8 décembre 2014

Volcan Fogo: après Portela, c'est Bangaeira qui disparait sous la coulée (mis à jour 09 décembre, 16h47)

Avec deux villages disparus, une économie locale dévastée, plus de 1700 personnes (recensement de 2010) déplacées, c'est la crise volcanique la plus grave depuis le début du 21ème siècle: en l'espace de 15 jours seulement, c'est plus d'un siècle et demie d'histoire qui a littéralement été effacé sur l'île de
Fogo, les constructions les plus anciennes dans la Caldera remontant aux années 1860.

La coulée, bien alimenté au niveau de la fissure, a progressé rapidement, sans rencontrer d'obstacle topographique qui aurait pu dévier sa course: elle a avancé droit sur Bangaeira après avoir fait disparaitre ce qu'il restait de Portela, en longeant la paroi de la caldera.

La descente de la pente qui mène au village semble s'être faite le long de 4 fronts distincts qui, une fois arrivé en bas, ont fusionné pour n'en faire plus qu'un seul plus large. Le village n'a eu aucune chance de s'en sortir: 70% des habitations ont disparu en l'espace d'à peine 12 heures d'après les informations de Fogo News.

La coulée recouvre Bangaeira. Image: Fogonews
Maintenant que la coulée est sortie de la zone plane où se trouvaient Portela elle va poursuivre sa route (tant qu'elle sera alimentée) avec un peu plus de facilité en raison de la pente, certes faible mais bien présente, qui se dirige vers le nord-est. Elle pourrait toutefois rester confinée le long de la paroi de la caldera en raison de la présence de la coulée de 1951. Si tel est le cas elle aurait alors encore un peu plus de 4 km à parcourir avant d'atteindre la rupture de pente qui marque la fin de la caldera et plonge en direction de la côte, où se trouvent plusieurs autres villages (Corvo, Achada Grande, Relva).
Impossible évidemment de dire si la coulée va y parvenir: dans les temps historiques, aucune ayant pris naissance au pied du versant ouest du Pico n'a jamais atteint la côte. La dernière en date a être parvenue jusqu'à l’Atlantique est celle de 1857, mais la bouche qui avait produit la coulée s'était ouverte directement dans la pente, au sud-est du Pico: elle a donc eu moins de distance à parcourir et une pente forte dès sa source, ce qui lui a permis de progresser rapidement. Ici la faible pente obligera peut-être la lave à avancer en un front large progressant à vitesse réduite, et pour que la coulée arrive jusqu'à l'océan il faudra que l'éruption tienne le coup à cette même intensité encore quelques temps.

Cartographie de la situation avec quelques éléments du texte pour compléter. Image: Copernicus
Concernant la couverture médiatique fait à cet événement nous sommes nombreux à nous poser la question de savoir pourquoi les médias internationaux ne réagissent absolument pas à cette crise. Le docteur Rebecca Williams résume la question dans un tweet.

traduction: "ce qui attire l'attention des médias est surprenant. Hawaï: la lave menace une ville, ça fait la une des journaux internationaux. Fogo- la lave dévaste une ville, rien."

La comparaison est forte car dans le premier cas la coulée à progressé très lentement, mis plus de 2 mois pour arriver dans un village à très faible vitesse et n'a brulé qu'une maison, évacuée des semaines auparavant. Dans le cas du Fogo deux villages ont totalement été rayés de la carte en l'espace de 15 jours (même moins), les gens ont été obligés de déménager dans des conditions incroyables, portant leurs affaires à bout de bras,  dans des véhicules s’embourbant des les zones sablonneuses, obligés de vivre dehors plusieurs jours en assistant à la disparition de tout ce qui avait été construit, et en attendant surtout que les secours puissent ouvrir une nouvelle route d'accès pour effectuer l’évacuation, la seule route pavée de la caldera ayant été coupée dès les premières heures de l'éruption.


Mise à jour 09 décembre (16h47)

L'éruption se poursuit et la coulée de lave à beaucoup progressé depuis hier. Son front se situe maintenant à plus de 500 m au nord des dernières maisons de Bangaeira et continue de progresser en longeant la paroi de la caldera, bien qu'une partie de la coulée soit tout de même parvenue à s'étaler sur celle de 1951. Elle a ralenti sa progression aujourd'hui par rapport à hier, suite à un affaiblissement du débit à la source. Ce dernier est compensé par une hausse de l'activité explosive sur la fissure d'après les volcanologues du GEOVOL. Globalement, l'activité reste stable.
La prochaine zone de la caldera qui soit menacée est celle du Monte Velha ("vieille montagne") sur laquelle se trouve une réserve forestière contenant de nombreuses plantes, certaines endémiques: mais il s'agit surtout que de la principale zone boisée de l'île de Fogo, bien visible sur Google Earth sous la forme d'une tâche vert sombre qui tranche avec l'ambiance semi-désertique qui domine ailleurs. Il semble qu'il y au pied de la caldera, en bord de forêt, un petite zone construite appelée Fernão Gomez, commune de Mosteiros, décrite comme inhabitée par le porte-du gouvernement. Un peu en hauteur par rapport à la zone où s'écoule la lave, elle n'est pas directement menacée par elle. Mais elle pourrait l'être par des incendies déclenchés par la coulée.

Localisation du front de la coulée tel qu'il a été cartographié hier, et des principales zones construites qui sont sur sa trajectoire. Image: Copernicus, mappé sur Google Earth

A sa vitesse de progression, l'INVOLCAN (Institut de Volcanologie des Canaries) indique qu'il faudrait environ 3 jours pour qu'elle atteigne Fernão Gomez, qui marque la fin  de la caldera et le début de la pente qui descend vers l'océan, sur les villages de Corvo et Achada Grande, et même potentiellement Mosteiros si la coulée emprunte le couloir qui y descend.

Pour le moment les autorités ne semblent pas avoir décidé de d'ordonner d'autres évacuations préventives, mais l'analyse de cette option est en cours. En attendant sa potentielle mise en oeuvre, reste la communication vers les habitants concernés, afin qu'ils prennent connaissance de la situation et des mesures à prendre. Cette action est portée dès aujourd'hui par des bénévoles et organisée par les autorités suite à une décision prise hier soir. Celles-ci semblent par ailleurs avoir commencé à établir la logistique qui serait necessaire en cas d'évacuation: où les enfants vont-ils pouvoir aller à l'école? Où héberger les habitants déplacés? Comment optimiser les conditions sanitaires? etc etc etc...


Sources: Coprenicus; Fogonews; Twitter; INVOLCAN; Gouvernement Cap Verdien

10 commentaires:

  1. Pour la question que tu a évoqué, je trouve triste que quand un événement arrive au USA, même si au final, il est de faible ampleur. C'est toute les médias qui en parle. Mais pour une île "peu connu" de l'Atlantique, bien c'est silence radio.

    Faut aussi dire que la situation pour Pahoa était très bien médiatisé et l'USGS (hawaii volcano observatory) a fait un excellent travail pour décrire quotidiennement la situation. Pour le Fogo, il est vrai que plusieurs rapport était contradictoire, les images non datés, absence de suivie quotidiens de l'éruption *.

    * Et quand je dit absence, c'est une absence d'un suivie disponible en ligne pour la communauté internationale, car j'imagine qu'il y en avait un bien sur fait par les volcanologues et géologues sur place, mais qui n'a pas aboutie / être disponible pour nous, les internautes.

    En tout cas , la situation reste préoccupante et je pense pas que les gens de Bangeira ont eu le temps de procédé à l'évacuation de leurs biens.

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  2. Le traitement de l'information est sélectif .... mias il est assez étonnant que cela se passe comme ça .. la lave habituellement attire les touristes (dont certains gardent le sourire devant la catastrophe) et la presse. Fogo c'est vraiment pas loin, les gens connaissent le Cap Vert, tu as raison c'est vraiment bizarre ...

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  3. Ça concerne l'Afrique...et donc on en parle si il n'y a rien d'autre à mettre sur la tartine. En 1994, il avait fallu presque 3 mois pour que les médias se rendent compte qu'il se passait quelque chose au Rwanda...Et que l'on commence sérieusement à se préoccuper de la situation.

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  4. Qu'on cultive la caldeira je peux le comprendre, mais qu'on laisse des villages se construire alors que ce volcan peut visiblement entrer en éruption plusieurs fois par siècle...

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  5. Souvent les plus pauvres confrontés à la chereté des terrains ce qui est souvent le cas dans ce genre d'ile ne peuvent trouver qu'a construire dans des zones à risques ... comme chez nous dans les zones inondables ...

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    1. Il me semble que c'est précisément l'un des point soulevés par une étude française sur la vulnérabilité aux aléas volcaniques dans la Caldera de Chã,publiée en 2013.

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    2. Il me seble que c'est une loi générale. Même en région parisienne les bourgeois choisissaient les parcelles non inondables. C'est surement pour ça qu'on appelle notre région l'île de France :-) ahahahaha. Après ce sont peut-etre des aprioris je ne suis pas résident de fogo. Je ne peux donc pas comparer la valeur des terres en les parcelles plus en bord de mer que celle située la haut. Après j'imagine que c'est aussi la présence de terres arrables qui a conduit avec les temps à ce que les gens s'installent la. Après i doit exister une sorte de PLU ou de carte des risques. Tant que le risque n'est pas la tout va bien, on l'oublie même très vite. Cependant nous avons les assurances nous ! Je me souviens de l'itw que nous avions faite de Dominique la gérante de l'Esagonal à Sapienza, elle a été "détruite" par des coulées plusieurs fois, à chaque fois il a fallu trouver des fonds pour reconstruire. Il me semble qu'elle a elle même inclus le risque dans ses comptes.

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  6. Bonjour,
    Journaliste scientifique collaborant à futura-sciences.com, je souhaite écrire un article sur l'éruption au Cap-Vert.
    Comment vous joindre, svp ?
    Andréa Haug - contact@andreahaug.com

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  7. Bonjour à tous,

    Merci pour ce site très bien fait et pour toutes ces infos. Je viens d'écrire un long message qui s'est effacé, alors je le refait en plus bref : je suis Pauline Texier Fernandes Teixeira, et je travaille depuis 2010 à Fogo en tant qu'enseignant chercheur en géographie, et je suis co-auteur de l'article paru en 2013 sur Fogo et le risque volcanique.
    Je souhaite réagir par rapport à toutes ces remarques pertinentes : la terre dans la caldeira présente à la fois une valeur inestimable pour ceux qui la cultivent depuis 1917 et l'ont valorisée à la sueur de leur front, car elles sont fertiles et apportent de nombreuses ressources uniques à Fogo, à la fois sont sans "valeur foncière", puisqu'il s'agit de terres d'Etat, liées au Parc Naturel, et les habitants n'ont pas de titres de propriété, seulement un droit d'usage, dans la limite des autorisation du zonage du Parc. Deux événements ont marqué 2014 : l'émergence d'un plan d'urbanisation, interdisant entre autre plus de construction à Bangaiera et chamboulant la définition des lots de terre, et l'éruption, qui remet aujourd'hui tout en question. Aujourd'hui, il existe de très fortes tensions quant à l'avenir des habitants réfugiés de Cha : le gouvernement souhaite a priori les reloger dans les maisons de 1995 (dernière éruption), aujorud'hui délabrées, et ainsi éliminer en quelques sortes le risque, en déplaçant les gens exposés directement (ce qui n'est paradoxalement pas sans conséquence sur la vulnérabilité économique des déplacés!). A l'opposé, les habitants qui s'organisent depuis quelques jours en collectif autour de l'association des Guides de Cha, souhaitent retourner habiter dans la caldera, et continuer à vivre avec le risque. En effet, ils sont conscients des risques, mais il reste des terres cultivées pour le moment épargnées par le volcan : la terre, c'est la vie la bas. Sans terre, on ne survit pas. C'est ce qui explique qu'ils soient retournés vivre dans la caldera après l'éruption de 95. Alors que vaut il mieux ? Vivre avec le risque volcanique ? Ou survivre à la précarité quotidienne, qui représente à leurs yeux un risque beaucoup plus important ? A eux d'en décider!
    Bonne journée,
    ps : si vous etes sur Lyon, j'organise ce soir 17 décembre, à 18h30 une conférence sur Fogo au bar Le Pré Soir, 9, rue du jardin des plantes, métro Hôtel de Ville.
    Avec des amis et collègues, nous avons constitué un collectif pour leur venir en aide et soutenir leur action de reconstruction post-catastrophe : un pot commun a été ouvert en suivant ce lien : https://www.lepotcommun.fr/pot/b3e6mf1o,
    A bientôt!
    Pauline

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    1. Mme Texier Fernandes Teixeira, je n'ai qu'un mot: merci pour cet éclairage! J'ai lu l'article que vous avez coécrit, et il était tout simplement passionnant. Je ne suis malheureusement pas sur Lyon, auquel cas vous m'auriez compté parmi votre auditoire.

      Bonne journée à vous

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