28 novembre 2018

Volcan Karangetang (Api Siau): l'activité change

Et elle est à surveiller de près car elle ne se déroule pas, pour le moment, tout à fait comme les phases éruptives précédentes. Elle pourrait même affecter des zones qui, habituellement ne le sont pas ce qui rend la situation plutôt inhabituelle.
Le Karangetang est un magnifique édifice "à deux têtes", qui domine tout la pointe nord de l'île de Siau, au nord de Sulawesi. À deux têtes car le sommet est constitué de deux pointes ouverts par deux cratères, séparés d'à peu près 550 m et alignes sur axe nord-sud.

L'activité éruptive se déroule depuis plusieurs années sur le cratère sud, même si il semble que des éruptions ont eu lieu historiquement dans le cratère nord aussi.

L'activité est produite par l'émission d'un magma de viscosité généralement modérée qui, selon les circonstances, a donné des coulées de lave mais aussi la formation de dômes de lave sommitaux. Dômes et coulées ont pu à leur tour être la source, vue la forte pente de l'édifice, d'avalanches de blocs et d'écoulements pyroclastiques, même si les éruptions ne sont que rarement très intenses. Évidemment il n'est pas rare que dômes et coulées soient accompagnés d'explosions qui génèrent des cendres volcaniques, elles-même dispersées au-dessus de l'île, selon les vents du moment.

Ces différents phénomènes volcaniques (aléas volcaniques, dans le jargon) ont été cartographiés afin de pouvoir déterminer facilement si les zones qu'ils peuvent potentiellement impacter sont habitées ou non. C'est ce qu'on appelle une carte de risques, et celle du Karangetang montre bien que tous les versants peuvent être affectés à un moment ou à un autre, par l'un ou l'autre des phénomènes cités plus haut.


La carte de risques du Karangetang. Image: PVMBG
Mais concrètement les images récentes montrent bien que le versant sud a été particulièrement affecté par les éruptions qui ont eu lieu depuis les années 70 notamment, alors que le versant nord est couvert de végétation.

Le risque ici vient de la promiscuité entre la zone active (généralement le sommet, parfois directement dans les flancs comme en septembre 1976) et les zones habitées, l'île de Siau n'étant pas très grande.

Si l'on regarde la situation en cours, on peut noter une évolution ces derniers mois. En effet, sur des images prisent jusque fin septembre on se rend compte que le cratère sud est le siège d'un dégazage intense (habituel) alors que le cratère nord ne montre pas de manifestation particulière, si ce n'est un dégazage léger.


Dégazage au cratère sud alors que le calme règne au cratère nord en ce 26 septembre 2018. Image: SENTINEL2-ESA/Copernicus
Mais fin octobre le cratère nord est le siège à son tour d'un dégazage assez important, similaire en intensité à celui du cratère sud. Il ne m'a pas été possible d'identifier avec précision le moment (ou plutôt la période) où ce dégazage s'est installé, mais l'image ci-dessus montre bien qu'il était encore absent à la toute fin de septembre.
Toutefois c'est l'évolution de cette situation au cratère nord qui fait poser questions pour la suite des événements.
Car depuis peu (visiblement depuis un moment située dans la seconde quinzaine de novembre), ce dégazage est accompagné d'un signal thermique assez intense, comparable à celui produit au niveau du cratère sud.



Et bien sûr se pose la question de la source de ce rayonnement thermique: est-ce lié au seul dégazage, devenu à haute température (ce qui déjà serait le signe de la présence de magma relativement proche de la surface)? Ou est-ce dû à la présence de lave dans le cratère?

Ce sont des images plus précises (résolution spatiale de 3 m), prisent par les télescopes du réseau PlanetScope qui apportent la réponse: une galette de lave est apparue dans le cratère nord, et est vraisemblablement la source du rayonnement thermique détecté par SENTINEL 2.

Entre ces deux images comparatives, prisent le 19 septembre et le 26 novembre, on voit nettement la masse sombre d'une nouvelle galette de lave. Images: PlanetScope/Planet
Là encore il ne m'a pas été possible de préciser le moment où cette galette à entamé sa formation car le panache de gaz apparu courant octobre, et les nuages, ont tout le temps masqué la visibilité*.

Il faut toutefois noter que du côté de la sismicité, il ne s'est rien passé de particulier (depuis le pic du mois de juin) jusqu'au 23 novembre à peu près, jour où la sismicité à commencé à se modifier pour atteindre un pic le lendemain (sismicité multipliée par 7 par rapport aux jours /semaines précédents!) a été détecté. Ce pic était largement dominé par un signal produit par le dégazage, et par des secousses dites hybrides, souvent liées à des mouvements de magma. Il n'est pas impossible que ce pic marque le démarrage de la croissance de la galette, mais ce n'est qu'une spéculation de ma part et je n'ai malheureusement pas d'observations directes qui permettaient de l'appuyer ou de la dézinguer. Suite à ce pic, seule la sismicité liée au dégazage est restée supérieure à la sismicité habituelle.

Pic de sismicité important vers le 24/11. Image: MAGMA/ESDM

A cela s'ajoute que le 26 novembre à priori des émissions de cendres ont été observées à plusieurs reprises. Et devinez quoi: leur source est le cratère nord aussi. Il s'est agit (un temps du passé car j'ignore si cela continue) d'émissions de cendres plutôt modestes, sans conséquences directes.


Émission de cendres depuis le cratère nord, le 26 novembre. Image: MAGMA/ESDM

Autres émission de cendres depuis le cratère nord, le 26 novembre. Image: MAGMA/ESDM

Mais voilà: si la situation doit évoluer et la galette de lave continuer sa croissance, elle finira par déborder sur les pentes raides du Karangetang. Et si les éruptions récentes ont surtout affecté le versant sud de l'édifice, il n'est pas impossible cette fois que ce soit les versants ouest, nord et est qui soient affectés.

Et comme au Merapi (voir post récent) le potentiel débordement de cette galette pourrait produire avalanches de blocs, écoulements pyroclastiques, et une coulée de lave. Il y a en particulier une ravine sur le flanc nord qui a été empruntée (par le passé), par des écoulements pyroclastiques. Or la côte est habitée même dans ce secteur de l'île plus difficile d'accès (village de Batubulan, voir carte de risque plus haut).


Voilà, me semble-t-il, de bonnes raisons pour lesquelles cette situation peu habituelle mérite d'être surveillée.

Sources: Planet; SENTINEL2-ESA/Copernicus;MAGMA/ESDM

* A noter qu'il y avait déjà au fond du cratère nord une petite galette de lave, que l'on voit bien sur les images satellites, mais surtout très bien sur la vidéo ci-dessous (merci à Shérine France!), précisément à 7'33", tout à droite de l'image, ou encore à 8'11". Je ne sais pas de quand elle date, mais c'était avant 2015 de toutes manières. On peut noter que le GVP décrit (dans un bulletin de mai 2018) que le cratère nord est inactif, ce qui n'est clairement plus vrai maintenant


10 commentaires:

  1. sur la vidéo, à la minute 2'59 est-ce une incandescence sur le crater Sud?

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    1. Bonsoir. La courte séquence de nuit? C'est un orage.
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    2. Bonjour. Flygar (commentaire ci-dessous) m'a fait comprendre que je ne vous avais pas compris. Du coup: oui c'est une incandescence pas très forte, due au dégazage sur le cratère sud.
      :)
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  2. Bonsoir,
    Sur la vidéo il y a effectivement une incandescence dans un des deux cratère à 2min59-3min, séquence juste après l'orage?

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    1. Bonsoir! Ah j'avais pas compris (je suis un peu un boulet là)! Oui: c'est une incandescence faible sur le cratère sud, liée au dégazage habituel, qui est intense et à haute température (gros dépôts de soufre plusieurs séquences de la video d'ailleurs.
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  3. Bonjour,
    Voici un rapport sur la crise sismique à Mayotte.... très intéressant et surprenant qu'une telle information soit enfin révélée après 6 mois de crise !
    http://volcano.iterre.fr/wp-content/uploads/2018/11/mayotte_note_deformation_GPS_20181112a.pdf

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    1. Bonjour. Très interessant en effet. Je vous avoue avoir regardé (plutôt en début de crise) les images satellites pour voir si il n'y aurait pas une tâche colorée au large de Mayotte, sans succès malheureusement. Mais attention l'origine magmatique et volcanique (= éruption) n'est qu'hypothétique. C'est celle qui semble (à priorià coller le mieux aux données géophysique mais clairement la seule solution pour y voir plus clair c'est une campagne de bathymétrie à haute résolution. Là on verra les changements de topographie du plancher, et là on verra si oui ou non il y a (ou il y a eu) une éruption. En tout cas cette crise passionne visiblement beaucoup de gens dans le monde entier: c'est quelque chose de quasiment inédit je pense. Je vous remercie beaucoup d'avoir fait passer ce document.
      CV

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    2. Bonjour,

      Le dernier bulletin mensuel de l'OVPF donne également une interprétation des données GPS de Mayotte, en faisant l'hypothèse d'une déflation.

      Cordialement,

      Marc

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  4. Magnifique, un volcan le plus actif et dangereux lors d'un explosion, l'activite suvent au sommet mais l'explosion n'est pas tojour a la memme crataire ou au sommet.

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