Depuis que cette éruption a débuté, en décembre 2018, elle a en très grande majorité été extrusive, c'est-à-dire dominée par la mise en place assez tranquille d'un dôme de lave, masse de lave à très haute viscosité.
Mais depuis le mois d'août il faut noter que plusieurs panache de cendres importants ont été produits explosives, et lors de ces phases des modifications plus que notables de la morphologie de l'édifice ont eu lieu.
Mais soyons clairs: une éruption, par définition et quelles que soient ses modalités de déroulement (effusion peu ou très abondante, explosions faibles ou fortes, courte ou longue etc) modifie déjà la morphologie d'un édifice, et ce changement peut-être discret ou très impressionnant, bien entendu. Cette éruption n'a pas échappé à la règle: faisons le point!
1- Avant que l'éruption ne débute
L'éruption précédente avait démarré courant 2015 et s'était poursuivie jusque fin 2017, avec des variations dans son intensité, des moments forts, d'autres plus tranquilles....Le tout s'était progressivement calmé entre octobre et décembre 2017...puis l'éruption avait pris fin.
À la fin de cette période, voilà à quoi ressemblait le complexe de dômes: l'image ci-dessous a été prise en juillet 2018, la morphologie du complexe n'a pas varié au cours de l'année.
Le complexe de dôme laissé à la fin de l'éruption de 2015-2017. Image: IVS-FEB-RAS |
2- Retour d'une activité
Peut-être pas éruptive dès le départ, les premières manifestations de cette nouvelle activité apparaissent début novembre 2018 avec une explosion à l'origine d'un important panache de cendres (altitude estimée vers 7000 m). Mais ce n'est qu'en décembre 2018 que le magma perce franchement la surface de la Terre. Visqueux, il ne s'étale pas (= il ne forme pas des coulées) mais il s'accumule sur place formant un nouveau dôme (activité dite "extrusive") par dessus les dômes des éruptions précédentes. Bref: la morphologie du complexe de dômes change à nouveau, comme ce qui était déjà visible en mars dernier.
Cette éruption est, depuis lors, dominée par la construction et l'effritement progressif, sous la forme d'avalanches de blocs chauds, du dôme de lave, et les explosions intenses sont rares. Mais comme je vous le disais plus haut, depuis le mois d'août plusieurs panaches de cendres importants ont été produits, et c'est une fréquence à priori plus importante que pour la période décembre 2018-juillet 2019.
Le premier panache de cette série est apparu le 29 août mais malheureusement une importante masse de nuages n'a pas permis de la voir directement aux webcams. On (= les volcanolphiles et les pilotes d'avion aussi) peut donc remercier les satellites, qui ont permis de suivre ce panache, qui a atteint une altitude d'environ 10 km.
Ce panache est suivi d'un second le lendemain à 07h54 TU, moins important mais tout de même impressionnant: altitude estimée à 6000m environ par le VAAC de Tokyo.
Autre panache de cendres, au soir du 30 août, par-dessus les nuages. Image: IVS-KVERT-WeatherNews |
Le mauvais temps a perduré des semaines sur la zone, empêchant de bien voir les conséquences de cette activité intense, mais une comparaison d'images prises en juin et septembre permet de se rendre compte du changement: impressionnant! Une bonne partie du nouveau dôme a disparu au cour de cet événement! Mais il n'y a pas que ça, regardez bien....
Regardez bien la fin du pointillé blanc, sur la droite: il marque la pente du dôme courant juin.... Regardez bien sur l'image de septembre: le sol est plusieurs dizaines de mètres plus bas!!! Une ravine entière a été dégagée des dépôts de cendres et blocs qui s'y étaient accumulés au cours des mois précédents.
Car oui: cette ravine était quasiment vide, à peu près dans son état actuel, en décembre 2018, avant le début de l'éruption en cours et c'est donc cette dernière qui, par les avalanches de blocs et cendres continues, quotidiennes, ininterrompues liées à la croissance du dôme, et parfois quelques écoulements pyroclastiques aussi (qui sont peu fréquentes globalement), l'ont remplie quasiment à ras bord.
Est-ce que la ravine a été purgée de plusieurs centaines de milliers de m3 de dépôts par la phase du mois d'août? Pour être honnête je ne peux pas l'affirmer directement, car l'idéal aurait été qu'il n'y ait pas de nuages, et de voir la ravine quelques minutes avant et quelques minutes après l’événement.
Toutefois, il faut constater que pendant des mois, du fait des avalanches, la ravine a été remplie, je ne vois pas à quel moment et pour quelles raisons elle aurait pu être vidée presque entièrement en si peu de temps. La destruction par la pluie, sous forme de lahars (coulées de boue), du dépôt est impossible: il faut un temps important à la pluie pour raviner une si grande quantité, sans oublier que les avalanches ont tendance à remplir la ravine plus vite qu'elle n'est "nettoyée" par les eaux de ruissellement.
Non la solution la plus sérieuse envisageable est que c'est au cours des 29 et 30 août dernier, peut être en l’espace de seulement quelques minutes ou dizaines de minutes, que ce "nettoyage" a eu lieu, ce qui exprime l'intensité de l'événement. Ce changement drastique et quasi-instantané peut s'expliquer en partie (et peut-être pour l'essentiel, voire peut-être même en totalité), à la mise en place d'écoulements pyroclastiques très importants, très dynamiques.
Ils sont, en effet, à même d'éroder extrêmement rapidement les dépôts sur lesquels ils s'écoulent, phénomène qui avait déjà été observé dans les dépôts de l'éruption du Mont Saint-Helens en 1980, puis décrit à de nombreuses reprises par la suite. Une étude publiée à O.Roche et ses collaborateurs en juillet 2013 suggérait, sur la base de modèles analogiques, que cette érosion pouvait être particulièrement efficace, y compris sur de faibles pentes, sur des dépôts très hétérogènes, composés de particules de tailles variées. Le mécanisme évoqué est une dépressurisation entre les particules au passage de l'écoulement, à même de soulever les fragments les plus gros et les emporter.
Toutefois la cause de la formation des panaches verticaux ne peux pas, juste à l'aide de quelques images satellites et webcams, être déterminée avec précision. Mais le fait que le dôme ait quasi-totalement disparu, et que visiblement d'importants écoulements pyroclastiques se sont formés, suggère que son effondrement massif pourrait faire partie de l'équation...
Il semble aussi très probable qu'une activité explosive intense ait eu lieu, expliquant la mise en place de panaches jusqu'à 10 km d'altitude, mais a-t-elle été:
- la cause de l'effondrement du dôme?
- la conséquence de l’effondrement du dôme?
C'est là toute la question, et elle a son importance car:
- dans le premier cas, cela suggère qu'une importante pression s'est mise en place dans la colonne de magma, et alors il faudrait tenter de comprendre par quels mécanismes (arrivée d'un magma neuf ou autre, etc.)
- dans le second cas, nul besoin d'une montée en pression de la colonne de magma.
Bref: les scénarios sont totalement différents!
Le troisième panache de cendres s'est formé le 19 septembre, et son altitude a été évaluée à 6000 m environ. Cette fois la météo était plus favorable et il a pu être observé directement, en particulier son démarrage.
Panache de cendres au matin du 20 septembre (locale, 19 septembre soir en France). Image: IVS-KVERT-WeatherNews |
Et là, peu de doute: l'origine du panache semble bien être une activité explosive, puisqu'il n'y a aucun écoulement pyroclastique (donc pas d’effondrement de dôme) qui précède la formation du panache vertical. Il y a bien un écoulement pyroclastique (assez modeste) qui se met en place lors de cette phase, mais alors que le panache s'élève déjà.
Le quatrième panache, quand à lui, s'est formé le 02 octobre vers 00h00 TU (matinée du 02 octobre sur place). Imposant lui-aussi, son altitude a été estimée à environ 10 km. Panache emporté vers l'est et dispersé, comme souvent, au-dessus du Pacifique Nord.
Ce panache est lié à une activité explosive, et celle-ci est accompagnée d'un écoulement pyroclastique très important, dont la longueur, difficile à donner avec précision, dépasse vraisemblablement les 6 km (si on me dit qu'elle est autour de 8 km je ne serais pas surpris). Cette distance est parcourue en l’espace de 10 minutes à peu près, soit une vitesse moyenne minimum d'environ 40 km/h, mais peut-être près de 50 km/h. Il s'est mis en place dans la ravine récemment purgée, au pied du versant est du dôme actif, puis a rejoint la plaine qui s'étend au pied du Sheveluch, constituée d'amoncellement de dépôts de lahars (coulées de boue), d'écoulements pyroclastiques et de dépôts de chutes de cendres
Cet écoulement est, de loin, le plus important qui se soit produit depuis le départ de cette éruption.
Mais le fait que je focalise l'attention sur la production des panaches de cendres ne doit pas faire oublier que l'activité éruptive en cours reste essentiellement extrusive (= le dôme est toujours en formation). Et une chose me surprend d'ailleurs: sur les images des webcams on voit les avalanches de blocs descendre en permanence les versants sud et est (pour l'essentiel), et on peut donc très bien voir leur point de départ, leur source si vous préférez.
Et ce qui m'étonne depuis plusieurs semaines, c'est que malgré tous les changements, les bouleversements, les effondrements etc, cette zone continue de s'ébouler en permanence et semble ne jamais avoir cessé de produire des avalanches de blocs: il semble donc qu'elle n'ait été qu'assez peu impactée par tous ces changements.
La raison est peut-être à rechercher dans un forme atypique du dôme qui est construit (et aussi partiellement détruit de temps en temps, donc) au cours de cette activité.
En effet, si l'on va chercher du côté des images satellites, qui permettent d'avoir une vue "de dessus", on voit que la forme du dôme semble allongée selon une direction nord-est/sud-ouest, un peu comme si il formait une crête allongée, plutôt qu'un dôme en en coupole, plus classique.
La forme du dôme semble allongée, et les avalanches se font essentiellement en direction du sud-est. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus |
Aussi est-il possible d’imaginer que les effondrements ont surtout affecté la portion centrale et/ou nord-est de la crête. Et comme l’extrémité sud-ouest, visible depuis la webcam, ne change que peu et, le cas échéant, se reconstitue rapidement, pourquoi ne pas supposer que c'est à cet endroit que le débit de l'extrusion est le plus important...et peut-être même le point d'éruption principal du magma visqueux.
Bon: cela ne reste qu'une interprétation, et l'idéal serait d'aller voir directement sur place.....Un bien doux rêve malheureusement!
Mise à jour, 09 octobre, 21h46
Nouvelle phase d'activité explosive aujourd'hui, à l'origine d'un beau panache de cendres dont l'altitude maximale a été estimée à 7000m environ. Peu après le départ de l'explosion, un écoulement pyroclastique assez modeste (environ 1500 à 2000m de long à peu près) s'est mis en place, peut-être à partir de l’effondrement d'une partie du panache de cendres, plus que effondrement du dôme.
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Quand je regarde l'édifice, ce Shiveluch me fait penser au Mont Saint Helens avec son dôme de lave
RépondreSupprimerBonjour. En terme de morphologie, il y a plusieurs différences, en particulier le fait que le Sheveluch est un massif composé de plusieurs édifices accolés. Et si l'on ne se focalise que sur le plus récent (appelé "young Sheveluch" ce qui, à défaut d'être créatif à le mérite d'être clair :) ) il y a des points communs avec la morphologie du Mont Saint Helens en effet, en raison du même mécanisme d'effondrement de flanc, qui se retrouve en réalité dans la morphologie de très nombreux édifices.
SupprimerIl y a donc bien des points de ressemblance! :)
CV
Passionnant, comme toujours!
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