20 mars 2024

Volcanisme sur la Péninsule de Reykjanes (Islande) : nouvelle éruption

Pour tout vous avouer j'ai un souci, d'ordre pratique et en terme de communication, pour parler des événements éruptifs qui se produisent sur la péninsule de Reykjanes depuis mars 2021. En effet au départ j'avais, par défaut et sur une base purement géographique, attribué l'éruption de mars-septembre 2021 au système Krysuvik-Trolladyngya. Les autres systèmes volcaniques identifiés par les volcanologues Islandais sur la péninsule étaient bien trop éloignés pour leur faire une attribution logique. J'avais toutefois précisé dès mon premier post qu'en fonction des études menées, l'éruption pourrait être in fine attribuée à un système différent et que je ferais la correction, le cas échéant.


En 2021 le système volcanique Fagradasfjall n’existait pas en tant que tel : il était considéré comme une sous-partie du système Kryisuvik-Trolladyngja. Mais dès 2022, les volcanologues Islandais ont décidé de faire de Fagradasfall un système volcanique à part entière, indépendant de Kryisuvik-Trolladyngja (le Global Volcanism Program a dû faire une mise à jour sur sa base de données en créant une nouvelle fiche d’information). Les éruptions de 2021 à août 2023, se déroulant toutes dans la même zone et ayant des points communs géochimiques (composition chimique des laves, pour faire court), ont donc logiquement été attribuées au tout nouveau système volcanique Fagradasfjall.

Toutefois depuis décembre 2023, les éruptions se déroulent plus à l'ouest. Elles sont attribuées au système volcanique Reykjanes (qu'on trouve parfois noté Reykjanes-Svartsengi) par les volcanologues. Par exemple:

-le niveau d’alerte aviation est modifié pour ce système volcanique sur le site FUTURVOLC, alors que celui du Fagradasfjall reste vert:

- au Global Volcanism Program les éruptions de 2021->août 2023 sont attribuées au système Fagradasfjall mais celles de décembre 2023-mars 2024 sont attribuées au système volcanique Reykjanes.

Mais un article publié en juin 2021 (Yesim Cubuk-Sabuncu et al, AGU - Geophysical Research Letters) et un autre en septembre 2022 (Sæmundur A. Halldórsson et al, in Nature) qui, pour le premier, analysent la sismicité dans la zone Svartesengi-Fagradasfjall durant l'année 2020 et, pour le second,  les variations de composition du magma émis lors de la phase éruptive de mars-septembre 2021, indiquent que dès janvier 2020 une déformation (~10 cm cumulés tout de même) était détectée...dans la zone de Svartsengi, zone de déformation qui est actuellement décrite comme la localisation du réservoir qui fournit les éruptions de décembre 2023-mars 2024. Pour être précis la crise sismique de janvier 2020 était associée à une déformation centrée sur la zone où se déroulent les éruptions actuelles (au NE de la ville de Grindavik) et à l'époque cette déformation avait été traduite comme une éventuelle accumulation d'une petite quantité de magma (1 million de m3) à quelques km de profondeur. 

 

Déformation de type inflation (bombement) dans la zone de Svartsengi entre janvier et octobre 2020; mesurée via les données de SENTINEL 1. Image :Yesim Cubuk-Sabuncu et al, 2021

 

Il semble donc y avoir une source magmatique commune pour les éruptions de 2021->août 2023 et décembre 2023-mars 2024....

Et cela est d’autant plus probable que les analyses géochimiques réalisées pour toutes les éruptions de 2021 à 2024 montrent des points communs (rapport K2O/TiO2 similaire notamment) suggérant une source commune dans le manteau (vers 15-20 km de profondeur). Cela reste à confirmer par le biais d’autres analyses géochimiques fines mais dans le doute pourquoi les attribuer à deux systèmes volcaniques différents (Fagradasfjall et Reykjanes)?

Et pire est-ce qu'il est même pertinent de distinguer ces  systèmes volcaniques? 

Diagramme montrant l'évolution du rapport K2O/TiO2 VS MgO pour l'éruption de mars-septembre 2021 (point rouges), pour d'autres éruptions Islandaises et sur lequel j'ai rajouté (points bleus) des données récupérées sur des publications de l'Université d'Islande.Pour l'éruption de 2021 les laves qui ont été émises au début de l'éruption ont les valeurs K2O/TiO2 les plus basses (0.13), puis ce ration augmente pendant l'éruption (indiquant que c'est du magma plus profond qui arrive)et se stabilise vers 0.24. Les laves actuelles ont une valeur similaire, suggérant une source profonde commune. La variation de MGO quand à elle pourrait résulter d'une cristallisation de minéraux riches en MgO. Image: Sæmundur A. Halldórsson  et al, 2022 in Nature, modifié

 

Car il se trouve que, lors des séquences éruptives précédentes, celle qui a eu lieu de 700 AD à 1240 AD par exemple, les éruptions ont eu lieu sur plusieurs systèmes volcaniques de la péninsule. Il n'est donc pas impossible qu'au cours des siècles qui arrivent les phases éruptives se produisent un peu partout sur la péninsule alors qu'elles seront alimentées par la même* source mantellique. Fabriquer des systèmes volcaniques différents ne semble alors plus aussi pertinent.

Localisation du champ de lave de l'éruption de mars-septembre 2021 sur la péninsule. Sur l'image de gauche sont notées en violet les laves émises lors de la séquence 700-1240 AD. Image : I. N. Bindeman
 et al, 2022 in Nature Communication

 

Ce questionnement, qui peut sembler à priori sans intérêt, révèle en fait la complexité du magmatisme Islandais, sur lequel au fond le volcanisme n'est qu'une fenêtre à peine translucide, et son interaction avec les contraintes tectoniques qui s'exercent sur la croûte terrestre et permettent des transferts de magma sur des distances parfois assez importantes. Il ne serait pas étonnant que toutes les éruptions depuis 2021 soient in fine attribuées au système Reykjanes-Svartsengi bien que ces laves recouvrent celles qui caractérisent les systèmes de Fagradasfjall et peut-être de Krysuvik-Trolladyngja.

Mais au fond si une seule source mantellique produit des éruptions en plusieurs lieux de la péninsule, ne serait-il pas plus pertinent en terme de communication, et donc plus compréhensible pour le public, de ne faire de la péninsule qu'un seul système volcanique, les noms Krysuvik-Rolladyngja, Fagradasfjall et Reykjanes pouvant alors alors réservés à des structures purement tectoniques, à savoir des réseaux de fractures caractérisant ce système volcanique?

C'est dans cet objectif, à savoir une communication plu simple sans être géologiquement fausse, que  j'opterai à l'avenir pour la formule générale "péninsule de Reykjanes", qui est une dénomination purement géographique alors que, jusqu'à présent, je me suis toujours contraint à des titres indiquant une "localisation géologique" des événements éruptifs, via les termes "volcans" et "système volcanique".

Maintenant que cette introduction un peu longue et très fade est terminée, passons aux choses plus intéressantes : nouvelle éruption sur la péninsule de Reykjanes! La 4ème en 4 mois (décembre 2023-, janvier 2024-février 2024 et mars 2024) , toujours dans la zone située juste au Nord-Est de la ville de Grindavik.

Celle-ci à commencé au soir du 16 mars, à 20h23 TU précise, dans le même secteur que celle du 08-09 février 2024, à savoir entre les massifs de Hagafell et Stòra-Kògfell, provoquant l'évacuation de Grindavik et de Blue Lagoon. Depuis que la séquence a débuté à proximité de Grindavik en décembre les volcanologues mesurent, pour tenter d'anticiper une nouvelle éruption dans la zone la déformation (inflation) du secteur, déformation qui est interprétée comme la remise en pression (par arrivée de magma depuis le manteau terrestre) du réservoir qui produit ces éruptions.

Ainsi pour l'éruption de décembre 2023 le volume estimé de magma accumulé avant éruption avait été estimé à 19 millions de m3. L'éruption en ayant libéré une partie, la déformation a été momentanément stoppée, mais a repris dès la fin de l'activité éruptive. Une fois que le volume à nouveau accumulé à atteint 13 millions de m3, la seconde éruption a démarré (janvier 2024); puis le même scénario a recommencé: la 3ème éruption a démarré après une accumulation de 10 millions de m3. Sur la base de cette tendance les volcanologue estimaient hautement probable qu'une éruption ait lieu courant mars, moment où le volume accumulé dépasserait les 10 millions de m3. Elle a démarré lorsque la déformation mesurée correspondait à un volume accumulé de 11 millions de m3.


Il est intéressant de noter que:

- la sismicité précurseur a été, cette fois, bien plus faible que pour les éruptions précédentes et ne s'est déclenché qu'assez peu de temps avant.

- qu'en regardant les volumes accumulés avant éruption on voit une tendance globale à la baisse (19- 13-10-11 millions de m3)

Cela pourrait être dû au fait que ces épisodes d'intrusion et de fracturation à répétition rendent progressivement la voie vers la surface plus facile à emprunter pour le magma.

L'éruption en elle-même a commencé de manière tout aussi classique que spectaculaire avec l'ouverture d'un premier évent d'où a jailli une importante fontaine de lave. Puis au cours des dizaines de minutes  suivantes, toute la fracture éruptive s'est ouverte progressivement sur environ 3 km de long. L'importante débit de lave a rapidement provoqué une inondation du secteur mais, en raison de la topographie, ce champ de lave a rapidement produit plusieurs lobes (fronts de coulées).

Un lobe important a, exactement comme pour l'éruption du 08-09 février 2024, rapidement franchi le col entre le mont Sylingafell et le mont Stòra-Kògfell et est venu recouper la route 43 qui mène à Grindavik dès 00h15 heure locale.

Le lobe ouest vient couper la route 43 peu après minuit. Image : Frettir

 

Un autre lobe est parti en direction du sud et les barrières de protection érigées autour de la ville de Grindavik ont parfaitement joué leur rôle, déviant ce front en direction du sud-est.

Carte d'extension des coulées au 17 mars après-midi. Image : H.I.-Verdurstofan

 

Il a été craint au cours de la journée du 17 mars que ce front ne vienne couper la route 427 qui longe la côte sud de la péninsule et éventuellement atteigne la mer, mais le débit ayant progressivement diminué cela ne s'est pas produit, en tout cas pas à ce moment-là.

Au 18 mars après-midi la surface couverte par les laves de cette quatrième séquence éruptive atteignait 5,85 km² d'après les estimations de l'IMO. Difficile de dire quelle épaisseur moyenne fait le champ de lave mais des images de prélèvement de lave faites le 17 mars montrent une personne mesurant environ 1,7m à côté de coulées, dont on peut estimer qu'elle font environ 2m d'épaisseur (à l'endroit du prélèvement).

Cette épaisseur n'était pas forcément représentative de l'épaisseur moyenne globale mais si on la prend pour estimer un ordre de grandeur pour le volume on obtient plus de 10 millions de m3 (un ordre de grandeur similaire au volume accumulé en profondeur avant l'éruption). Pour comparaison : lors de l'éruption du 08-09 février le volume libéré était d'environ 15 millions de m3 après seulement 6 heures d'éruption (un débit très important de 600 m3/s avait été estimé entre 06h00 et 13h00, énorme), puis l'activité avait rapidement décliné jusqu'à l'arrêt. L'éruption en cours est donc tout de même moins vigoureuse, mais dure nettement plus longtemps.

Au 18 mars l'activité était déjà significativement moins intense mais avec encore plusieurs points de sortie vers l'extrêmité sud de la fracture, au niveau desquels les projections, molles, s'aggloméraient en spatter-cones, en particulier vers la partie sud de la fracture éruptive. La situation est actuellement stable, la coulées ne faisant que s'accumuler dans la zone de l'éruption ce qui augmente localement l'épaisseur du champ de lave. L'activité explosive, très faible, construit deux spatter-cones principaux dont la stabilité est plutôt médiocre, en conséquence de quoi on assiste parfois a l'effondrement des portions entières dans les coulées.

Les deux principaux spatter cones en construction avec de l'activité sur l'extrêmité sud de la fracture éruptive. Image: Live from Iceland
 
La particularité de cette éruption, et qui est probablement corrélée à sa plus grande longévité comparée à celle de décembre 2023-janvier et février 2024, c'est que malgré le fait que l'éruption ait débuté, la déformation dans la zone de Svartsengi continue de montrer une inflation : il semble donc que la pression évacuée par l'éruption soit plus faible que celle produite par l'alimentation du réservoir : l'équilibre entre ce qui rentre en profondeur et ce qui sort en surface n'est toujours pas atteint. En conséquence de quoi il est envisageable que l'éruption dure plus longtemps et que Grindavik ne soit pas encore sortie d'affaire.

Sources : Frettir; IMO; HI-Vedurstofan; RUV/MBL/Visir; Live from Iceland

 I. N. Bindeman et al, 2022 in Nature Communication : "Diverse mantle components with invariant oxygen isotopes in the 2021 Fagradalsfjall eruption, Iceland"

Sæmundur A. Halldórsson  et al, 2022 in Nature, modifié : "Rapid shifting of a deep magmatic source at Fagradalsfjall volcano, Iceland"

Yesim Cubuk-Sabuncu et al, 2021 in GEophysical Research Letters : "Temporal Seismic Velocity Changes During the 2020 Rapid Inflation at Mt. Þorbjörn-Svartsengi, Iceland, Using Seismic Ambient Noise"

* le terme "même" fait ici référence à une unité de lieu (la position de la source dans le manteau supérieure) plutôt qu'à une unité de composition chimique. En effet, au long des siècles que pourrait durer la séquence débutée en 2021 il est tout à fait possible que la composition chimique du magma produit et accumulé dans le manteau change.

4 commentaires:

  1. Merci pour cet article

    "L histoire connue" de l Islande nous raconte que cette île nous reserve des bonnes ou mauvaises surprises mais personne ne vous l enseignera à l'école …

    Hors sujet une vidéo récente du Agung et sa galette/crêpe avec des creux maintenant ( 5 mars 2024) https://www.youtube.com/watch?v=lWj4AI9L3Vk

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  2. Très pertinentes ces réflexions sur les notions de systèmes volcaniques car c'est ce qui permet notamment de classer des typologies de comportement utiles pour l'avenir. Et là il faut bien reconnaître que c'est assez déroutant car avec ce caractère répétitif mais à des endroits différents, on en arriverait presque à croire que le système est très vaste. J'ai vu quelque part que les Islandais avait fini par nommer les phénomènes successifs "Feux de Svartsengi" comme il y a eu les "Feux de Myvatn". Pour ma part, j'étais très inquiet pour Grindavik car les tremblements de terre avaient tendance à se déplacer vers le sud-ouest. Pour l'instant, les épanchements se situent encore au nord de la ville, mais on ne peut être complètement rassuré, tant le phénomène semble cyclique et le sol parsemé de failles .

    Merci pour ces explications !

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  3. Bonjour suite à votre publication sur twitter de l Etna voici une photo plus en detail du nouveau cratère ! Ca ne rigole plus ! La quantité de gaz est énormissime proche de la sortie …

    https://www.facebook.com/salvatore.l.giudice.77/posts/pfbid0Jxf5CrbqZDvDT7cbMX7uPuidrpkvdDCE4UHoM2P4etNGQVUozXHvCk6w9GBahkVrl

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  4. Hello Ici le nouveau cratère de l Etna … Explosion https://www.facebook.com/salvatore.l.giudice.77/posts/pfbid0Jxf5CrbqZDvDT7cbMX7uPuidrpkvdDCE4UHoM2P4etNGQVUozXHvCk6w9GBahkVrl

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