14 juin 2020

Eruption au volcan Sangay : la situation est plus claire

En tout cas pour moi, et ce grâce à la publication de photos aériennes prisent le 10 juin et qui permettent de voir un détail des plus importants.

L'éruption en cours a débuté en mai 2019 et a, tout d'abord, été tout à fait habituelle, dans le style et l'intensité, des éruptions précédentes au Sangay. Une activité explosive plutôt modeste au sommet puis, un peu plus tard, la formation d'une coulée de lave. Là encore, comme souvent, en direction du sud-est.

Mais la surprise arriva, accompagnée de son inséparable amie l'interrogation, lorsqu'en décembre dernier, une séquence d’écoulements pyroclastiques modérés firent leur apparition dans les données. Du fait des informations qui circulaient, appuyées par des situations équivalentes lors d'éruptions précédentes ailleurs dans le monde, l'explication la plus probable était que la coulée de lave, trop instable, partait en miettes, se désagrégeait régulièrement. Dans le même post je suggérais qu'une partie plus sommitale pouvait aussi être en cours de désagrégation une zone où l'activité explosive aurait, au cours des mois, provoqué une accumulation de fragments au bords du cratère, qui aurait pu être devenu instable.
Tout cela paraissait logique dans le sens où cela permettait d'expliquer la présence d'écoulements pyroclastiques à l'endroit de la coulée et sans activité explosive paroxysme. Intellectuellement, ça me paraissait satisfaisant...

Un peu plus tard, dans le post en date du 09 février. Y sont décrites les conséquences de l'éruption en aval, avec une accumulation exceptionnellement rapide de cendres et blocs déposés par des coulées de boue, en provenance de l'éruption. Une accumulation qui a totalement modifié des cours d'eau et provoqué la formation d'un lac temporaire dans l'un d'entre eux. 
Là encore il m'a semblé que l'ensemble était plutôt cohérent : des écoulements pyroclastiques en amont, la reprise de leur dépôt par l'eau de pluie et le ruissellement qui provoque leur re-dépôt en aval. Intellectuellement satisfaisant, et intellectuellement confortable aussi puisque c'est une situation classique. Mais la réalité se contrefiche du "satisfaisant ou pas" et du "confortable ou pas".

Ainsi une question simple mais importante peut être posée (et je ne l'avais pas fait auparavant): est-ce que le volume "coulée de lave + cendres émises au sommet" est le même que le volume "dépôts en contrebas"?
Pour le dire autrement : l'éruption est-elle vraiment la seule responsable des changements drastiques observés dans la vallée?
À partir de données indirectes telles que celles fournies par les satellites, ce n'est pas évident de se faire une idée, mais toutefois on peut poser la question grâce au détail important, visible sur les images satellites, mais surtout révélé par les photos dont j'ai parlé plus haut.

Le sommet du Sangay, vu le 10 juin par avion. Image : Jorge Anahlzer

Ce détail est une puissante ravine qui part du sommet, est large d'environ 300 m au moins, profonde (si j'en crois l'image) d'environ 150-200 mètres et, d'après les images radar, est longue d'environ 3 km. Elle a pour particularité..qu'elle n'existait pas avant l'éruption!

L'édifice au départ de l'éruption et après un peu plus d'un an: la ravine a fait son apparition dans la topographie entre temps. Images : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Elle a commencé à s'ouvrir, d'après les images radar SENTINEL 1, vers le 18 novembre 2019 mais, à priori, après le 14 novembre 2019 puisque le rapport spécial de l'IGEPN de cette date n'en fait pas mention.

Cette animation faite à partir d'images radar montre (sur la droite) l'ouverture progressive de la ravine. Images: SENTINEL 1 - ESA/Copernicus


Ce qui est étrange c'est qu'au mois de novembre, il n'est pas fait mention des écoulements pyroclastiques qui vont apparaitre, dans les actualités, autour du 11 décembre. Ce qui mit à plat la première pensée qui m'était venue en voyant les photos : "les écoulements pyroclastiques étaient probablement dus des effondrement liés à l'ouverture de la ravine".
Il est donc possible qu'entre mi-novembre et début décembre l'ouverture de la ravine ait été plutôt calme et progressive puis qu'ensuite (à partir de début décembre) les parois, très raides, aient été sujettes à l'instabilité et commencé à produire les écoulements pyroclastiques*.


L'autre possibilité c'est qu'il y ait eu des écoulements pyroclastiques non décrits, de petite ampleur dès  novembre 2019. On trouve en effet mention, dans le bulletin publié en novembre 2019, de chutes de cendres à Cebadas (35 km à l'ouest de l'édifice), alors que l'activité explosive sommitale a toujours été modeste et donc, à priori peu compatible avec des chutes de cendres à une distance aussi significative. Mais cela reste une conjecture.

Quoi qu'il en soit, cette ravine a continué d'être creusée jusqu'en février 2020 et depuis j'ai comme l'impression (sur les images radar) que le fond se comble petit à petit.

En tout cas si la situation est plus claire, c'est parce qu'il apparait plus logique (intellectuellement satisfait si vous préférez) d'associer les très grands et rapides changements dans la vallée, comblée par de puissants dépôts de lahars (plusieurs mètres d'épaisseur par endroit) a autre chose qua la seule instabilité de la coulée de lave. Si on rajoute à ce qui est libéré par l’éruption tout le volume de dépôts que représente la ravine, on comprend mieux la situation je trouve.

Et au passage, cela explique aussi:
- que les écoulements pyroclastiques semblaient démarrer d'un vaste zone allongée entre le sommet et l'aval, alors que lorsque la coulée s'effrite, c'est plutôt au niveau de son front (donc en contrebas du sommet par définition)
- que la teinte des écoulements ait été d'un marron pâle, généralement liée à la présence de roches anciennes et altérées.

Enfin, j'avais rédigé un post concernant les modifications importantes dues à l'activité (et à l'apparition de la ravine aussi, du coup) juste au pied de l'édifice, avec le colmatage du lit du Rio Volcan, et la formation d'un lac de barrage naturel sur le Rio Upano non loin de leur confluence.
Mais cette éruption, qui est la cause de la formation de la ravine et donc de la présence importante et permanente de poussières dans l'atmosphère à proximité de l'édifice, a aussi des conséquences plus éloignées.
Le vent, emportant les poussières principalement vers l'ouest, les dépose un peu tous les jours sur une vaste zone ce qui affecte de plus en plus la végétation.


La zone impactée par les chutes de cendres est vaste et s'étire jusqu’à environ 50 km à l'ouest. Images :sSENTINEL 2 - ESA/Copernicus

On a donc là encore une éruption d'intensité modérée, mais dont les conséquences, en particulier topographiques mais aussi sur la végétation située à différentes distances, est importante.

Une activité a suivre de près, d'autant plus que depuis quelques jours il semble qu'elle soit un peu plus intense bien que n'ayant pas changé de style.

Sources : SENTINEL 1&2 - ESA/Copernicus ; Jorge Anahlzer; IGEPN


* même si je me demande si on peut employer ce terme lorsqu'il s'agit de dépôts anciens instables. "Ecoulement de densité" est un terme très général et pourrait de facto mieux convenir mais c'est pas super clair...

2 commentaires:

  1. Quel changement ! La photo du 10 juin est juste monstrueuse !

    Tu parles d'une "ravine", ce qui fait plutôt référence à un creusement par l'eau de pluie, mais il faudrait plutôt utiliser le terme de "cicatrice" non ?... D'ailleurs, tu n'évoques pas le ou les phénomènes qui pourraient être responsable de cette cicatrice importante. Mais j'imagine qu'il y a assez peu de données sur lesquelles s'appuyer ?

    Sinon, au vu de ces images (janvier 2020 - https://youtu.be/Pm10LKKJWnY), j'ai quand même du mal à ne pas associer une origine magmatique à ces écoulements pyroclastiques !

    Bonne journée et merci pour cet analyse passionnante, comme toujours ! ;)

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    1. Bonjour Ludovic et merci :). Je ne sais pas si le terme "ravine" induit un mécanisme de formation ou si il ne décrit qu'une morphologie indépendant du mécanisme qui le produit donc sur ce point je laisserai volontiers des spécialistes m'éclairer pour que je puisse, à l'avenir, utiliser des mots plus adaptés :)

      En effet je n'évoque pas de mécanisme source car c'est visiblement complexe. Pour moi, j'ai dans l'idée que la coulée de lave a joué un rôle: sa mise en place sur des terrains instables aurait pu provoquer des décrochements initiaux, des loupes de glissement qui, par la suite, se sont accentués. L'eau de pluie a évidemment un rôle mais il ne peut être à l'origine de ce changement : la pluie tombe en permanence sur le massif et elle ne se forme que maintenant? Pas de coïncidence possible :quelque chose à préparé le terrain, et je m’imagine que ça peut être la coulée.

      Quand à la vidéo HSDude : oui je la connaissait, elle avait circulé sur twitter en début d'année je crois. Ma fois : ces écoulements pyroclastiques sont plutôt caractéristiques de ceux produits par des avalanches: peu dynamiques. Or, même si je ne doute pas qu'une partie de ces écoulements soient bien dus à la coulée (ce que je précise dans le post), je commence à douter franchement que ça soit leur source principale. Il y en a beaucoup trop pour que ça colle au débit, plutôt modeste, de la coulée.
      Bonne journée :)
      CV

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