Tiens, un article dans le titre duquel les mots "volcan" ou "volcanisme" n'apparaissent pas? Ça peux paraitre étrange mais il y a un lien avec ce blog: un post que j'ai publié en 2016 concernant le séisme de Kumamoto et la fracturation associée. Fracturation qui, d'après les auteurs de l'étude aurait été stoppée par la chambre magmatique de l'Aso (ah, voilà le lien avec le volcanisme, donc.). Et si vous ne connaissez pas cette histoire je vous conseille de lire le post que j'avais rédigé (ou l'article de Lin et al si vous préférez).
Cette étude a été remise en cause le 26 mars 2019 et l'Université de Kyoto, où travail le professeur Lin, a indiqué qu'un panel d'experts l'a déclarée frauduleuse sur plusieurs points. Cette situation est décryptée par Ross Stein, géophysicien spécialiste de tectonique, en particulier les transferts de contraintes mécaniques. Il est membre de l'American Geophysical Union (AGU), président de la section de tectonophysique: on peux dire de lui qu'il connait son sujet donc!
En aparte
La soumission d'un article scientifique fait l’objet d'une évaluation par un comité composé d'experts issus de différentes universités: ce sont les pairs. La revue par les pairs (peer review) est un mécanisme qui a pour but d'éviter les abus, transformations, désinformations, falsifications, ou simples erreurs pouvant conduire à mettre en doute les conclusions de l'article. Bref, le but est d'empêcher les fakes pure jus.
La Science, dont l'objet n'est pas de dire la vérité mais de comprendre la réalité (chacun a sa vérité mais la réalité s'applique à tous et partout), se nourrit donc à la fois:
- d'idées et de travail individuel, des compétences diverses que chaque chercheur, de par son cursus, acquiert avec le temps, mais aussi
- de la mise en commun des connaissances et compétences, par la lecture critique du travail produit.
- d'idées et de travail individuel, des compétences diverses que chaque chercheur, de par son cursus, acquiert avec le temps, mais aussi
- de la mise en commun des connaissances et compétences, par la lecture critique du travail produit.
Ce travail à deux échelles, individuelle et en équipe(s) pluridisciplinaire(s), est un atout majeur de la recherche en Science.
Fin de l'aparte
Et les conclusions du comité d'évaluation ne sont pas drôles du tout pour l'auteur principal (A.Lin) accusé d'avoir mal localisé et mal interprété, des données pour lui permettre d'arriver à la conclusion qu'il était possible que la fracturation ait été stoppée par la chambre magmatique. Cete accusion étant aggravéd par le fait que le comité d'experts a acquis la certitude qu'il s'agissait d'erreurs volontaires, intentonelles, caractérisant la fraude.
Ceci dit, l'accusation est pire pour l'autre auteur (dont je n'avais pas fait de relai dans mon article, n'ayant pas croisé son travail notamment) puisqu'il a été carrément accusé d'avoir fabriqué des données, en l'occurence des sismogrammes. Ross Stein indique que le chercheur, de l'Université d'Osaka en question a donné sa démission....puis est mort (je suppose qu'il s'agit d'un suicide, l'affaire est donc humainement dramatique en plus d'être scientifiquement grave).
Il
s'agit de faits importants et puisque j'ai relayé les informations de cet
article, il est essentiel que j'en fasse passer aussi les arguments
contradictoires.
Je ne suis pas un expert de ces questions, le rôle que j'ai endossé depuis bientôt une vingtaine d'années, après la fin de mon cursus universitaire en Géologie, magmatologie/volcanologie, est plutôt celui de transmetteur. Je me base donc certes sur mes connaissances, acquises puis développées au cours de mes lectures d'articles spécialisés pour tenter de comprendre le contenu d'articles tels que ceux de A.Lin, puis tenter de vous en faire passer l'essentiel.
Mais à moins d'être expert, ou un groupe d'experts réunis, il n'est pas possible de remettre en doute le contenu au moment de la lecture, ne serait-ce que parce qu'il faut, à minima, avoir accès aux données afin de les traiter et de les interpréter à son tour.
De quoi est accusé Mr Lin et ses collègues?
Pour l'essentiel, l'accusation porte sur la distorsion de la réalité avec, évidemment, la question de savoir s'il s'agit d'un acte volontaire ou non. Les experts on déclaré la fraude parce qu'ils ont un ensemble assez conséquence d'arguments pour justifier que les mauvais résultats ne peuvent pas tous s'expliquer par des erreurs humaines involontaires. A. Lin se défend en expliquant que tout ça résulte d'une mauvaise maitrise des logiciels qui ont servi à localiser les épicentres, les failles, générer les figures etc.
En fait les experts, en reprenant les données et en se basant sur des résultats de recherches ultérieurs, ont pu constater que les figures de Lin et al étaient fausses sur plusieurs points.
Tout d'abord, le modèle 3D sur lequel sont plaquées certaines données est faux. En effet les experts ont pu constater que l'image avait été déformé verticalement et horizontalement pour faire coller les données aux conclusions. Une fois remise aux bonnes dimensions, les contours de la caldera sont déplacé de plusieurs kilomètres par rapport à la réalité, certaines failles cartographiées à la limite la caldera se retrouvent alors clairement en dehors, et la localisation de plusieurs autres site (6-7-8-9-10) bouge de manière significative aussi.
En haut le schéma de Lin et al, en bas, le contour de la caldera de Lin et al comparé à la réalité: le décalage est flagrant. Image extraite de l'article de Ross Stein (lien dans les sources) |
À propos des failles, j'expliquais dans l'article qu'il y avait eu, en gros, deux séries de fractures visibles en surface: failles horizontales dextres (mouvement vers la droite) hors de la caldera, failles normales dans la caldera. Et pour le coup Les failles existent bien dans la caldera: je les avaient trouvées et en avait fait un jeu (qui n'est pas remis en cause, en l'occurence).
À la lecture de l'article de Ross Stein dans Temblor j'ai tout de suite tiqué sur le fait qu'un des arguments du comité était de dire que la fracturation s'était arrêtée en dehors de la caldera alors même que j'avais pu, par moi-même, constater leur présence dans celle-ci grâce à Google Earth.
J'ai fait part de mon étonnement à Mr Stein, précisant que ma démarche ne visait ni à défendre A.Lin ni à remettre en cause les conclusions du comité. J'ai eu le plaisir de recevoir rapidement une réponse de Mr Stein qui m'a ainsi expliqué que d'autres études ultérieures, réalisées par d'autres équipes avaient cartographié et étudié la fracturation dans le détail, précisant que les fractures situées dans la caldera avaient été produites lors de phénomènes de liquéfaction des sols, raison pour laquelle ils s'agissait essentiellement de fracturation très superficielle, sans lien avec la fracturation principale, profonde, cause du séisme principal et de ces répliques. Et cela peut expliquer pour quelle raison, dans la caldera, il y a de nombreuses remontées d'eau le long des fracturations.
L'étude A.Lin et al se basait par ailleurs sur un modèle (Koketsu et al, 2016) qui quantifiait, à partir des sismogrammes, les déplacements subies par les roches lors de la rupture, modèle qui permettait de penser, par exemple, que certaines portions du plan de faille avaient bougé de plusieurs mètres.
Le problème c'est que visiblement, dans l'article de Lin et al, l'image de ce modèle avait aussi été déformée, décalant ainsi l'hypocentre (point de départ, souterrain, de la rupture), d'environ 5 km! Difficile en effet de penser que l'erreur fut involontaire.
Enfin, Lin et al ont, dans leur publication, décrit la sismicité le long de diverses sections longues de 20 km et profondes de 30 km, afin d'y marquer la répartition des secousses.
Ces sections étaient positionnées sur une cartes du sud-ouest au nord-est, et les plus au nord-est étaient clairement faites à travers la caldera (tracé blanc sur l'image ci-dessous).
Or les experts ont constaté que ces coupes n'étaient pas du tout correctement positionnées, et étaient en réalité toutes hors de la caldera (rectangles rouges sur l'image ci-dessous).
Cela correspond à une rotation de l'axe des coupes d'environ 30° vers l'ouest, et un décalage géographique de 10 km. Là encore, difficile de croire à l'erreur de manipulation de logiciel.
À la lecture de l'article de Ross Stein dans Temblor j'ai tout de suite tiqué sur le fait qu'un des arguments du comité était de dire que la fracturation s'était arrêtée en dehors de la caldera alors même que j'avais pu, par moi-même, constater leur présence dans celle-ci grâce à Google Earth.
J'ai fait part de mon étonnement à Mr Stein, précisant que ma démarche ne visait ni à défendre A.Lin ni à remettre en cause les conclusions du comité. J'ai eu le plaisir de recevoir rapidement une réponse de Mr Stein qui m'a ainsi expliqué que d'autres études ultérieures, réalisées par d'autres équipes avaient cartographié et étudié la fracturation dans le détail, précisant que les fractures situées dans la caldera avaient été produites lors de phénomènes de liquéfaction des sols, raison pour laquelle ils s'agissait essentiellement de fracturation très superficielle, sans lien avec la fracturation principale, profonde, cause du séisme principal et de ces répliques. Et cela peut expliquer pour quelle raison, dans la caldera, il y a de nombreuses remontées d'eau le long des fracturations.
L'étude A.Lin et al se basait par ailleurs sur un modèle (Koketsu et al, 2016) qui quantifiait, à partir des sismogrammes, les déplacements subies par les roches lors de la rupture, modèle qui permettait de penser, par exemple, que certaines portions du plan de faille avaient bougé de plusieurs mètres.
Le problème c'est que visiblement, dans l'article de Lin et al, l'image de ce modèle avait aussi été déformée, décalant ainsi l'hypocentre (point de départ, souterrain, de la rupture), d'environ 5 km! Difficile en effet de penser que l'erreur fut involontaire.
Enfin, Lin et al ont, dans leur publication, décrit la sismicité le long de diverses sections longues de 20 km et profondes de 30 km, afin d'y marquer la répartition des secousses.
Ces sections étaient positionnées sur une cartes du sud-ouest au nord-est, et les plus au nord-est étaient clairement faites à travers la caldera (tracé blanc sur l'image ci-dessous).
Or les experts ont constaté que ces coupes n'étaient pas du tout correctement positionnées, et étaient en réalité toutes hors de la caldera (rectangles rouges sur l'image ci-dessous).
Cela correspond à une rotation de l'axe des coupes d'environ 30° vers l'ouest, et un décalage géographique de 10 km. Là encore, difficile de croire à l'erreur de manipulation de logiciel.
Alors que faut-il, à notre niveau, conclure de ça? Le premier réflexe, à chaud, serait de dire "mais alors cette histoire de chambre magmatique qui stoppe une faille, c'est du pipeau!".
Pas du tout.
La première chose c'est qu'en Sciences comme ailleurs, la fraude existe. Pour l'heure je ne sais pas, dans le cas de Mr Lin, si elle a été actée/prouvée sans conteste, et quelles ont été les conséquences pour ce chercheur. Mais les articles publiés suite à une relecture par les pairs sont ceux pour lesquels la fraude est la moins possible. Vous ne voulez pas de la fake news, de l'idée reçue à tout vas, de l’intuition à la place de la réalité? Ne lisez que des revues à comité de lecture par les pairs.
Et surtout, comme il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, cette affaire ne remet pas en cause l'hypothèse* qu'une chambre magmatique peut arrêter la propagation d'une faille. Elle indique que, contrairement à ce qu'à voulu faire croire Lin et al, ce n'est pas la secousse de Kumamoto-2016 et le volcan Aso qui peuvent valider cette hypothèse.
Conclusion: l'hypothèse reste posée mais on attend toujours une situation favorable et des études valides, publiées sur à la relecture par les pairs, qui montreront clairement que c'est possible.
La seule chose qui me fait poser question c'est: pourquoi l'article a-t-il été publié à l'époque dans Science si l’expertise n'avait pas encore eu lieu?
Et là, si des chercheurs lecteurs du blog peuvent nous éclairer sur les arcanes des revues de publication, je vous laisse la zone de commentaire pour nous éclairer: votre expertise est la bienvenue.
Finalement, de mon post de l'époque, je ne retiendrait que le petit jeu géologique que j'avais proposé. Parce que, pur le coup, que l'origine de la fracturation soit profonde (faille) ou superficiel (liquéfaction), le mouvement des divers fractures peut toujours être décrit comme normal/inverse/décrochant dextre (droite) ou senestre (gauche)
Source: Ross S. Stein (2019), Scientific fraud announced in two studies of the 2016 M=7.0 Kumamoto, Japan, earthquake, Temblor, http://doi.org/10.32858/temblor.018
* proposition de départ à laquelle la recherche doit répondre par vrai ou faux
Pas du tout.
La première chose c'est qu'en Sciences comme ailleurs, la fraude existe. Pour l'heure je ne sais pas, dans le cas de Mr Lin, si elle a été actée/prouvée sans conteste, et quelles ont été les conséquences pour ce chercheur. Mais les articles publiés suite à une relecture par les pairs sont ceux pour lesquels la fraude est la moins possible. Vous ne voulez pas de la fake news, de l'idée reçue à tout vas, de l’intuition à la place de la réalité? Ne lisez que des revues à comité de lecture par les pairs.
Et surtout, comme il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, cette affaire ne remet pas en cause l'hypothèse* qu'une chambre magmatique peut arrêter la propagation d'une faille. Elle indique que, contrairement à ce qu'à voulu faire croire Lin et al, ce n'est pas la secousse de Kumamoto-2016 et le volcan Aso qui peuvent valider cette hypothèse.
Conclusion: l'hypothèse reste posée mais on attend toujours une situation favorable et des études valides, publiées sur à la relecture par les pairs, qui montreront clairement que c'est possible.
La seule chose qui me fait poser question c'est: pourquoi l'article a-t-il été publié à l'époque dans Science si l’expertise n'avait pas encore eu lieu?
Et là, si des chercheurs lecteurs du blog peuvent nous éclairer sur les arcanes des revues de publication, je vous laisse la zone de commentaire pour nous éclairer: votre expertise est la bienvenue.
Finalement, de mon post de l'époque, je ne retiendrait que le petit jeu géologique que j'avais proposé. Parce que, pur le coup, que l'origine de la fracturation soit profonde (faille) ou superficiel (liquéfaction), le mouvement des divers fractures peut toujours être décrit comme normal/inverse/décrochant dextre (droite) ou senestre (gauche)
Source: Ross S. Stein (2019), Scientific fraud announced in two studies of the 2016 M=7.0 Kumamoto, Japan, earthquake, Temblor, http://doi.org/10.32858/temblor.018
* proposition de départ à laquelle la recherche doit répondre par vrai ou faux
Essai d'explication de la publication d'un travail contestable dans Science : les revues dans le genre Nature ont un facteur d'impact élevé, nombre magique qui conditionne autant les carrières scientifiques (une découverte géniale ne vaut rien, et ne rapporte rien à son auteur, si elle est publiée dans la revue des amis de la station de Roscoff)que la quantité de publicités publiées dans les pages de la revue. Et plus on insère de publicités, plus on ramasse de sous, et c'est bon pour le conseil d'administration. Le facteur d'impact se mesure au nombre de fois où la revue est citée, et l'on fait tout pour le garder aussi élevé que possible. Un bon moyen d'être beaucoup cité, c'est de publier des articles sensationnels. Parfois on n'est pas trop regardants, comme je l'ai moi-même constaté dans l'article sur la brebis Dolly (où une même photo de culture de cellule exactement a été présentée avec deux légendes différentes) ou sur la contamination du maïs d'Oaxaca (où certaines photos d'électrophorèses n'auraient pas été acceptées dans un mémoire de DEA)... mais être regardants, c'est risquer de perdre du temps ou pire, de voir les auteurs se tourner vers une autre revue. Parfois, ce n'est pas grave (Dolly a réellement été clonée, le maïs d'Oaxaca a réellement été contaminé), parfois ça dérape.
RépondreSupprimerBref, le facteur d'impact fonctionne comme l'audimat. La revue bien cotée fournit du temps de cerveau scientifique disponible pour Hewlett Packart ou Merck-Millipore plutôt que Danone, mais c'est dans l'idée.
Pairs au lieu de paires 😉 dans aparte
RépondreSupprimerBonjour Jardinero.
SupprimerC'était pour faire référence aux 2 articles rejetés................comme excuse, ça passe ou c'est trop voyant? :)
Merci d'avoir relevé l'erreure: elle est corrigée!
Bon week-end
CV