Vous savez déjà très probablement que depuis maintenant plus d'un an (départ le 10 mai 2018) un essaim de séismes est en cours au large de l'île de Mayotte. Encore récemment (fin mars et début avril) des secousses de magnitude 5 et et 5.2, ressenties par la population, ont été enregistrées. La cause de ces secousses a longtemps été inconnue mais l’analyse des signaux sismiques disponibles avait permis de soupçonner une origine volcanique: un sismicité intense liée à une activité éruptive sous-marine. Encore fallait-il avoir quelque chose de plus clair qu'un soupçon: c'est désormais chose faite.
Depuis le début du mois de mai une mission océanographique du Marion Dufresne, la camp est en cours au large de Mayotte. Elle est le fruit d'une collaboration entre le CNRS (entre National de la Recherche Scientifique), le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), l'IPGP (Institut de Physique du Globe de Paris), l'IFREMER (Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la MER), l'UR (Université de la Réunion), l'Institut de Physique du Globe de Strasbourg (IPGS), l'Institut National de l'Information Géographique et Forestière (IGN), l’École Normale Supérieure (ENS) et le Service Hydrographique et Océanographique de la Marine (SHOM): bref, pas une petite mission mais une belle collaboration transdisciplinaire!
Plusieurs objectifs pour cette mission:
1- récupérer les données récoltées depuis le mois de février par des sismomètres installés sur le fond par l'équipage du navire Ylang en février.
Pourquoi?
Parce que les sismomètres déjà présents à terre sont éloignés de la source et ne peuvent donc pas capter tous les signaux. Par ailleurs ceux qui sont captés ont déjà subit une atténuation et des modifications qui peuvent compliquer leur interprétation et leur localisation. Enfin les sismomètres installés à terre n'ont peut pas la capacité d'enregistrer toute la diversité de signaux produits (comme notre oreille n'est pas capable de capter toutes les ondes sonores) et des informations peuvent ainsi être manquées. Les informations recueillies par ces sismomètres sous-marins permettrons donc d'affiner une certains nombre de caractéristiques de cet essaim de séismes, données essentielles pour comprendre ce qu'il se passe au large de Mayotte et commencer à réfléchir de manière concrète sur la notion de risques potentiels.
2- réaliser des mesures de bathymétrie.
Pourquoi?
Parce que cartographier le fond marin de manière précise, non pas à partir de données spatiales (résolution trop faible) mais à partir d'appareil mobiles transportés par bateau (haute résolution) permet de constater des modifications de la forme du plancher marin, modification qu'il s'agit ensuite d'interpréter évidemment.
3- récolter des échantillons de colonne d'eau
Pourquoi?
Parce que dans l'hypothèse qu'une éruption a, ou a eu, lieu au large de Mayotte il est vraisemblable que le dégazage associé va induire des variations importantes et assez caractéristiques de la composition chimique de la colonne d'eau.
4-réaliser des mesure acoustiques
Pourquoi?
Parce qu'un peu comme les mesures de sismicité, elles donnent des renseignements sur l'état physique de la colonne d'eau: sa densité par exemple.
Pour le moment la mission se termine et le bateau va rentrer au port avec les données: elles doivent encore être traitées puis interprétées mais les résultats préliminaires transmis par l'un des chercheurs à bord, Robin Lacassin de l'IPGP, sont intéressants.
La bathymétrie à permis de localiser un nouvel édifice volcanique, jusqu'alors inconnu. Il se trouve à une cinquantaine de kilomètres au large de Mayotte et mesure environ 800 m de hauteur pour 4 à 5000 m de diamètre. C'est donc un édifice de taille respectable, dont la morphologie aplatie n'est pas sans rappeler un volcan-bouclier, caractéristiques des accumulations de laves fluides.
Localisation d'un nouvel édifice au large de Mayotte. Image: campagne MAYOBS |
Les mesures acoustiques réalisées dans la zone de cet édifice ont permis de mettre en évidence un panache de fluides relâché depuis la zone sommitale: il semble donc vraisemblable qu'une activité éruptive ait lieu, ou ait eu lieu, sur ce nouvel édifice. Le choix entre la conjugaison au passé ou au présent se fera peut-être si des échantillons de la colonnes d'eau donnent des indications claires, voir si un échantillonnage a eu lieu directement au fond (ça serait le top évidemment) pour voir si le magma sort toujours. En tout cas il semble que ce nouvel édifice soit un élément important de la situation encours: le site d'une éruption volcanique sous-marine.
Le panache de fluides relâchés depuis la zone sommitale du nouvel édifice est parfaitement visible: il fait à peu près 2000m de haut. Image: campagne MAYOBS |
La détection par les sismomètres sous-marin précise la localisation de l'essaim de secousses qui se trouvent plutôt entre 5 et 15 km au large des côtes (on était plutôt entre 20 et 30 km au large sur les cartes précédentes). Une question que je me pose et pour laquelle je n'ai pas encore de réponse: s'agit-il du même essaim qu'au départ, dont la localisation a simplement été précisée, ou y a-t-il eu migration vers l'ouest de l'essaim au cours du temps?
Mais d'autres questions se posent.
Si l'essaim de secousses et le panache de fluide, interprété comme une activité éruptive ou post-éruptive, ont un lien direct: le dyke (=fissure/réseau de fissures pleine de magma) qui fait éruption* mesure alors entre 30 et 40 km de long?
C'est loin d'être impossible: il suffit de se souvenir de l'éruption de 2014-2015 en Islande dans la plaine d'Holuhraun (éruption du Bardarbunga): le dyke avait parcouru une quarantaine de kilomètres avant de sortir. Ou plus récemment encore au Kilauea: l'éruption fissurale de 2018 qui s'était déroulée à environ une quarantaine de kilomètres du sommet.
Bref: ce type de situation n'est pas fréquente, certes, mais pas anormale non plus.
Le nouveau volcan est situé sur une ride de Mayotte, c'est-à-dire une zone de fragilité de l'édifice** où le magma peut sortir de manière préférentielle et produire un alignement de volcans plus ou moins gros. Généralement monogéniques (= fabriqués en une seule éruption) mais pouvant être polygéniques (= fabriqués en plusieurs éruptions).
La question concernant le nouveau venu est la suivante: s'agit-il simplement d'un des volcans construits sur la ride? Un peu comme le cône Pu'u O'o est un petit édifice sur la ride nord-est du Kilauea (Hawaï) et donc est un élément du Kilauea?
Ou ce nouveau volcan est-il le successeur de Mayotte en train de grandir, un peu comme Loihi, volcan sous-marin au large d'Hawaï est le successeur du Kilauea et pas seulement un adventif du Kilauea?
Si c'est un édifice à part entière, on est de toutes manières pas prêts de le voir sortir de l'eau! Ca va prendre un peu de temps....vu qu'il se trouve par 3500 m de fond!
Des questions aussi vont se poser sur l'analyse de risques liés à ces observations: une éruption sous-marine peut-être avoir un impact sur les habitants de Mayotte? Produire des tsunamis? Il faut maintenant identifier les divers phénomènes (aléas) possibles par rapport à cette situation et commencer à réfléchir sur la notion de risques.
Le risque principal et directe est d'abord lié à la sismicité: elle se produit non loin des côtes, certaines secousses sont ressenties et il n'est pas impossible que les infrastructures finissent par pâtir de cette sismicité, certes modérée, mais quasiment permanente.
Un risque pourrait-il être liée à l'éruption elle-même? Pas impossible mais peu probable. Les éruptions de magma fluide, surtout sous-marine, ont rarement des conséquences en surface***.
Si on pense "tsunami", à part la sismicité, l'autre source possible serait un effondrement sous-marin mais la morphologie très aplatie du nouveau volcan minimise ce risque là: les pentes fortes sont instables, pas les faibles.
Beaucoup de questions et encore beaucoup de choses à apprendre des données récoltées, et j'ai hâte de pouvoir lire des papiers là-dessus évidemment! Reste aussi à trouver un nom pour le nouveau venu.
Mise à jour, 19 mai 2019, 07h27
Une surprises ce matin: les questions de droit qui ont fait l'objet d'un échange avec Ludovic Leduc dans les commentaires, concernant par exemple la nationalité du nouveau venu, ont trouvé un éclairage. En l'occurence dans un message qu'Olivier Dupéré, autre lecteur du blog et Maître de Conférence en Droit Public à l'Université de La Réunion, et notamment spécialiste des questions juridiques liées au volcanisme, m'a adressé. Je l'ai déjà remercié personnellement: je le fait ici publiquement.
Je vous transmet son message sans la moindre modification, excepté la signification de la ZEE:
"La surface et le sous-sol de l'édifice volcanique en lui-même relèvent du "plateau continental" (sens juridique du terme).
Les eaux et la surface surjacentes relèvent de la ZEE ("Zone Economique Exclusive" NDLR).
Dans les deux cas, on a affaire à des zones où c'est le droit international (en l'occurrence, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer) qui détermine les compétences exclusivement attribuées à l’État côtier (celui-ci ne peut donc pas déterminer unilatéralement quelles compétences il va y exercer, ni comment, contrairement à ce qu'il peut faire en vertu de sa souveraineté en ce qui concerne les eaux territoriales), et les droits que peuvent opposer les États tiers à ce dernier.
Mais deux difficultés dans le cas présent:
- La souveraineté française sur le territoire de Mayotte est contestée par les Comores, ce qui implique que la qualité d’État côtier de la France n'est pas établie de manière définitive au niveau international;
- il n'y a pas, entre la France et Madagascar, de traité international de délimitation maritime (côté Mayotte): la France a délimité sa ZEE et son plateau continental en suivant le principe de l'équidistance (et l'édifice est clairement à l'intérieur; cf:http://www.reunion.gouv.fr/IMG/pdf/Carte_ZMSOI_AEM_2011_high_quality_cle85bcd6.pdf); Madagascar ne reconnaît pas officiellement cette délimitation effectuée unilatéralement, car son droit national exige pour cela la conclusion d'un traité international (depuis 1985); mais elle ne la conteste pas non plus en pratique dans la zone où se trouve le volcan sous-marin (en effet, celui-ci est loin des îles Glorieuses, revendiquées par Madagascar depuis 1960, et ne se trouve pas à proximité du banc du Geyser, revendiqué par Madagascar depuis 1976).
Du point de vue juridique, d'autres difficultés concernent la question de savoir qui pourrait revendiquer la souveraineté sur le territoire que constituerait l'édifice et ses eaux environnantes dans l'hypothèse où celui-ci en viendrait à émerger. Sur cette question, le droit international est tout sauf clair et figé, et je renvoie sur ce point à l'article de référence de l'un de mes collègues, Sébastien Touzé (ici: https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2006_num_52_1_3940) "
Sources: Robin Lacassin/IPGP; mission MAYOBS; Olivier Dupéré/Université de la Réunion
* le dyke prend alors le nom de "cheminée volcanique"
** qui bien plus vaste que les deux îles, qui ne constituent que le sommet
de l'édifice en réalité, la seule fraction qui sorte de l'eau
*** ça se saurait vu qu'il doit y en avoir en très fréquemment sur les rides océaniques.
Salut CV,
RépondreSupprimerL'étude est vraiment intéressante, d'autant plus qu’ils ont réussi à monter une mission pendant les événements. Personnellement, cette preuve d’un volcanisme actif à Mayotte me ravit, sur cette magnifique île que beaucoup voyait éteinte (bien que les datations les plus récentes – fiables ? – donnent 7000 ans)…
Toutefois, et comme tu le soulèves, de nombreuses questions restent en suspens. J’ajoute par exemple que la sismicité est assez importante pour une éruption en cours. Il y a des gros événements et ce, encore récemment. Ceci n’est pas vraiment concordant avec une activité volcanique stable et est sans doute à rapprocher de modifications « tectoniques » en lien avec cette activité.
Par ailleurs, la déformation enregistrée sur l’île de Mayotte est vraiment étonnante (déplacement vers l’est d’une quinzaine de cm et subsidence de 10 cm environ en 10 mois) ! La source de dépressurisation est localisée à 30-40 km à l’est de Mayotte et 30 km de profondeur… Dans le bulletin mensuel de l’OVPF, ils précisent que cette source est localisée dans le secteur des événements sismiques, mais comme tu le remarques, cela ne semble pas le même que l’essaim entre 5 et 15 km au large des côtes… C’est un peu le bazar et c’est dommage car si on avait une carte de tout ça, on pourrait déjà affiner un peu les hypothèses…
Merci en tout cas pour l’article !
Salut Ludovic! Oui: c'est un peu le bazar, déjà du fait qu'il s'agit de résultats préliminaires. La source de déflation profonde est vraiment un truc étonnant. Comment interpréter? Un réservoir profond qui produit un dyke qui se dirige vers l'ouest puis, arrivé plus près de la surface, qui bifurque vers l'est pour sortir 40 km plus loin? Ça parait étrange....Il faut attendre plus de précisions mais l'article de Lemoine et al semble intéressant (pas encore eu le temps de le lire dans le détail). Il pourrait aussi s’agir d'une sismicité liée à la déflation: l'île est attirée vers l'est et le bas (en direction du réservoir qui se dégonfle): peut-être que ça fracture pour ça? Lemoine et al indiquent un dyke éruptif à l'aplomb du réservoir (grosso modo) ce qui est quand même plus logique. Le volume émis est estimé à 2 km3 (résultat de modélisations, pas de données bathymétriques) ce qui, pour le coup, ferait du nouveau volcan un édifice déjà présent avant l'éruption....donc cette éruption ne serait pas la première dans le secteur mais les autres seraient passées inaperçues. Faut dire qu'avec 3500m d'eau, pas grande chose ne remonte!
SupprimerFranchement: c'est pas cool quand même cette situation?! Une éruption effusive majeure, car est elles est du gabarit d'Holurhaun sans problèmes, au moins!
Aller: @+!
CV
Carrément cool oui ! Ça reste toujours un peu frustrant de ne pouvoir en savoir plus mais bon... normal !
SupprimerQue ça soit un volcan inconnu ne m'étonne que moyennement. Il y a quelques îles volcaniques dans le secteur, actif pour certaines, donc pourquoi pas des guyots !? Si ça peut apporter une autre info pour caractériser l'origine de ce volcanisme, ça peut être intéressant...
Tiens j'y pense, outre le nom de cet édifice, l'inscrit-on comme un volcan français ? Ah ah !
Et bien figure toi que je me suis aussi posé la question!!! J'ai cherché la limite des eaux internationales: elles semblent assez étendues à l'est donc je suppose que oui: on reste à priori sur une surface gérée par la France. Mais je suppose qu'il y a aussi une notion de profondeur: la gestion se fait-elle sur tout la colonne d'eau où sur un épaisseur précise en-dessous de laquelle la zone devient internationale? Je suis pas trop au fait de ce type de législation maritime.
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