7 avril 2019

L'hypothèse "ferrovolcanisme" à l'épreuve de (16)Psyche

(16)Psyche, qui fait référence au personnage humain de la mythologie grecque déïfié lors de son mariage avec Eros, est un corps de la ceinture d’astéroïde, située entre Mars et Jupiter. Il est assez imposant, d'un diamètre estimé entre 180 et 250 km et est considéré comme le reste d'une petite planète. Plus précisément un fragment de noyau, car il est composé essentiellement de métaux, un alliage de fer et nickel. Toutefois la composition de (16)Psyche n'est pas connue avec précision et n'est déduite que d'éléments d'astrophysique (déduction de sa masse via l'étude fine de sa trajectoire) et  d'analyse de la lumière réfléchie par sa surface. Une mission de la NASA,validée en 2017, a pour objectif d'aller explorer (16)Psyche afin d'en apprendre plus. C'est dans le cadre de la préparation de cette mission qu'a émergé l'hypothèse ferrovolcanisme.
Car pour préparer une telle mission, choisir les instruments, les objectifs scientifiques etc, il ne faut pas partir les poches vides. Et les observations faites depuis la Terre posent des questions sur de nombreux sujets, ne serait-ce que la forme et les dimensions exactes de l'objet, et bien entendu sa composition et sa structure (homogène ou différenciée en plusieurs couchent de roches séparées?). L'ensemble des questions vise à toujours mieux comprendre la formation des planètes, du système solaire d'abords mais avec possibilité d'avoir des pistes pour la formation dans d'autres systèmes solaires. Car les astéroïdes métalliques sont des fragments des planétésimaux, proto-planètes qui, au cours de leur croissance aux tous débuts du système solaire, dans la nébuleuse qui l'a formé, ont été percutés violemment et ont volé en éclats. Elles sont les restes de corps dont l'accès au stade planète a été interrompu brutalement et, de ce fait, donnent des indices sur les mécanismes en cours au moment de cette étape fondatrice, dite "d'accrétion".

En ce qui concerne (16)Psyche la taille relativement importante suggère dès le départ qu'il s'agit d'un fragment d'une petite planète et sa composition essentiellement métallique correspond donc à un fragment de noyau. Toutefois la densité estimée (à distance donc avec une marge d’erreur et qui varie selon les modèles et les méthodes de mesure) se situe autour de 4160+-640 kg/m3, donc plutôt dans la fourchette basse pour un corps uniquement issu d'un noyau.
Cela peut s'expliquer de plusieurs manières rappellent B.C.Johnson et ses collèges dans un court article publié suite à la 50ème Lunar and Planetary Science Conference à Houston (USA):

- Il peut s'agir d'un corps partiellement vésiculé, comme une scorie volcanique par exemple. Cela peut se produire l'un d'une collision puisque des fragments initialement à plusieurs dizaines voire centaines de kilomètres de profondeur dans le planétésimal, donc à très haute pression, se retrouvent brusquement dépressurisés au moment de la collision/fracturation du corps céleste, ce qui permet le passage rapide des fluides dissouts à l'état gazeux, donc la vésiculation.

- La composition chimique elle-même peut-être responsable de cette faible densité, s'il y a plus de silicates que prévu mélangé aux métaux, car les silicates sont bien moins denses que ces derniers. Dans cette hypothèse, (16)Psyche pourrait être une source des mésosidérites qui chutent parfois sur Terre. 

- Les chercheurs proposent aussi une troisième piste: le ferrovolcanisme. À savoir l'émission à la surface du corps, et après son éjection par la collision,  d'un magma essentiellement métallique issue de la partie interne encore liquide. Si cette hypothèse devait être approuvé, je tiens immédiatement à préciser que ce type de volcanisme n'a pu exister que pendant quelques milliers ou dizaines de milliers d'années suite à la collision: plus aucune activité n'est possible aujourd'hui, le corps ayant achevé depuis longtemps son refroidissement et donc sa cristallisation.

Mais comment expliquer une telle activité volcanique basée sur des émissions de roches métalliques? Lors de la 50ème Lunar and Planetary Science Conference, fin mars 2019 , deux modèles ont été présentés.

1- Le modèle dendritique

Alors du coup se pose forcément la question: c'est quoi une dendrite? Le terme vient du grec Dendron qui signifie "arbre. Le terme d'écrit aujourd'hui une structure ramifiée. En biologie, on le trouve pour décrire l’extrémité ramifiée d'un neurone par exemple. En géologie, on l'utilise pour parler de  la forme de certains cristaux et c'est donc plutôt dans ce cadre là que le modèle dendritique trouve sa signification.

Ce modèle de cristallisation d'un corps celeste initialement liquide a été initialement proposé au début des années 90. Il s'agit d'abord d'un modèle mathématique basé sur plusieurs types de recherches, en particulier la cristallographie (conditions pour la croissance des cristaux) et la géochimie (analyse de la composition d'un corps et de son évolution à différentes températures et pressions). Les données récoltées, traduites en modèles mathématiques, sont ensuite appliqués aux corps célestes métalliques pour tenter de comprendre leur mode de refroidissement. Et les modèles sont d'autant plus précis que la composition de départ est proche de la réalité mais pour l'heure, je vous le disait plus haut, la composition précise d'un corps comme (16)Psyche n'est pas connue, et le modèle présenté n'est qu'un point de départ. Ce que l'on sait, c'est qu'un mélange de Fer-Nickel et Soufre en moindre quantité semble dominer, même si des silicates peuvent être présents en plus ou moins grande quantité (tout dépend d'où le fragment devenu astéroïde a été prélevé lors de la collision, noyau, interface noyau-manteau, manteau seul etc)


Lorsque le planétésimal est pulvérisé par la collision des fragments de sa partie interne (noyau et zone proche du noyau) se retrouvent libérés brusquement dans l'espace. Ils passent de conditions de très haute pression et très haute température, à des pressions plus faibles et entament un refroidissement accéléré.
Mais un corps d'environ 200 km de diamètre tel (16)Psyche a un stock de chaleur suffisant pour que son refroidissement ne soit pas instantané, et seule sa surface se solidifie rapidement après la collision: l'intérieur se refroidit plus lentementet demeure liquide un moment, jusqu'à plusieurs millions d'années.
Dans le modèle dendritique, le corps céleste se solidifie de l'extérieur vers l'intérieur et sous la croûte solide se forment des cristaux fait essentiellement d'un alliage Fer-Nickel. Il faut donc imaginer des dendrites, similaires aux branches de flocons de neige, qui poussent sous la croûte en direction du centre encore liquide de la météorite. C'est ce qui est représenté en bas à droite sur l'ensemble de schémas ci-dessous.

4 modèles possibles pour le refroidissement d'un planetesimal; le modèle dendritique est en bas à droite. Image extraite de A. Scheinberg et al, 2015, JGR:planets


Au cours de la cristallisation des dendrites, composées de Fer et Nickel, le Soufre est exclu et se concentre à proximité, formant des poches d'un alliage métallique enrichi en Soufre. Mais comme il est moins dense, ce liquide métallique, soufré monte et s'accumule juste sous la croûte solide. Le principe est équivalent à ce qui se passe sur Terre pour la migration du magma, formé dans le manteau, mais souvent coincé en base de croûte. La différence fondamentale avec la Terre se situe au niveau du mécanisme de formation de ce magma. Là c'est un liquide qui s'extrait d'un liquide, alors que sur Terre, le liquide magmatique s'extrait d'un solide, qui fond dans des circonstances particulières.

Et d'après les calculs menés par B.C.Johnson et ses collèges, une poche (que nous appellerions sur Terre "chambre magmatique") d'environ 10 km de diamètre de ce liquide métallique riche en Fer, Nickel et Soufre exerce une poussée suffisante pour fracturer la croûte, la traverser, et faire éruption à la surface!
Et ce type d'activité volcanique peut se faire y compris pour un petit corps qui, suite à son expulsion, connait une différentiation, c'est-à-dire une séparation des silicates, qui sont moins denses et s'accumulent à la surface pour former un manteau (très fin dans ce cas de figure), et des métaux plus denses qui forment l'intérieur de l'astéroïde.

2- le modèle "contractif" (je met des guillemets parce qu'il n'a pas de nom, en fait)

Comme son nom l'indique, ce modèle explique qu'un ferrovolcanisme est possible, envisageable pour un corps métallique qui se refroidit et se contracte. Il a été présenté lors de la même conférence à Houston fin mars 2019 par l'équipe de J.N.H.Abrahams, de l'Université de Californie Santa Cruz.

Ici les chercheurs partent du principe que lors de la collision, le fragment métallique issu du noyau de la planète détruite est liquide. Sa surface se refroidit et forme une croûte mais, ce faisant, elle devient plus dense que la fraction liquide qui se trouve en dessous.
Mais ce refroidissement d'un corps depuis l'extérieur n'est pas vraiment favorable aux éruptions. En effet, bien que la croûte soit dense et exerce une pression, le refroidissement se traduit par une contraction de la croûte. Or, dans cet environnement, la compression est une contrainte dominante, qui a plutôt tendance à fermer les roches, donc bloquer des passages et empêcher la matière liquide située en-dessous de s'échapper (= faire éruption).
Mais à l'inverse la contraction traduit une baisse de volume qui se fait par l'extérieur et elle provoque donc une mise en pression de l'intérieur, en plus de la densité de la croûte de surface qui appuie aussi. Par ailleurs les corps célestes sont des mélanges de différents composants, et des fluides dissouts (riches en Soufre par exemple) sont présents et peuvent exercer aussi une pression interne.

Donc l'éruption peut avoir lieu si la pression de la partie interne liquide est suffisamment importante pour vaincre la compression superficielle due à la contraction, et ainsi s'ouvrir un passage, une fracture jusqu'à la surface.

Les chercheurs ont pu identifier au moins deux situations où cela devient possible.

- lorsque la croûte n'est pas encore trop épaisse, elle reste fragile et la contraction est alors relativement facile à vaincre. La compression va en effet occasionner la formation de fractures, des failles dites "inverses", et la contrainte compressive est relâchée et peut localement devenir plus faible que la poussée du liquide situé en-dessous. Ce dernier s'ouvre alors un chemin à travers la croûte, sorte, libère la pression interne...qui redevient plus faible que la compression. Le chemin se referme (fin de l'éruption) et il faut attendre une autre fracturation.

- lorsque la croûte est plus épaisse il faut un coup de pouce. Il peut s’agir d'une collision avec un autre astéroïde, qui peut générer une surpression, ou alors un phénomène, que l'on soupçonne aussi sur Terre dans certains cas de figure au cours de collision des continents: la délamination.

Il s'agit du détachement d'une part importante de la base de la croûte, qui va littéralement se déchirer et couler du fait de sa densité. Le rebond isostatique** que cela provoque peut générer localement une extension, et le liquide sous pression peut alors fracturer le reste de croûte jusqu'à la surface.

Le principe du ferrovolcanisme au cours de la contraction d'un corps en cours de refroidissement.  L4intérieur est liquide, la croûte est solide.
Cependant les conditions pour qu'un tel volcanisme ait pu exister sont limitées et, de fait, les chercheurs estiment qu'il n'a pu produire qu'un volume de matériaux extrêmement faible.

Pour ma part je serais assez curieux de savoir si au moment où la croûte superficielle est fine et fragile, des phénomènes de subduction n'auraient pas eu lieu, un peu comme à la surface des lacs de magma type Nyiragongo etc.

En tout cas, i lfaut être clair: nul ne sait pour le moment si ce type de phénomène a existé, et ces deux modèles tentent en fait d'expliquer des caractéristiques chimiques, minéralogiques et pétrographiques de météorites trouvées sur Terre, telles que les mésosidérites et les pallasites, et dont le mode de formation n'est pas encore franchement élucidé.

En conclusion de leur modèle les chercheurs ont ainsi posé des hypothèses complémentaires sur ce qui devrait être observé, en terme de textures des roches, de caractéristiques magnétiques*** ou chimiques/pétrographiques sur un astéroïde métallique ou partiellement métallique comme (16)Psyche. Ce dernier devient donc une zone de test pour cette hypothèse ferrovolcanisme, et ses modalités de son occurrence à l'aube du système solaire. Et c'est à partir de là que peuvent être élaborées et sélectionnées les expériences et instruments (magnétomètres, caméras, laser ou autres) embarqué sur la mission. Décollage du module appelé "Psyché" prévu en 2023, mise en orbite en 2030, dans le cadre du programme Discovery de la NASA.


Sources:
"Core solidification and dynamo evolution in a mantle-stripped planetesimal"; in JGR:Planets; 2015; A. Scheinberg et al
"Ferrovolcanism, pallasites and Psyche"; 50th Lunar and Planetary Science Conference 2019 (LPI Contrib.No.2132); B.C.Johnson et al; 2019
"Ferrovolcanism: Iron volcanism on metallic asteroids"; 50th Lunar and Planetary Science Conference 2019 (LPI Contrib.No.2132); J.N.H.Abrahams et al; 2019



* d'où le mot "dendrochronologie" pour l'étude de l'âge des arbres via leurs cernes.

**  vous maintenez un ballon sous l'eau, vous lâchez le ballon et vous avez une idée du phénomène...mais ça va pas à la même vitesse heureusement!

*** car un objet métallique avec une partie liquide, même petit, produit un champ magnétique qui varie dans le temps, du fait des courants de métaux liquides (convection) ou solide (rotation de l'astéroïde etc). Lors d'une éruption, la roche en surface se refroidit vite et en se figeant fixe les caractéristiques du champ magnétique du moment. Le champ magnétique globale change avec le temps, sauf dans les roches volcaniques figées. Donc si une sonde détecte des zones où le champ local, à la surface, est différent du champ magnétique globale du corps céleste, cela peut signifier que la zone en question est faite de roches volcaniques métalliques.

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