30 avril 2024

Volcan Ruang : nouvelle séquence paroxysmale

Après la première séquence éruptive des 16-17 avril, dont le paroxysme a été atteint le 17, le système volcanique a manifesté une activité globalement plus faible. Quelques panaches de cendres dans les dizaines d'heures qui ont suivi, puis simplement un dégazage assez soutenu.

Les images satellites SENTINEL et LANDSAT qui ont pu être réalisées au cours de cette phase plus calme ont permis d’évaluer l'impact du premier paroxysme sur l'île. On y distingue de nombreux dépôts d'écoulements pyroclastiques, en particulier sur les versants nord et est, le reste de l’île étant couverte de cendres.

En couleurs naturelles la couleur dominante est le gris des cendres, ce qui donne l'impression que la couverture végétale a été totalement dévastée. Toutefois, lorsqu'on produit une composition non pas en couleurs naturelles mais en intégrant des infrarouges, qui permettent de détecter la chlorophylle (qui apparait alors en rouge sur l'image, on s’aperçoit que la couverture végétale s'en est pas trop mal tirée sur la bande côtière. Les dépôts d'écoulements pyroclastiques apparaissent eux-aussi de manière plus claire, en gris sur fond rouge (ils étaient gris sur fond gris en couleur naturelle, de facto moins faciles à visualiser.

L'île en couleurs naturelles le 28/04/2024 : le gris domine, on dirait qu'il ne reste pas de végétation vivante. Image : LANDSAT 8/9 - NASA/USGS

 
L'île en fausses couleurs, intégrant des infrarouges : le rouge indique les zones de végétation vivante. Image : LANDSAT 8/9 - NASA/USGS


Ces images satellites ont toutefois un défaut : les nuages masquent le sommet. Heureusement les images radar n'ont pas ce souci et permettent de regarder l'évolution de la topographie suite au premier paroxysme. Le cratère sommital est maintenant plus large et plus profond qu'il ne l'était avant le paroxysme. À noter qu'aucun signal thermique n'a été détecté suite à la première phase paroxysmale : il semblerait donc qu'elle ait été purement explosive, pas de formation de dôme ni d'autres forme d'activité effusive.

Le cratère sommital a été élargit et approfondi pendant la première phase paroxysmale (comparaison d'images faites les 14 et 26 avril). Images : SENTINEL 1 - ESA/Copernicus

Côté sismicité cette phase de calme était aussi de mise, comme en témoigne le relevé de la sismicité partagé par le site Id_MAGMA (du PVMBG). Toutefois ce calme restait relatif : la période du 20 au 23 avril a été marquée par une crise sismique dominée par des secousses volcaniques profondes et plus superficielles (resp "Dalam" et "Dangkal" sur le graph ci-dessous), probablement en lien avec des transferts de fluides (magma et/ou autres).

Sismicité depuis fin janvier. Le pic de sismicité en lien avec la première séquence éruptive est claire, puis vient une crise sismique plus discrète mais sans activité éruptive associée...avant un troisième pic. Image : Id_MAGMA/PVMBG

Mais ce calme a pris fin avant 19h00 TU le 29 avril (avant 3 h du matin heure locale le 30 avril) avec la survenue d'une nouvelle séquence paroxysmale. Peu avant, vers 1h15 heure locale, la webcam du PVMBG avait pu repérer un panache de cendres signant le retour d'une activité explosive, au départ modeste, dans le cratère sommital.

 

Émission de cendres vers 01h15 heure locale le 30 avril. Image : PVMBG-BG-KESDM

La situation rapidement dégénéré avec la rapide montée en puissance de l'activité explosive qui a de nouveau produit une très volumineuse colonne de cendres qui a atteint une altitude estimée à plus de 19000 m par le VAAC de Darwin. La tropopause étant située vers 17000 m à l'équateur il n'est pas impossible que, pour cette seconde séquence paroxysmale, une portion de gaz et cendres ait été injectée dans la basse stratosphère, toutefois cela reste à confirmer. La tête du panache s'est, pour l'essentielle, écrasée sur la tropopause, formant une ombrelle circulaire qui, au bout de plus de 2 heures de paroxysme, atteignait un diamètre de 200 km.

Développement de la tête du panache de cendres. Images : Himawari 8/JMA


Ambiance spectaculaire au levé du jour. Le panache, large d'environ 200 km, est marqué par les ondulations des ondes de gravité. Image : Himawari 8/JMA


Pendant la partie nocturne de la phase paroxysmale une quantité innombrable d'éclaires ont été observés dans le panache. Rapidement des chutes de fragments ont été recensées sur l'île voisine de Tagulandang, blessant des personnes, perçant des toitures en tôle et, à ce qu'il semble, déclenchant parfois des incendies.

Au petit matin l'image transmise par la webcam du PVMBG montrait de nombreux écoulements pyroclastiques atteignant la côte, mais il semble que des écoulements aient été produits aussi pendant la phase nocturne de l'éruption.



Deux images montrant la formation d'écoulements pyroclastiques au cours de la nuit et au début de journée. Images : PVMBG; KB-DESDM; Id_MAGMA

Une première estimation du volume de magma éjecté (Dense Rock Equivalent), basé sur la dispersion du panache de cendres, donne entre 0.4 et 0.5 milliards de m3 (0.4-0.5 km3), ce qui, couplé avec l'altitude max du panache et la durée de la phase paroxysmale (entre 2 et 3 heures à priori), tombe sur un VEI préliminaire de 4 et dans la gamme des dynamiques éruptives vulcanienne-subplinienne et plinienne. Il faudra encore pas mal d'analyses de données, géologiques (étude des caractéristiques des dépôts) géophysiques (analyse de la sismicité, déformations) et satellitaires pour affiner ces proto-diagnostiques.

Vers 1h00 TU une nouvelle explosion, nettement moins intense a produit un panache moins riche en cendres, rapidement dispersé, puis le calme est progressivement revenu. 

Autre explosion, bien plus modeste, vers 01h00 TU (09h00 heure locale). Image : Himawari8
 

 

En tout cas il est intéressant que des écoulements pyroclastiques aient eu lieu à différentes étapes de la séquence paroxysmale, en particulier au moment correspondant à peu près à la phase la plus intense et à la phase où l'intensité commençait à faiblir à priori. Il est possible que les situations à l'origine de ces écoulements aient variés (densité trop importante de certains secteurs du panache à l'origine d'effondrements de portions de ce dernier; baisse de débit de l'alimentation de la colonne de cendres provoquant d'affaissement de portions de cette dernière etc). J'espère que tout cela sera étudié et que nous pourrons y voir plus clair.

Espérons que l'activité a atteint la son maximum et qu'elle ne passera pas le cran au-dessus (un VEI 5 par exemple) : les conséquences pour l'île voisine ne seraient sûrement pas anodines.

Sources : Himawari 8; PVMBG; KB-DESDM; Id_MAGMA; SENTINEL 1 - ESA/Copernicus; LANDSAT 8/9 - NASA/USGS; AIRES



4 commentaires:

  1. Bonjour tout le monde,
    Sur cette nouvelle éruption, il y a clairement une injection stratosphérique importante, comme le montre la partie centrale du panache beaucoup plus chaude que les bords de l'Umbrella, parce que qu'elle a réussi a franchir l'inversion thermique de la tropopause. Je ne serais pas étonné qu'en réanalyse on calcule a une altitude maximale de colonne de 25 ou meme 30km.
    Le vent parait avoir joué un role important dans la direction principale prise par les coulées pyroclastiques, heureusement qu' il soufflait vers l'Est, ca a probablement sauvé beaucoup de personne sur l'ile voisine

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    1. Bonjour Robin. Merci pour ton commentaire et pour compléter il commence effectivement à y avoir un 25 km qui circule (par Simon Proud, ESA) mais l'auteur indique pour l'instant que cette valeur, calculée avec la parallaxe obtenue à partir de données de plusieurs satellites, n'est pas une valeur définitive (possiblement revue à la baisse comme à la hausse, we'll see). Donc effectivement le 19 km du VAAC de Darwin semble avoir une estimation préliminaire à priori sous-évaluée et il faudra donc attendre un peu pour avoir une donnée précisée avec une marge d'erreur réduite. En tout cas c'est intéressant de voir à quel point ce n'est pas simple d'avoir une mesure instantanée de l'altitude. Passe un bonne journée en tout cas et commente quand tu veux : c'est toujours un plaisir :)

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  2. Salut Fabrice , je crois que tu t'es emmêlé les zéros sur l'estimation du volume émis : tu dis 0,4km3 c'est à dire 4 à 5milliards de mètres cubes, alors qu'on est sur 400 à 500 millions de m3. (1 km3 = 1 milliard de m3)
    Et donc en effet on serait sur un VEI 4, comme le Merapi en 2010 ou le kelud en 2014.
    Bonne continuation !
    Ced

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    1. Salut Ced. Oui, évidemment! C'est corrigé dans le texte :) Voilà en quoi les commentaires sont utiles. Merci

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