3 mars 2021

Volcan Sinabung : un point sur la spectaculaire séquence du 02 mars

Car vous savez probablement déjà qu'hier en cours de matinée se sont mis en place une série d'importants écoulements pyroclastiques, à l’origine d'images assez spectaculaires. Mais comme très souvent "images spectaculaires" n'est pas forcément synonyme d'"éruption violente", alors que s'est-il passé?

C'est vers 08h30 (heure locale) que la population proche de l'édifice a pu assister à la formation d'un important nuage de cendres sur le flanc est du Sinabung, une situation toujours tendue on peut l'imaginer!

Développement d'une beau panache de cendres au matin du 02 mars 2021. Image: Nachelle Homestay

Avant cet épisode l'activité éruptive, qui avait débuté en août 2020, était toujours en cours. Et même si malheureusement la webcam du VSI n'est plus aussi disponible (et de facto beaucoup moins interessante pour essayer de suivre et comprendre ce qu'il se passe) des avalanches et de petits écoulements pyroclastiques se poursuivaient au cours des semaines qui ont précédé la séquence du 02 mars, signe que le magma visqueux continuait de lentement sortir au sommet de l'édifice. Une photo prise début février permet de bien voir ce dôme, sa forme et sa texture très pédagogiques.

La masse arrondie au sommet du Sinabung est le dôme en croissance, ici photographié le 07 février 2021. Image: NAchelle Homestay

Donc premier point : ce qui s'est passé n'est pas une éruption, mais plutôt un moment particulier d'une éruption, qui a débuté il y a plusieurs mois déjà (elle-même morceau d'une séquence débutée en 2010...déjà!?). Et c'est justement CA qui est intéressant, car alors vient obligatoirement LA question : quelles sont les causes possibles, envisageables, de la séquence du 02 mars? Comment expliquer que la relative tranquillité de l'éruption au cours des semaines précédentes ait été momentanément rompue?

Et une des données intéressantes à regarder est la sismicité, car elle montre clairement un changement de dynamique à partir de fin janvier, avec en particulier une hausse très nette du nombre de secousses quotidiennes. Le graphique met aussi en évidence une évolution de la proportion des différents types de secousses : au cours du mois de février par exemple le pourcentage de secousses de type hybride (produite à la fois par la fracturation et la circulation de fluides dans les fractures) était relativement élevé, mais a chuté à partir de fin février en faveur d'une hausse drastique (en nombre et en proportion) des secousses liées au dégazage et aux avalanches de blocs notamment ainsi qu'à une sismicité basse fréquence qui pourrait être (mais cela nécessite une analyse par des spécialistes) produite par des mouvements de magma..

Évolution de la sismicité depuis début décembre 2020. Image : MAGMA Indonesia

Cette évolution semble suggérer que la dynamique interne (fracturation, mouvements de magma  et autres fluides à faible/moyenne profondeur, etc.) et la dynamique externe (plus d'avalanches et un dégazage plus intense à priori) ont augmenté de manière significative. De là à dire que la crise du 02 mars est due à la mise en place d'une activité éruptive moins extrusive (construction de dôme) et plus explosive (mise en pression, fragmentation de la colonne de magma puis éjection du tout avec violence dans l'atmosphère) il n'y a qu'un pas, qu'il ne faut surtout pas franchir. Car les images racontent qu'il n'y a pas eu d'activité explosive significative à l'origine des écoulements pyroclastiques: c'est l'instabilité du dôme sommital qui est la cause principale de l'événement. Et on voit très bien ça sur la vidéo ci-dessous, qui commence avec de petits bouts qui se détachent plus des portions plus grosses, puis le reste vient.



Toutefois, l'intensité de la séquence suggère que la portion de dôme qui s'est décrochée est très significative : j'ai hâte de voir  à quoi ressemble le sommet maintenant! Cela tranche nettement avec la dynamique des semaines précédentes et il ne serait pas étonnant que les changements d'activité interne (plus de circulation de fluides etc) aient conduit a, par exemple, modifier la vitesse de construction du dôme, le rendant plus instable. Par ailleurs si une partie du dôme commence à être faite d'un magma moins dégazé, alors la pression interne au dôme est un peu plus forte : il est plus facile à fracturer, à déstabiliser, et les écoulements pyroclastiques générés sont plus volumineux (la baisse de pression pour le gaz s'exprime par une forte hausse de volume). Sur la séquence ci-dessous on voit aussi nettement que l'instabilité du dôme se fait par à coup. Ce n'est pas UN gros morceau qui est partie, mais un émiettement progressif......et avec des grosses miettes, je crois qu'on peut dire ça.

 


 

Donc cette séquence du 02 mars ne semble pas juste "accidentelle" dans le sens où elle aurait eu lieu de manière totalement passive, sans changement globale de dynamique interne. Ou pour le dire autrement : ce jour là, alors que tout est globalement pareil que les jours d'avant, pas de bol, un morceau plus gros de dôme se décroche et puis c'est tout.

Non, ça ne semble avoir été aussi passif que ça. Il semble tout de même qu'il y ait eu des modifications de dynamique interne au cours des semaines précédentes, suggérées par la sismicité et qu'une fois ces perturbations arrivées au sommet de l'édifice, elles aient induit une plus grande instabilité du dôme et une plus grande capacité de ce dernier à se fragmenter. Mais ces changements n'ont visiblement pas conduit à une activité éruptive plus explosive*.

Dans cette séquence le plus long écoulement pyroclastique a atteint une longueur de 4 km. De par sa dynamique il aurait pu aller plus loin, si il n'avait pas été stoppé net et canalisé par la ravine creusée au pied du versant est du Sinabung par la rivière Lau Borus, dont le lit a été très fortement modifié depuis 2013.

Les modifications induites par la séquence du 02 mars. On voit nettement le dépôt le plus développé, dont le front a été canalisé en direction du sud par la rivière Lau Borus. Images : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Dans la vidéo de Nachelle Homestay ci-dessus on voit très bien, en particulier, le moment où les écoulements pyroclastiques entrent en contact avec l'eau de la rivière et des petits lacs de retenus formés par les dépôts des écoulements pyroclastiques à partir de 2016 en particulier. Par exemple, à partir de la 48ème seconde de la vidéo, on commence à voir monter des volutes blanches, à l'endroit où un front d'écoulement pyroclastique entre dans un petite lac (le plus au nord des lacs de retenue (juste au-dessus du "N" de "Nouveau" de l'image satellite ci-dessus, on voit le lac et un petit panache blanc qui s'échappe de sa berge).

J'ai eu l'occasion de partager cette remarque hier sur twitter lorsque faisais un suivi de l'événement, mais il faut aussi garder en tête que le côté spectaculaire est souvent relatif. Je ne vais pas nier que la séquence est belle, impressionnante et que les écoulements ont été volumineux : même si des écoulements de cette gamme ne sont pas rarissimes sur Terre, on n'en voit pas tous les jours non plus, évidemment! Mais l'impression que l'on ressent est aussi structurée par la manière dont les images sont prisent (fonction d'un premier plan, du cadrage et de la focale utilisée pour construire l'image). SI l'on se détache un peu, et qu'on prend de la hauteur finalement, on se rend compte que cet événement est instantané (il n'a pas duré dans le temps ) et modéré. Le panache de cendres produit a été emporté par le vent et dispersé rapidement, et n'a pas été maintenu par l'activité.

Peu après l'événement le panache est déjà très dispersé. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus


Depuis cette séquence, il n'y a pas eu d'autres nouvelles en provenance de la zone, et la sismicité semble avoir baissé de manière significative pour le moment.


Sources : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus; MAGMA Indonesia; Nachelle Homestay; Volcano YT

* par "activité explosive" j'entends que la fragmentation du magma doit avoir lieu avant et pendant que son émission à la surface e la Terre. Et bien que la formation d'un écoulement pyroclastique soit aussi le fruit d'une fragmentation, cela peut-être vu comme une activité explosive secondaire : le magma a d'abords été émise à la surface de la Terre de manière non explosive (accumulé sous forme de dôme) PUIS, dans un second temps, a été fragmenté.

2 commentaires:

  1. C'est curieux cet effondrement bizarre du nuage convectif au dessus de l'écoulement pyroclastique, après avoir été emporté par le vent,sur le volcan même, à 3 secondes dans la dernière vidéo, et avec ce qui semble être des nuages de poussière d'impacts sur les flancs du Sinabung. Une illusion d'optique? (une pluie de fragments larges, ballistique, masquée par le nuage convectif?)

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    1. Bonjour. Oui c'est beau, et ça arrive quand la masse de cendres n'est plus supportée par le gaz: une sorte de sédimentation brusque des particules. Par contre je suis plus prudent sur l’interprétation de ce qui se voit au sol. Je soupçonne qu'il s'agit plutôt d'une mélange gaz + particules très fines qui simplement s'écoule temporairement sur le sol, un peu comme le fait le nuage qui se forme lorsqu'on utilise de l'azote liquide par exemple.

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