6 juin 2020

Un point sur l'activité aux volcans Nyiragongo, Nyamulagira, Shiveluch et Mayotte

On ne peux pas dire qu'il se passe beaucoup de choses nouvelles, exceptionnelles en ce moment côté volcanisme, mais comme il ne se passe jamais "rien", autant faire un rapide point sur quelques situations, que j'ai évoquées ces derniers temps sur twitter.

Nyiragongo, République Démocratique du Congo, 3470 m

De ce côté-là, pas de bouleversement : le lac de magma principal est toujours bien maintenu et semble garder une bonne dynamique si l'on en juge par la puissance du rayonnement thermique produit, qui continue de saturer littéralement les capteurs infrarouges spatiaux. Les données récoltées
le 01 juin par SENTINEL 2 permettent à la fois de constater que l'évent secondaire semble toujours actif, et source de coulées de lave récentes, puisqu'au moment du passage du satellite, un champ de lave était encore à très haute température.

Deux images réalisées par des combinaisons de longueurs d'onde différentes (bandes 8-4-3 et 12-11-8A respectivement). Celle de gauche permet de voir le champ de lave récent, plus sombre (moins oxydé) que les champs de lave plus anciens. Celle de droite permet d'identifier les points de très haute température. Images: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus


Ce qui me fait dire que le champ de lave récent visible sur ces images provient de l'évent secondaire et non d'un débordement du lac de magma, est un ensemble d'images réalisées par SENTINEL 1 (imagerie radar), qui suggère que le niveau du plancher cratère n'a que peu ou pas évolué depuis janvier 2020. Or il est fortement soupçonné que cette hausse du niveau du plancher a été la conséquence d'importants débordements du lac de magma.
On peut donc supposer que  "pas de réhausse significative du plancher"  = "pas de débordement significatif du lac de magma". Et on peut dès lors supposer que le nouveau champ de lave vient de l'évent secondaire.
D'autant plus que si vous regardez bien le gif animé ci-dessous, produit avec les données radar de SENTINEL1 , on note une croissance le Spatter-cone de l'évent secondaire, cohérente avec ce qui a été dit au-dessus.

Cette animation radar semble indiquer que le niveau du plancher n'a pas varié entre janvier 2020 et juin 2020, mais que le spatter-cone de l’évent secondaire, lui, a vu sa taille augmenter. Images: SENTINEL 1 - ESA/Copernicus

Mise à part ça, rien de particulier : éruption toujours soutenue mais très faiblement explosive (spattering) et essentiellement effusive.

Sources : SENTINEL 1 & 2 - ESA/Copernicus

Nyamulagira, République Démocratique du Congo, 3058 m

Quitte à être dans ce secteur géographique, autant faire coup double. L'activité au Nyamulagira avait, courant mars, connu un déclin, laissant en suspend la question de sa poursuit ou de son arrêt. Je ne suis pas certain de pouvoir me faire une opinion tranchée sur ce point mais une chose est sûre: si l'activité se poursuit, alors elle est forcément très faible. Là encore probablement du spattering au niveau du Pit Crater (maintenant remplit) où se déroule cette activité depuis qu'elle a débuté en avril 2018.
Faute de photos, cela se traduit par des images satellites sur lesquelles on perçoit le signal thermique, modeste, en lien avec cette possible activité éruptive.

Signal thermique faible au niveau del 'évent éruptif. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus
Mais encore une fois, je ne suis pas sûr que le signal thermique soit lié à une éruption : une rapide comparaison d'images satellites prisent en mars et le 01 juin ne permet pas de voir de modification particulière du plancher ( = pas de coulées supplémentaires à priori), en tout cas rien qui ne soit simple à interpréter.

Situation à suivre donc.

Source: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Sheveluch, Russie,  3283 m

Ça fait un bon moment que je n'ai rien écrit concernant l'éruption au Sheveluch, qui avait un peu perdu en intensité ces derniers mois. Rien depuis octobre 2019, au moment où l'on s'intéressait à la présence d'une structure circulaire (comme un Pit Crater) qui était apparu au cour de l'année, et au fond de laquelle se trouvait un signal thermique. L'éruption se poursuit néanmoins, essentiellement extrusive (une effusion de magma visqueux si vous voulez), et très peu d'émissions de cendres.
La petite nouveauté de ces dernières semaine est la formation d'un nouveau dôme de lave dans la zone sommitale du complexe de dôme, éventrée lors de phases explosives plus intenses entre fin aout et octobre 2019, une période qui semble vraiment charnière dans cette éruption.

Ce nouveau dôme de lave s'édifie très lentement, signe d'un débit éruptif très faible. Cela peut aussi être le signe que c'est un magma dégazé qui sort actuellement (cohérent avec la quasi absence d'activité explosive depuis plusieurs mois*), d'autant plus que la viscosité d'un magma dégazé est généralement significativement plus élevée que celle d'un magma riche en gaz (à teneur en silice constante).



La manifestation la plus importante de cette activité éruptive reste la production d'avalanches de blocs, assez courtes, ce qui est compatible avec une croissance lente du dôme.

Enfin, on peut noter sur les images satellites que le "Pit Crater" nord ouvert l'an dernier reste le siège d'une activité volcanique, dont rien ne dit qu'elle soit éruptive. Il semble qu'il ne s'y déroule, pour l'heure, qu'un dégazage et à haute température puisqu'on peut y voir un signal thermique au fond. Il n'y a, sur la durée, pas de changement significatif au niveau de ce "Pit Crater".

Le "Pit Crater" reste la source d'un signal thermique (modeste) en lien avec un dégazage. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

* il y a tout de même, parfois, des traces de cendres assez importantes sur la neige, potentiellement en lien avec des explosions. Mais ces dernières n'ont pas forcément été simples à voir, du fait de nuages fréquents.

Sources : IVS-FEB-RAS-Belousov ; KVERT ; SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Mayotte, France, 660 m

Vous savez donc que depuis 2018 un essaim de séismes suivit d'une éruption sous-marine a lieu au large de Mayotte, par 3500 m de fond. Les campagnes océanographique MAYOBS 1 et 2 avaient permis de mettre en évidence une nouvelle structure volcanique, probablement constituée par les évents construits par accumulation de fragments sur les fissures éruptives, et l'accumulation de coulées de lave. Une nouvelle campagne, MAYOBS 13-2, a été menée courant mai 2020 afin de faire un point sur l'évolution de la situation.

Les résultats préliminaires ont été présentés il y a quelques jours et indiquent clairement qu'entre août 2019 (avant-dernière campagne) et mai 2020 (dernière en date) l'éruption s'était poursuivie, un peu au nord-ouest du site éruptif où a été édifiée le volcan de 800 m de hauteur. Elle construit (ou "a construit" car on ne sait pas si l'activité se poursuit sur ce site)  une nouvelle structure qui est, vraisemblablement, en partie constituée de l’accumulation de fragments autour des évents éruptifs, et de coulées empilées qui ont, en partie, englobé un relief sous-marin déjà présent auparavant.

Apparition d'une nouvelle structure volcanique produite par l'éruption. Le volcan de 800 m de haut construit entre 2018 et 2019 a une forme d'étoile en bas à droite du cadre jaune.

C'est le troisième secteur* de la Rift-Zone de Mayotte dont la morphologie a profondément évolué depuis le départ de cette éruption qui, sans aucun doute, est d'une ampleur exceptionnelle. Le débit éruptif moyen  avait été estimé entre juillet 2018 et juin 2019 à 150-200 m3/sec, un débit comparable à celui mesuré pendant la phase stable de l'éruption au Bardarbunga (Islande, 2014) mais, en tout état de cause, bien inférieur à celui du Laki en 1783 (~15km3 libérés en 8 mois, soit un débit moyen qui devait tourner autour de 700 m3/sec à vue de nez).
La sismicité semble globalement toujours diminuer mais reste soutenue pour le moment : il n'est pas impossible que l’éruption soit toujours en court actuellement, mais seule la prochaine campagne océanographie permettra d'en savoir plus.

* le premier fut le site où a été construit le volcan de 800m de haut; le second, juste au sud, est une zone relativement vaste (8km²)  recouverte de coulées de lave entre mai et juin 2019

Sources: IPGP; REVOSIMA; BRGM

4 commentaires:

  1. Ils ont toujours pas réussi à trouver un nom à ce fameux volcan Mahorais? Je vais proposer mon petit nom: Le Piton Mahorais :)

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  2. Salut CV,

    Concernant Mayotte, pourquoi écris-tu que les édifices construits sont constitués de "fragments" en plus des coulées ? Car par ce terme, cela sous-entend qu'il y aurait fragmentation et donc explosion... à si grande profondeur, cela m'étonne et je n'ai souvenir de n'avoir lu cela dans aucun rapport du REVOSIMA ! Peux-tu préciser le fond de ta pensée ?

    Quoiqu'il en soit, cette nouvelle carte me surprend ! Car jusqu'alors, l'ensemble des structures découvertes par comparaison temporelle d'images d'une même zone permettait de relier l'ensemble des structures entre elles : des champs de lave distincts associés à un édifice monogénique, mais ce champ de lave découvert entre juillet 2019 et mai 2020 semble déconnecté du champ de lave édifié au nord-est de l'édifice (le dernier à s'être mis en place)...

    Bonne journée,

    Ludovic

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    1. Bonjour Ludovic. Tu as raison : il pourrait s’agir de structures non fragmentées comme des accumulations de courtes coulées pillow-lava (on trouve parfois le terme de "Pillow volcano" ou haystacks) par exemple. C'est d'ailleurs, effectivement, une solution plus probable que des empilements de fragments.
      Après, la fragmentation à haute profondeur n'est pas forcément impossible : il y a visiblement des exemples (pas récents) de spattering due à des fontaines de lave à plus de 1800 m de profondeur. Mais c'est vrai qu'à très très grande profondeur comme 3500m, ce qui est considérable (350 bars!) la fragmentation n'est pas explosive mais due à un choc thermique à l'origine de quantités non négligeables de hyaloclastites.
      Par contre, imaginer un tas de hyaloclastites pour expliquer les constructions au niveau des points de sortie : non, ça me parait très peu vraisemblable. Les haystacks le sont beaucoup plus par exemple. Toutefois j'ai l'impression qu'on manque de données sur les très très grandes profondeurs, sachant qu'en plus on commence (visiblement) à parler d'"éruption à grande profondeur" à plus de 500 m.
      En fait cette éruption est avant moins exceptionnelle par son déroulement que par le fait qu'il est extrêmement rare qu'on puisse suivre une éruption à une telle profondeur.

      Quand au nouveau champ de lave : il est déconnecté physiquement oui, mais, vue sa position, sur le même réseau de fractures, c'est une déconnexion relative. Il me semble intéressant que les observations aient pu constater aussi que, très en amont, à l'aplomb de la zone de sismicité principale et sur, à priori, le même réseau de fractures que l'éruption, de nouveaux spots de dégazage ont été détectés. Comme si une partie plus en amont de la Rift Zone était maintenant sollicitée. Reste à identifier la/les cause(s).

      Merci d'avoir pointé, avec justesse, une faiblesse de ma présentation :)

      @+! Et bonne journée aussi.
      CV

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    2. Tu as des articles sur la fragmentation à grande profondeur dont tu parles dans ce commentaire ? Si c'est le cas, je suis preneur !

      Pour ce qui est des "panaches de fluides", ce n'est pas une découverte des dernières campagnes :
      - Celui à l'aplomb de l'essaim principal (15 km E de Petite Terre) a été remarqué à chaque campagne.
      - Celui à l'aplomb de l'édifice a été observé pendant plusieurs campagnes avant de disparaître (signant la fin d'activité probable à ce niveau).
      - Des panaches ont été remarqués sur certaines coulées rattachées à l'édifice, signant leur activité (ou la fin peu de temps avant).
      Tout ça pour dire que mis à part cette nouvelle coulée "déconnectée de l'édifice", c'est toute la rift-zone qui est sollicitée depuis le début de l'éruption, avec deux essaims sismiques répertoriés à des endroits différents de l'édifice depuis le départ de l'éruption et ces "panaches de fluides" !

      @+ !

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