24 novembre 2018

Un point sur l'activité du volcan Merapi

Cela fait un moment que je n'ai rien écrit sur cette situation, tout simplement parce que l'éruption, qui a débuté en août dernier, semble rester tout à fait stable. Elle est exclusivement  "extrusive" (pour le moment en tout cas), à savoir qu'un magma visqueux sort lentement, au sommet de l'édifice (pour cette éruption*) et s'accumule sous la forme d'un dôme de lave.

Le débit avec lequel ce magma sort semble ne pas avoir varié de manière significative depuis que l'éruption a débuté (sauf sur une quinzaine de jours entre fin septembre et début octobre, où elle a ralenti avant de repartir sur le même débit): chaque jour ce sont environ 2600 m3 de lave qui sont ajoutés, augmentant les dimensions du dôme dont le volume a été estimé, le 21 novembre, à 308 000 m3 environ: on doit donc avoir dépassé les 310 000 m3 aujourd'hui. On voit par exemple nettement la différence sur deux images prisent en octobre et novembre par une webcam installée à Gendol (au sud-sud-ouest du sommet).

Croissance du dôme de lave entre le 05 octobre et le 19 novembre 2018. Images: PVMBG

Bon, tout ça c'est super, mais pourquoi faire ce point si tout est stable?

Parce que même si l'éruption est stable (même magma à priori, même débit, tout pareil) la situation évolue progressivement vers un risque potentiel  un peu plus grand pour les populations alentours, surtout ceux du versant sud.
Mais comment une éruption qui reste la même peut-elle devenir potentiellement plus dangereuse alors qu'elle ne l'était pas particulièrement jusqu'à présent, et depuis plusieurs mois même!

La réponse à cette question nécessite de refaire un point sur la notion de risque. Car elle est toujours trop perçue comme quelque chose d'absolu, invariable ("un volcan c'est dangereux"**) alors qu'il s'agit d'une notion qui évolue en permanence, parfois de minute en minute et qui dépend de plusieurs paramètres.

En ce qui concerne les éruptions volcaniques, le risque dépend, pour simplifier:

- de la manière dont se déroule l'éruption (forte/pas forte, longue/courte; explosive/effusive/extrusive;) et

- où elle se déroule (dans une plaine ou sur un sommet (topographie); près de zones habitées/loin de zones habitée).


En ce qui concerne l'éruption en cours au Merapi, les caractéristiques principales sont donc les suivantes pour le moment:
- activité éruptive faible (le magma sort lentement), extrusive (magma visqueux qui s'accumule sur place et forme un dôme); pas de vraies explosions recensées.

- l'éruption se déroule au sommet de l'édifice, pas sur un versant, ou au pied.
- densité de population et infrastructures humaines près de l'édifice: très importante

Depuis le mois d'août le  risque très faible: tout se déroulait au sommet, tranquillement et loin des populations/infrastructures. Mais la topographie du sommet commence à faire monter un risque précise: les avalanches de blocs et les écoulements pyroclastiques. 

En effet il est facile de constater sur le couple d'images présenté plus haut, que le versant sud du sommet est éventré: le cratère est ouvert*** 
Or le dôme continue de grandir et même si c'est à un rythme lent, le bord sud du dôme se rapproche progressivement de l'échancrure. Il semble même qu'il soit maintenant vraiment très proche, car des portions du dôme se décrochent déjà dans la forte pente, et génèrent des avalanches de blocs.



Pour l'heure ces avalanches restent peu fréquentes, et ne parcourent que de faibles distances (2-300 m environ pour celle de l'image ci-dessus): elles ne génèrent pas de risque immédiat important pour les premières infrastructures, situées à un peu moins de 5 km en contrebas.

Mais si la croissance du dôme se poursuit, son bord sud va s'approcher de plus en plus de l'échancrure et de la forte pente: un volume de plus en plus important de dôme va ainsi se retrouver dans la pente et pourra se décrocher. Le risque que de plus grosses avalanches de blocs, qui peuvent même donner des écoulements pyroclastiques, qui sont plus mobiles et peuvent parcourir des distances plus importantes que les simples avalanches, va donc augmenter progressivement.

Le risque n'évolue donc pas  directement du fait de l'éruption, dont les caractéristiques (type de magma, débit de l'extrusion etc) ne changent pas pour le moment, mais plutôt en raison des caractéristiques topographiques du sommet (échancrure du cratère, forte pente etc.). Une éruption identique dans un cratère totalement fermé ne génèrerait pas le même risque, en tout cas pas au même moment.

Comme le magma visqueux est plastique **** il n'est pas impossible d'imaginer que le versant sud du dôme puisse s'étirer progressivement dans la pente: le dôme deviendrait alors un dôme-coulée. Ceci n'empêcherait pas des portions entières du dôme-coulée de se détacher, et produire avalanches de blocs et/ou écoulements pyroclastiques, qui eux peuvent descendre jusqu'aux zones habitées.

Dernier point: ne pas oublier que la notion de risque évolue. Si le magma émis change (plus riche en gaz par exemple) dans les jours/semaines qui viennent, là c'est l'éruption qui change: le débit de l'extrusion peut augmenter, il peut y avoir des explosions en plus et tout cela ferait augmenter encore plus le risque d'avalanches/écoulements pyroclastiques qui, pour l'heure en tout cas reste modéré.
Évidemment si l'éruption cesse, le risque disparait*****.


La situation est donc à suivre de très près pour les jours/semaines qui arrivent.


Source: PVMBG

* ce que je veux dire c'est qu'une extrusion ne se fait pas obligatoirement au sommet d'un édifice volcanique: regardez le Puy de Dôme par exemple, en Chaîne des Puys.

** et rien que cette phrase, qui est fausse en totalité, nécessiterait que je rédige un post à vocation pédagogique pour la rendre juste...

*** attention: rien à voir avec ce qu'on appèle "cratères égeulés", terme qui ne s'applique que pour les cônes monogéniques, pas les stratocônes (stratovolcans si vous préférez).

**** sauf la surface du dôme, qui est refroidie, donc solide/rigide et se  fragmente en blocs

***** en fait pas complètement: le dôme resterait chaud plusieurs mois/années et en pays à très forte pluviomètrie comme l'Indonésie, de l'eau peut s'infiltrer dans le dôme, se vaporiser et déstabiliser la surface du dôme. En fait il pourrait tout de même y avoir quelques avalanches encore quelques temps après la fin de l'éruption, mais pour des causes externes, non éruptives.


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