30 octobre 2014

Volcan Turrialba: activité explosive assez importante cette nuit (mis à jour 04 novembre)

Avant tout: merci à Alain Thieriot de m'avoir informé de cette activité :-)

Car oui, une activité explosive, visiblement assez importante s'est déroulée dans la nuit, à 23h40 (heure locale) ce qui explique que les réseaux sociaux ne soient pas envahis d'images de l'événement. L'événement, qui semble à priori avoir duré environ 45 minutes, a été accompagné d'une sismicité
importante, certaines secousses ayant même été ressenties par la population locale.

Les éléments que l'on trouve à l'OVSICORI, observatoire de volcanologie Costaricain sont pour le moment peu importants. Des volcanologues font un survol de l'édifice afin de déterminer:
- quelle a été l'ampleur réelle du phénomène
- localiser l'évent actif
- relever les éventuels changements
- faire toute observation possible pour tenter de comprendre ce qui s'est produit
Inutile d'aller chercher des détails sur la webcam: elle ne fonctionne plus depuis juillet dernier.

Des images ont été collectées via les réseaux sociaux afin d'essayer de déterminer comment les cendres se sont dispersées. En tout cas les volcanologues étaient sur place en cours de nuit, pendant les chutes de cendres, pour une collecte toute fraîche!


Cendres collectées par un volcanologue de l'OVSICORI-UNA pour analyse. Image: CRHoy

Pour le moment il n'y a pas de données précises quand aux caractéristiques du panache: hauteur maximale, direction de dispersion, charge en cendres etc. Cependant on peut lire que des cendres sont tombées sur Heredia, à 55 km au nord-ouest de l'édifice et Coronado, à 25 km à l'ouest, dans les faubourgs de la capitale, San José. La direction du panache serait donc plutôt nord-ouest.

Des volcanologues étaient montés hier matin au sommet pour faire des relevés et avaient pu observer dans le cratère de très hautes températures. A l'observatoire, les sismomètres ont aussi enregistré des phases de trémor en cours de journée. Des volcanologues sont donc retourné au sommet pour faire aussi des observations de terrains. Il sera en particulier important de déterminer la nature de cette explosion, à savoir phréatique (sans magma) ou magmatique/phréatomagmatique (avec magma).
La première à toutes ses chances car le volcan produit de temps en temps ce type d'activité (mai 2013 pour la précédente), sans toutefois que cela prenne la forme d'une explosion vraisemblablement assez violente comme celle de cette nuit.
Aussi, les volcanologues ne semblent-ils pas exclure pour le moment que cette activité puisse être un signe avant coureur d'une activité magmatique. C'est en tout cas une hypothèse qu'il vont confronter aux données.


Quelques images des cendres.









Mise à jour 18h39

Au fur et à mesure que la journée avance au Costa Rica les informations deviennent plus nombreuses.
Tout d'abords, l'activité explosive de cette nuit a été suivie d'au moins une autre explosion au cours de la matinée. Elle a été photographiée à 08h29 du matin (heure locale) lors du survol effectué par les volcanologues de l'OVSICORI-UNA. La panache brun clair, avec un second petit panache plus clair à la base, semble aller dans le sens d'un rôle de l'eau dans cette activité (activité phréatique si il n'y pas de magma; phréatomagmatique si le magma participe et fournit une partie des cendres du panache).

Panache de cendres du volcan Turrialba, 30 octobre 2014
Le panache de cendre de 08h29 du matin. Image: Federico Chavarría/OVSICORI-UNA

Concernant les chutes de cendres, elle ont finalement été emportée vers l'ouest plutôt que le nord-ouest, et touché de nombreuses zones habité. Mon erreur viens d'une chose toute bête: il y a au moins 2 Hérédia, l'un au nord-ouest de l'édifice, et l'autre à l'ouest, dans la banlieue de San José. Heureusement il s'est agit de chutes faibles, donc sans conséquences particulières d'autant plus qu'elles ont eu lieu en pleine nuit.
Les volcanologues ont fait une "googlographie" simplifiée des zones touchées par les chutes de cendres.

Extension du panache de cendres du volcan Turrialba, 30 octobre 2014
Zones touchées par le chutes de cendres. Image: OVSICORI-UNA

Les volcanologues indiquent par ailleurs que l'événement n'est pas isolé: l'activité sismique a commencé à se modifier dès la semaine dernière, ce qui les avait incité à modifier le niveau d'alerte. Parallèlement le dégazage avait commencé lui aussi à changer, en particulier par une hausse significative du taux de SO2 émis.
Bref: ils n'ont pas été surpris par ces émissions de cendres, même si il n'est jamais possible de prévoir à l'avance ni le moment où elles commenceront, si leur intensité.

Enfin, détail important: les premiers témoignages laissaient penser que l'activité avait été assez violente. Il semble maintenant que plus le temps passe plus les qualificatifs soient plus "faibles" pour caractériser ce qui s'est passé cette nuit. Elle n'aurait par ailleurs duré que 25 minutes, entre 23h10 et 23h35 (heure locale).
Les choses se précisent donc.

En tout cas si l'hypothèse "phréatisme" se confirme pour cette activité, cela fera du Costa Rica l'endroit le plus phréatique du monde, avec une activité de ce type sur le Rincon de la Vieja en septembre, et sur le Poàs mi-octobre.


Mise à jour 31 octobre, 17h01

Le volcan continue de manifester des signes d'activité avec de nouvelles émissions de cendres ce matin. L'OVSICORI récolte en ce moment, via les réseaux sociaux encore, des images de l'événement. C'est vraiment dommage que la webcam soit HS, d'autant plus qu'elle produisait des images de grande qualité dans mon souvenir.

Panache de cendres émis à 07h54 (heure locale). Image: Deborah Gamboa, via OVSICORI-UNA

Nouvelles émission de cendres ce matin à 08h24 (heure locale). Image: Reina Sànchez, via OVSICORI-UNA


Les sismomètres enregistrent l'événement, avec la présence d'un trémor lié aux émissions. Ce signal sismique montre une augmentation très importante à partir de 01h45 du matin (heure locale) pour progressivement diminuer ensuite jusqu'à 6h du matin. Il redémarre vers 08h30 pour redevenir assez important: c'est à ce moment que l'image de droite est prise.

Le trémor enregistré depuis le 30 octobre minuit jusqu'à aujourd'hui. Images: OVSICORI-UNA

Mise à jour 01 novembre

L'OVSICORI-UNA a tenu une conférence de presse hier pendant laquelle ont été révélés les résultats des analyses des cendres récoltées.
Les observations au microscope ont permis de déterminer, sans l'ombre d'un doute, la présence de lave neuve (juvénile) mélangée aux cendres de lave ancienne. La composition minéralogique semble aller vers une lave de composition d'andésite basique, mais c'est à confirmer par d'autres types d'analyse.
L'activité en cours depuis le 29-30 n'est donc pas purement phréatique mais phréatomagmatique, le magma mis en place depuis 2005 (voir commentaire du volcanologue Robin Campion ci-dessous) participant activement à cette activité. Il est possible que les modifications de la sismicité enregistrée depuis mi-septembre (visiblement après une secousse de magnitude 2.8 située à l'aplomb de l'édifice) soient du à la migration d'une partie de ce magma vers des niveaux lus superficiels, conduisant à l'activité que connait le volcan actuellement.
L'activité continue actuellement d'émettre des cendres, par phases visiblement. Au moins 7 se sont produite entre la nuit du 29-30 et hier, certains panaches pouvant atteindre le kilomètre de haut.
Pour le moment les volcanologues de l'OVSICORI-UNA maintiennent le niveau d'alerte au jaune-1 (niveau 4 sur une échelle de 1 à7) et n’excluent pas que l'activité puisse monter en puissance (et si elle dure devenir totalement magmatique une fois que tous les fluides auront été évacués) et le niveau d'alerte avec elle.
Les volcanologues précisent que c'est la première fois depuis une centaine d'années que du magma juvénile est émis: la situation est donc inédite pour cet édifice et les volcanologues qui travaillent dessus.




Mise à jour 2 novembre

Un nouveau rapport édité par l'OVSICORI-UNA nous précise encore un peu plus sur ce qui se passe actuellement.
Avec un point important par rapport à ce que pouvaient suggérer les images et l'activité historique sur ce volcan: le système hydrothermal ne semble pas vraiment participer à l’activité en cours.
L'OVSICORI-UNA arrive à cette conclusion en étudiant la manière dont le rapport entre les quantités de CO2 et celles de SO2 ont varié dans le temps. La valeur de ce rapport peut en effet servir de signature entre les différentes sources: un système hydrothermale ne délivre pas les mêmes quantité de CO2 et SO2 qu'une poche de magma.
Or avant le départ de l'activité explosive le rapport est monté en flèche, ce qui signifie que le CO2 a fortement augmenté par rapport au SO2. Cela est très fréquent lorsqu'une poche de magma s'approche de la surface car le CO2 est le gaz le moins soluble dans le magma: il est donc le premier a s'en échapper en grande quantité.
Après le départ de l'éruption par contre le rapport CO2/SO2 s'effondre: il y a moins de CO2 et/ou plus de SO2 émis.

Evolution du rapport CO2/SO2 du volcan Turrialba entre juillet et octobre 2014
Évolution du rapport CO2/SO2 entre juillet et novembre 2014. Image: OVSICORI-UNA


Or l'OVSICORI-UNA nous révèle que la valeur de ce rapport est actuellement compatible avec une source purement magmatique, sans interaction avec le système hydrothermal.


Panache de cendres du volcan Turrialba, 01 novembre 2014
Le panache de cendres du Turrialba, 01 novembre 2014 a matin. Image: Roxana Rojas Elizondo, via OVSICORI-UNA


Et voilà que s'offre à nous une question de "sémantique volcanologique". Car alors que l'analyse des gaz semble suggérer que l'éruption est déjà magmatique, il y a actuellement moins de 10% de magma neuf dans les cendres récoltées, le reste n'est constitué que de laves anciennes pulvérisées par l'activité.

Avec moins de 10% de magma neuf dans le dépôt il semble à priori difficile difficile de caractériser cette activité comme "magmatique".
Or l'absence de participation du système hydrothermal ne permet pas non plus, contrairement à ce que je pensais plus haut, de la caractériser comme "phréatomagmatique".

Ni l'un, ni l'autre? Mais alors, comment qualifie-t-on une éruption dans ce cas-là? Le rapport de l'OVSICORI-UNA ne donne pas de réponse et ne qualifie plus  l'activité en cours (le qualificatif "phréatique" a été donné par les volcanologues Costaricains dès le 30 octobre).
Lorsque ce type de dépôt se forme en début d'éruption, et qu'on le reconnaît sur le terrain dans des dépôts anciens, on parle souvent de phase, ou dépôt, de "débourrage". Mais généralement c'est juste la première phase d'une activité, le moment où l'échappement des gaz magmatiques érode les cheminées, les "débourre", autrement dit les ramone. D'ailleurs l'OVICORI précise que la proportion de lave juvénile (neuve) a augmenté entre les 30 et 31 octobre passant de 2-3% à 7-10 %, signe que les conduits ont été de moins en moins érodés, puisqu'ils ont moins participé au dépôt.

Il n'est pas rare que dans une séquence de dépôts laissée par une éruption magmatique on trouve, à la base, le "dépôt de débourrage", remplacé ensuite par des dépôts estampillés "100% pure lave", les quelques fragments de roches étrangères accidentellement trouvés étant alors regroupés sous le terme "xénoclaste" ("roches fragmentées étrangères").

Panache de cendres du volcan Turrialba, 01 novembre 2014
Le panache de cendres du Turrialba, 01 novembre 2014 a matin. Image: Cintya Pamela Obando Meza, via OVSICORI-UNA

Quid de l'adjectif qualificatif si l'activité cesse maintenant et ne laisse que ce dépôt mixte 90% roches anciennes + 10 % magma neuf?

En fait c'est le mécanisme de l'activité qui, à mon sens, donne la réponse, au delà de la composition du dépôt: si le processus qui alimente l'éruption est le seul dégazage du magma, sans interaction avec un système extérieur (type système hydrothermal), alors l'éruption ne peut être considérée que comme magmatique, même si la proportion de magma dans le dépôt laissé est minime.
Quand on parle d'éruption, il faut donc en fait entendre "mécanisme éruptif" or, dans ce cas il semble, à l'analyse de la composition de gaz, que seul le magma est la source de cette activité: elle est donc magmatique.

Mise à jour 04 novembre (09h40)

Un nouveau rapport mis en ligne par l'OVSICORI-UNA hier indique que l'activité sismique diminue progressivement, bien qu'elle reste supérieure à la normale. L'activité explosive, de son côté,  a cessé. Le rapport est aussi interessant à un autre titre: les volcanologues qualifient l'activité éruptive de strombolienne, qui est un des styles des éruptions magmatiques. Il serait interessant de savoir comment a évolué la proportion de magma après le 31 octobre afin de voir si le qualificatif est employé:
- parce que la proportion de magma a augmenté dans le dépôt ou
- malgré le fait qu'il n'y ait que 10% de magma neuf dans le dépôt.
Vous me direz "oui bon là tu chipotes!"...Ben pas tout à fait car, pour bien parler de quelque chose, il faut d'abord bien le nommer...ce qui implique qu'il doit d'abord être bien définit.
Bref, je m'égare, revenons au Turrialba: voilà une comparaison d'images avant-après l'explosion de la nuit du 29-30 octobre du cratère actif: la retouche est on ne peut plus sérieuse...


Modification du cratère actif du volcan Turrialba par l'explosion du 29-30 octobre 2014
Modifications de la taille du cratère actif par l'activité explosive du 29-30 octobre. Images: Carlos Borbon/Getty Image et QCostarica (auteur non identifié)


Sources: commentaire d'Alain Thieriot dans mon post précédent; OVSICORI-UNA; CRYoy; Twitter;QCostaRica;CNN

6 commentaires:

  1. Au vu de l'aspect du panache (volutes gises-brune mais sans volutes blanches dans le panache meme de l'explosion) j'aurais plutôt l'impression qu'il s'agit d'une explosion assez "seche" et donc provoquée par du gaz mgbmatique. Pour la base du panache blanc, ca peut simplement etre la condensation d'humidité atmospherique (tres abondante dans les topiques). la littérature récente sur le Turrialba (l'article de Vaselli de 2010 et le mien de 2012) a permis d'identifier avec une quasi certitude une intrusion de magma juvénile mise en place a partir de 2005 a faible profondeur.

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    1. Salut Robin.
      L'image seule, dont l'interprétation est subjective (nous regardons la même image mais nous ne voyons pas la même chose), n'est pas suffisante c'est évident. Au mieux il aurait fallu une vidéo, souvent le mouvement, la dynamique est révélatrice de certains détails.

      Mais surtout l'OVSICORI a employé le qualificatif "phréatique" dans son bulletin (mis en ligne hier ou aujourd'hui), bulletin qui me frustre un peu car il fait bien la chronologie des événements, mais ne donne pas de résultats d'analyse des téphras, seuls à même de caractériser l'événement (quand je dis "frustré c'est un peu exagéré: j'ai conscience que ce type d'analyse peu prendre du temps). J'aimerais bien savoir si du magma de 2005 a participé ou pas (je t'avoue que j'en doute, mais douter sans arguments ce n'est pas de la science, :-)).

      http://www.ovsicori.una.ac.cr/index.php?option=com_phocadownload&view=category&download=544:erupcion-del-volcan-turrialba-del-29-de-octubre-2014-erupcion-de-cenizas-moderada-entre-las-1110-y-1135-pm&id=43:prensa-2014&Itemid=54

      La participation de gaz magmatiques est en effet très probable, vu la hausse du taux de SO2 et des températures du dégazage avant l'événement.

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  2. Oui, activité magmatique. Comme tu le dis, la hausse du SO2 et les températures de dégazage post-éruption vont clairement dans ce sens.
    Si on parle mécanisme éruptif, la profondeur d'explosion n'est pas forcément la surface, comme au Stromboli par exemple. Dans ce cas, il faut alors le temps de décaper le conduit avant que l'activité n'expulse que le juvénile. L'augmentation de celui-ci entre le 29 et le 30 ne serait alors que le début de la diminution du vieux magma dans les dépôts.
    Comme souvent, le temps permettra de confirmer ça mais vu les éléments, j'opterai pour une activité magmatique.

    Ludovic

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    1. Réflexion personnelle.
      Imaginons que l'activité s'arrête et qu'un(e) volcanologue vienne dans 500 ans pour étudier le dépôt.
      Comment va-t-il (elle) le qualifier, et donc l'éruption qui l'a produit? Magmatique ou non?
      Se contentera-t-il (elle) d'un vague "produits de débourrage" sur sa minute de terrain?

      En fait il manque une analyse fine des téphras pour caractériser l'activité et mon choix d'employer le terme "magmatique", quoi que justifié par le fait que les signaux géochimiques semblent indiquer que c'est le magma qui est seul moteur de l'activité, n'est pas obligatoirement le plus juste. :-)


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    3. Oui, j'imagine qu'il identifiera cela comme du débourrage.
      Et pour moi, ta mise à jour d’aujourd’hui va dans notre sens. L’activité est décrite comme strombolienne en rapport aux panaches discrets et de « faible ampleur » mais le dynamisme strombolien renvoie à un caractère purement magmatique. Il fait donc référence au dépôt. Visiblement, sur ce point, on n’a pas plus d’info et j’ai hâte de savoir si la proportion de juvénile augmente. Auquel cas, il serait évident qu’une activité strombolienne au sens strict démarre et que l’on serait actuellement dans un moment de mise en place du système. La photo que tu nous joins va d’ailleurs clairement dans ce sens car un cratère est visiblement en train de se former. Il se forme car le niveau d’explosion se situe sous la surface et expulse le vieux matériel sus-jacent. Ce dernier devrait donc diminuer dans le dépôt jusqu’à ce que le cratère soit stable et bien formé. Le magma juvénile deviendrait alors largement dominant.
      L’activité est en tout cas très intéressante, pédagogique.

      Ludovic

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