2 février 2023

Volcan East Epi (Vanuatu) : séquence d'activité soutenue...mais courte (mis à jour)

C'est un peu à la surprise générale que des informations ont commencé à être transmises depuis le Vanuatu, notamment par le Geohazard, concernant une activité éruptive au large de la vaste île d'Epi, située au sud de la plus connue (en tout cas des volcanophiles) île d'Ambrym. Le flux d'informations a été étonnement court et l'iconographie très faible. Cela est en partie dû à la localisation de l'activité, qui s'est déroulée sur un édifice sous-marin, mais aussi à sa très courte durée.

En effet, les premiers témoignages d'une activité sont faits, d'après les données collectées par le Global Volcanism Program, le 31 janvier à 07h30, et l'activité semble avoir cessé vers 15h50 le même jour.

C'est au cours de cette journée qu'ont été faites les photos qui ont le plus circulé dont celle que je transmet ci-dessous qui a été faite dans la matinée (vue la position du photographe et les ombres portées). Elle montre ce qui ressemble à une activité éruptive surtseyenne, avec les gerbes noires cypressoïdes, la corolle essentiellement faite de gouttelettes d'eau et d'un peu de cendres probablement la base de la colonne (base surge). Le GVP indique par ailleurs que des témoignages rapportent qu'une île aurait brièvement émergé : cela reste à démontrer que l'éruption ayant été très courte, et le sommet de l'édifice étant à plusieurs dizaines de mètres sous la surface, cela semble peu probable. Il n'est pas impossible que cette "île" soit une mésinterprétation. Toutefois je n'ai moi-même rien de tangible pour aller contre cette observation donc je considère qu'elle est vraie mais lui attribue un indice de confiance faible jusqu’à plus ample informations.

Activité éruptive surtseyenne sur le volcan East Epi le 31 janvier (île volcanique de Lopevi en arrière plan). Auteur non cité par la personne qui a transmis la photo sur les réseaux sociaux Dan Mac Garry

J'ai pu voir à plusieurs reprises qualifiée cette activité de "phréatique" mais je me permet de garder une réserve sur ce qualifiquatif : l'édifice étant sous-marin, une activité "seulement" phréatique, c'est à dire sans émission de magma, et donc sans contact eau-magma, pourrait être trop peu énergique pour produire une activité de cette intensité. Une telle activité est  à priori plus cohérente avec un contact eau/magma, bien plus énergique et donc une activité phréatomagmatique plutôt que phréatique. Et la différence n'est pas mineure ni d'un point de vue purement géologique, ni du point de vue de la gestion des risques volcaniques car la quantité d'énergie thermique/mécanique en jeu n'est pas de la même échelle. Par contre je ne suis pas en mesure de choisir entre ces deux possibilité :l'idéal sera de voir ce que racontent les échantillons de roches collectées (si il ya eu récolte) pour voir si, dans ce qui a été émis des fragments de lave fraîche sont présents (phréatomagmastisme) ou totalement absents (phréatisme)

Il semble que de petits radeaux de pierres ponces aient été observés lors d'un survol post-activité (par contre aucune île n'a été observée).

Petit radeau de ponces, qui continuent en partie de dégazer. Image: Vanuatu Meteorology and Geo-hazards Department

Il semble aussi que cette activité ait provoqué un mini train de vagues type "tsunami" puisque le marégraphe de Port-Vila (113 km au sud, à vol d'oiseau et avec beaucoup d'obstacles sur le trajet) a relevé un pic anormal de +10 cm peu avant 20h00.

Niveau de la mer à Port Vila, le 31 janvier. Image : IOC-VLIZ, via Emily Lane


Avant de poursuivre les investigations, faisons rapidement connaissance avec East Epi. Et de toutes façons on n'a pas d'autre choix que de le faire rapidement puisqu'on ne sait que très peu de choses finalement.

L'édifice est entièrement sous-marin et des campagnes de bathymétrie ont permis d'en faire une image assez claire. C'est un édifice complexe marqué par la présence d'une caldera dont on ne voit que la moitié sud, la moitié nord étant comblée de dépôts volcaniques plus récents (de facto). Cette activité post caldera s'est concentrée, pour l'essentielle, sur trois évents où les matériaux se sont accumulés plus qu'ailleurs formant ainsi trois cônes sous-marin Epi A, B et C d'ouest en est. Leur position dessine une courbe grossière, interprétée comme la courbe de la partie de la caldera masquée par les dépôts de remplissage. Le cône le plus important, et qui porte le point culminant de l'édifice ( vers -40 m, le plancher de la caldera étant à -500 m) est le cône Epi B.

Il y a d'autres cônes plus petits, dont deux qui forment un alignement avec Epi B, suggérant la présence de fractures et/ou zones de fragilité traversant la caldera. L'activité n'est donc pas exclusivement concentrée à un endroit : au cours du temps le magma peux se frayer des passages divers et sortir à des endroits différents : situation tout à fait classique dans le volcanisme.

 Les quelques échantillons récoltés vont de lave à composition basaltique jusqu'à des dacites. J'avoue que j'aimerais bien savoir la composition des roches de la phase d 31 janvier 2023.


La bathymetrie du volcan East Epi collectée en 2004, mission VATATERM. Image : IRD, via GVP

Pour en revenir à la dernière éruption, il reste juste une précision: il est assez facile de confirmer que l'évent éruptif pour la séquence du 31 janvier est bien Epi B. Je précise cela parce que là encore j'ai souvent vu passer des informations dans laquelle la phraséologie suggérait qu'un doute persistait sur la localisation. Mais voilà par exemple ce que donne une superposition de la carte bathymétrique géolocalisée et de l'image SENTINEL 3 ,elle aussi géolocalisée (mais très dégradée par le passage en .gif, alors qu'elle est déjà à très très faible résolution), qui montre une vaste tâche colorée le 31 janvier, probablement accompagnée de ponces grisâtres.

Superposition d'une image satellite SENTINEL 3 sur la carte bathymétriques, les deux étant géolocalisées : la zone active est pile à) l'aplomb du cône Epi B. Images: SENTINEL 3 - ESA/Copernicus; IRD

Lorsqu'une telle activité se produit, l'inévitable question qui arrive est celle des signes précurseurs. Or, du côté de la géophysique (sismicité, déformation) si il y a eu des signes précurseurs, je n'ai pas croisé leur existence pour le moment : ça ne veux pas dire qu'il n'y en a pas eu, mais qu'ils n'ont peut-être pas pu être détectés (matériel trop distant par exemple) il faut donc garder les yeux et les oreilles ouverts sur ce point car nous ne sommes pas à l'abri que les volcanologues publient des informations sur ce sujet-là dans les jours/semaines ou mois qui arrivent.

Mais même du côté des images satellites: RAS les jours précédents, pas de tâche colorée qui aurait pu suggérer un dégazage plus important que d'habitude par exemple. Le sommet n'étant qu'à 40m sous la surface, il y a de fortes chances que des panaches de gaz laissent des tâches colorées.

C'est d'ailleurs la recherche de ce type de phénomène qui m'a amené à constater que ce système volcanique est très actif, probablement l'un des plus actifs de l'archipel. Car si la dernière éruption recensée est donnée pour 2004 au Global Volcanism Program il y a eu depuis d'autres séquences d'activité sous-marine qui, toutes, se sont manifestées par la formation de tâches colorées, certes relativement modestes, à la surface de l'eau. Notamment (liste non exhaustive) en 2022 (mai, juin, juillet, août, septembre, octobre), 2021 (juin, juillet, août, septembre), 2020 (février, avril, mai, juillet, août, septembre, octobre), 2019 (janvier, juillet, octobre), 2018 (juillet, novembre, décembre), 2017 (août, octobre), 2016 (septembre)....L'apparition de ces tâches est très irrégulière et discontinue et il semble (ce n'est peut-être qu'une illusion dû à l’échantillonnage des images) qu'il y ait plus de tâches en 2020, 2021, 2022 que les années précédentes. Ci-dessous, à titre d'illustration, la tâche repérée le 15 mai 2022, une des plus belles de toute la série.

Belle tâche colorée le 15 mai 2022, l'une des nombreuses tâches qui sont apparues depuis au moins 2016. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Et je me suis amusé à toutes les géolocaliser : elle se trouvent à l'aplomb d'Epi B, qui est donc l'évent le plus actif de l'édifice, raison pour laquelle c'est à cet endroit que se trouve le plus gros cône. Ces tâches colorées relativement fréquentes pourraient tout aussi bien résulter de phases de dégazage accrues, peut-être en lien avec de petites intrusions magmatiques, que de petites phases éruptives.

En plus de cette apparente absence de précurseurs, l'autre point qui interpelle c'est la courte durée de cette phase: à peine quelques heures. Est-ce que le magma aurait pu ne sortir que quelques heures? Oui, c'est une possibilité. Il arrive que des éruptions ne soient que de courte durée, ce n'est pas anormal.

L'autre possibilité serait que le cône Epi B ait connu, comme ça s'est déjà vu assez souvent sur d'autres systèmes volcaniques, une phase d'instabilité qui aurait brutalement mis en contact les parties internes du cône, à très haute température (surtout si il y a de petites intrusions en cours de refroidissement) avec l'eau de mer. Ce type de situation pourrait expliquer à la fois l’intensité de l'activité et sa courte durée mais la seule possibilité de le savoir sera d'avoir de nouveaux relevés bathymétriques à comparer avec les relevés pré-eruption pour voir si la forme d'Epi B a changé. À noter à ce sujet que si vous regardez attentivement la topographie d'Epi B - ou la version avec des isobathes tous les 5m ci-dessous- vous noterez que son versant nord est irrégulier, marqué par une dépression allongée qui pourrait être la trace d'une instabilité chronique de ce versant ce qui ne constitue en rien un argument et encore moins une preuve de l'hypothèse émise, mais semble, au mieux, dessiner un contexte favorable à la pose de cette hypothèse.

Échancrure du versant nord du cône Epi B. Image : IRD via GVP


Bref : cette éruption fut courte semble-t-il (il faut quand même attendre quelques temps pour savoir si c'est vraiment fini) mais néanmoins belle (et n'a pas causé de dégâts à ma connaissance ce qui est est toujours un plus évidemment!). Et si je vois autre chose passer : je le met généralement sur les réseaux, sauf si je peux aller dans le détail.


Mise à jour 03/02/2023, 09h22

De ce que l'on peut voir sur les données satellites, l'activité éruptive n'a toujours pas repris au moment de la rédaction de cette mise à jour. Mais les radeaux de ponces qu'elle a produit sont bien visibles sur la dernières images SENTINEL 2: certains paquets de ponces se sont échoués sur les plage de l'île d'Epi tandis que d'autres sont emportés au nord et passent entre Lopevi et Paama (en direction de la côte est d'Ambrym), ou alors sont partis au large vers l'est dès leur formation.

Vue générale de la zone où l'on voit plusieurs radeaux de ponces, étirés en longs filaments par les courants. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Détail d'un des radeaux, près de la côte d'Epi. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Détail d'un autre radeaux, près de la côte d'Epi. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus


Sources : IRD via GVP;, SENTINEL 3 - ESA/Copernicus; IOC-VLIZ, via Emily Lane; Vanuatu Meteorology and Geo-hazards Department; auteur/trice inconnu-e via Dan Mac Garry; SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

5 commentaires:

  1. Je pense que la présence de radeaux de ponces permet de trancher en faveur de l'éruption phréatomagmatique. En effet j'ai du mal à imaginer de vieilles ponces sous-marines, altérées et gorgées d'eau de mer, continuer à flotter après avoir été remobilisées. Ces radeaux impliquent toujours des ponces fraîchement vésiculées, donc du magma frais, en tout cas à ma connaissance.
    (Et merci pour ce rapport intéressant, comme d'habitude !)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Mr Prival. Pour être tout à fait honnête c'est aussi ce que je pense. Mais il ne faut jamais se protéger d'être surpris par une situation inédite ou inhabituelle. L'analyse, même préliminaire (à l'oeil nu, sous la loupe de géologue ou sous une simple bino) des caractéristiques pétrographiques tranchera définitivement, je pense. Reste que le mécanisme en cause dans cette activité (éruption classique avec du magma qui perce le cône Epi B ou magma statique mis en contact avec l'eau par un effondrement du cône Epi B, ou tout autre scénario compatible avec ce qui a été observé (style éruptif, intensité, courte durée, composition des ponces etc) va rester auréolé de mystère pendant quelques temps :)
      Merci pour votre appréciation positive en tout cas et bonne journée à vous.
      CV

      Supprimer
  2. Merci pour cet article. Les activités sous marines qui atteignent la surface sont vraiment passionnantes!

    RépondreSupprimer
  3. Peut être pourrait-on lier le léger tsunami à l'affaissement des parois du cône ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Anonyme. C'est une possibilité évoquée dans le post, mais seule une analyse bathymétrique permettrait d'e le savoir :)

      Supprimer