3 février 2019

La situation se tend au volcan Karangetang (Api Siau) (Mis à jour x4)

Comme je l'ai écrit dans le titre, la situation se tend sur cette petite île-volcan Indonésienne de l'archipel des Sangihe (entre Sulawesi (Indonésie) et les Philippines). Depuis le mois de novembre 2018, une activité éruptive modérée, essentiellement effusive et faiblement explosive, se déroule depuis le cratère nord. Une situation peu habituelle dans le sens où la majorité des éruptions récentes se sont déroulées au niveau du cratère sud. Jusqu'à présent, l'éruption n'a pas causé de problèmes majeurs, son intensité ne semblant avoir varié depuis qu'elle a débuté. Toutefois ce n'est pas parce qu'une éruption est faible qu'elle ne peut pas poser des problèmes*.
Et pour le coup il ne semble pas que l'éruption se soit intensifiée: le style reste le même et l'effusion domine largement. L'éruption continue en effet de produire une coulée de lave dans une des ravines creusées dans le flanc nord. En l'occurence, il s'agit de la ravine notée en rouge sur la carte de risque élaborée par les volcanologues Indonésiens. Il semble** que cette coulée de lave a gardé une longueur stable depuis le mois de décembre, mais sur l'image satellite produite aujourd'hui par SENTINEL 2, le front est clairement plus en aval, et la coulée est actuellement longue d'environ 2700 m.

Vous allez me dire: "mouais, c'est pas vraiment rare". C'est parfaitement vrai: c'est pas rare du tout. 

Le problème c'est que la côte n'est qu'à 3300 m du sommet (en suivant le cours de la ravine, pas en ligne droite): le front de coulée n'est donc qu'à 600 m de la côte environ! Et pour être plus précis, le front est à environ 300 m de la seule route qui fait le tour de l'île! Elle pourrait éventuellement se retrouver coupée dans les jours qui viennent si l’activité ne faiblit pas ce qui pourrait poser un souci pour les personnes qui vivent sur ce versant.
Certains trajets (pour aller travailler tout simplement) pourraient en effet être multipliés par quasiment 10 vu qu'il faudrait faire le tour de l'île pour rejoindre le lieu de travail, prendre le bateau à l'heure, effectuer une livraison ou que sais-je.

Le front de la coulée est maintenant très bas, assez proche de la route principale et de la côte. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus
Vous aurez noté que j'ai supposé qu'une partie du signal thermique produit au front de la coulée pouvait être en lien avec de la végétation qui brûle: c'est tout simplement parce que des médias Indonésiens transmettent quelques images, prisent depuis la fameuse route, qui l'indiquent.



Par ailleurs ces médias Indonésiens font état d'évacuations préventives dans les zones habitées proche de la coulée, en particulier des habitants de Batubulan (marquée dans la zone à risque sur la carte). Pour le moment le nombre d'évacués est faible: 22 personnes (10 femmes, 8 hommes et 4 enfants, de 6 familles) et leur évacuation a été motivée par le fait que la progression de la coulée peut engendrer des écoulements pyroclastiques. Il n'est d'ailleurs pas impossible que quelques écoulements aient eu lieu dès le 02 février.

La situation s'est donc tendue non pas parce que l'activité serait devenue clairement plus intense, mais parce que les phénomènes volcaniques commencent à interagir concrètement avec les infrastructures humaines.


La situation est donc à suivre de près.

Mise à jour,  16h01

Shérine France nous a dégotté à nouveau (et merci encore ! :) ) des images transmises via facebook de l'activité. Elles sont faites depuis un bateau et apportent un éclairage tout à fait essentiel concernant:

- la 3D! Ben oui les images satellites sont en 2D donc pas facile de se faire une idée de la topographie locale car à cette grande échelle*** même Google Earth manque de précision (les pentes, les ravines etc.) peuvent apparaitre plus "douces" que dans la réalité.

- la couverture végétale. On voit qu'elle est dense sur Google Earth comme sur SENTINEL. Mais pour autant c'est difficile de se faire une idée précise de la hauteur des arbres et de la possibilité d'observer les phénomènes. Là par exemple on constate que si on est sur l'île on voit rien: il faut être un peu au large pour avoir une vue plus dégagée.

- des détails inattendus, dont un sur lequel je vais revenir

Voilà déjà deux images, faites le 03 février, que je n'ai pas sélectionnées au hasard:


Une vue générale de la situation avec la côte et un panache de cendres situé au niveau du front de la coulée. Image: Lerry Steyve Sasongke; via Sherine France

Une vue rapprochée de la zone où se trouve le front de coulée. Image: Lerry Steyve Sasongke, via Sherine France


Bon déjà on voit que la couverture végétale est vraiment dense: c'est de la forêt. Tenter d'aller voir de près la coulée est une prise de risque importante car on n'a aucune visibilité sur la situation: impossible d'évaluer le risque en temps réel au fur et à mesure qu'on approche. Donc quoi qu'il arrive il faut tenter d'observer depuis un lieu sûr, ce qu'ont fait les personnes qui sont sur le bateau.

Ensuite la topographie locale m'apparait bien plus accidentée que l'idée renvoyée par Google Earth et SENTINEL. Il y a notamment ce ressaut juste avant la côte, qui n'est pas bien visible sur le modèle 3D de Google Earth par exemple. Du coup il est intéressant de constater que pour les personnes résidentes sur la côte, il n'y a probablement pas vraiment moyen de voir la coulée de lave et sa progression. Ils ont certainement entendu le bruit des blocs qui se décrochent, roulent, se brisent, frappent les uns contre les autres, les grondements du sommet, les lueurs la nuit. Mais pour les détails....c'est sûrement plus compliqué. Et comment réagir quand on ne voit pas ce qui arrive?

On voit bien aussi que la ravine où la coulée se trouve est assez encaissée et le fait que le front ait atteint le ressaut, où la pente est plus forte, augmente son instabilité. Et ce d'autant plus que le front est loin du point d'émission, que la lave a eu le temps de refroidir un peu: elle est plus friable, se fragmente donc plus facilement sous l'effet de la poussée engendrée par la lave qui arrive derrière. C'est l'origine des panaches de cendres qu'on voit sur les images****: ce sont des morceaux de coulée qui se détachent, tombent, se fragmentent dans la pente. Et c'est ce qui fait craindre la formation de petits écoulements pyroclastiques, d'autant plus que tout ça se déroule aux abords de la zone habitée (Batubulan).

En parlant de zone habitée: regardez bien la photo de droite: vous voyez la petite structure qui traverse la ravine en bas de l'image? Si je ne m'abuse il s'agit d'une sorte de pont et d'un escalier qui descend au bord de mer, ce qui suggère qu'il y a une zone d'accostage ici. Ce que confirme un rapide coup d’œil à Google Earth : des bateaux accostent dans cette petite baie masquée par la végétation. C'est le petit détail que je n'aurais jamais remarqué sans les photos...

Image Google Earth sur laquelle on voit les bateaux accoster. Image: Google Earth
La coulée aurait pu prendre la ravine situé plus à l'ouest (à droite sur l'image Google Earth), mais non, pas de bol, elle arrive sur une zone d'embarcation, juste le truc important pour les habitants du coin! Décidément...
Aller: espérons que la coulée n'arrivera pas jusque là.

Mise à jour n°2, 05 février, 07h09

Il semble que, malheureusement, la dernière phrase de ma précédente mise à jour ne se concrétise pas. La coulée de lave a continué sa progression et a commencé à atteindre la route le 04 février. Il s'agit d'une belle et très caractéristique coulée de lave dite " à blocs" car au cours de sa progression la masse de roche en fusion se solidifie et se fragmente en blocs généralement d'assez grande taille. Ce type de fragmentation se produit lorsque la lave est plutôt visqueuse, les laves fluides s'émiettant en fragments plus petits (morphologie a'a), voir quasiment pas (pahoehoe).



Et merci à Mr Map qui m'a m'a fait passer le lien!

Mise à jour n°3, 05 février,  10h55

De nouvelles images arrivent et montrent l''importante masse de roches en partie fondue qui progresse et se fragmente en traversant la route. C'est impressionnant, non pas le phénomène lui-même (c'est pas vraiment rare de voir des coulées de lave, bien que de belles coulées à blocs comme ça ce soit moins fréquent), mais la situation elle-même. Songez que l'île est minuscule et que la route coupée est la seule qui en fasse le tour. Certes le phénomène (aléa) est peu intense, mais ses conséquences sont importantes du fait de l'organisation des insulaires (les enjeux), dépendante de la topographie notamment. Merci à Shérine France pour avoir fait passer le lien facebook (puisque je me refuse à facebook :) ).

Épaisse coulée de lave à blocs qui traverse la route circum-insulaire. Image: Malahasa Garing, via Shérine France
La coulée a peut-être (probablement) déjà atteint les eaux de la Mer de Célèbes.


Mise à jour x4, 06 février, 18h57

Bon: si vous n'avez pas encore regardé les vidéos partagées en commentaires par Flyger et Ploopers, je vous conseille de le faire: elles permettent de vraiment bien visualiser les dimensions, la texture, la dynamique de la coulée de lave à blocs qui pose actuellement problème.
Pour ma part je n'ai pas trop eu le temps de me pencher sur la situation jusqu'à ce soir mais un petit coup d'oeil sur youtube permet de confirmer que la coulée est arrivée en mer.


Ce n'est pas une entrée hyper-dynamique comme lors d'autres éruptions (à lave plus fluides, donc plus chaudes déjà) mais les problèmes posés sont les même, en particulier la produiction du panache chargé de vapeur d'eau acidifiée par les gaz volcaniques (H2S, So2 en premier chef). Il n'est pas impossible non plus qu'il y ait des microparticules de lave vitrifiée, ce qui n'est pas meilleur pour les poumons des persones qui se trouvent à proximité.

Sources: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus; Kompas; Lerry Steyve Sasongke; via Sherine France;

* et inversement: c'est pas parce qu'elle est forte qu'elle pose obligatoirement des problèmes, sauf en cas d'éruption ignimbrite majeure (= formation d'une caldera ignimbritique): les conséquences sont alors planétaires et tout le monde est, directement ou non, affecté.

** car il n'y a pas d'observations détaillées et régulières

*** plus on est proche du sol plus l'échelle est grande: 1:1000000ème est une petite échelle, 1:25000ème est une assez grande échelle (1:1000000 est plus petit qu'1:25000ème)

****  et je me rend compte qu'il y a un de ces panaches sur l'image SENTINEL, mais bien visible en "couleurs naturel", pas avec les infrarouges utilisés plus haut.

5 commentaires:

  1. Tout à fait semblable à l'éruption du Mont Cameroun en 1999 quand une énorme coulée à blocs traversa la seule route reliant la ville de Limbé avec la frontière du Nigéria. On voyait des familles entières passer rapidement de l'autre côté, vers l'intérieur du pays, avant que la coulée ne traverse la route et ne les isolent entre la frontière incertaine du Nigéria et un barrage de blocs incandescents haut d'une vingtaine de mètres. Impressionnant !

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  2. Y a une nouvelle vidéo https://www.youtube.com/watch?v=S0Go1sSDQCw

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  3. https://www.youtube.com/watch?v=pf910UYhi8E

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  4. Sur l'image google earth présentée lors de la mise à jour n°1, on voit bien sur la droite de la photo une seconde ravine, qui forme un confluent avec celle empruntée par la coulée à environ 700m de la côte.
    Avec la première "remplie" par la coulée en cours, il n'est pas impossible que la lave se mette à emprunter la deuxième ravine un jour ou l'autre.

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    1. Bonsoir. C'est tout à fait juste et j'ai envie de dire que c'est comme ça qu'il faut voir les choses: anticiper les conséquences de l'éruption en cours sur le long terme. Ici, le fait que la topographie est modifiée influencera certains points de la prochaine éruption sur ce secteur. Je précise "sur ce secteur" car les éruptions se produisent rarement depuis le cratère nord visiblement....Donc ce que vous dite est vrai, mais peut-être sur le long, voir très long terme :) .

      CV

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