17 avril 2024

Volcan Ruang : départ d'une activité éruptive (mis à jour x2)

C 'est par le biais d'un bulletin du PVMBG que l'information est tombée : une activité éruptive a débuté dans le cratère sommitale de cette île de l'archipel des Sangihe (entre Sulawesi et les Philippines), dont il ne faut pas confondre le nom avec le volcan Raung (île de Java). Et bien qu'il ne soit pas possible de savoir précisément comment elle va se dérouler, l'analyse des éruptions passées de ce système volcanique ne donne pas de quoi se réjouir pour les insulaires...

Les informations données par les volcanologues Indonésiens indiquent qu'une activité éruptive a été observée à partir de 13h37 heure locale (TU + 8). Je n'ai pas vu passer d'images de cette activité et rien n'est perceptible sur les images satellites alors disponibles, plutôt en basse résolution. Et l'absence de quelque chose est aussi une source d'information : si rien n'est visible sur les images à basse résolution c'est que cette activité éruptive est d'une ampleur faible à modérée et produit peu de cendres (en tout cas au moment du passage du satellite).

Côté infrarouges le satellite Himawari 8 détecte bien à 06h30 TU (13h30 heure locale), au niveau de la position de l'édifice, un signal dans la bande 7  (3,85 µm, infrarouge moyen) et qui semble donc correspondre à un signal thermique lié à l'éruption.

Signal infrarouge au niveau du site éruptif. Image: Himawari / JMA

Après la tombée du jour des images montrent par ailleurs une incandescence intense dans le cratère sommital, le tout surmonté d'un panache de cendres haut de plusieurs centaines de mètre, ne laissant aucun doute sur la nature éruptive, et au moins en partie explosive, de cette activité.

 

Activité éruptive explosive soutenue au sommet du Ruang. Image : PVMBG (prise depuis l'île voisine de Pulau Thulandang probablement)

 

L'île étant de taille réduite (13 km²) et les zones habitées obligatoirement proches de l'activité, les habitants ont été évacués, et le niveau d'alerte volcanique a été élevé à 3 le 16 avril à 16h00 (heure locale).

Pour mémoire ce niveau d'alerte avait été élevé à 2 en mars 2015 suite à l'apparition d'une sismicité inhabituelle, mais cette crise sismique s'était atténuée la même année et l'alerte volcanique avait été réévaluée à la baisse. Elle avait été réévaluée à 2 le 16 avril 2022 en raison d'une sismicité à nouveau inhabituelle puis, la crise sismique s'atténuant, l’alerte volcanique avait été réévaluée à 1 la même année. Le niveau d'alerte a été réévaluée une nouvelle fois à 2 au matin du 16 avril 2024 en raison d'une hausse de la sismicité importante sur la période 01-15 avril 2024, avant d'être à nouveau évalué à 3 le même jour à 16h00 (heure locale) avec le démarrage de l'activité éruptive.

Toutefois pour l'heure, et même si les images sont assez impressionnantes, la quantité de cendres produite semble encore peu importante. Elles ne naviguent en effet qu'à une altitude assez réduite, suggérant une activité explosive modérée, et sont rapidement dispersées dans l'atmosphère.

Panache de cendres peu dense en dispersion dans l'atmosphère, le 17 avril. Image : MODIS/NASA

Malgré tout le VAAC de Darwin indique qu'une partie des cendres semble avoir été injectée jusqu'à une altitude de 13 km (détection à 02h50 TU le 17 avril, soit 10h30 heure locale), vraisemblablement en lien avec une courte phase explosive plus intense. C'est probablement ce panache que l'on voit en dispersion sur l'image MODIS. Le VAAC de Darwin précise que le reste des cendres circulent dans l’atmosphère à une altitude  de 1500 m environ (le sommet de l'édifice étant déjà à 725 m d'altitude, la hauteur du panache n'est donc que de quelques centaines de mètres, en cohérence avec les informations du PVMBG).

La dernière éruption confirmée remonte à septembre 2002. Violemment explosive (son VEI a été évalué à 3 ou 4), elle avait était assez brève  (la paroxysme n'a duré que 7 heures) mais avait fortement impacté la moitié sud de l'île soit par la mise en place d'écoulements pyroclastiques importants (sur le quart sud-est) soit par d'abondantes chutes de cendres et ponces. L'image LANDSAT ci-dessous, faite à peu près un mois après le paroxysme, montre bien toute la zone dévastée par l'activité, la zone la plus peuplée de l'île étant le village situé sur la pointe ouest, à 2 km du sommet.

La moitié sur de l'île-volcan Ruang couverte de cendres, le 25 octobre 2002. Image : LANDSAT 7 - NASA/USGS

Bien que cela ne soit pas bien visible sur l'image satellite, on voit aussi une coulée visqueuse (tâche sombre) qui descend depuis le sommet sur la côte est. Par ailleurs la formation de dômes de lave a été observée dans le cratère sommital. Tout cela indique que les magmas qui arrivent en surface peuvent être assez fréquemment d'une assez haute viscosité ce qui est souvent corrélé  avec une activité explosive soutenue, et même parfois d'une très haute intensité.

Aussi, bien que les habitants de l'île aient été évacués et soient hors de danger, l'inquiétude doit être grande de perdre leur habitations et éventuellement leur source de revenu sur l'éruption s'intensifie et détruit la végétation, les cultures.

Espérons donc que l'activité restera  à un niveau modéré et que les dégâts seront limités.

 

Mise à jour, 17/04, 22h23

 

L'activité explosive, modérée, décrite en première partie du post avait, semble-t-il, couvert une partie du versant est de l'île. 

Dépôts de cendres sur la partie est de l'île. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus


Mais c'était à redouter : l'activité éruptive est devenue plus violemment explosive à partir de 12h30 TU (20h30 heure locale) aujourd'hui avec la mise en place d'un puissant panache de cendres qui a rapidement atteint une altitude estimée par le VAAC de Darwin à 16km (tropopause).

Développement du panache de cendres dont la forme devient circulaire au moment où il percute la tropopause. Puis il est progressivement dispersé par le vent. Images : Himawari/JMA

 

Les photos prisent depuis l'île voisine de Pulau Thulandang montrent la production d'imposants écoulements pyroclastiques, au moins sur le versant est, qui sont à priori arrivés jusqu'en mer. Une alerte tsunami a été déclenchée pour les îles voisines qui, par ailleurs, subissent les chutes de cendres et lapilli ponceux. Le tout est illuminé par de nombreux éclairs qui zèbrent le panache.

Mise en place d'un écoulement pyroclastique sur le versant est. Image:  auteur inconnu, partagé via X par FPMKI

 

Par contre je vois déjà fleurir sur les réseaux les termes d'activité "plinienne", "sub-plinienne" et des valeur de VEI, certains estimant que ça pourrait être 6.

Pour être clair sur ces points: on ne caractérise pas une activité comme plinienne ou subplinienne et on ne donne pas une valeur de VEI pour une activité explosive sur la seule base des impressions que donnent les images. Plusieurs paramètres caractérisent une activité plinienne, en particulier:

- l'intensité de l'éruption (=combien de kg de lave par seconde)  doit être comprise entre 1 million et 100 millions

- la hauteur du panache (qui doit dépasser les 20 km)

- l'activité explosive doit être stable et maintenue 

Et au-delà de ces caractéristiques, qu'il faut pour la plupart pouvoir déterminer à postériori (et donc pas pendant l'éruption, sauf pour la hauteur du panache), il faut aussi aller regarder les caractéristiques des dépôts laissés. Pour le moment ça ne ressemble pas à du plinien, mais on verra ce qu'en disent les études qui permettrons de quantifier cette activité.

Idem pour le VEI (qui n'est pas exempt de défauts): pas la peine de donner une valeur pendant la phase éruptive : la valeur de l'éruption est celle qui est déterminée au moment de la plus intense phase paroxysmale et pour le moment on ne sait pas comment va évoluer l'éruption en cours. Par contre, pour le moment on est loin d'un VEI 6.

Bref : pas la peine de commencer à classifier une activité avant même qu'elle ne soit terminée.


Mise à jour, 21/04, 12:09

Une activité explosive bien plus modeste se poursuit sur l'île, dont la majeure partie de la surface est couverte du dépôt de cendres et ponces de la phase paroxysmale.

Panache éruptive d’une activité explosive modérée, le 20 avril à 01h11 du matin heure locale. Image : PVMBG/Id Magma

 

Une image satellite LANDSAT réalisée le 20 avril permet de constater la présence de plusieurs dépôts d'écoulements pyroclastiques sur le quart nord-est. Les nuages ne permettent pas de faire un bilan précis des zones impactées par ce phénomène mais il semble que ce soit surtout ce versant qui ait été touché. C'est probablement une bonne nouvelle pour les insulaires évacués : le village de Tongeng Laingpatehi semble être surtout couvert de cendres et il est envisageable que les dégâts puissent être réparés une fois la situation revenue au calme. 

L'île couverte de cendres le 20 avril. Les zones gris plus clair sur le versant nord sont à priori des dépôts d'écoulements pyroclastiques. Image : LANDSAT 8/9 - NASA/USGS

La situation est donc, pour le moment, tout à fait similaire à ce qui s'est passé en 2002 : une phase paroxysmale intense, assez brève, avec formation d'écoulements pyroclastiques. Il est donc envisageable que, comme en 2002, l'activité diminue progressivement et que la phase critique soit passée. Toutefois il faudra un peu de temps pour en être sûr.

Parallèlement à ça les chutes de cendres de la phase paroxysmale ont ensemencé les eaux de la mer des Molluques. Une vaste tâche colorée a en effet été repérée dès le lendemain du paroxysme et si au départ elle pouvait avoir pour cause les cendres en suspension dans l'eau, les données satellites ont rapidement confirmé, via la détection de la chlorophylle a, la formation d'un vaste bloom phytoplanctonique. Au 20 avril la surface de cette zone en pleine explosion de vie microscopique était d'environ 21600 km² et la concentration en chlorophylle a était, dans la zone la plus dense (orange), de 1,5 mg/m3 d'après les données satellites.

Vaste zone de bloom phytoplanctonique provoqué par les chutes de cendres du paroxysme. Image: MODIS/NASA & Suomi NPP


Ceci implique qu'une partie du CO2 émis par l'éruption est d'ores et déjà compensée* sous forme de matière organique océanique. Difficile d'estimer précisément la quantité de CO2 compensée (ça doit être possible de le faire mais je n'ai pas du tout les compétences en biochimie, je suis même à des années lumières). Mais disons, pour se donner une idée de l'ordre de grandeur, que pour une moyenne de 1mg/m3, et si on prend pour hypothèse que la chlorophylle a n'est présente que dans une lame d'eau épaisse de 1 m (dans l'unique but de simplifier le calcul de l'estimation):

- une surface de 21600 km² (21,6 milliards de m²) correspond à un volume d'eau de 21,6 milliards de m3, soit 21,6 millions de grammes de chlorophylle a 

- la formule de la chlorophylle a est C55H72MgN4O5: il faut donc absorber 55 molécules de CO2 pour avoir 55 atomes de C et produire une molécule de chlorophylle a (si on émet l’hypothèse que ce carbone est 100% prélevé dans l'atmosphère, par photosynthèse).

-  sachant que 1 mole d'atomes (ou de molécules) représente 6,02214076x1023 entités (atomes, molécules) et que pour la chlorophylle a chaque mole vaut 893,509 g alors 21,6 millions de grammes valent 241743 moles de chlorophylle a.

- Or pour faire une mole de chlorophylle a il faut 55 moles de carbone, donc les 241 743 moles de chlorophylle a correspondent à 13 295 865 moles de carbone. Or la masse molaire du carbone est de 12g/mol donc les 13 295 865 moles de carbone valent une masse de 159 550 380 g, soit 159,5 tonnes de carbone** stocké uniquement sous forme de chlorophylle a. Mais je le redis ce n'est qu'une estimation à la louche d'un ordre de grandeur, n'allez pas prendre ces valeurs comme officielles. J'espère toutefois qu'il y aura des études sur ce point qui apporterons des précisions.

Mais évidemment la chlorophylle a n'est pas libre dans l'eau : elle est enfermée dans des organites (chloroplastes) qui sont eux-même enfermés dans une cellule. Tous les composants d'une cellule (membranes, cytosquelette, ribosome, adn, organites  et tout le reste) sont constitués de molécules à base de carbone. Comme un bloom est une multiplication exponentielle du nombre de cellules la masse de carbone stocké estimé ci-dessus n'est probablement que dans la fourchette basse de l'estimation : bien plus de carbone est en réalité pompé par ce bloom phytoplanctonique (pour construire les cellules mais aussi parce que l'épaisseur d'eau où se trouve la chlorophylle fait probablement plus d'un mètre).

Dernier détail : une analyse préliminaire des données Himawari 9 par la société AIRES, concernant l'étalement de la tête du panache de cendres, arrive à une estimation (préliminaire donc) d'un volume émis de 0.2 km3, soit un VEI3 haut ou un VEI4 bas. 

L'étalement de la tête du panache a été alimenté essentiellement au cours des deux premières heures, puis l'activité a diminué et l'étalement a été plus passif et régulier. Image : AIRES


* je raisonne bien en terme de compensation. Dans la démonstration qui suit j'estime la quantité de carbone qui correspond à la quantité de chlorophylle mesurée par satellite. Mais pour le phytoplancton je suppose que la source de carbone n'est pas directement prélevé dans l'atmosphère mais plutôt un carbone dissouts dans l'eau. Il faut donc voir le bloom comme une consommation locale du CO2 dissous dans l'eau, mais qui sera plus tard compensé ("bouché") par du CO2 atmosphérique, notamment celui de l'éruption, qui diffusera dans l'eau et ne restera donc pas dans l'atmosphère.

** je parle bien du carbone, pas du CO2, qui pèse plus lourd, à savoir 12+2x16 = 44 g/mol. Si 100% de la masse de carbone prélevé, uniquement pour la production de chlorophylle a est d’origine atmosphérique alors ça correspond à une masse de CO2 prélevé dans l'atmosphère de 585 tonnes, donc beaucoup plus pour produire l'ensemble des cellules qui contiennent cette chlorophylle a

Sources : PVMBG ; MODIS/NASA; LANDSAT 7-NASA/USGS;Himawari-JMA; MODIS/NASA; auteur inconnu, partagé via X par FPMKI ; PVMBG/Id Magma; AIRES

5 commentaires:

  1. Bonjour le dernier rapport était pourtant clair fracturation tectonique volcanique. Il y a eu une augmentation de la sismicité, en particulier des tremblements de terre volcaniques profonds (VT) suite au tremblement de terre tectonique du 9 avril 2024 et du 14 avril 2024. Selon le BMKG, le tremblement de terre tectonique du 9 avril avait une magnitude de 6,4, une profondeur de 27 km et a été situé à 94 km au Nord-Ouest de l’île de Doi, au Nord des Moluques. Pendant ce temps, le tremblement de terre tectonique du 14 avril avait une magnitude de 5,1, une profondeur de 10 km et était situé à 122 km au Sud-Ouest de l’île de Doi, au Nord des Moluques. Toute la zone Sulawesi Nord et les Moluques Nord sont en alerte ( le Ibu et le Dukono sont les volcans d Indonésie les plus actifs de 2024) .

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  2. Je viens d apprendre que dans la même zone le AWU va bientôt rentrer en éruption! Au cours des deux dernières semaines, la sismicité du mont Awu a été dominée par des tremblements de terre volcaniques peu profonds et des tremblements de terre volcaniques profonds. Les détails complets des tremblements de terre ont été enregistrés comme 1 tremblement de terre à basse fréquence, 284 tremblements de terre volcaniques peu profonds, 71 tremblements de terre volcaniques profonds, 14 tremblements de terre tectoniques locaux et 252 tremblements de terre tectoniques lointains. La surveillance de la déformation du mont Awu à l’aide d’un inclinomètre entre le 1er mars 2024 et le 16 avril 2024 à la station de Kolongan et à la station de Puncak montre qu’il y a une inflation (pression croissante).
    A partir des résultats des observations visuelles, de la sismicité et de la déformation, l’intrusion du magma en profondeur vers la surface est encore enregistrée instrumentalement. Ceci est indiqué par l’émergence de la sismicité volcanique profonde et volcanique peu profonde. L’émergence de séismes tectoniques locaux de grande intensité peut également déclencher une activité volcanique accrue sur le mont Awu. En dehors de cela, il faut se méfier des tremblements de terre à énergie importante et continue qui ont le potentiel de briser le dôme de lave et de provoquer des éruptions explosives.

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  3. Attention il n y a plus de végétation pour freiner une nouvelle éruption ! VEI 3 et absolument pas 4 ! Même type d éruption que le ULAWUN il n y a pas si longtemps. Attention le volcan MARAPI a SUMATRA est le plus actif en terme d éruption en 2024. Il a un nom trop ressemblant au Merapi. Les fracturations tectoniques volcaniques continuent en Colombie.

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    1. Bonjour Anonyme. La végétation sur l'île n'a pas de lien avec l'éruption donc je ne comprend pas le "attention". Pour le VEI attendons d'avoir des données claires, pour les raisons évoquées dans le blog. Inutile de comparer avec Ulawun (les deux situations ne sont pas comparables, magmas très différents, phénoménologie différente, conséquences différentes); Activité au Marapi modérée, plutôt stable pour le moment. Bonne soirée

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    2. Bonsoir. La vegetation "ralentie un peu" l'écoulement vers la mer ! C est loin d'être fini ce coin là !

      Un tremblement de terre de magnitude 3,5 s'est produit dans la mer des Moluques près d u volcan dans la soirée du Lundi 22 Avr 2024 à 20h10 heure locale (GMT +8). Le séisme avait une profondeur très faible de 4 km (2,5 mi) et n'a pas été ressenti (ou du moins pas signalé). Un fort séisme de magnitude 5,0 s'est produit dans la mer de Maluku près de l'île de Ternate Island, vers midi du lundi 22 avril 2024 à 12h03 heure locale. Le séisme avait une profondeur très faible de 11 km (7 mi) et a été ressenti par beaucoup près de l'épicentre.

      Oui volcan de subduction et volcan gris mais en l 'espace de 5 mois les deux eruptions étaient aux alentours de 15 km de hauteur.

      MARAPI ici une vidéo du 19 Avril 2024 juste avant une petite explosion le 20 Avril
      https://www.facebook.com/groups/574926189576897/posts/1952141148522054/

      Merci et bonne soirée

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