démontrée :-)
Bref, vous l'aurez compris: "faisceaux concordants d’arguments" n'est que la première page de cette fabuleuse histoire que les chercheurs vont tenter de continuer de redécouvrir dans les années qui viennent.
Mais attendez: n'y a-t-il pas un problème ? Normalement le faciès "compact" exploité se trouve à l'intérieur de l'aiguille, inaccessible. Comment les Gallo-Romains auraient-ils alors pu exploiter ce "coeur de l'aiguille", sans d'abord déblayer toute la carapace pulvérulente? Aucune trace de ces déblais n'a été retrouvée, et de toutes façons le surcoût qu'aurait engendré l'opération, sans compter que décaper tout un relief sans être sûr d'y trouver la roche que l'on cherche, n'aurait présenté aucun intérêt pour les Gallo-Romains.
La réponse se trouve plusieurs milliers d'années plus tôt lorsqu'à la fin de l'éruption, une ultime activité explosive a éventré l'aiguille, offrant à l'affleurement le coeur du Kilian aux Gallo-Romains, qui en ont fait un temple prestigieux.
PS: j'ai oublié de préciser dans la première partie qu'en regardant les bombes et blocs d'un peu plus près on pouvait observer que certains étaient bicolores: une teinte claire et une sombre. En regardant ces zones bicolores d'un peu plus près on peut se rendre compte que les parties sombres dessinent des sortes de "bandes" étirées dans la lave claire. Il s'agit en fait des caractéristiques des mélanges magmatiques qui, souvent sont à l'origine du déclenchement des éruptions.
Le principe est simple: une chambre magmatique un peu ancienne donc en cours de refroidissement est remplie d'un magma très différencié (le trachyte). Un magma un peu plus basique, donc plus sombre, pénètre dans cette chambre mais les deux magmas, très différents, ne se mélangent pas directement, un peu comme quand on verse deux peintures de couleurs différentes et qu'on touille un peu. La chambre magmatique est alors déstabilisée par l'arrivée de ce volume de magma et par le fait qu'il est plus riche en gaz. La surpression qui résulte de cet apport de magma neuf fracture la roche autour de la chambre et les deux magmas incomplètement mélangés remontent par les fissures jusqu'à l'éruption.
Sources:
- D.Miallier et al; "Rapport de sondage et d'analyse: le Kilian et les carrières anciennes de trachyte dans la Chaîne des Puys"
- "Le Puy de Dôme: Geologie/Histoire/Patrimoine/Nature", Y2D Production & Volcan Terre d'Eveil, collection Les empreintes du temps
* une méthode de datation des roches.
** le nom "Puy-de-Dôme" n'a rien à voire avec le fait qu'il s'agit d'un dôme de lave. L'origine du nom n'est pas certaine mais pourrait provenir du dieu Gallo-romain Mercure-Dumias. Le volcan serait alors, pour les gallo-romain, le Podium de Dumias, en raison de la présence du temple.
L'un des édifices les moins connus de cette zone volcanique est le cratère Kilian, qui s'avère aussi être l'un des plus récents. Et pour cause: le volcan tout entier se résume à un cratère caché au milieu de cônes plus anciens et masqué par une dense couverture forestière: lorsqu'on le cherche des yeux pour la première fois il est d'ailleurs presque impossible de le repérer du premier coup sans l'aide d'une carte.
Autrefois appelé le Cros ("creux") Manau il porte le nom de Kilian depuis qu'il a
été baptisé ainsi par Philippe Glangeaud, géologue auvergnat de grand talent qui réalisât la première carte volcanologique de la Chaîne des Puys au début du siècle dernier. Au moment de la découverte de ce cratère il lui donna le nom de Wilfrid Kilian, son professeur.
1- le volcan Kilian
Tout commence il y a environ 9300 ans au pied du versant sud du tout jeune Puy de Dôme (il n'a alors que 1500 à 2000 ans environ). Une violente activité explosive vraisemblablement vulcanienne éventre un ancien cône de scories (le Puy des Gromaneaux (déformation de "Cros Manau")) et ouvre un vaste cratère.
Le cratère Kilian et ses dépôts vus depuis le Chemin des Muletiers. Image: Fabrice Digonnet/Culture Volcan |
Cette activité explosive est l'une des plus violentes qu'ait connu la Chaîne à en croire ce que racontent les dépôts. Des écoulements pyroclastiques partent en effet dans toutes les directions, remontent à contrepente une partie du versant sud du Puy de Dôme tandis que d'autres écoulements le contournent par sa base. Simultanément, les blocs de trachyte pouvant faire 20 cm sont projetés et retombent,
mélangés à des cendres, au sommet du Puy de Dôme, à plus de 1500 m au nord-est et 400 m plus haut que le Kilian.
Les travaux d'excavation du train à crémaillère, qui permet maintenant l'accès au sommet par l'ancienne route, ont mis à jour les dépôts d'écoulement pyroclastiques de cette éruption contre le versant sud du Puy de Dôme. Au milieu des blocs de trachyte, dont certains sont de véritables ponces, se trouvent les restes carbonisés de la forêt qui avait commencé à recoloniser les basse-pentes du Puy de Dôme.
2- le temple de Mercure
Pour celles et ceux qui, parmi vous, ne connaissent pas très bien la Chaîne des Puys, il y a un site remarquable et d'une haute portée historique: le Temple de Mercure installé au sommet du Puy de Dôme (point culminant de la Chaîne). Si depuis peu on peut accéder au sommet par un train a crémaillère, la voie la plus spectaculaire pour rejoindre le temple est le chemin (pédestre, voire cyclable pour les plus sportifs) des Muletiers qui serpente sur le flanc ouest du dôme de lave qu'est le Puy de Dôme**.
Il a été construit en deux étapes distinctes:
- un premier temple de taille modeste en 50 après JC, réalisé en Arkose, une roche sédimentaire abondante et facile à travailler.
- un second temple remplace le premier un siècle plus tard, vers 150 après JC, construit cette fois en trachyte, roche volcanique claire abondante dans la partie centrale de la Chaîne des Puys.
La vue sur le sud de la Chaîne des Puys et le Mont-Dore-Sancy depuis les ruines du Temple de Mercure (en premier plan) reste un point de vue à couper le souffle. Image personnelle |
Longtemps on a cru que les carrières ouvertes dans le Puy de Cliersou en particulier avaient servi à la construction du temple. Bien que le Puy de Dôme soit lui-même en trachyte, aucune carrière d'une dimension suffisante n'a été découverte sur ses versants: il ne pouvait donc en être la source.
Mais voilà: "l'hypothèse Cliersou" a toujours été surtout l'"hypothèse par défaut" car acheminer des blocs pouvant aller jusqu'à 5 tonnes jusqu'au du Puy de Dôme depuis ce volcan est techniquement très complexe. Et puis..le trachyte des blocs du temple et celui du Cliersou présentent des différences que les géologues avaient déjà remarquées auparavant.
3- Le lien entre Kilian et Temple
Les choses commencent à évoluer en 1999. La tempête couche alors de nombreux arbres au niveau du col de Ceyssat (entre le Puy de Dôme et le Cratère Kilian) ce qui met à jour des blocs taillés. Les fouilles menées alors mettent en évidence la présence d'une ville gallo-romaine. Et visiblement il ne s'agissait pas d'un simple bourg mais au contraire d'une petite cité assez riche, traversée par un axe routier majeur, la via Agrippa (qui rejoint Lyon à Saintes, du côté de Cognac). Installée au col de Ceyssat, la ville semblait accueillir entre autres les pèlerins venus faire l'ascension jusqu'au temple du Puy de Dôme. L'analyse des blocs de la ville montre qu'ils sont aussi faits de trachyte, visiblement le même que celui qui constitue une bonne partie du temple. Mais que fait une ville ici?
Ainsi les roches de la ville et le temple ont été extraits de la même carrière. L'hypothèse Cliersou reste alors la seule valide mais reste fragile: le volume extrait pour construire ville + temple ne semble pas coller avec le volume des cavités du Cliersou.
Les grottes du Puy de Cliersou vues depuis le Puy de Dôme. Image personnelle. |
En 2008, Didier Miallier*** se balade au col de Ceyssat. En cette journée qui ne sera pas comme les autres, il se promène dans la zone du Kilian et voit une cavité ouverte dans du trachyte, qu'il se décide à fouiller un peu. Des traces d'outils sur les parois l'incitent à contacter Bertrand Dousteyssier**** et Pierre Boivin***** pour tenter d'en savoir plus. Les recherches qu'ils mènent dans le cratère leur font prendre conscience qu'en réalité sa forme actuelle est le résultat d'une large retouche par l'activité humaine car deux périodes d'exploitation d'une carrière ont été déterminés:
- à l'époque Gallo-Romaine, où c'est le fond du cratère qui a été exploité.
- durant le Haut Moyen-Âge, période pendant laquelle la partie supérieure de la carrière a été exploitée.
Le sous-bois qui rempli le Kilian est en effet en partie comblé par un système de terrasses qui sont en fait l’amoncèlement organisé des déchets des fronts de taille. Organisé car avec le peu d'espace qu'offre le Kilian, l’extraction des bloc puis leur sortie de la carrière se faisaient par des chemins aménagés grâce aux déchets de taille.
Le replat à gauche brusquement interrompu à droite est caractéristique d'un tas de déchets de taille de la carrière de Trachyte. Image personnelle. |
L'analyse pétrographique du trachyte du Kilian montre qu'il a des caractéristiques très similaires à celui qui constitue les blocs du temple et de la ville du col. Cependant, malgré la composition, le faciès semble différent. En effet, dans la partie "Haut Moyen Age" de la carrière, la seule zone exploitée encore discernable dans le sous-bois, le faciès ne correspond pas à celui de la roche constituant le temple...bien que le trachyte ait les même caractéristiques chimiques.
"Faciès"? Kezako? En géologie, le faciès est l'ensemble des caractéristiques d'un échantillon. Il les aquiert au moment de sa formation puis de son éventuelle transformation. Pour les dômes de lave et protrusion en l'occurence, la même lave va présenter des faciès (caractéristiques) différents selon que l'on regarde un échantillon qui provient du coeur ou de la bordure du dôme ou de la protrusion.
Le coeur est plus massif (les gaz ont du mal à s'échapper et faire des bulles) tandis que la bordure, d'où s'échappe le gaz, est plus poreux, pulvérulent.
Et bien sûr, par nature, la coeur est moins accessible à l'exploitation que la bordure et la plupart des trachytes connus ont donc un faciès pulvérulent.... Mais alors d'où viennent les trachytes compacts utilisés pour le temple et la ville du col?
La présence de trachyte compact au Kilian est attestée par sa présence dans les déchets de taille trouvés dans les remblais du sous-bois. Cependant toutes les exploitations du haut moyen-âge tapent dans le faciès pulvérulent. L'équipe de chercheurs en déduit que le front de taille Gallo-Romain, qui à priori tape dans le faciès "compact", est masqué par les déchets produits durant le Haut Moyen-Age.
Les principaux puys faits de trachytes en Chaîne des Puys |
Pour avoir des infos techniques concernant le matériau, l'équipe s'élargit et fait travailler des étudiants du Master Professionnel "Géologie de l’Aménagement" qui auront pour mission de tester les propriétés mécaniques des différents faciès des trachytes de la Chaîne des Puys. Cela sert notamment à tenter de comprendre pourquoi les gallo-romains auraient exploité le trachyte du Kilian plutôt qu'un autre.
Après récolte les échantillons sont donc écrasés, étirés, irradiés d'ultrasons. Les résultats de ces séances de torture déterminent que les trachytes de la Chaîne des Puys se regroupent en trois familles aux caractéritstiques mécaniques distinctes:
- les matériaux de faible résistance mécanique
- les matériaux de résistance mécanique moyenne
- les matériaux de haute résistance mécanique
Le trachyte du Kilian tombe dans la catégorie de résistance moyenne et il se trouve que les trachytes du Puy de Dôme et du Chopine ont des résistances mécaniques supérieures. Leur "non choix" semble, d'après les premières considérations des chercheurs, lié à leur nature: le trachyte du Chopine est très fracturé (pas facile a exploiter en sécurité et pas facile à tailler), celui du Puy de Dôme contient trop de cristaux, ce qui pourrait gêner une taille précise (et pour un temple, avoir des blocs mal taillé, ce n'est pas envisageable).
Par ailleurs les analyses ont montré que le facteur essentiel qui conditionne le comportement mécanique de ces trachytes est leur porosité. Un bloc taillé dans un trachyte moyennement compact est plus poreux, et donc moins lourd.
Il semble donc que les Gallo-Romain aient exploité le Kilian pour deux raisons essentielles et complémentaires:
1- sa présence au pied du Puy de Dôme rend l'acheminement des blocs taillés plus facile "directement du producteur au consommateur" en quelque sorte. Une faible distance à parcourir est aussi synonyme de moindre coût financier pour l'opération. La ville du col de Ceyssat serait alors aussi la ville ou vivaient les carriers ce qui, en plus de la présence des pèlerins et sa présence sur un axe routier majeur à l'époque, participe à sa richesse et peut expliquer ses dimensions.
2- la qualité intermédiaire du trachyte "compact" du Kilian le rend à la fois suffisamment résistant pour le rendre apte à la construction du temple mais aussi moins dense que d'autres trachytes, ce qui simplifie son acheminement (blocs moins lourds que si le trachyte du Puy Chopine avait été exploité par exemple). Or, acheminer plus facilement les blocs c'est gagner du temps...donc de l'argent.
Bref, même si à l'heure actuelle il n'y a pas de certitude absolue quand à la provenance des blocs, en particulier parce que la zone du cratère Kilian exploitée par les Gallo-Romains n'est pas visible (donc pas de comparaison possible pour le moment) car enfouie sous les déblais du Haut Moyen-Age, le faisceau d'arguments pointe largement en direction de ce cratère pour les avantages évidents qu'il aurait offert.
Il manque aux chercheurs la possibilité d'estimer le volume extrait, pour le comparer au volume estimé de roche employé pour le temple et la ville. Il manque aussi à repérer le chemin qui a permis l'acheminement des blocs jusqu'en haut puisqu'à ce jour aucune preuve de l’existence d'un hélitreuillage n'a été démontrée :-)
Bref, vous l'aurez compris: "faisceaux concordants d’arguments" n'est que la première page de cette fabuleuse histoire que les chercheurs vont tenter de continuer de redécouvrir dans les années qui viennent.
Mais attendez: n'y a-t-il pas un problème ? Normalement le faciès "compact" exploité se trouve à l'intérieur de l'aiguille, inaccessible. Comment les Gallo-Romains auraient-ils alors pu exploiter ce "coeur de l'aiguille", sans d'abord déblayer toute la carapace pulvérulente? Aucune trace de ces déblais n'a été retrouvée, et de toutes façons le surcoût qu'aurait engendré l'opération, sans compter que décaper tout un relief sans être sûr d'y trouver la roche que l'on cherche, n'aurait présenté aucun intérêt pour les Gallo-Romains.
La réponse se trouve plusieurs milliers d'années plus tôt lorsqu'à la fin de l'éruption, une ultime activité explosive a éventré l'aiguille, offrant à l'affleurement le coeur du Kilian aux Gallo-Romains, qui en ont fait un temple prestigieux.
PS: j'ai oublié de préciser dans la première partie qu'en regardant les bombes et blocs d'un peu plus près on pouvait observer que certains étaient bicolores: une teinte claire et une sombre. En regardant ces zones bicolores d'un peu plus près on peut se rendre compte que les parties sombres dessinent des sortes de "bandes" étirées dans la lave claire. Il s'agit en fait des caractéristiques des mélanges magmatiques qui, souvent sont à l'origine du déclenchement des éruptions.
Mélange incomplet d'un magma sombre (basique) et du trachyte (magma clair). L'entrée du magma sombre dans la chambre pleine de magma clair est probablement ce qui a déclenché l'éruption et les deux magmas n'ont pas eu le temps de se mélanger complètement. Image personnelle. |
Le principe est simple: une chambre magmatique un peu ancienne donc en cours de refroidissement est remplie d'un magma très différencié (le trachyte). Un magma un peu plus basique, donc plus sombre, pénètre dans cette chambre mais les deux magmas, très différents, ne se mélangent pas directement, un peu comme quand on verse deux peintures de couleurs différentes et qu'on touille un peu. La chambre magmatique est alors déstabilisée par l'arrivée de ce volume de magma et par le fait qu'il est plus riche en gaz. La surpression qui résulte de cet apport de magma neuf fracture la roche autour de la chambre et les deux magmas incomplètement mélangés remontent par les fissures jusqu'à l'éruption.
Sources:
- D.Miallier et al; "Rapport de sondage et d'analyse: le Kilian et les carrières anciennes de trachyte dans la Chaîne des Puys"
- "Le Puy de Dôme: Geologie/Histoire/Patrimoine/Nature", Y2D Production & Volcan Terre d'Eveil, collection Les empreintes du temps
* une méthode de datation des roches.
** le nom "Puy-de-Dôme" n'a rien à voire avec le fait qu'il s'agit d'un dôme de lave. L'origine du nom n'est pas certaine mais pourrait provenir du dieu Gallo-romain Mercure-Dumias. Le volcan serait alors, pour les gallo-romain, le Podium de Dumias, en raison de la présence du temple.
***: Didier Miallier est chercheur au laboratoire de Physique Corpusculaire de Clermont Université
*** Bertrand Dousteyssier est ingénieur d'études au CHEC (Centre d'Histoire "Espace et Cultures")
**** Pierre Boivin est chargé de recherche en pétrographie au Laboratoire Magmas et Volcans*** Bertrand Dousteyssier est ingénieur d'études au CHEC (Centre d'Histoire "Espace et Cultures")
Article très intéressant d'autant que j'ai eu l'occasion de venir en vacances une semaine sur Clermont-Ferrand, et j'ai suivi le chemin des muletiers pour monter en haut du Puy de Dôme. Du coup les images sont encore très fraiches pour moi, et dans l'observation du paysage, je n'ai même pas distingué la présence du cratère Kilian, qui est très bien caché !
RépondreSupprimerMerci pour cet article qui tombe vraiment "à pic" !
On peut donc même dire que, pour vous, ça "tombe à Puy" :-).
SupprimerTrès intéressant oui je plussoie / Pierre
RépondreSupprimerArticle super bien documenté ! Merci pour toutes ces explications et schémas !
RépondreSupprimerRavi d'avoir pu vous apporter des infos! Je suppose (vu votre métier) que cela pourra vous être utile pour étayer vos sorties donc n’hésitez pas à parler du blog :-)
SupprimerBonjour, Je vous remercie pour cet article vraiment captivant. Seriez vous enclin a proposer une visite guidée sur site pour un petit groupe d'adultes intéressés par la construction du temple de Mercure ? Stéphane,
RépondreSupprimerBonjour Steev63. Merci de ce retour très positif concernant cet article. Cette découverte m'avait effectivement fasciné et cela avait été un plaisir de faire une journée de découverte avec les volcanologues et archéologues. Pour ma part je ne suis pas un spécialiste du temple donc il me serait difficile de vous en parler dans le détails, tant pour l’organisation du temple, son rôle précis, le type de cérémonies qui pouvaient s'y dérouler. Je ne serais pas contre faire une visite guidée du site Kilian-Sommet du Puy de Dôme (u contraire, c'est toujours une belle balade à faire) toutefois jusque mi-septembre au moins ma disponibilité va être très faible. Je suis guide au Volcan de Lemptégy et la haute saison arrive donc je n'ai que très peu de temps libre. Peut-être y a-t-il des visites guidées déjà organisées au sommet du Puy de Dôme?
SupprimerBien cordialement
CV
Bonjour,
SupprimerJe vous remercie pour votre retour et votre proposition.
La partie que vous avez abordée, ville gallo romaine,carrière, acheminements des pierres jusqu'au sommet pour sa construction pourrait amplement suffire. Au fil d'une balade partant du cratère kylian nous amenant au sommet, cela ferait une belle balade instructive !
je pourrait prévoir cette sortie hors saison, en novembre voire aux mois de mars/avril, rien n'étant encore arrêté.
Si vous le désirez, je reste en contact et vous informerai de la possibilité de réaliser ce projet.
Je vous souhaite une bonne saison,
Bien cordialement,
Stéphane,