27 avril 2020

Volcan Ambrym : la modeste éruption fissurale de 2015 et les frères Grimm

Depuis qu'Ambrym a été visité, observé, décrit, il y a quasiment toujours eu une activité éruptive au niveau de la zone sommitale avec, évidemment, quelques pauses, généralement courtes. En dehors des périodes de confinement, cette activité éruptive est même la source d'une activité touristique non négligeable. Les éruptions sommitales ont toutes pour point commun de se dérouler...au sommet, certes, mais peuvent toutefois se séparer en deux groupes :

  • l'activité éruptive permanente sous forme de lacs de magma dans les cratère des cônes Marum et Benbow, et parfois dans quelques évents proches, annexes de ces deux-là.
  • Des phases d'activité éruptive fissurales dans la caldera mais hors des cônes Marum et Benbow

Parfois les éruptions se produisent hors de la caldera, loin sur les Rifts-Zones qui traversent l'édifice. Il y en a 2, qui se rejoignent au sommet: la Rift-zone Ouest (sur laquelle se produisit, entre autres, la spectaculaire éruption de 1913, sur la côte), et la Rift-Zone Est. 
J'avais, dans un précédent post, fait le point sur quelques généralités concernant Ambrym: je vous conseille d'aller le lire, notamment pour faire le point sur les noms des reliefs si vous n'y êtes pas familier, et parce que la structure interne déduite de multiples études y est représentée : ça aide pour la suite !

L'éruption fissurale évoquée dans le titre fut un événement un peu inattendu. Elle a eu lieu non loin de la base du cône Marum, qui correspond à la partie la plus amont de la Rift-Zone Est.
Elle n'a pas été particulièrement spectaculaire et, contrairement à celle de 2018, qui a eu lieu dans le même secteur, elle ne fut accompagnée d'aucune baisse significative de l'activité des lacs de magma dans Marum et Benbow. Celle de 2018, de son côté, a provoqué leur vidange rapide et, pour l'heure, ils ne se sont pas reformés.

L'éruption de 2015 en cours. Image: Ben Clark

Cette éruption modeste (post la concernant ici ) a fait l'objet d'une publication récente (avril 2020) par une équipe Néozélandaise. Elle apporte un éclairage intéressant et des éléments de réponse à des questions qui se posaient déjà à l'époque de sa survenue, notamment sur ce blog.

Son objectif est d'étudier la réponse du système volcanique appelé « Ambrym » à une secousse sismique forte (magnitude 6,4) et proche à la fois dans l'espace (environ 20 km au sud du sommet et 10 km de profondeur) et dans le temps (à peine de 30 heures avant l'éruption fissurale).

Petite digression histoire de contextualiser l'événement

La question d'un lien entre éruptions et gros séismes a souvent été posée. Intuitivement, le lien est assez facile à faire...mais il faut se méfier des intuitions car si elles peuvent être un moteur pour chercher une réponse, trop souvent on les substitue à la réponse elle-même (le fameux « ah c'est évident !! »). Or, très régulièrement la réponse n'a rien d'évidente et va à l'encontre de l'intuition. Au fond, un bon scientifique est certes une personne intuitive, mais qui confronte avant tout ses intuitions à des faits objectifs* (et jette sans remords à la poubelle son « ah c'est évident » au passage).

Dans le cas d'une relation « gros séisme - éruption », le moins qu'on puisse dire c'est qu'il ne faut surtout pas généraliser. La plupart des gros séismes ne génèrent aucune modification de l'activité des zones volcaniques proches ou lointaines, mais il peut arriver de temps en temps qu'il y ait des réponses volcaniques à des secousses. La plupart d'entre elles sont des modifications de l'activité hydrothermale (apparition ou modifications de l'activité fumerollienne par exemple) mais il est très peu fréquent que le système volcanique arrive jusqu'à l'éruption.
C'est pour ça qu'il vaut mieux cesser de se poser la question (pas les scientifiques, nous) et partir du principe que c'est au cas par cas, qu'il n'y a aucune généralité et que, globalement, statistiquement, la réponse est du genre « non mais parfois oui et il vaut mieux attendre des études sérieuses pour le savoir».

Quand à la nature du lien qui, parfois, existe, les spécialistes sont plutôt axés sur les modifications des contraintes mécaniques au niveau des systèmes volcaniques, mais il faut garder en tête que les débats restent ouverts et qu'imaginer qu'une réponse claire existe aujourd'hui est un doux rêve.

Ces modifications peuvent s'opérer à deux niveaux, de deux façons :
  • un impact proche : lorsque le séisme à lieu, il y a une modification permanente de la répartition des contraintes dans un rayon de plusieurs kilomètres/dizaines de kilomètres. Là où des tensions étaient fortes, la rupture a eu lieu et ces tensions sont moindres, mais d'autres secteurs proches ont été mis en tension du fait des déplacements. Si le système volcanique se trouve dans une zone plus contrainte qu'avant, il sera peut-être plus difficile pour le magma de se frayer un passage jusqu'à la surface... Mais si le système volcanique est dans une zone où les contraintes se sont relâchées, il sera peut-être plus facile pour le magma de se frayer un passage. Bref : du cas pas cas je vous dit !

  • un impact plus lointain : les contraintes mécaniques sont relâchées localement, ou régionalement (km ou dizaines de km alentours), donc seuls les systèmes volcaniques proches du séisme peuvent y être sensibles. Mais les ondes sismiques, surtout lors de secousses fortes, se propagent partout, parcourent le globe entier...et secouent donc des systèmes volcaniques éloignés. Ce changement brusque, court et temporaire induit par le passage des ondes sismiques est susceptible, dans certaines circonstances, d'engager de légères modifications qui, à terme peuvent conduire à une instabilité de systèmes volcaniques . Généralement le délai entre le passage des ondes et cette dernière est long, (mois, années). Le lien peut donc être plus difficile à établir et, surtout, le passage des ondes ne devient que l'un des nombreux facteurs qui, de toutes manières, conduit à une instabilité.

Pour autant, dans la liste des situations positives quand à une lien assez directe, il semble qu'il y ait l'éruption fissurale de 2015 à Ambrym.

Fin de la digression

Déjà, avant de savoir si un lien est possible, les volcanologues ont dû tenter d'identifier le point de départ du magma, la source de l'éruption. Venait-il du manteau (il commence à plus de 25 km de profondeur sous Ambrym) ou d'une des zones d'accumulation superficielles (vers 4 km sous la caldera) dont on soupçonne déjà l'existence par diverses études? Dans le premier cas on verrait mal le lien avec la secousse, dont l'hypocentre a été localisé vers seulement 10 km de profondeur : ça vaut donc le coup de se poser cette question avant de se lancer!

Pour le savoir ils ont analysé des données radar fournies par les satellites SENTINEL 1 et ALOS 2, ce qui a permis de constater que le maximum de soulèvement s'est produit au niveau du site de l'éruption, puis qu'une déflation localisée et de faible ampleur a eu lieu. L'affaissement le plus important (- 20 cm dans les trois mois après l'éruption) a été produit par la contraction du champ de coulées de lave, dû à son refroidissement et à son dégazage. 

La petite tâche rouge sur l'image du centre indique un affaissement de plus de 10 cm (environ 20 cm d'après l'article) due à la contraction du champ de coulées. Image : I. J. Hamling1 & G. Kilgour
 
Une autre déflation (dégonflement), bien plus lente (50 cm/an) et affectant une surface d'environ 30 km², est interprétée comme résultant de la contraction d'une masse de magma (un sill), soit parce qu'une partie du magma a continué de fuiter (formation de dykes non éruptifs) soit parce qu'il a continué de dégazer tranquillement. Les caractéristiques de cette déformation sont cohérentes avec un sill situé vers 3 km de profondeur : à peu près la zone d'accumulation superficielle déjà mise en évidence par d'autres méthodes (notamment géochimiques), lors d'études précédentes.

De cela il se dessine que la source magmatique de l'éruption de 2015 n'est pas à chercher dans le manteau terrestre, mais dans une source superficielle, une poche (sill) située vers 3 – 4 km de profondeur.

Bien : mais quel lien avec le séisme de magnitude 6,4 ? Et d'ailleurs, pour quelles raisons soupçonner qu'un lien existe ?

Et bien le fait est qu'après avoir supposé un lien, la première chose faite par les volcanologues fut de regarder les données géophysiques précédent l'éruption.

Bilan : aucune déformation et aucune sismicité anormales, donc aucune intrusion de magma neuf dans le système au cours de l'année précédent l’éruption fissurale.
Les chercheurs signalent malgré tout qu'ils n'ont pas eu de données au cours du mois précédent l'éruption, mais:
- sa très courte durée
- le fait qu'elle ait été d'une intensité modeste et ait libéré un volume restreint
- le fait aussi que, visiblement, le magma ait été émis depuis une zone superficielle (donc un magma déjà probablement partiellement cristallisé et dégazé) et non d'une source profonde (magma juvénile peu cristallisé et riche en gaz).

plaide pour qu'il ne se soit rien passé de particulier au cours du mois précédent cette éruption.

Donc tout suggère fortement que cette éruption fissurale est tombée comme un cheveux sur la soupe. Seule perturbation notable dans ce schéma : le séisme de magnitude 6,4, à proximité immédiate, et juste 30 heures plus tôt.

De là un renforcement de l'idée qu'un lien peut être supposé. Reste à savoir si il est physiquement, mécaniquement plausible ou non.

Une fois la source probable de l'éruption localisée, les volcanologues peuvent modéliser les contraintes mécaniques qui s’exercent sur cette zone, et voir comment elle peut réagir lors de perturbations comme la survenue d'un séisme local par exemple.

Digression bis

Quand j’écris « modéliser » il ne faut pas entendre « les spécialistes pondent un modèle et publient les résultats ».
Non : modéliser c'est d'abord identifier un maximum de paramètres en jeu, leur lien (comment la variation de l'un impact les autres, les possibles rétroactions positives ou négatives, les effets de seuils etc ce qui implique des outils mathématiques puissants et rôdés) et puis après, on fait varier ! Et on produit comme ça toute une série de modèles, dont seuls ceux qui donnent des résultats cohérents avec ce qui est connu/observé/décrit sont gardés, affinés. Et ce n'est qu'après avoir identifié les modèles les plus cohérents que l'on fait une publication.

Fin de la digression bis


Ici les modélisations suggèrent fortement que les modifications des contraintes mécaniques dues au déplacement qui a produit le séisme ont provoqué une baisse de la pression au niveau du sill. Elle a été estimée (selon les modèles) entre 0,03 et 1 millions de pascals (entre 0.3 et 10 bars).

Les modélisations des modififcations des contraintes au niveau du sommet d'Ambrym (la ligne noire marque le tracé côtier de l'île) par des séismes simulés à divers profondeur (mais de même caractéristiques que le séisme réèl) indique que l'impact maximal est atteint si la secousse a lieu entre 9 et 13 km de profondeur (la secousse  réèlle à eu lieu à 10 km). Par ailleurs la secousse a pour effet d'abaisser la pression au niveau de la zone volcanique (d'où un écart de pression Δσ plus grand, vers le rouge). Image :
I. J. Hamling1 & G. Kilgour


Ça c'est pour l'estimation de la modification permanente des contraintes, mais il ne faut pas oublier que le passage des ondes sismiques provoque aussi une variation temporaire et de courte durée des contraintes, mais qui peut être très intense.
Cette variation « instantanée et temporaire » a aussi été modélisée, au cas où : au passage des ondes, le maximum de contraintes mécaniques qu'elles ont produit au niveau du sill a pu être de l'ordre de 0,9 à 1,5 millions de pascals (entre 9 et 15 bars).

Toutefois il ne faut pas oublier que, pour qu'un magma puisse faire éruption, il doit pouvoir fracturer les roches qui l'entourent. Dans les conditions trouvées pour cette éruption, à savoir une zone d'accumulation située vers 3000 m de profondeur, un dyke modélisé avec une longueur de 5 km et une largeur d'environ 3,5 m et en tenant compte des caractéristiques des roches (densité etc) à traverser, l'estimation des contraintes mécaniques en présence, il aurait fallu une suppression du sill d'environ 2 millions de Pascals (20 bars) pour permettre la rupture et l'éruption.

Or, ni la répartition des contraintes mécaniques dues au fait que les roches se soient déplacées, ni le passage des ondes sismiques ne peuvent, d'après la modélisation, provoquer seules l'éruption.

Alors tout ça pour ça ?

Évidemment non.

Car pour qu'un magma puisse faire éruption, il doit lui-même être « éruptible », c'est-à-dire présenter des caractéristiques qui lui permettent de se déplacer jusqu'à la surface du globe. Et en premier lieu, sa viscosité qui est la capacité d'un matériau à s'écouler, ou plus précisément la mesure de la résistance d'un matériau à son écoulement.

Cette viscosité qui, pour un magma, résulte essentiellement de trois facteurs :
  • sa température : plus elle est élevée plus sa viscosité est faible
  • sa composition chimique, en particulier sa concentration en silice et en eau. Plus la concentration en silice est élevée plus la viscosité est élevée ; plus la concentration en eau est élevée, plus la viscosité est faible.
  • La proportion de cristaux : plus il y a de cristaux, plus la viscosité est élevée


Il faut aussi qu'il puisse exercer une pression assez forte pour provoquer la fracturation des roches qui l'entourent. Et il y a deux cas de figure principaux pour que cela se produise :
    1 - un magma neuf arrive dans la zone de stockage et la met en pression
    2- des bulles de gaz se forment dans le magma déjà présent, ce qui fait monter la pression.

Les données récoltées par les volcanologues permettent d'exclure la première possibilité pour l'éruption fissurale de 2015. Il faut donc que des bulles se soient formées dans le stock de magma (le sill) déjà en place à 4 km de profondeur. Or, souvenez-vous, les modélisations indiquent que les changements de contraintes produits par le séisme ont pu provoquer une baisse de pression au niveau du sill. Et une baisse de pression, c'est favorable à la formation des bulles.

Ok: mais concrètement, la baisse de pression induite par le séisme a-t-elle pu être suffisante à l'apparition des bulles?

Pour répondre, les volcanologues ont dû modéliser les conditions de température, pression initiale, composition chimique etc, d'un magma dans lequel les bulles sont censées apparaître. En modélisant le comportement d'un magma « type Ambrym », plutôt fluide et relativement homogène dans le temps (pas trop de variation en concentration en silice notamment), et en faisant varier la température et la concentration en eau, les modélisations indiquent que :
  • pour les magmas les plus chauds (plus de 1025 °C) et riche en eau, donc bien fluides, les bulles de gaz n'apparaissent qu'à partir d'une chute de pression de l'ordre de 5 millions de pascals (50 bars).
  • pour le même magma mais pauvre en eau (un poil moins fluide), la chute de pression doit être encore plus importante.
  • pour des températures plus faibles (entre 1000 °C et 975 °C ) et un magma pauvre en eau (donc encore moins fluide) la chute de pression doit être d'au moins 10 millions de pascals (100 bars) pour que les bulles se forment.
  • Pour des températures de magma similaire (entre 1000°C et 950°C) mais saturés en eau, la chute de pression nécessaire pour que les bulles se forment est ...de moins de 1 million de pascals ! Les bulles se forment quasiment tout de suite!
Attention au piège : l'axe des abcisses se lit de droite à gauche car ce sont des manipulation de baisse de pression qui été menées. La courbe bleue représente la variation de volume pour un magma riche en eau et très chaud : on voit que le volume change significativement à partir d'une chute de 5MPa alors que les magmas moins chauds (1000°C et 975 °C par exemple) ont un volume qui augmente dès le début de la baisse de pression. Le magma le plus froid (925 °C) réagit beaucoup aussi malgré sa faible teneur en eau. Image :
I. J. Hamling1 & G. Kilgour

Comment? Que lis-je ?

Pour qu'un magma puisse faire éruption, donc se déplacer vers la surface et sortir, le bon sens, l'intuition, veut que ce soit plus simple si il est le plus fluide possible, donc si sa température est élevée, sa concentration en silice faible, la quantité d’eau élevée et peu de cristaux.

Or là il semble qu'à concentration en silice, eau et cristaux égales, les magmas les plus froids (- de 1000 °C), mais aussi les plus chauds (+ de 1025 °C) soient les moins éruptibles en cas de brusque chute de pression, car les bulles ne parviennent que difficilement à s'y former (il faut une chute de pression très importante) !

Le résultat est donc contre-intuitif et il semble qu'un magma:
- déjà un peu refroidit (mais pas trop)
- partiellement cristallisé (mais pas trop)
- contenant de l'eau (mais pas trop peu)
- de la silice (mais pas trop) etc, 

donc un magma qui serait juste ni trop jeune ni trop vieux serait le plus à même, sous l'effet des changements de contraintes dues à un séisme proche, de se mettre à faire des bulles, donc monter à une pression suffisante pour lui permettre de faire éruption.

En résumé :
  • l'éruption fissurale de 2015 a visiblement mobilisé une zone d'accumulation superficielle de magma (un sill), déjà un peu âgé sans intervention d'un magma profond.
  • Ce magma seul, statique, n'avait pas la possibilité de faire éruption.
  • Le séisme de magnitude 6,4, de part ses caractéristiques et sa position, a pu provoquer, au niveau du sill un changement de contraintes qui s'est exprimé par une baisse de pression, insuffisante pour provoquer l'éruption.
  • Mais elle a pu provoquer l'apparition de bulles necessaire à la mise en pression et à l'éruption, à condittion que le magma du sill n'ait pas été trop chaud (donc pas trop jeune, ce qui est contre-intuitif) ni trop froid, ait contenu une quantité importante d'eau, proche de la saturation et n'est pas été trop cristallisé (moins de 30% en volume de cristaux).
Il a donc fallu la rencontre entre une secousse positionnée à un endroit propice, ayant entraîné une baisse de pression pas trop importante au niveau d'une poche faite d'un magma « ni trop ni trop peu » pour que l'éruption fissurale de 2015 puisse avoir lieu.

La vache...il a vraiment fallu que ça tombe pile !

Et ce « juste pile comme il faut », ce « ni trop ni trop peu » s’appelle «principe de Boucles d'Or » (Goldylocks), en référence au célèbre conte de Grimm dans lequel la jeune fille choisit le bol qui n'est ni trop chaud ni trop froid.

Ben du coup j'ai tendance à voir cette petite éruption comme l'une des plus interessantes de la décennie écoulée!

* et le vrai, grand et beau défi, la véritable force de la science c'est, justement, d'objectiver.

Source : « « Goldilocks conditions required for earthquakes to trigger basaltic eruptions: Evidence from the 2015 Ambrym eruption » ; I. J. Hamling & G. Kilgour; in SCIENCE ADVANCES, 2020

12 commentaires:

  1. Passionnante étude !
    Ce qui est tout aussi fou, c'est que si on croit cette hypothèse, la vésiculation entre le séisme et l'éruption n'a pris que 30 heures ! C'est dingue !

    Merci, une nouvelle fois.
    Bonne journée,

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  2. Il s'agirait donc d'un phénomène de "liquéfaction" bien spécifique, par ailleurs bien connue lors de forts séismes (Italie, Algérie,...) donnant naissance à des craterlets, mais non pas provoqué par la pression des terrains surplombant une zone déstabilisée imbibée d'eau, mais ayant pour moteur les gaz du sill libérés par la dépression, contrecoup du séisme.

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  4. Bonjour,
    Pour être franc j'ai une méfiance grandissante envers les modèles, et il faut prendre ce genre d'étude avec une grande réserve.
    En particulier quand ils disent que l'éruption n'a pas été provoquée par une intrusion de magma, c'est un flagrant délit d'ignorance.
    L'éruption de 2005 a été précédée par 3 ans d'augmentation de l'activité des lacs de lave (simultanéments sur le Marum ET le Bembow) qui se traduit par une multiplication par 4 du flux thermique mesuré par satellite (MIROVA). Elle a aussi été suivie d'une réduction d'un facteur 2 de ce même paramétre (simultanément sur les deux cratères)
    Ceci démontre deux choses :
    1) il y avait certainement un afflux de magma d'origine profonde depuis plusieurs années, mais peut être qu'il ne s'est pas traduit par de la sismicité ou de la déformation, comme c'est souvent le cas dans les systèmes ouverts.
    2) Que l’éruption de 2015 avait une connection avec les lacs de lave, et que si elle a réellement été alimenté par un sill (ce que semble indiquer les données INSAR) il ne s’agit pas d’un sill qui stagne en profondeur en système fermé.
    Ensuite, en ce qui concerne la teneur en eau du magma, si réellement il y a un sill de magma accumulé en profondeur, il est fort probable que ce soit du magma partiellement dégazé par l'activité des lacs de lave (jusqu'en 2018, l'Ambrym etait le plus gros émetteur de gaz volcaniques). Il faudrait échantilloner les produits de l'éruption pour connaitre les concentrations préeruptive de gaz.
    La mode est malheureusement de plus en plus aux modèles et de moins en moins aux mesures et observations, et c'est dommage.
    Dans le même genre, un article vient de paraître dans Nature, qui conclut que l'éruption de 2018 du Kilauea a été déclenchée par des fortes pluies (!!) Ce n'est pas une blague le lien est ici : https://www.nature.com/articles/s41586-020-2172-5

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    1. Salut Robin,

      Je te rejoins sur le fait que la prédominance des modèles par rapport aux observations et au terrain... La volcanologie est avant tout une science de terrain, merci de le rappeler !
      Pour en revenir à Ambrym, selon toi, le sill mis en lumière par cette étude serait donc un sill "de recyclage" stockant du magma dégazé passé en surface au niveau des lacs ? C'est intéressant, car plutôt que de voir ce sill comme un système "à part", cela permettrait de l'inclure dans la dynamique du volcan... Et puis, cela s'accorderait avec l'hypothèse la plus vraisemblable pour expliquer le maintien dans le temps de ces lacs, ce qui me semble important !

      Pour ce qui est de l'étude sur le Kilauea, au-delà d'un titre racoleur et d'un défaut dans la lecture des déformations avant la phase éruptive latérale de 2018, l'étude amène tout de même des questionnements intéressants. J'ai par exemple été intrigué de lire que la période des pluies concentrent plus d'éruptions que la période sèche, alors que celle-ci est pourtant plus courte !

      Bonne journée,

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    2. Bonjour Robin.

      Alors certes le terrain est essentiel évidemment, pour la collecte des données qui vont permettre de contraindre les modèles : je ne souhaite à aucun géologue, quelle que soit sa spécialité, de penser qu'il peut produire comprendre le monde à l'aide de modèles faits au pif, sans être contraints par des données concrètes, des mesures etc, bref, du solide. Ce n'est pas pour rien que j'ai fait une petite digression sur les modèles et le fait qu'ils doivent être cohérents avec les données par avoir une chance d'être explorés. Et d'ailleurs je lève un pouce sur ta remarque qu'évidemment il faut échantillonner et analyser les coulées de 2015 pour avoir plus d'informations sur cette éruption. C'est une évidence. Je salue d'ailleurs le fait que de nombreuses études associaient géophysique et géochimie alors que lorsque j’étais étudiant, c'était une stupide guerre de clan entre ces deux spécialités.

      Je dirais par contre que je suis en désaccord avec ta remarque :"La mode est malheureusement de plus en plus aux modèles et de moins en moins aux mesures et observations", car les modèles n'existent que pour expliquer les donnés qu'on récolte (mesures, observations), et parce que l'observation seule sans modèle n'est pas plus fiable qu'un modèle sans données, vue que la compréhension viens de la synthèse, et que la synthèse est produite par la modélisation. Et on n'a jamais produit autant de données, donc on n'a jamais eu autant besoin de modèles. Après, faire des modèles, surtout pertinents c'est tout un art, c'est clair.

      Donc attention à ne pas jeter l’opprobre sur les modèles. Sur la méthode, le process scientifique, je ne vois guère de différence entre géochimie et géophysique. Les données changent, les formules aussi, mais on utilise bien "données" et "formules" (donc modèles) pour essayer de comprendre ce que l'on voit/mesure.

      Dès que l'on exprime un résultat, un lien entre divers paramètres, à partir de la mathématique, on est dans la modélisation de la réalité, et plus dans la réalité elle-même.

      Digression

      Le problème n'est pas le fait de produire des modèles (ce que ta phrase incite à penser) qui, surtout en géologie, font partie des outils les plus puissants pour tenter d'accéder à une représentation de la réalité de ce qui nous entoure. La Terre, avec son noyau/manteau/croute, n'est-elle pas qu'un modèle, alimenté par quelques données concrètes mais souvent indirectes dont on a un très fort soupçon qu'il soit proche de la réalité. La modélisation est tellement présente en Géologie qu'on finit, souvent, par faire l'erreur de prendre le modèle pour la réalité. Qui doute encore (à part les platistes) qu'il y a un noyau métallique au coeur de notre globe? Sa présence est pourtant déduite de divers modèles géophysiques : un modèle de transmission d'ondes sismiques, un modèle expliquant les mouvements, les forces etc. (la mécanique), mais a-t-il déjà été échantillonné?

      Donc: le noyau semble bien exister, mais nous n'en connaissons qu'une représentation (un modèle), qui est valide car elle met en cohérence des données diverses et variées. Le modèle platiste, lui, ne tient pas la route, car il ne rend compte d'aucune observation, aucune mesure, aucune donnée.

      Il me semble, en tout cas j’espère, que dans mes posts je tente de maintenir ce distinguo entre "ce que la science est capable de comprendre de la réalité (= une modélisation de la réalité)" et "la réalité" qui ne nous sera jamais complètement accessible.

      Fin de la digression

      Supprimer
    3. Et la suite (car on n'a droit qu'à un nombre limité de caractères dans les commentaires).


      Dans ce que tu écrit, le problème serait plutôt l'intégration de ce modèle dans une situation plus large, notamment dans le temps, confronté à d'autres types de données.
      C'est clairement un questionnement pertinent, mais je ne comprend pas pourquoi tu considères de facto ce modèle comme incompatible avec ces autres données (MIROVA etc).

      En effet, partons de ton rappel que depuis plusieurs années un flux plus important de chaleur est mesuré au niveau de Marum et Benbow. Tu pars de l'hypothèse que ce flux de chaleur résulte d'un flux plus important de magma venu des profondeurs (manteau?), asismique et sans déformation .


      Une idée me vient

      ne hausse du flux de chaleur au niveau des lacs est-il obligatoirement la conséquence d'une hausse du flux de magma? N'y a-t-il absolument aucune autre façon de faire augmenter le flux de chaleur à la surface des lacs, à flux de magma constant? Soit en faisant varier leurs dimensions (mais je crois pas que ça ait été le cas), soit en ouvrant de nouveaux évents (simplement la réorganisation de la partie superficielle des conduits) ce qui augmente la surface qui irradie.

      Par exemple, à flux de magma constant (estimé à 25m3 par seconde à Ambrym dans un papier en 2016!!! C'est énorme!!!Mais c'est une modélisation....), est-ce que des modifications progressives des contraintes tectoniques à l'échelle de tout l'édifice peuvent, éventuellement, en modifiant le parcours du magma (en le rendant plus direct par exemple) se traduire par une hausse du flux de chaleur mesuré au niveau des lacs?

      Fin de l'idée, je reprend le fil.


      Si on garde donc l'hypothèse que cette évolution du flux de chaleur peut-être le résultat d'une intrusion, une hausse du flux de magma (asismique et sans déformation), pourquoi ne pas faire de 2018 le paroxysme de cette évolution? Avec un système volcanique qui arrive à un point de tension tel, qu'il y a rupture de l'équilibre de toute la partie supérieure du système volcanique et la purge des lacs de magma? (Un peu comme pour Erta Ale finalement).

      Dans ce contexte, l'éruption de 2015, expliquée par le modèle décrit par ces auteurs, ne serait alors qu'un accident de parcours produit par la secousse, mobilisant un magma pas trop jeune, à l'écart de ce "nouveau flux". Un magma qui n'aurait peut-être pas été en capacité de sortir seul, sans les modifications mécaniques (contraintes) générées par la secousse.
      Peut-être que sans la secousse, l'éruption de 2015 n'aurait pas eu lieu, mais celle de 2018 aurait été la même?


      En fait je comprend tes remarques et tes questions, mais je ne comprend pas en quoi ce modèle qui vise à expliquer l'éruption de 2015 serait obligatoirement incompatible avec tes remarques et tes questions.


      Donc même si l'on peux considérer que les auteurs n'ont peut-être pas assez contextualisé le modèle, cela ne le rend pas moins intéressant à explorer. Déjà parce que, qu'il s'avère dans le futur éloigné ou proche de la réalité, il suggère que des magmas, à Ambrym ou ailleurs, peuvent être amenés à l'éruption sans forcément faire appel à une cause profonde (une réalimentation). On le savait déjà, mais ce modèle explore la piste d'un changement de contraintes en contexte de forte secousse sismique et il se trouve qu'il suggère que les magmas les plus jeunes et les plus fluides ne sont pas forcément les plus aptes à faire éruption.
      Rien que ça c'est intéressant et au-delà de la validité du modèle, c'est une piste qu'il faut garder en tête et continuer d'explorer pour la valider ou la jeter à la poubelle.
      Parce que ce même si ce modèle s'avérait faux pour l'éruption fissurale de 2015 à Ambrym, ça ne l'empêcherait pas d'être éventuellement pertinent pour d'autres éruptions sur d'autres structures volcaniques.

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    4. Et la suite de la suite (et fin)



      Quand à l'article paru dans Nature, l'USGS a bien répondu à ce sujet(https://volcanoes.usgs.gov/observatories/hvo/hvo_volcano_watch.html?vwid=1461&utm_source=twitter&utm_medium=social&utm_term=540d9378-e1e1-4e69-97f3-5bbed8b3d481&utm_content=&utm_campaign=usgsvolcanoes) et tu auras noté que je n'ai pas vraiment réagit sur le blog non plus...Là pour le coup, ça m'a semblé vraiment étrange et autant je peux concevoir que la pluie puisse modifier le comportement mécanique de la partie la plus superficielle de la croûte et éventuellement faciliter la fracturation lorsque du magma arrive, autant en faire le déclencheur, c'est-à-dire poser l'idée que sans la pluie le magma n'aurait pas pu s'injecter dans la Rift Zone, là ça me parait osé.
      Honnêtement, il y a plus de liens intéressants et pertinents à faire entre tectonique régionale et volcanisme qu'entre volcanisme et météo...

      @+, et merci de ta réaction. C'est toujours important d'avoir une réaction qui interroge les limites. Moi ce modèle me plait mais cela ne veux pas dire que je pleurerait si il devait être enterré :) .

      CV

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    5. Bonjour tout le monde
      je réponds a vos réponses
      @Culture Volcan:
      "Je dirais par contre que je suis en désaccord avec ta remarque :"La mode est malheureusement de plus en plus aux modèles et de moins en moins aux mesures et observations", car les modèles n'existent que pour expliquer les donnés qu'on récolte (mesures, observations)"

      Je suis d'accord avec toi sur l'utilité des modèles quand ils sont utilisés dans cet esprit. Mais malheureusement les modèles sont de plus en plus élaborés et, soyons francs "optimisés", pour donner une apparence mathématique et physique à des idées "provocantes", qui permettront de faire une publication sexy dans une revue prestigieuse en recherche de sensationnel. Quitte à ignorer les données qui ne corroborent pas l'idée de départ.

      "ne hausse du flux de chaleur au niveau des lacs est-il obligatoirement la conséquence d'une hausse du flux de magma? N'y a-t-il absolument aucune autre façon de faire augmenter le flux de chaleur à la surface des lacs, à flux de magma constant?"
      Question tres intéressante, et il se trouve que je suis précisément en train de bosser sur ce sujet.
      Tout d'abord pour maintenir la conservation d'énergie, le flux de chaleur fourni par la convection DOIT être égal au flux thermique radié par la surface du lac.
      Or le le flux de chaleur fourni par la convection est proportionnel au flux de magma ET à la déperdition de température que le magma subit au niveau du lac. Donc oui il y a moyen d'augmenter l'efficacité de la convection a flux de magma constant. Ca suppose que le magma qui descend est plus froid, c'est le cas sur les lacs qui ont une plus grande surface, sur lesquels le matériel qui redescend est essentiellement la peau de refroidissement formée a la suface du lac.

      "Si on garde donc l'hypothèse que cette évolution du flux de chaleur peut-être le résultat d'une intrusion, une hausse du flux de magma (asismique et sans déformation), pourquoi ne pas faire de 2018 le paroxysme de cette évolution? Avec un système volcanique qui arrive à un point de tension tel, qu'il y a rupture de l'équilibre de toute la partie supérieure du système volcanique et la purge des lacs de magma? (Un peu comme pour Erta Ale finalement)."
      Tout à fait, et dans ce cas l'éruption de 2015 serait un peu comme une "répétition générale" de celle de 2018, tout comme le Kilauea a eu plusieurs injection de magma dans la rift zone aqui ont patiellement drainé le lac de lave, avant celle de vant celle de 2018 qui lui a été fatale.

      @ Ludovic:
      Pour en revenir à Ambrym, selon toi, le sill mis en lumière par cette étude serait donc un sill "de recyclage" stockant du magma dégazé passé en surface au niveau des lacs ? C'est intéressant, car plutôt que de voir ce sill comme un système "à part", cela permettrait de l'inclure dans la dynamique du volcan... Et puis, cela s'accorderait avec l'hypothèse la plus vraisemblable pour expliquer le maintien dans le temps de ces lacs, ce qui me semble important ! "
      Oui pour expliquer la longévité et la déperdition thermique des lacs de lave on avance 2 hypothèse sur le sort du magma dégazé et refroidi: La formation de cumulats de cristaux ou l'injection d'intrusions dans le soubassement. Dans le cas de l'Ambrym, on peut claculer, en équilibrant le magma refroidi avec un calcul du magma dégazé, que le refroidissement du magma qui descend est minime (~20°C et très peu de cristallisation), donc on formerait plutôt des injections.

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    6. Une grand merci à Robin d'avoir apporté ces points d'information très intéressants, et constructifs! Je retient tout de même que le flux de chaleur peut varier à flux de magma constant :) .
      Concernant les modèles, on est bien d’accord qu'ils prennent en compte TOUTES les données, et pas seulement celles qui font plaisir.

      Je souhaite aller un poil plus loin sur ta réponse concernant l'estimation du flux de chaleur et la conservation d'énergie. Le calcul se base-t-il sur la surface du lac seule (seule chose que l'on puisse mesure de manière direct et plutôt fiable), ou y a-t-il moyen d'estimer (forcément à partir d'une modélisation pour le coup) la déperdition qui a lieu sur toute la surface de contact entre la roche en fusion et l'encaissant? Surface qui, du fait des multiples ramifications, ne doit pas être négligeable, malgré une conductibilité faible de l'encaissant (donc une faible diffusivité).
      Qu'en penses-tu ("en pensez-vous" si Ludovic ou quelqu'un d'autre souhaite intervenir, bien entendu).
      CV

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    8. Etant loin d'être un spécialiste de ces modèles, je ne connais pas la réponse à ta question. Mais je serais curieux de la connaître, alors Robin, on mise tous nos espoirs sur toi ! :)

      En tout cas, je pense en effet comme toi que la déperdition d'énergie sur les bords du puits ou du conduit n'est pas négligeable.
      D'ailleurs, une fois qu'on intègre un certain recyclage dans le "modèle" pour essayer de comprendre la dynamique de ces lacs de lave, et bien cela pose tout un tas de questions ! En m'appuyant seulement de mes observations au Nyiragongo et ce, durant deux nuits seulement, j'ai l'impression que les remontées de magma s'effectuaient plutôt dans la partie centrale du lac (à des endroits différents du dégazage d'ailleurs) et les zones où les "plaques solidifiées" plongeaient étaient un peu plus aléatoire, sur les bords mais pas que.
      Ainsi, le modèle que j'imagine dans ma tête, prend en compte des flux ascendants plutôt en position centrale et des flux descendants plutôt sur les bords... Par extension, dans le conduit (estimé à 15 m de diamètre environ), je m'imagine un flux chaud ascendant "protégé" de l'encaissant par un flux de magma descendant sur tout le pourtour du conduit... Si cela s'avère exact, alors la déperdition de chaleur en question s'effectuerait principalement sur le magma "froid" et dégazé ce qui, pour le modèle, est peut important...
      Bon, après ce n'est qu'une vision de mon esprit et basé sur mes modestes observations, donc ça n'a rien de fondé. D'autant que bien des lacs de lave ne fonctionnent pas de la même manière...

      En relisant mon commentaire, je m'aperçois que je n'ai pas apporté d'eau à ton moulin... loin de là ! On en a encore des choses à apprendre ! :)
      Bonne journée !

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