23 novembre 2019

Le point sur l'activité du volcan Bagana cette année

Pas grand chose d'intéressant à se mettre sous le clavier en ce moment, mais on ne peut pas dire qu'il ne se passe rien. Côté volcanisme, il ne se passe jamais "rien" sur Terre, mais je fais passer l'essentiel via twitter (@CultureVolcan).
Bon, après il n'y a rien de super folichon, mais allons jeter un oeil tout de même!
Alors pour tout vous dire, au moment précis où je rédige ce post, l'activité semble plutôt très calme sur le Bagana. Seul un panache de dégazage, toujours assez important, est présent mais rien ne semble indiquer une phase éruptive ( = du magma qui sort). Il y a quelques zones un peu chaudes au niveau du sommet, mais elles peuvent correspondre aux évents par lesquels le gaz à très haute température s'échappe. Par contre ça n'a pas toujours été comme ça cette année et rien qu'un coup d'oeil au MIROVA permet de constater qu'il y a eu une période d'émissions d'infrarouges assez importantes entre août et octobre.

Au cours de l'année 2019, la période août-octobre est marquée par des émissions de rayonnement infrarouges thermiques importants, les plsu forts depuis décembre 2018. Image : MIROVA

Alors évidemment, comme le volcan n'est pas souvent visité, pas simple de savoir a priori à quoi est du ce pic d'activité. Et il serait extrêmement intéressant d'avoir des images prises du sol, et au moment du maximum d'intensité de ce pic d'émission thermique, en août.
Mais ce n'est pas le cas malheureusement, en tout cas pas à ma connaissance. Tout au mieux y a-t-il eu un suvol par drone de l'édifice courant septembre (post-pic donc) mais avec un objectif de très courte focale (fish-eye) l'interprétation est difficile, la trajectoiree (une ligne droite qui passe dans le panache) ne permet pas d'avoir accès à tous les versants de l'édifice. Par ailleurs cette trajectoire était voulue par l'équipe de scientifiques qui avaient pour objectif d'analyser les gaz du panache, pas pour faire des images.

Conclusion: le seul recours est l'image satellite.

Je l'ai déjà évoqué dans des posts précédents, mais les principaux problèmes qui se posent avec les images satellites (dont la résolution est assez interessante pour se lancer dans une interprétation) sont :

- le faible taux d'échantillonnage des images: LANDSAT 8 = quelques images par mois, SENTINEL 2 = ça  varie entre 1 image tous les deux jours (ça c'est très bien) et une image tous les 5 jours à peu près (ça c'est moins bien).

- les conditions météo, souvent mauvaise ce qui diminue d'autant le taux échantillonnage "efficace": on peut n'avoir qu'une image satellite claire tous les 2 ou 3 mois dans certaines zones (équateur, pacifique nord etc).

Du coup c'est plus compliqué de comprendre ce qu'il se passe et, évidemment, il faut faire le deuil de la certitude.

Toutefois les avantages sont certains : accès à certaines informations non perceptibles avec nos seuls sens (infrarouges, concentrations en certains gaz etc) et surtout la possibilité de voir des évolutions entre deux moment éloignés dans le temps.

Pour Bagana, après avoir croisé les doigts et espéré avoir de la chance durant la collecte des images satellite prises courant août, j'ai déchanté rapidement. Toutes les images étaient couvertes de nuages.

Après avoir conclu que croiser les doigts ne servait à rien, j'ai regardé de plus près l'image du 06 août: avec l'association des bandes 12, 11 et 8A on peut noter rapidement des zones de chaleur, sous le sommet. Ces zones se présentent comme de plus ou moins longues bandes rouge (à cause de la bande 12 à laquelle j'ai associé la couleur rouge) qui s'étirent un peu "en éventail", c'est-à-dire qu'elles divergent entre l'amont, où se trouve leur source, vers l'aval. Le tout se passe sur le versant nord-ouest, qui avait déjà été affecté lors des phases éruptives précédentes.

Voilà à quoi ça ressemble, pour être concret.

Zones à haute température étalées sur le haut versant nord-ouest du Bagana le 06 août 2019. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Cela confirme déjà ce qu'indiquait MIROVA : il s'est passé quelque chose d'important à ce moment de l'année!

Le problème c'est qu'ensuite, il n'y a plus d'image exploitable jusqu'au 10 octobre, sur laquelle une trouée dans les nuages permet de constater qu'il n'y a plus de source de chaleur à cet endroit. La première image vraiment dégagée n'arrive que...le 09 novembre !

Alors que s'est-il passé entre août et octobre?

Seul moyen de se faire une idée : comparer l'image prise le 09 novembre avec une prise avant août 2019, et d'une qualité équivalente. Le problème c'est que la perle rare a été faite...en février 2019! Toutes les images suivantes, jusqu'à celle du 09 novembre, sont plus moins masquées par des nuages (exemple d'un taux d’échantillonnage efficace très faible, en raison des conditions météo).

L'écart de temps février-août est très important mais comme le MIROVA n'a rien détecté de vraiment anormal dans cette période, on peut supposer que tout changement observé dans la comparaison d'images qui va suivre peut être attribuée à ce qui s'est passé durant la période août-octobre, au cour de laquelle de nombreux, et assez forts, signaux thermiques, ont été relevés par le MIROVA.



Cette comparaison permet de constater la présence d'une nouvelle coulée de lave visqueuse. Elle s'étire sur une longueur d'environ 1000 m, et longe (peut-être même recouvre en partie) la coulée qui s'était formée l'an dernier. Il y a peu de doutes que sa formation soit liée à l'activité détectée par le MIROVA entre août et octobre, ce qui signifie qu'il a fallu assez peu de temps pour sa mise en place.
Vous vous souviendrez peut-être que l'édifice appelé "Bagana" est extrêmement récent (moins de 500 ans) et constitué de l'empilement de telles coulées, et sa mise en place n'a donc rien d'incroyable.

Toutefois, il est intéressant de constater que malgré le fait que le système volcanique soit alimenté par un magma plutôt visqueux, l'activité éruptive peut démarrer rapidement et produire une coulée de lave, sans pour autant être associée à de l'activité explosive intense. Il a pu y avoir des explosions pendant cette éruption, mais si c'est le cas elles ont été trop faibles pour être détectées depuis l’espace.  Il y a peut-être eu quelques écoulements pyroclastiques de faible intensité aussi: c'est ce que suggère la présence, juste au-dessus à droite de la nouvelle coulée, d'un dépôt de forme plutôt triangulaire, teinte gris clair: il a des caractéristiques qui rappelle celle des dépôts d'écoulements pyroclastiques. Mais de tels dépôts ne sont pas obligatoirement liés à des phases explosives : il peuvent être le résultat de l’effondrement de portion de la coulée au cours de sa mise en place.

En résumé : bien que l'activité éruptive ne soit pas strictement continue puisqu’il peut y avoir des pauses de plusieurs mois, le système volcanique reste instable au Bagana.Cette année, l'instabilité a débouché sur une nouvelle éruption, qui a duré probablement un peu moins de deux mois et même, pour sa phase la plus intense, probablement seulement une quinzaine de jours en août.
Le résultat de cette nouvelle phase éruptive est la formation d'une nouvelle coulée sur le versant nord-ouest : l'activité poursuit la construction de ce jeune édifice, qui n'existait pas avant le 16ème siècle.

Sources: MIROVA; SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

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