17 février 2018

Un gigantesque dôme de lave découvert au Japon

Les dômes de lave sont des formes volcaniques très répandues à la surface de la Terre, et que l'on peut trouver dans différents contextes volcaniques:

- ils peuvent être monogéniques, c'est-à-dire fabriqués par une seule éruption*. C'est le cas pour les dômes de la Chaîne des Puys par exemple (Puy de Dôme, Cliersou, Grand Sarcouy etc.).

- ou se former sur le flanc des stratovolcans (l'éruption du Kadovar en Papouasie Nouvelle-Guinée étant un bel exemple, d'actualité qui plus est), ou au sommet desdits stratovolcans, comme au Sinabung, au Saint Helens, à la Montagne Pelée ou à la Soufriere de Saint Vincent, Soufriere de Guadeloupe, Kelut, Soufriere Hills, Nevados de Chillàn (toujours pur rester dans l'actu) et j'en passe et des meilleurs....

- ou se former à proximité (ou à l'intérieur) les calderas, comme c'est le cas de celui qui nous intéresse dans ce post (et c'est important, vous verrez pourquoi).
Leur mode de formation est complexe et résulte de l'éruption d'un magma à très haute viscosité, qui est émis lentement et s'accumule sur place, en ne s'étalant pas ou peu.

Les dômes de lave "simples" croissent de manière endogène, terme qui signifie  "qui se forme par l'intérieur" . Car effectivement un dôme en construction est l'accumulation sur place d'un magma visqueux: sa croissance est donc alimentée par dessous et non par une succession de couches les unes par dessus les autres.


Cela donne des dômes comme le Grand Sarcouy, que je vous ais choisi comme illustration, et qui se trouve dans la Chaîne des Puys.

Le dôme simple, monogénique, appelé "Grand Sarcouy", en Chaîne des Puys
 
Les dômes simples sont des structures relativement rares. La plupart sont généralement plus complexes et se forment en partie de manière endogène et en partie de manière exogène ("qui se forme par l'extérieur"). Ainsi le magma peut former d'abord un dôme simple, puis le traverser et s'accumuler par-dessus. Ainsi des dômes successifs s'accumulent les uns par dessus les autres au cours de l'éruption. Ce fut le cas au Chaitèn (Chili), ou au Mont Saint Helens après l'activité paroxysmale de mai 1980.

Quelques mois après le paroxysme de mai 1980, le magma commence à former un dôme de lave. A ce stade, c'est un dôme simple. Image: Terry.A.Leighley/USGS

Plusieurs mois après l'image précédente, le dôme à grandit et on distingue deux parties: à droite, le reste du dôme simple, à gauche un nouveau dôme par-dessus. Le dôme est devenu complexe. Image: Daniel Dzurisin

Enfin, la forme finale d'un dôme varie selon la viscosité du magma et le débit auquel il sort du sol. Ainsi, des débits faibles et/ou des viscosités modérées donnent des dômes plutôt aplatis, comme celui de la Soufriere de Saint Vincent par exemple.

Le dôme aplati ("surbaissé") formé dans le cratère de la Soufriere de Saint Vincent lors de l'éruption de 1979. Image: Richar Fisk, 1983

Et si je prend le temps de faire cette liste des différentes façons de faire des dômes, c'est évidemment parce que cela me permettra de vous expliquer plus loin ce qui a été découvert au Japon.

Une campagne océanographique a été menée au sud de l'île Japonaise de Kyushu, dans l'archipel des Ruykyu, afin d'en apprendre plus sur le Kikai. C'et un édifice sous-marin dont seuls les points culminants émergent de l'eau et forment les îles de Satsuma-iwo-jima (la plus importante), celle  de Take-Shima qui arrive en second,  et la petite île de  Showa-Iwo-Jima, laquelle est en fait un dôme de lave apparu en 1934, et dont seul le sommet émerge. A cela s'ajoutent plusieurs rochers qui affleurent à peine à la surface de l'eau, et marquent la présence d'autres reliefs sous-marins qui font aussi partie du Kikai.

La forme globale (partie émergée + partie immergée) de ce volcan le classe parmi les calderas ignimbritiques**, structures volcaniques particulières qui se forment généralement lors d'affaissements de très grande ampleur (voir ce post pour un schéma). Ces affaissements sont dus, en général, à la dépressurisation rapide, lors d'une très puissante éruption, d'un vaste réservoir magmatique situé le plus souvent à faible profondeur. Cette dépressurisation entraîne l'affaissement de toute une portion (grosso modo circulaire) de la croûte terrestre dans le réservoir: la caldera est née.
Formation schématique d'une caldera. Image: Brooks/Cole-Oregon State University

La caldera ignimbritique (je dirais seulement caldera pour la suite) de Kikai s'est formée lors d'une gigantesque éruption il y a 7300 ans, dont les écoulements pyroclastiques ont atteint Kyushu, à une cinquantaine de kilomètres au nord, et provoqué de très fortes chutes de cendres à Hokkaido à plus de 1500 km. Et quand j'écris "gigantesque", c'est encore bien trop mou comme qualificatif, car ce sont 500 km3 (DRE***) de magma qui ont émis au cours de cet immense paroxysme!! 500 km3!! 500 milliards de m3 libérés en l'espace de quelques dizaines d'heures ou quelques jours seulement!!**** Il est probable que le fait que cette débauche d'énergie se soit produite sous l'eau ou à fleur d'eau à probablement contribué à atténuer les effets atmosphériques d'un tel cataclysme. Par contre, je ne serais pas étonné que des dépôts de tsunamis soient présent un peu partout sur les côtes Japonaise, Coréennes, Chinoises, voire Philippines. En tout cas, dans les années 80, les archéologues pensaient que cette éruption avait éradiqué les populations de la culture Senokan.

Bref, pour en revenir à la caldera de Kikai, il faut savoir que la campagne océanographique a permis d'en faire une image plus précise. Les relevés bathymétriques de précision qui ont été effectués ont permis de mettre en évidence une immense structure en forme de dôme au centre de la caldera, que l'on voit bien sur la carte bathymétrique ci-dessous, réalisée par l'équipe Japonaise, et sur laquelle j'ai ajouté le nom de deux îles que j'ai nommées plus haut, et entouré le "dôme".

La caldera de Kikai, le "dôme" central et les îles de Take-Shima, Showa-Iwo-Shima et Satsuma-Iwo-Jima. Image: Yoshiyuki Tatsumi et al,  2018

Vous vous souvenez que, plus haut dans le post, je vous indiquais qu'il était important de préciser que des dômes pouvaient être associés aux calderas, et voici pour quelle raison.

Après qu'une caldera soit formée, il n'est pas rare que sa partie centrale connaissent, au cours des millénaires qui suivent, une lente déformation. Une surélévation progressive, généralement due à une recharge du réservoir et à sa remise en pression. Cette structure déformée et soulevée porte le nom de "dôme résurgent".

C'est quelque chose de très connu, et bien étudié sur plusieurs caldera ignimbritiques: Toba (Indonésie); Valles Caldera (Etats-Unis) etc. D'ailleurs il suffit de jeter un coup d'oeil à Toba depuis l’espace pour voir son dôme résurgent: c'est l'île qui émerge du lac éponyme.

La caldera ignimbritique de Toba, partiellement occupée par un lac, et son dôme résurgent

Pour que les choses soient claires: un "dôme résurgent" n'est pas du tout un dôme de lave. C'est une structure qui résulte du soulèvement du fond de la caldera (le plancher, dans le jargon), sans émission de magma.

En ce qui concerne le Kikai, les volcanologues Japonais n'ont donc pas particulièrement été surpris de voir cette gigantesque bosse, haute de 600m et large de 10 km environ, trôner au milieu de la caldera.

Et puis, ils ont commencé à regarder de plus près, avec des ROV, des échosondages, des plongées, des récoltes d'échantillons..... et ils n'ont pu que constater que cette immense masse n'offre aucune caractéristique d'un dôme résurgent, mais ressemble plutôt à un dôme de lave.
Un dôme de lave dont le volume a été estimé (accrochez vos perruques) à 32 km3!!! A quoi ça correspond? Grosso modo 3 fois le volume des laves de toute la Chaîne des Puys! 

Je vais reprendre un peu les points qui ont amené les chercheurs à décrire ce dôme comme "dôme de lave" et non "dôme résurgent".

Tout d'abords, lors des plongées, il ont pu constater de visu que la surface du dôme est constituée de lave fraîche, dont l'analyse indique qu'il s'agit d'une rhyolite, l'une des laves les plus visqueuses sur Terre (si ce n'est la plus visqueuse). Elle se présente sous la forme de gigantesques blocs, larges de plusieurs mètres parfois, qui présentent des figures de fracturation typiques d'un contact avec l'eau ("en carapace de tortue", comme ils disent dans l'article). Cette surface hautement chaotique est tout à fait semblable aux surfaces de dôme de lave, mais avec des détails qui proviennent de sa mise n place sous l'eau.

Par ailleurs les chercheurs ont appliqué la technique de la sismique-reflexion. Il s'agit de créer des ondes sismiques ou acoustiques, qui traversent les roches et, un peu à la manière d'une échographie, permettent d'en tirer une image de leur structure interne.

Leurs relevés indiquent que:
-  l'ensemble du dôme a des caractéristiques plutôt homogènes: il semble qu'il s'agisse bien d'une seule entité, et non d'un ensemble d'objets aux caractéristiques diverses (sédiments, laves anciennes, etc) qui auraient été déformés. C'est lui qui est en vert sur l'image ci-dessous.

- les ondes ont permis de détecter par ailleurs la présence de strates très fortement inclinées, soulevées au contact avec le dôme. Je les aient entourées sur l'image ci-dessous. Cela suggère aux volcanologues que c'est la croissance du dôme qui à provoqué leur déformation.

Les images réalisées par la sismique réflexion (MSC: Multi-Chanel Seismic reflexion). Dommage que les images n'aillent pas plus en profondeur: j'aurais bien aimé voir la base du dôme. Image: Yoshiyuki Tatsumi et al,  2018
Mais alors comment cette gigantesque masse de lave a-t-elle pu se mettre en place? Il est clair que sur ce point précis, du travail reste à faire, en particulier pour déterminer si il n'y a eu qu'un ou plusieurs points de sortie pour le construire, et leur géométrie, leurs dimensions, leur organisation.
Quoi qu'il en soit ce dôme ne semble pas être un dôme simple. En effet, l'analyse des données bathymétriques a permis de mettre en évidence trois zones, sur le dôme dont la surface est plus lisse.
Les deux principales ont été appelées Asase et Shitaki (se reporter à l'image de la caldera plus haut pour leur localisation) et ont évidemment été échantillonnées. Elles sont composées de la même rhyolite que le reste du dôme: ces structures se sont donc formées au cours de la même éruption ou, dit autrement: elles font partie du dôme. Cette idée est confirmée par le fait que l'épaisseur de sédiment marin qui recouvre Asae et Shitaki est identique à celle qui recouvre le reste du dôme. Elles sont interprétées comme des lobes de lave ayant percé le dôme principal, faisant de lui un dôme complexe (construction en partie endogène et en partie exogène).

Pour terminer, une dernière question se pose: le dôme s'est formé très peu de temps après l'effondrement de la caldera, qui n'a que 7300 ans. Donc le magma qui l'a construit est-il le même que celui qui a été libéré lors de la phase caldera, ou s'agit-il d'un magma neuf qui a remplit le réservoir après la phase caldera?
Les premières analyses géochimiques semblent indiquer que c'est la seconde solution qui est la bonne mais cela veut dire que, pour les chercheurs, s'ouvre une phase au cours de laquelle ils tenteront de comprendre l'organisation de la plomberie du Kikai, plomberie qui a conduit à la mise en place de ce dôme géant, à priori le plus gros du monde, connu à ce jour.

Source: "Giant Rhyolite lava dome formation after 7.3 ka supereruption at Kikai caldera, SW Japan"; Yoshiyuki Tatsumi et al, 2018, Scientific Report


* et non pas: "ils ont fait éruption qu'une seule fois", phrase qui n'a aucun sens.
** il faut préciser "ignimbritique"  car il existe plusieurs types de calderas qui ne se forment pas toutes de la même manière, certaines n'étant associées à aucune éruption de grande ampleur.

*** "Dense Rock Equivalent", qui signifie, pour faire simple, que c'est le volume réel de magma qui a été libéré

**** Et ce n'est pas la plus importante connue

4 commentaires:

  1. On peut le classer parmi les "supervolcans" ce truc ???

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  2. Intéressant bravo pour cet article complet =)

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  3. Excellent !

    Difficile déjà d'imaginer la formation d'une caldeira ignimbrite, alors un dôme de lave d'une telle ampleur...

    10 km de large et 600 mètres de haut... C'est juste... fou !

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  4. Encore un article passionnant! Bonne continuation

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