Bon : ces situations sont entrées dans une ère de relative stabilité ce qui signifie, du point du vue du blog, que les mises à jour régulières les concernant ne sont plus utiles (si tant est que le blog lui-même ait une utilité, évidemment! Mais là, vous êtes seuls juges). Le suivi se fait plus sur twitter en ce moment, mais bon : une rapide synthèse pour chacune ne peut faire de mal.
Piton de la Fournaise, France, 2632 m
L'éruption débutée le 09 avril se poursuit et reste assez soutenue. Les volcanologues de l'OVPF continuent d'obtenir des estimations de débit pour l'éruption de 8,3 m3/s, débit qui correspond pour l'essentiel à l'effusion, largement dominante sur la composante explosive de l'activité (les petites fontaines). Depuis déjà plusieurs jours (13 avril) le front de coulée n'atteint plus les Grandes Pentes et d'ailleurs le 13 avril semble marquer un changement importante de l'activité avec:
- une hausse significative du trémor éruptif, synchrone* à une hausse du débit de l'éruption qui avait été estimé entre 8 et 25 m3/s les 11 et 12 avril, mais qui est monté à plus de 30 m3/s (l'OVPF parle d'un pic à 59 m3/s).
Évolution du trémor depuis le début de l'éruption : le 13 avril marque nettement une rupture. Image : IPGP/OVPF |
- la baisse de l'alimentation du front de coulées au niveau des Grandes Pentes, malgré la hausse du débit au niveau du site éruptif (l'arrêt total est constaté dans le bulletin du 16 avril).
- un changement de régime de l'effusion qui, après le 13 avril a commencé à produire plutôt des bras courts et multiples s'étalant à proximité des évents éruptifs, plutôt que sous la forme d'un nombre limité de chenaux principaux comme ce fut le cas au départ de l'éruption. Les coulées de lave s'accumulent donc maintenant non loin des évents, émergeant de courts tunnels de lave. C'est ce que l'on voit sur l'image ci-dessous prise par les volcanologues lors d'une mission sur site le 16 avril. C'est lors de ce changement de régime de l'effusion qu'une station sismique s'est retrouvée menacé par une coulée, et qu'un sauvetage du matériel a pu être organisé le 15 avril.
Accumulation de courtes coulées à proximité des évents éruptifs. Image : IPGP/OVPF |
Il est clair que les coulées visibles sur l'image ci-dessus ont une texture de surface (et une dynamique de mise en place) caractéristique des Pahoehoe (surface lisse, boudinée, plissée) alors que le départ de l'éruption a vu se mettre en place une coulée dont la texture était aa (surface très fragmentée). Ce changement n'est probablement pas anodin lorsqu’on le met en regard d'autres éléments.
Par exemple une analyse pétrologique a été effectuée au Laboratoire Magmas et Volcans de Clermont-Ferrand sur des échantillons prélevés avant le 13 avril. Les conclusions sont assez claires : le magma qui sortait à ce moment-là avait stagné dans le réservoir superficiel. Il était déjà en partie cristallisé et partiellement dégazé. Dans le jargon on le dit "légèrement différencié" (puisque ça restait un basalte tout de même). Ce type de magma, notamment du fait de la quantité assez élevée de cristaux qui le compose (44% en volume dans ce cas de figure, voir image ci-dessous) et de sa température un peu plus faible**, a une viscosité légèrement plus forte. C'est un des éléments qui favorise la formation de la texture aa.
Images d'un échantillon en microscopie éléctronique. Image : OPGC-LMV; IPGP-OVPF |
Or les jours suivants la texture des coulées était devenue pahoehoe (et plus aa) et le dynamisme de mise en place des coulées n'était plus autant chenalisé.
Lorsqu'une éruption débute après un série de signes précurseurs plus ou moins forts et plus ou moins clairs comme c'est souvent le cas au Piton de la Fournaise, on s'attend à ce que le magma qui sort soit celui qui a provoqué ces signes précurseurs. Or ce n'est pas toujours exactement aussi simple.
Ici par exemple, ce que l'on peut supposer, c'est que le magma à l'origine des signes précurseurs relevés courant mars, et qui venait d'un réservoir profond, a atteint le réservoir superficiel dans lequel une poche de magma résiduel (les volcanologues évoquent un magma stagnant depuis au moins début 2020), en cours de refroidissement et de cristallisation, était en place.
Ce magma résiduel a été alors remobilisé*** , a fait éruption le 09 avril et a été échantillonné. C'est lui qu'on voit en microscopie électronique plus haut.
À partir du 13 avril plusieurs paramètres changent de manière assez importante : pic de débit éruptif, hausse importante du trémor, changement du dynamisme de l'effusion et de la texture des coulées. Il est donc légitime de se poser la question suivante : ces changements sont-ils la conséquence de l'arrivée du nouveau magma à la surface? Une sorte de seconde éruption dans l'éruption?
Évolution du débit estimé depuis le début de l'éruption. On voit un joli pic le 13. Image: OVPF/IPGP |
La réponse sera donnée avec le résultat des analyses d'échantillons prélevés le 13 avril et les jours suivants, mais jusqu'à ce jour, il ne s'agit là que d'une possibilité. Peut-être que le changement de textures (aa->pahoehoe) et de dynamisme (coulées chenalisées -> moins chenalisées), voir même la modification du trémor, ne sont liés qu'à des changements de forme des évents éruptifs, changement qui peut modifier le débit de l'effusion, et par là la texture des coulées par exemple.
Finalement deux éventualités très différentes pour expliquer ces changements : une qui ne fait appel qu'à des changements superficiels, l'autre à des changements d'origine plus profonde. Sans compter que ça peut n'être aucune de ces deux possibilités ou au contraire un mixe entre les deux.
Enfin, et vraiment ce sont des mots que je préfèrerais ne pas avoir à écrire : deux étudiants âgés de 19 ans ont trouvé la mort près du site de l'éruption. Ils ont été retrouvés jeudi matin par le PGHM mais les circonstances exactes de leur mort n'est pas encore connue.
Le site d'Imaz Press a fait un live sur cette tragédie, si vous souhaitez en savoir plus.
* attention : synchrone signifie seulement au même moment mais ne traduit pas obligatoirement un lien de cause à effet
** vu qu'il a stagné dans le réservoir, une partie de sa chaleur a été transférée aux roches environnantes...donc il a perdu de sa chaleur...dont sa température est plus faible
*** remis en mouvement
Sources : IPGP/OVPF; OPGC-LMV
Krysuvik-Trölladyngjya, Islande, 379 m
Pas de grosse nouveauté de ce côté-là. L'activité se poursuit et d'après le relevé le plus récent (21 avril), le débit globale reste globalement assez modeste, estimé à 5,6 m3/s. Ceci dit si on regarde la moyenne sur toute la période, elle semble être autour de 6,5 m3/s, variant peu entre 4 et 8 m3/s selon les estimations.
Un 7ème évent, bien alimenté, s'est ouvert non loin du n°5 le 17 avril, produisant une coulée qui progresse en direction du sud-est. Peu après, vraisemblablement dans la nuit du 18 au 19 avril, l'activité a totalement cessé sur l'évent le plus au nord (n°2) après avoir décliné pendant plus d'une semaine. On peut aussi noter que depuis quelques jours (18 ou 19 avril) celui qui fut le premier évent principal de cette éruption (la bouche sud de l'évent n°1) n'est plus la source que d'un dégazage : pas de trace d'activité éruptive visible non plus. C'est sur l'évent 7 que semble se concentrer le plus fort débit de l'éruption pour le moment avec une belle effusion et un spatter-cone qui grandit relativement vite (et qui a déjà subit quelques effondrements le 21 avril), mais l'activité sur les évents 3, 4 et 5 est pas mal non plus!
L'évent n°7, bien visible sur la webcam posée à l'est, image du 21 avril au matin. Image: MBL.is |
L'activité sur les évent "centraux" de la fracture (ici au soir du 20 avril) reste bien alimentée, mais sur l'évent elle est maintenant réduite. Image : RUV |
La bouche nord de l'évent n°1 reste, quand à elle, alimentée en magma et on peut y voir surtout une petite mare de lave bien fluide qui déborde dans l'ancien vallon et alimente le champ de coulée sur cette zone.
Globalement il semble que l'activité s'est progressivement concentrée ces derniers temps sur la partie centrale de la zone éruptive, ce que l'on voit bien sur ce modèle 3D.
Sur le fond, rien ne change et la stabilité du débit semble indiquer que l'activité ne faiblit pas.
Mise à jour, 23 avril, 14h08
La dernière phrase du post d'hier ("Sur le fond, rien ne change",etc.) est à mettre à la poubelle suite à la publication de nouveaux résultats de géochimie. Et notamment d'un rapport de deux oxydes, le K2O (oxyde de Potassium, Kalium en latin d'où le K) et le dioxyde de Titane (TiO2) dont la valeur évolue de manière constante à la hausse depuis le départ de l'éruption. C'est ce qu'à fait passer via twitter Edward Marshall, post-doctorant à l'Université Islandaise d'Haskoli Islands.
Évolution du rapport K2O/TiO2 avec le temps, mesuré sur des échantillons prélevés à plusieurs moments de l'éruption. Image : Edward Marshall/Háskoli Islands |
Le commentaire qu'il laisse avec ce graphique indique que cette évolution est le signe de deux changements simultanés et vraisemblablement conjoints:
- la partie du manteau qui fond pour fournir le magma de cette éruption serait de plus en plus profond. Et quand je dis ça il ne faut SURTOUT PAS imaginer quelque chose du genre "plusieurs centaines de kilomètres" plus en profondeur. Il faudrait des analyses complémentaires pour avoir une idée concrète de cette évolution, mais on reste dans la manteau supérieur, juste sous la lithosphère (à plus grande profondeur, trop pression donc pas de fusion).
- un taux de fusion plus faible de cette partie du manteau, peut-être tout simplement en lien avec une plus grande profondeur, puisque "plus grande profondeur" = "plus grande pression" ce qui implique "moins de fusion". Toutefois aucune valeur sur le taux de fusion n'est donnée (10, 15%? moins ? Plus ?). Ce sont des résultats préliminaires et il est important de le garder en tête.
De facto pour que l’interprétation soit assez fondée, ce que raconte ce diagramme devra être confronté à d'autres résultats d'analyses différentes. En fouillant un peu j'ai trouvé par exemple que ce marqueur K2O/TiO2 était parfois un de ceux utilisés pour caractériser le type de manteau à la source des magmas océaniques, les MORBs dont je vais ait parlé dans ce post (01 avril).
Or un rapport K2O/TiO2 situé entre 0.15 et 0.25 est décrit comme plutôt caractéristique d'un manteau de type T-MORB (T pour transitionnel, c'est à dire avec une partie de ses composants ayant les caractéristiques d'un point chaud) et qu'au-dessus de 0.25 on passe dans le domaine des E-MORB. Donc à chaud, ce diagramme pourrait se lire aussi comme l'évolution d'une source mantellique qui commence dans le domaine T-MORB et évolue en direction du domaine E-MORB. Bref : je me pose la question de savoir si, en plus d'une source plus profonde et d'un moindre taux de fusion, un manteau de composition légèrement différente pourrait aussi être un élément, même marginal, de cette évolution.
D'autant plus que dans le post du 01 avril, un diagramme de Terres Rares issu des échantillons récoltés les premiers jours de l'éruption avait les caractéristiques similaires à celles d'un E-MORB, alors que le rapport K2O/TiO2 de la même lave se trouvait dans le domaine des T-MORB.
Il s'agit d'une apparente contradiction qu'un modèle devra pouvoir résoudre. J'ai posé la question à Mr Marshall et j'espère qu'il pourra me faire part de son expertise sur ce point, ne serait-ce que pour me dire que je me goure complètement. Car les marqueurs géochimiques sont des outils qu'il ne faut pas manipuler avec légèreté (ce que je viens allègrement de faire dans ce post, d'où la nécessité d'avoir des avis éclairés. D'ailleurs, à l 'adresse de spécialistes en géochimie magmatique : votre avis éclairé sera la bienvenue dans les commentaires évidemment!).
Il faut garder en mémoire que la zone volcanique de Krysuvik-Trölladyngja se trouve à cheval sur la ride océanique (généralement alimentée par un E-MORB) et pas loin du point chaud (qui fournit les composants pour le T-MORB). Il est vraisemblable que la composition du manteau terrestre sous la péninsule soit un patchwork et que si la zone mantellique qui fond change (par exemple une zone plus profonde et/ou un manteau de composition différente avec moins de T-MORB dans la recette), cela va produire des magmas qui, sur les photos ou aux webcams, auront des apparences similaires (coulées pahoehoe, des spatter-ones etc) mais dont les détails invisibles (composition chimique, les proportions de certains éléments) seront eux très différents.
Sources : IMO; Náttúrufræðistofnun Íslands; Háskoli Islands
Bonjour,
RépondreSupprimerSoyez rassuré : en ce qui me concerne, votre blog est très utile car , justement, j'ai besoin de vos analyses et synthèses plutôt qu'une suite d'information via twitter ; et puis, d'une façon générale (peut-être suis-je trop vieux), je n'accroche pas à Twitter.
Merci encore pur la qualité de vos posts sur ce blog
Bonne journée
Pas mieux: longue vie au blog Culture volcan!
RépondreSupprimerLe contenu est toujours qualitatif, et je me délecte de vos analyses et autres suppositions sur les différentes situations.
Au plaisir de vous lire
Bonjour,Le blog est très intéressant car toujours bien détaillé et de très grande qualité pour tous les amateurs du volcanisme ! merci beaucoup bonne journée
RépondreSupprimerBonjour, nous vous écrivons de l'équipe médias sociaux de la Direction Générale Industrie de Défense et Espace de la COmmission Européenne.
RépondreSupprimerPourriez-vous nous envoyer votre adresse de courriel par DM?
Merci d'avance!
CV, le mystère des tornades de magma me semble résolu sur cette video :
RépondreSupprimerhttps://www.facebook.com/1523439114/videos/10225832077498300/
Vers 2min, on voit bien la tornade qui se poursuit au sol, dans la poussière.
La tornade arracherait les croûtes de magma en surface de coulée, du coup.
Belle vidéo !