14 septembre 2022

La coulée de lave au volcan Santamaria-Santiaguito

2022 marque le centenaire du retour de l 'activité éruptive sur ce système volcanique qui sortait alors de quelques années de calme après l'éruption paroxysmale d'octobre-novembre 1902 qui avait vu la disparition de tout le versant sud du Santamaria. Éruption nettement plus intense au passage (VEI 6) que celle, plus connue en France puisqu'ayant dramatiquement touché le territoire national, à la Montagne Pelée la même année (mai 1902, VEI 4).

Or depuis la reprise d'activité en 1922, celle-ci ne s'est jamais totalement arrêtée et le magma qui est émis depuis 1922 est d'une très haute viscosité. Il a produit, au cours des décennies 4 dômes de lave qui, ensemble, forment un complexe appelé Santiaguito:

- le "Caliente" fut le premier en 1922, actif jusqu'en 1937: c'est l'acte de naissance du Santiaguito

- le dôme dit "La Mitad" voisin, apparait en 1937 à l'ouest du Caliente et reste actif jusqu'en 1947

- le dôme "El Monje", voisin du précédent, apparait en 1947 et reste actif jusqu'en 1955

- le dôme "El Brujo", le plus à l'ouest de l'alignement, apparait en 1955 et reste actif jusqu'en 1986.

Dès 1978 l'activité revient sur le Caliente, simultanément à celle du Brujo. Les deux dômes vont croître de concert (situation unique depuis la naissance du Santiaguito) jusqu'en 1986. Depuis lors l'éruption ne construit que le seul Caliente, de manière ininterrompue. Les différents épisodes d'effondrement, de reconstruction, d'émissions de coulées visqueuses etc, font de lui plus un petit stratovolcan qu'un dôme au sens strict: c'est donc plutôt par habitude que par souci de réalisme que l'on dit "dôme du Caliente".
 
Et de ce résumé il faudra retenir en particulier que cette construction résulte de phases extrusives (=construction de dôme), explosives (souvent modérées, parfois plus intenses) et de phases effusives (coulées de lave, ici visqueuse).
 
Et faisant mon checkup quotidien des données satellites hier je me suis dit "ben, ça fait un moment que je suis pas allé voir du côté du Santiaguito". Et pour cause : la quasi totalité des images satellites sont couvertes de nuages, la chaîne volcanique Guatemaltèque favorisant la condensation ce qui est quand même un peu décourageant. Du coup une image dégagée est rarissime sur le Santiaguito (la dernière pas trop mauvaise remonte à janvier 2022) mais  je voulais plus particulièrement tenter de voir les coulées décrites dans les bulletins de l'INSIVUMEH.
Et comme on n'est jamais à l'abri d'un coup de bol je suis allé voir et...pas de chance, des nuages partout. MAIS! À environ 3600 m (à vol d'oiseau) du sommet un signal thermique pas très fort, à l'orée de la zone nuageuse.

 

Signaux thermiques produits au sommet à distance du sommet. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Cette source thermique se trouve à plus de 3600m à vol d'oiseau du sommet du Caliente et les coulées décrites par les bulletins semblaient donc correspondre  à la source de ce signal, d'autant plus que ces bulletins décrivaient des coulées jusqu'à environ 4 km du sommet, dans ce secteur. Les seules possibilités de voir l'ensemble de cette coulée sont : une photo (aérienne ou depuis un point de vue bien dégagée au sol, pas évidement dans ce secteur) et des images satellites radar. 

Les données radar montrent bien la mise en place de cette coulée à partir de fin décembre 2021/début janvier 2022. Elle descend depuis le sommet sur le versant ouest puis, contrainte par la topographie elle bifurque vers le sud-ouest et progresse ensuite vers la zone où elle est repérée sur l’image SENTINEL 2 ci-dessus.


La langue sombre qui descend est la coulée de lave. Images : SENTINEL 1 - ESA/Copernicus

Alors à la seule lecture des bulletins, rien ne permet de se faire une représentation claire de cette coulée. Mais, en fait, elle est relativement imposante. Je ne parvient pas à avoir des chiffres précis, à par sa longueur d'environ 4 km et la largeur de son front, qui fait environ 480m tout de même. Je ne doute pas que des spécialistes du traitement des données radar sauront extraire un volume mais la surface couverte est d'environ 561 000m², basée sur l'image radar SENTINEL 1 du 03 septembre 2022.

Les photos sont rares, en voilà une transmise par le CONRED via les réseaux sociaux qui remonte à début juillet visiblement (auteur et date non précisés mais décrite comme faite depuis la zone d'El Palmar plus précisément du côté de San Marcos, qui est sur la commune d'El Palmar mais pas du tout au même endroit, bref).

La coulée vue depuis le secteur de San Marcos, à la base du versant sud-ouest du Caliente. image : auteur non précisé, via CONRED

Les caractéristiques morphologiques de cette coulée et, en particulier le fait que son front s'étale plutôt bien en arrivant sur le replat suggère une viscosité modérée et est cohérent avec la faible vitesse de progression (qui dénote un débit modeste à l'évent, au sommet du Caliente). La viscosité modérée est aussi suggérée par une autre image satellite, très haute résolution cette fois, faite en janvier 2022 et donc au tout début de cette phase effusive, image satellite visible....sur Google Earth, la voilà.

La masse sombre dont la surface est rocailleuse, et d'où par une avalanche de blocs qui soulève de la poussière, est le nouvelle coulée de lave au tout début de sa formation, au sommet du Caliente. Image : Maxar Technology, via Google Earth


Si dans la partie amont, là où elle est canalisée par des ravines étroites son épaisseur doit être assez importante, l'épaisseur à son front doit être plus faible. Et, par exemple sur la photo plus haut, le front de coulée ne semble pas plus épais que les arbres alentours sont hauts (la résolution de l'image est quand même limitée pour avoir un certitude). Le front pourrait donc ne faire que 5-10 m d'épaisseur environ alors qu'en amont cette dernière pourrait dépasser, au moins localement, les 20-30 m. Parfois des portions du front de coulée se sont effondrées au cours de la progression, générant des colonnes de cendres. Sans conséquence à distance de la coulée, ces colonnes rappellent l'instabilité d'un front de coulée de lave et les risque qu'il peut y avoir à se trouver à proximité, surtout si elle est épaisse!


Spoiler Alert : ce qui suit n'est que pure spéculation!

En divisant en trois parties la coulée, à savoir:

-la zone entre le sommet et l'entrée dans la ravine, zone où l'épaisseur de la coulée ne doit pas être très forte (5-10m) si  je me base sur l'image MAXAR sur Google Earth, secteur dont la surface couverte par la coulée est d'environ 80800 m².

-la zone "ravine" couverte par la coulée sur environ 50200 m² et où l'épaisseur est probablement plus importante (disons 20-30m ).

-la zone replat, au sortir de la ravine, couverte par la coulée sur une surface 430 000m², où l'épaisseur de la coulée est à nouveau plus faible (disons 5-10 m)

Et donc en spéculant à mort sur l'épaisseur moyenne de la coulée pour chaque section,  j'arrive à un volume totalement hypothétique compris entre environ 3.56 et 6,6 millions de m3. Ce qui, convertit en débits moyens sur les 8 mois (début janvier à fin août), m'amène à une estimation comprise entre 0.17 et 0.3 m3/s....résultat assez cohérent avec le débit très faible qui caractérise cette effusion (mais être cohérent ne signifie pas être juste, n'est-ce pas). Maintenant j'ai quand même hâte d'avoir une estimation correcte du volume, donc du débit moyen, et ce n'est pas faute d'avoir essayé ces derniers jours pour éviter de trop spéculer...


Sources : INSIVUMEH; SENTINEL 1&2 - ESA/Copernicus; CONRED; Maxar Technology, via Google Earth

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