3 juillet 2021

Volcan Krysuvik-Trölladyngja : hoquet de l'éruption

Et même s'il ne s'est agit que d'un arrêt temporaire d'activité, les dernières heures, et peut-être même les derniers jours de l'activité méritent quelques mots. Par contre, honnêtement, tenter de comprendre ce qui s'est passé me semble pour le moment assez difficile.


Reprenons. Lorsqu'au 26 juin les dernières données estimant le débit moyen, indicateur indirect de la vigueur de l'activité, rien ne semble avoir vraiment changé : il reste autour de 13m3/s avec une tendance qui, depuis mi-mai, semble même être sur une très légère hausse.

 

Au 26 juin, le débit moyen est toujours aux alentours de 13 m3/s, le plus élevé depuis le début de l'éruption. Image : Haskoli Islands

 

Du côté de l'activité éruptive, une modification notable a lieu au 30 juin avec le retour d'une activité discontinue qui ne s'est pas manifestée sous la forme de fontaines de lave, mais sous forme de brusques et impressionnants débordements du lac de magma, qui se déversait alors en véritables torrents de lave (spectaculaires!). Malheureusement l'essentiel de cette phase n'a pu être observée en raison d'un épais brouillard persistant.


L'essentiel des coulées descendaient alors vers la vallée Meradalir, dont tout le fond avait déjà été recouvert quelques jours avant (24-25 juin) d'une couche de lave pahoehoe.

Tout le fond de la vallée Meradalir (à droite du site éruptif) irradie en infrarouge suite à une progressive inondation par les coulées dans les deux jours précédents. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Dans la "nuit"* du 01 au 02 juillet deux phénomènes à priori contradictoires se produisent, et même s'enchainent:

- vers 23h40 (heure locale) au soir du 01 juillet une gros débordement de lave débute et produit une importante coulée, qui se déplace rapidement et arrive à partir de 00h30 (02 juillet, heure locale) dans la partie haute de la vallée Natthagi. Ce pic d'activité est associé à un pic de trémor assez important.

- L'alimentation de cette effusion cesse brusquement vers 03h du matin et au niveau du spatter-cone on voit un panache de cendres et de lapillis, plutôt bien alimenté, se former et être emporté en direction du sud-ouest. La formation d'un panache de cendres est inédit pour cette éruption et est donc un événement, certes de faible ampleur, mais très significatif!



Au moment de ce changement, le trémor, de son côté, connait une chute vertigineuse, signe que l'éruption cesse et, effectivement les images prisent au cours de la journée du 02 juillet montre un spatter-cone vide. Le sentiment qui domine alors est la stupéfaction : comment un changement aussi radical d'activité peut-il avoir lieu?

Le spatter-cone vide, sans activité au matin du 02 juillet . Image: Gisli Olafsson

Mais en réfléchissant bien, les changements radicaux ne sont pas rares au cours de cette éruption :  par exemple elle a débuté très faiblement et n'est montée en intensité que tardivement, ce qui est plutôt atypique, surtout pour une éruption de magma fluide.

Ensuite elle a été continue et essentiellement effusive pendant des semaines et des semaines avant de la voir, d'un seul coup devenir discontinue et plus explosive (phases des impressionnantes fontaines de lave), avant de redevenir continue avec la mise en place du lac de magma et son débordement permanent...jusqu'à ce qu'elle redevienne discontinue récemment avec les phases de débordement cités plus hauts.

On peut noter qu'au cours des épisodes de fontaines de lave, l'activité cessait totalement entre chaque fontaine et une interruption temporaire d'activité éruptive n'est donc, en soi, pas nouveau pour cette éruption. Faut-il pour autant y voir des causes semblables pour l'épisode des fontaines et l'arrêt du 02 juillet?

Une différence importante réside dans la formation du panache de cendres: son origine pourrait se trouver dans un affaissement important du fond du spatter-cone sous l'effet du retrait  de la colonne de magma, alors qu'entre chaque fontaine la colonne de magma se contentait de devenir statique, sans se retirer. Reste à savoir si les différences observées résultent de causes différentes ou non, et là il faudra attendre des études détaillées pour y voir clair.

Au cours de la journée du 02 juillet l'activité éruptive a repris de manière progressive : le cratère du spatter-cone s'est à nouveau remplit de roche en fusion, reformant le lac de magma puis, plus tard, les coulées. Le débit reste important puisqu'au matin du 03 juillet, les coulées sont visibles aussi -bien dans la vallée Meradalir que dans le haut de Natthagi.

Importante effusion dans la coulée Meradalir au matin du 03 juillet. Image : vedur.is

Arrivée d'un front de coulée dans la vallée Natthagi. Image : vedur.is

Donc quid des causes de cette pause, significative bien que courte? Comment peut-on imaginer la situation à notre niveau?

La première idée qui vient serait qu'il s'agit des prémices d'une éruption qui s’essouffle. Elle dure depuis plusieurs mois maintenant et c'est donc une possibilité vraisemblable car il ne faut pas oublier qu'une éruption volcanique est avant tout une lutte de pressions:

- le magma ne sort (= l'éruption se poursuit) que si il maintient écartées les roches qu'il traverse. Or plus on s'enfonce en profondeur, plus la pression est forte : il faut donc une immense pression au niveau du réservoir magmatique pour maintenir les fractures écartées.

- donc l'éruption cesse si la pression magmatique faiblit et si, en profondeur, les fractures se referment en partie, coupant l'alimentation en surface.

Un affaiblissement de la pression au niveau du réservoir de cette éruption (visiblement dans le manteau terrestre, donc à très très haute pression) peut donc provoquer des coupures momentanées d'alimentation. Mais cela explique pas la reprise d'activité avec une vigueur tout aussi importante qu'avant la coupure, ni même le pic d'activité juste avant l'arrêt (disons que ça ne semble pas cohérent).

Une autre possibilité serait qu'à alimentation constante (pour mémoire : le débit moyen ne montrait pas de variation au dernier relevé) qu'une partie du magma se soit brusquement frayé un passage dans des fractures (ou toute zone où il aurait pu se frayer facilement un passage), provoquant le retrait momentané de la colonne de magma. Le problème pour cette idée est l'absence de sismicité significative sur la zone de fracture de Krysuvik-Trölladyngja, qui permettrait de supposer qu'un volume de magma se serait forcé un passage. Mais après tout, si la zone est déjà fragilisée (fracturées, ou ayant des zones de fragilité structurelles**, l'injection d'un volume limité de magma peut potentiellement se faire de manière asismique, si les contraintes mécaniques générées ne sont pas  assez fortes pour provoquer des ruptures.

Bref, cette pause est pour le moment difficile à expliquer et, en cela, est (de mon point de vue) un des moments les plus intéressants de cette éruption, source de surprises à plus d'un titre.

 

* il n'y a pas vraiment de nuit en ce moment en Islande

**comme des coulées de lave superposées avec des couches de scories entre chaque, ce qui est grosso modo la structure de la péninsule de Reykjanes, pour faire très simplifié.

Sources : vedur.is; Gisli Olafsson; SENTINEL 2 - ESA/Copernicus; Haskoli Islands

4 commentaires:

  1. Bonjour CV et merci pour cette intervention très intéressante(comme d'habitude!)

    Est ce que cette bouffée du 2 juillet ne serait pas la "vidange" d'une grosse poche de gaz que le magma aurait dû combler avant d'atteindre à nouveau la surface?

    Cordialement
    RF

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Limfjord, et merci pour ce commentaire si positif!
      Il reste difficile d'imaginer (pour moi du moins) les causes de ce qu'il s'est produit le 02 juillet: un pic d'activité intense suivi d'un arrêt brusque, ce n'est pas une situation simple à analyser. Par rapport à l'idée que vous soumettez, j'ai envie de dire en première réaction : " pourquoi pas?". Le principal bémol réside dans la phénoménologie : si une grosse poche de gaz arrive à la surface, alors elle se manifeste surtout par de la fontaine de lave, ce qui ne s'est pas produit le 02 juillet, qui fut surtout un gros débordement. Reste à expliquer le débordement (j'ai une idée en tête, j'avoue, mais il faut que je confronte ça à l'évolution de la situation pour voir si ça peut coller) mais en ce qui concerne le panache de cendres, et donc à priori l'affaissement du plancher du spatter-cone, je suis en train de penser qu'il doit tellement y avoir de tunnels dans le champ de lave, que si une partie du magma s'est infiltré dans les tunnels, cela peut expliquer la baisse rapide du niveau de la colonne de magma et les panaches de cendres. Bon, ça reste à voir, mais là encore, à priori "pourquoi pas?".

      Bonne journée à vous.
      CV

      Supprimer
  2. Bonjour, il est difficile de trouver une explication à ces changement de régimes. On peut noter que l'éruption de Surtsey, analogue par bien des points à l'éruption actuelle (magma très primitif, éruption fissurale avec plusieurs changements de segments de fissures avant de se centraliser pour plusieurs mois/années), a aussi perdu de sa constance sur la fin, avec des pauses de plus en plus longues, qui finiront par atteindre plusieurs mois.
    Je pense que l'hypothèse la plus facile pour expliquer ces intermittences sont un élargissement du conduit, qui permet aux gaz d'arriver en surface sans entraîner du magma en surface. Le flux de gaz n'a pas diminué (et reste assez élevé pendant les périodes de calme) mais le magma arrive en surface beaucoup moins souvent, peut être à l'occasion de légères augmentation de l'alimentation profonde.
    Un conduit plus large permet au gaz de se séparer du magma à plus grande profondeur et le magma dégazé, plus dense, retourne en profondeur. L'effet de se magma dégazé et refroidi qui retourne en profondeur pourrait à long terme "tuer" l'alimentation en déposant des cumulats en profondeur, qui boucheront la tuyauterie...
    Autrement dit je pense que l'éruption tire sur sa fin, même si comme a Surtsey, il pourrait y avoir des recrudescences après des pauses de plusieurs mois.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Salut Robin,

      J'aime bien ton hypothèse, notamment car cela pourrait coller avec le trémor qui perdure à faible intensité lors des "pauses". Je modérerai toutefois, car au vue de la reprise de l'activité le 10 juillet avec une effusion particulièrement importante, cela attesterait de variations assez importantes de l'alimentation profonde...
      Pour vérifier cette hypothèse, ou du moins pour aller plus en avant, il faudrait avoir des données quotidiennes du dégazage au niveau du cône éruptif afin de comparer le flux pendant les différentes périodes... Mais je n'ai pas l'impression que cela soit fait !

      Quand à écrire que l'éruption touche à sa fin, je ne m'y risque pas ! ;)

      Bonne journée à tous les deux,

      Supprimer