C'est un article assez incroyable qui vient de paraitre dans la revue Science, publié par une équipe de chercheurs Japonais, emmenée par A.Lin du département de Géophysique de l'Université de Kyoto. Il traite de la relation entre le tremblement de Terre dit "de Kumamoto"* de magnitude 7.1, en avril dernier, la fracturation associée, et le volcan Aso, qui se trouve sur le parcours de cette rupture.
Cette relation Seismes-Volcans avait déjà été évoquée cette année mais "à l'envers" d'une certaine manière: un tremblement de Terre peut-il perturber l'activité d'un volcan, voire déclencher une éruption? Une petite émission de cendres avait en effet été observée sur le cône Nakadake (cône actif de l'Aso) peu après le séisme de Kumamoto. Ayant déjà un peu développé le sujet, je n'y reviendrais pas ici, mais vais regarder de plus près ce qu'ont découverts les chercheurs Japonais concernant l'interaction séisme/volcan.
Tout d'abords, deux choses à préciser:
- à petite échelle, de l'ordre du mètre ou de la dizaine/centaine de mètres, en effet on peut voir UNE faille sur le terrain, que l'on peut décrire, observer, analyser. Mais elle fait toujours partie d'un ensemble d'autres failles similaires, qui s'exprime à l'échelle du kilomètre ou de la dizaine/centaine de kilomètres et c'est souvent cet ensemble qui est désigné dans le langage courant sous le terme "faille" ("La faille de Limagne", pour prendre un exemple qui me concerne puisque je vis à proximité immédiate).
- le séisme de Kumamoto ne désigne pas une secousse unique, comme le suggère le singulier, mais toute une séquence qui s'est déroulée en avril. Elle a débuté dès le 14 avec plusieurs séismes dits "précurseurs", puis la secousse principale de magnitude 7.1 le 16, et enfin d'autres secousses assez fortes au cours des 6 heures qui ont suivi la principale. C'est elle, qui s'est produite à l'aplomb de la ville de Kumamoto, qui a donné son nom à toute la séquence.
Tout d'abords, deux choses à préciser:
- à petite échelle, de l'ordre du mètre ou de la dizaine/centaine de mètres, en effet on peut voir UNE faille sur le terrain, que l'on peut décrire, observer, analyser. Mais elle fait toujours partie d'un ensemble d'autres failles similaires, qui s'exprime à l'échelle du kilomètre ou de la dizaine/centaine de kilomètres et c'est souvent cet ensemble qui est désigné dans le langage courant sous le terme "faille" ("La faille de Limagne", pour prendre un exemple qui me concerne puisque je vis à proximité immédiate).
- le séisme de Kumamoto ne désigne pas une secousse unique, comme le suggère le singulier, mais toute une séquence qui s'est déroulée en avril. Elle a débuté dès le 14 avec plusieurs séismes dits "précurseurs", puis la secousse principale de magnitude 7.1 le 16, et enfin d'autres secousses assez fortes au cours des 6 heures qui ont suivi la principale. C'est elle, qui s'est produite à l'aplomb de la ville de Kumamoto, qui a donné son nom à toute la séquence.
Maintenant que ces précisions sont faites, regardons en quoi cet article fraichement publié est intéressant. Le travail effectué par l'équipe Japonaise ne porte pas tant sur les caractéristiques de cette secousse que sur le rôle joué par l'Aso, imposante caldera d'une vingtaine de kilomètres de diamètre, dans la propagation de la zone de fracturation produite au cours de ce séisme.
En surface cette rupture est une véritable déchirure de la croûte terrestre qui s'est produite sur une longueur d'une quarantaine de kilomètres, à partir de la ville de Kumamoto jusqu'à la caldera d'Aso, dont tout le tiers nord a été littéralement tranché par l'ouverture de failles diverses.
Le lendemain du séisme l'équipe s'est rendue sur place pour faire des relevés de terrain, tout le long de la rupture. Ils ont ainsi pu déterminer que la zone qui a bougé correspond pour l'essentiel à un jeu de failles déjà connu, dit d'Hinagu-Futagawa (Hinagu–Futagawa Fault Zone, ou HFFZ). Toutefois certaines portions, en particulier au niveau de la caldera d'Aso, ne portaient pas de traces de failles antérieures à la secousses de Kumamoto.
Sur la base des relevés de terrain, les géologues ont séparé la zone de rupture en trois segments: sud-ouest - centrale - nord-est, en fonction de la répartition des fractures et des mouvements de terrain observés. Chronologiquement, ce sont les portions sud-ouest et centrale qui se forment les premières, en lien avec la série de séismes précurseurs et le séisme principal (14-16 avril), alors que la portion nord-est de la fracturation est en lien avec les secousses postérieures à la principale (16 avril).
Relevé des zones fracturées depuis la ville de Kumamoto à gauche, jusque dans la caldera d'Aso (tâche rose). Image: A.Lin et al, 2016 |
Dans les portions sud-ouest et centrale le mouvement des fractures apparues à la surface fut plutôt de type décrochant dextre ( = "mouvement du terrain horizontal vers la droite"). Ce mouvement est particulièrement visible dans ce champs littéralement découpé, situé au niveau du point 4 sur la carte ci-dessus. Le décalage mesuré atteint 2.5 m à cet endroit. On peut noter que les rangées, bien rectilignes, de plantes se courbent juste avant la fracture: elles permettent de visualiser ce que l'on appelle les "crochons de faille".
Déplacement horizontal (pas de décalage vertical) dit "décrochant" du terrain, vers la droite (dextre) d'environ 2.5m sur l'image. Image: A.Lin et al, 2016 |
Dans la partie nord-est par contre, donc dans la caldera d'Aso, le mouvement du sol est différent: la plupart des failles sont de type "normales", c'est-à-dire avec un mouvement vertical plutôt qu'horizontal. Dans ce secteur les fractures sont relativement parallèles et espacées de quelques dizaines de mètres. La portion de terrain située entre chaque fracture est souvent affaissée: la structure ainsi formée se nomme "graben". Sur l'image ci-dessous, prise dans la partie nord de la caldera, cet affaissement est bien visible et fait plusieurs dizaines de centimètres, parfois près d'un mètre. La propagation de la fracturation dans la caldera est, par ailleurs, plus complexe que dans les segments sud-ouest et central: elle s'y est propagée en au moins 4 branches distinctes et c'est sur la plus septentrionale, non loin du rempart de la caldera, que se sont formés les grabens (sites 8 et 9 sur la carte).
Un graben, zone affaissée par le jeu de failles normales. Image: A.Lin et al, 2016 |
La question que se sont posés les scientifiques est la suivante: pour quelle raison les caractéristiques de la fracturation sont-elles différentes en dehors (décrochante dextre) et dans (normale) la caldera? Sur la base des signaux sismiques enregistrés et de l'analyse des fractures, ils ont tenté de déduire les déplacements qui se sont produits en sous-terrain .
Ils ont ainsi pu constater que :
- en dehors de la caldera la fracturation ("décrochante", et non "normale") suit plutôt bien le réseau de fractures d'Hinagu-Futagawa, et les fractures s'enfoncent assez profondément dans le sous-sol, sur plusieurs kilomètres. Mais à l'inverse...
-...dans la caldera, non seulement le mouvement du sol en surface est différent (failles "normales" et non "décrochantes") mais la fracturation est facilement repérable jusqu'à 2 km de profondeur...puis elle disparait progressivement et il semble que plus aucun mouvement ne se soit produit à partir de 6 km de profondeur..
Ils ont ainsi pu constater que :
- en dehors de la caldera la fracturation ("décrochante", et non "normale") suit plutôt bien le réseau de fractures d'Hinagu-Futagawa, et les fractures s'enfoncent assez profondément dans le sous-sol, sur plusieurs kilomètres. Mais à l'inverse...
-...dans la caldera, non seulement le mouvement du sol en surface est différent (failles "normales" et non "décrochantes") mais la fracturation est facilement repérable jusqu'à 2 km de profondeur...puis elle disparait progressivement et il semble que plus aucun mouvement ne se soit produit à partir de 6 km de profondeur..
Or, les données sismiques et magnétiques effectuées lors de nombreuses études précédentes avaient permis d'indiquer que deux zones à très faible vitesses sismiques sont présentes. Toutes deux sont interprétées comme des zones de stockage magmatique: l'une se trouve vers 15 km et l'autre vers 6 km de profondeur. Or cette dernière se situe à l'aplomb de l'endroit où est passée la fracturation...et aussi à la profondeur où elle disparait.
Il semble donc que non seulement:
- la présence de la chambre magmatique de l'Aso ait joué un rôle dans le fait que la fracturation, qui était au départ "décrochante dextre" hors de la caldera, se soit muée en un mouvement vertical de type "normal" dans la caldera...
- ....mais qu'en plus la fracturation ait été stoppée net, aussi bien en surface qu'en profondeur, par la présence de cette masse de magma. Elle a peut-être amorti, du fait de sa plasticité, le mouvement du sous-sol et empêché sa propagation plus à l'est.
Reste à savoir comment cette masse de magma va réagir sur le moyen-long terme. La présence des failles normales (les grabens) est interprété par l'équipe Japonaise comme la conséquence d'une pressurisation de la chambre magmatique. Par ailleurs la fracturation qui a pu se produire au-dessus de cette chambre pourrait servir de futurs conduits pour le magma qui, s'il parvenait à les emprunter, pourrait alors sortir entre l'actuel cône actif (Nakadake) et le rempart nord de la caldera, dans une zone très peuplée.
Les fractures décrites dans l'article des chercheurs Japonais sont visibles sur Google Earth. En effet une image a été faite le jour même du séisme et l'on peut, en passant un peu de temps, voir les divers dégâts que les mouvements du sol ont fait. J'ai sélectionné quelques images pour rendre compte, de manière non exhaustive, de leur diversité.
1- Glissements de terrain
Ils sont nombreux sur les remparts de la caldera, en particulier là où les fractures se sont formées. Celui de l'image ci-dessous se trouve sur le rempart ouest. Il a coupé une route importante (3 + 2 voies) et le dépôt est allé barrer l'émissaire d'un petit étang situé juste en amont, dont les dimensions (largeur-profondeur) ont ducoup rapidement augmenté de fait de la rétention d'eau par le dépôt.
2 - Mise à l'affleurement des nappes phréatiques
Suite aux secousses et mouvements de terrain associés, les nappes phréatiques semblent avoir été perturbées. A plusieurs endroits dans la caldera le sol s'est retrouvé ainsi totalement gorgé d'eau, ce qui a pu perturber la productivité agricole, très développée.
3- Destruction ou fragilisation de bâtiments
Bien sûr les mouvements du sol, que ce soit au passage des ondes (vibration) ou le terrain lui même ("décrochant", "normal") mettent les bâtiments à rude épreuve. Si je n'en ai pas trouvé vraiment beaucoup détruits dans la caldera, les dégâts semblent plus conséquents à plusieurs endroits hors de cette dernière. Par "chance" certains sont juste endommagés, mais probablement trop déformés pour continuer à être utilisés: qui voudrait vivre dans une maison fissurée?
4- Chaussées défoncées
A de nombreux endroit les routes, principales comme secondaires, sont fracturées. Cela gène évidemment la circulation et rend plus difficile d'accès certains sites. Il est tout à fait possible que des personnes hors de chez elles au moment des secousses n'aient plus pu rejoindre leur habitation le soir-même, faute de route fréquentable...Ce fut peut-être le cas pour le conducteur de la voiture visible sur l'image ci-dessous (en haut à droite), probablement bien embêté par ce pont fracturé.
Je ne peux évidemment pas montrer toutes les zones touchées, mais je vous invite à chercher par vous même sur Google Earth tout ce qui marque le passage des fractures, les dégâts occasionnés, qu'ils soient directes ou non: c'est vraiment très spectaculaire.
Comme on voit nettement sur Google Earth les fractures décrites dans l’article des chercheurs Japonais je vous propose, une fois n'est pas coutume, un petit jeu géologique pour boucler le post.
J'ai sélectionné 4 images (A, B, C et D), prisent à différents endroits dans ou hors de la caldera d'Aso: le but est d'identifier si le mouvement du sol est décrochant dextre ou normal, en précisant quels indices vous permettent de faire votre choix (il peut y avoir plusieurs types d'indices). Vos réponses sont attendues en commentaires, et je donnerais les solutions le 11 novembre.
- la présence de la chambre magmatique de l'Aso ait joué un rôle dans le fait que la fracturation, qui était au départ "décrochante dextre" hors de la caldera, se soit muée en un mouvement vertical de type "normal" dans la caldera...
- ....mais qu'en plus la fracturation ait été stoppée net, aussi bien en surface qu'en profondeur, par la présence de cette masse de magma. Elle a peut-être amorti, du fait de sa plasticité, le mouvement du sous-sol et empêché sa propagation plus à l'est.
Reste à savoir comment cette masse de magma va réagir sur le moyen-long terme. La présence des failles normales (les grabens) est interprété par l'équipe Japonaise comme la conséquence d'une pressurisation de la chambre magmatique. Par ailleurs la fracturation qui a pu se produire au-dessus de cette chambre pourrait servir de futurs conduits pour le magma qui, s'il parvenait à les emprunter, pourrait alors sortir entre l'actuel cône actif (Nakadake) et le rempart nord de la caldera, dans une zone très peuplée.
Les fractures décrites dans l'article des chercheurs Japonais sont visibles sur Google Earth. En effet une image a été faite le jour même du séisme et l'on peut, en passant un peu de temps, voir les divers dégâts que les mouvements du sol ont fait. J'ai sélectionné quelques images pour rendre compte, de manière non exhaustive, de leur diversité.
1- Glissements de terrain
Ils sont nombreux sur les remparts de la caldera, en particulier là où les fractures se sont formées. Celui de l'image ci-dessous se trouve sur le rempart ouest. Il a coupé une route importante (3 + 2 voies) et le dépôt est allé barrer l'émissaire d'un petit étang situé juste en amont, dont les dimensions (largeur-profondeur) ont ducoup rapidement augmenté de fait de la rétention d'eau par le dépôt.
Glissement de terrain sur le rempart ouest de la caldera d'Aso: la route est détruite, le cours d'eau perturbé. Images: ZENRIN/Google Earth |
2 - Mise à l'affleurement des nappes phréatiques
Suite aux secousses et mouvements de terrain associés, les nappes phréatiques semblent avoir été perturbées. A plusieurs endroits dans la caldera le sol s'est retrouvé ainsi totalement gorgé d'eau, ce qui a pu perturber la productivité agricole, très développée.
Affleurement des nappes phréatiques dans des champs fracturés. Images: ZENRIN/Google Earth |
3- Destruction ou fragilisation de bâtiments
Bien sûr les mouvements du sol, que ce soit au passage des ondes (vibration) ou le terrain lui même ("décrochant", "normal") mettent les bâtiments à rude épreuve. Si je n'en ai pas trouvé vraiment beaucoup détruits dans la caldera, les dégâts semblent plus conséquents à plusieurs endroits hors de cette dernière. Par "chance" certains sont juste endommagés, mais probablement trop déformés pour continuer à être utilisés: qui voudrait vivre dans une maison fissurée?
4- Chaussées défoncées
A de nombreux endroit les routes, principales comme secondaires, sont fracturées. Cela gène évidemment la circulation et rend plus difficile d'accès certains sites. Il est tout à fait possible que des personnes hors de chez elles au moment des secousses n'aient plus pu rejoindre leur habitation le soir-même, faute de route fréquentable...Ce fut peut-être le cas pour le conducteur de la voiture visible sur l'image ci-dessous (en haut à droite), probablement bien embêté par ce pont fracturé.
La fracturation traverse sans soucis ponts et champs. Image: Images: ZENRIN/Google Earth |
Je ne peux évidemment pas montrer toutes les zones touchées, mais je vous invite à chercher par vous même sur Google Earth tout ce qui marque le passage des fractures, les dégâts occasionnés, qu'ils soient directes ou non: c'est vraiment très spectaculaire.
Comme on voit nettement sur Google Earth les fractures décrites dans l’article des chercheurs Japonais je vous propose, une fois n'est pas coutume, un petit jeu géologique pour boucler le post.
J'ai sélectionné 4 images (A, B, C et D), prisent à différents endroits dans ou hors de la caldera d'Aso: le but est d'identifier si le mouvement du sol est décrochant dextre ou normal, en précisant quels indices vous permettent de faire votre choix (il peut y avoir plusieurs types d'indices). Vos réponses sont attendues en commentaires, et je donnerais les solutions le 11 novembre.
* la ville de Kumamoto est proche de l'épicentre du séisme
Source: "Coseismic rupturing stopped by Aso volcano during the 2016 Mw 7.1 Kumamoto earthquake, Japan"; A.Lin et al, in Science, 2016
Bonjour !
RépondreSupprimerTout d'abord merci pour cette étude très instructive. Votre blog est toujours aussi agréable à parcourir et très enrichissant.
En réponse à votre jeu géologique et n'étant pas géologue confirmé loin s'en faut, malgrés le fait que je réside dans la même région volcanique que vous, voici le résultat de mes constatations:
A: Décrochante dextre
B: Faille normale
C: Décrochante dextre
D: Décrochante dextre
Merci à vous et bonne continuation.
Pas évident... je dirais
RépondreSupprimerA. normale
B. décrochant
C. décrochant
D. normale
Sinon faible émission de cendres au sommet de Aso le 07 au lever du jour sur la webcam.
Bonne journée
Bonsoir Pascal. J'ai revérifié les images de la webcam (je les consultes tous les jours) et il n'y a bien eu que du gaz. Mais sur les webcams, un dégazage vu en contrejour peut parfois prendre l'apparence trompeuse d'un panache de cendres, un phénomène souvent observé sur l'Etna par exemple, au Klyuchevskoy aussi (et qui me fait suer car il n'est pas rare que je doivent regarder les images plusieurs fois avant de me faire une opinion):)
SupprimerBonne soirée
le 07 entre 7h et 7h30 locale sur la webcam... ça a l'air bien lourd et ça retombe, et ça n'a vraiment pas l'aspect du panache habituel. J'ai sauvegardé la séquence si vous voulez.
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