4 décembre 2022

Volcans Semeru et Stromboli : quelle journée!!!

Cette journée avait pourtant commencé "normalement", avec une actualité toujours dominée par les images impressionnantes des coulées au Mauna Loa, dont la longueur dépasse maintenant les 17 km. À titre de comparaison, la dernière grosse phase d'effusion à l'Erta Ale, en 2017, avait mis plus de 5 mois à atteindre 16 km. Mais il s'agit là d'effusion sur terrain à faible pente alors que dans les situations observées aujourd'hui au Semeru et à Stromboli la pente plus forte joue un rôle central, bien plus que l'intensité de l'activité qui, si elle devait être comparée* à celle en cours au Mauna Loa, pourrait être décrite comme bien plus modeste (le débit éruptif en particulier est très faible à Stromboli et Semeru, comparé à Mauna Loa). Cette journée avait donc commencé "normalement" disais-je, jusqu'à l'arrivée des images en provenance d'Indonésie....

Semeru, Indonésie, 3676 m

Cela fait pile un an, date à date, qu'une série de gros écoulements pyroclastiques a ravagé la plaine au pied du versant sud-est de l'édifice, faisant plusieurs dizaines de victimes, le 04 décembre 2021. Et c'est au cours de la nuit du 3 au 4 décembre 2022 (peu avant 3 heures du matin, heure locale) qu'une séquence similaire a débuté. Mais contrairement à plusieurs infos vues sur les réseaux sociaux et dans des journaux français, ce n'est pas une activité explosive qui est à l'origine de cette séquence, mais une situation similaire à celle d'il y a un an : l'instabilité d'un dépôt de fragments accumulés dans la ravine Koboan depuis décembre dernier et/ou la présence d'une coulée de lave. Car depuis un an l'activité n'a pas vraiment changé ni de style ni d'intensité.

Parfois le débit de l'éruption a augmenté et une coulée à pu se former** en plus de l'activité explosive (qui est restée modérée). Parfois le débit faiblissait et ne demeurait alors que l'activité explosive. Mais le résultat a été la progressive accumulation de fragments dans la ravine Koboan. Cela se perçoit lorsqu'on fait un animation des données radar du satellite SENTINEL 1 sur un an (le gif démarre juste avant la phase de décembre 2021 donc on voit nettement la purge de la ravine Koboan puis son re-remplissage).


Animation gif d'images radar sur un an. Images : SENTINEL 1 - ESA/Copernicus


Et vers 03 heures du matin (heure locale) ce 4 décembre 2022 le dépôt a perdu sa stabilité et a commencé à partir en écoulements pyroclastiques, entamant une séquence qui a duré plusieurs heures. Certains de ces écoulements ont parcouru visiblement plus de 10 km, témoignant d'une très grande mobilité. Et il convient de s'interroger si, dans ce processus, le fait que ces écoulements chauds se mettent en place dans une rivière ne joue pas un rôle, au moins temporairement, en alimentant l'écoulement en vapeur, donc en gaz, pouvant le rendre potentiellement plus mobile. La séquence d'images la plus marquante du point de vue de cette mobilité, et qui a énormément été partagée, a été faite par un webcam qui, d'après ce que j'ai compris, a été détruite par l'écoulement qu'elle a filmé.



Un pont en construction sur la rivière Koboan, dans la ravine qu'elle a taillée dans un relief situé au pied du versant sud-est, a été vu pris dans un nuage de poussière : il se trouve à 13 km du sommet à vol d'oiseau. Toutefois il n'est pas impossible que le nuage en question ait été produit par un lahar chaud et non pas le front d'un écoulement pyroclastique (ce point reste peu clair pour moi).

Pont en construction sur la rivière Koboan, pris dans les poussière d'un écoulement pyroclastique (ou peut-être d'un lahar chaud). Image : BNPB

L'un de ces écoulements était en plein développement lorsqu'un satellite LANDSAT est passé au-dessus de la zone : son front était à 10 km du sommet et les capteurs infrarouges du satellite ont perçu un signal net témoignant de la haute température de ces écoulements. Cette image montre aussi que ces écoulements arrivent clairement dans les zones habitées, ce qui explique l'évacuation de plus de 2000 personnes.

Données satellites combinées en une image composite combinant les longueurs d'onde visibles primaires (rouge-vert-bleu) qui permettent de reconstituer toutes les couleurs visibles, le tout associé à une combinaison d'infrarouges dont la résultante est une teinte rouge sur l'image, à l'endroit où les plus hautes températures se trouvent. Image : LNDSAT 8/9 - NASA/USGS

Je re-précise maintenant un point qui est clair : l'activité éruptive, qui se déroule au sommet n'a pas varié d'un poil. Ce qui est la cause de cet événement c'est le fait que cette activité modérée et constante a accumulé sur une pente forte un dépôt composé essentiellement de débris. Et ce dépôt a soit franchit le seuil de sa stabilité, du fait de son volume par exemple, soit il a atteint le seuil d'instabilité du  fait qu'une coulée de lave est venue, en le recouvrant, le mettre en charge (exercer une contrainte mécanique). À ce titre la vidéo ci-dessous est très explicite : placez-vous directement à la 16ème seconde et vous verrez d'où partent les écoulements, à savoir pas du tout du sommet mais d'une zone située à mi-pente environ.



En cours de journée cette activité a cessé et lorsqu'on regarde les images des webcams de surveillance maintenant, la seule chose que l'on voit, c'est l'activité habituelle.


Retour a une activité habituelle. Image : PVMBG-Id-MAGMA


Sources : SENTINEL 1 - ESA/Copernicus; MAGMA Indonésia; The Star/Youtube; LANDSAT 8/9-NASA/USGS; BNPB; PVMBG-Id-MAGMA

 

Stromboli, Italie, 924m

Et là encore ce n'est pas une situation inconnue qui a eu lieu à partir du milieu d'après-midi sur le "phare de la Méditerranée" puisqu’il s'agit d'une situation là encore similaire à celle qui a eu lieu en octobre 2022 ou mai 2021 par exemple. À savoir que depuis le 16 novembre l'activité éruptive est considérée comme très élevée et cela probablement en raison d'une nouvelle intrusion magmatique en profondeur. C'est du moins ce que suggèrent les capteurs de CO2 qui ont relevé un pic  en novembre (le CO2 s'échappe en premier des magmas, lorsqu'ils sont encore en profondeur).

 

Pic de CO2 mi-novembre suggérant l'arrivée d'un magma neuf et riche en gaz. Image: LGS

 

Cette hausse d'activité s'est traduit par une activité explosive un peu plus intense  et des explosions nettement plus fréquentes, avec notamment du spattering sur le cône nord qui a édifié plusieurs spatter-cones dont un magnifique***.

Beau spatter-cone dans le cône nord. Image : LGS

Notez bien que ce joli spatter-cone est bien au bord de la Sciara del Fuoco, ce qui le met dans une situation de relative stabilité.

On pourrait supposer que la situation a commencé à changer  à partir de 14h09 TU (15h09 heure locale) avec la formation d'une coulée de lave depuis le cratère du cône nord.

Départ de coulée vers 14h09 TU. Image : INGV-CT

Mais cela serait sans compter sur les images produites par les webcams situées au sommet et donc plus proche de l'activité. Lune d'entre permet en effet de constater que près d'une heure avant le départ de la coulée (vers 14h15 heure locale, 13h15 TU) la zone où se localise ce magnifique spatter-cone a commencer à gonfler, indiquant l'intrusion magmatique à faible profondeur, précurseur de la coulée en question! 

Gif animé créé à partir des images d'une webcam au sommet, entre 12h50 et 16h14 (heure locale). Images

 

Cette déformation s'est poursuivie après le départ de la coulée, puisqu'à ce moment-là le magnifique spatter-cone commençait tout juste à être coupé en deux : la coulée se met en place alors que la déformation se poursuit et s'intensifie. Ce départ de coulée n'était donc qu'un prélude mais un prélude qui a duré un moment puisque jusqu'à 15h15 environ seules des avalanches abondantes et quelques  petits écoulement pyroclastiques marquaient ce gonflement et la présence de la coulée. Tout bascule vers 15h15 (heure locale) avec le décrochement d'une portion entière du cône nord qui se délite en un énorme écoulement pyroclastique qui vient percuter à haute vitesse la mer Méditerrannée, produisant un tsunami haut d'environ 1.5 m à certains endroits

Arrivée de l'écoulement pyroclastique principale dans la Méditerrannée. Le contact entre l'écoulement chaud et l'eau est bien marqué par le panache blanc avec des zones noires (phréatomagmatisme). Image :LGS



Cette séquence d'écoulements a duré jusqu'à la nuit tombée et actuellement, dans la Sciara del Fuoco, seule la coulée de lave reste très bien alimentée et arrive en mer. Au sommet par contre il se passe, au niveau du cratère Sud, un phénomène dont je n'arrive pas à me faire une représentation: on dirait que la paroi de cratère s'effondre progressivement dans le cratère et ce phénomène a commencé peu après l'effondrement sur le cône nord. Je ne serait pas étonné que ce qui se passe au niveau du cône nord créé un drainage de magma sous le cône Sud générant des affaissements. Mais pour le moment ce n'est pas clair et je ne me fait aucune certitude.

La paroi cratèrique du Cône Sud à gauche de l'image semble se déliter après l’effondrement du cône nord. Images : INGV


Sources : LGS; INGV-CT

* et j'ai parfaitement conscience que tenter une comparaison est risqué tant les paramètres éruptifs diffèrent pour ces trois situations. Donc qui dit "comparaison" dit "avec de grosses pincettes" et des "gros guillemets".

** il y en a une qui a débuté sa formation début octobre et qui n'a pas cessé de s’allonger dans la ravine Koboan jusqu'en novembre. 

*** je sais que mon opinion sur l'esthétique d'un spatter-cone n'a pas d’intérêt...mais c'est pas grave :)

4 commentaires:

  1. Merci pour toutes ces infos très intéressantes et qui restituent bien les contextes à mon avis. Je suis stupéfait par le Stromboli qui semble nous faire une éruption assez peu strombolienne! Depuis quand n'y avait on pas observé un écoulement de lave ?
    Bravo pour votre site!

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    1. Bonsoir Anonyme. Bon en fait la caractérisation d'une activité éruptive n'est souvent valable que pour certaines phases de l'éruption et il 'nest pas rare que l'activité passe d'un style à un autre en fonction de variations de paramètres dont la viscosité, l’infiltration d'eau, le pourcentage de cristaux et leur taille dans le magma (ce qui fait varier la viscosité aussi), etc. L'analyse de dépôts montre parfois clairement ces changements de style pendant l'éruption (on a pu le voir à La Palma l'an dernier, pour citer un exemple récent).
      Pour revenir à Stromboli : la dernière fois qu'une situation similaire s'est produite s'était...octobre 2022 et mai 2021.
      Bonne soirée à vous.
      CV

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  2. Merci pour ce récapitulatif intéressant, comme toujours !
    Cette situation au Semeru rappelle (toutes proportions gardées, les comparaisons inter-volcans étant toujours hasardeuses...) l'éruption du Fuego en 2018. Une récente étude (https://doi.org/10.1029/2021JB023699) a montré que le matériel des écoulements pyroclastiques était principalement constitué de téphras relativement froids, mis en place dans un canyon par l'activité strombolienne au cours des années précédant l'éruption. L'éruption aurait alors déstabilisé ce matériel, qui s'est effondré, venant alimenter les écoulements. Cette nouvelle éruption du Semeru semble suivre un schéma similaire.

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    1. Bonsoir Mr Prival. Et merci pour le lien vers cette étude qui confirme ce qui était soupçonné dès juin 2018 (https://laculturevolcan.blogspot.com/2018/06/nouveaux-ecoulements-pyroclastiques-sur.html et dans le post du 04 juin, date de al catastrophe). Et effectivement il y a quelques similarités entre les deux situations (toujours avec les grosses pincettes parce que pour Fuego la séquence a eu lieu en pleine phase paroxysmale, ce qui n'est pas le cas au Semeru), et ainsi vraisemblablement que sur une séquence sur le volcan Manam en 2018 aussi (https://laculturevolcan.blogspot.com/2018/09/le-point-sur-lactivite-des-volcans.html). Toutes ces situations, malgré leurs différences, ont un point commun : elles indiquent à quel point un édifice volcanique est, en fait, fragile, sujet à l'instabilité même si cela dépend de plusieurs circonstances. Le duo de points communs central à tout ca est l'accumulation en un temps cours (mois, années) de débris (morceaux de coulées, bombes, blocs, cendres, lapillis) dans une pente forte. L'autre point commun, et pas des moindres, c'est que tous les magmas émis étaient de viscosité faible à modérée (présence de coulées de lave avant et/ou pendant et/ou après les écoulements pyroclastiques).
      Merci encore et bonne soirée
      CV.

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