5 août 2019

Un point sur l'activité des volcans Ebeko et Ulawun


Ebeko, Russie, 1156 m

Et je remercie Shérine France d'avoir fait passer le lien vers les images qui vont suivre: elles constituent une illustration de ce qu'il m'arrive parfois de rappeler sur ce blog, à savoir que les données satellites sont un outils important (ô combien...) mais incomplet pour décrire une activité volcanique (cf mise à jour concernant le Nyamulagira). Ceci dit il arrive que les photos aussi soient insuffisantes.
Pour mémoire, depuis octobre 2016 des panaches de cendres sont émis régulièrement, et plusieurs fois par jour depuis plusieurs mois depuis la zone sommitale de l'Ebeko. Et jusqu'à présent, seuls ces panaches, assez peu importants et rapidement dispersés, avaient été observés. Les données satellites n'indiquent pas de très hautes températures mais en de rares occasions ces panaches de cendres avaient pu être associés à des infrarouges suffisamment forts pour être détectés par la webcam installée à Severo-Kurilsk.

Webcam qui a un "défaut" très important: son taux de rafraichissement très faible, qui ne permet pas d'avoir un échantillon d'images assez importants pour comprendre réellement la situation (ainsi il est rare que la webcam shoot pile au moment d'une explosion donc la production d'infrarouges est peut-être systématique, mais le nombre d'images qui la montre est très faible, sans compter la météo souvent défavorable qui font encore baisser le nombre d'images où elle est visible). 

Une illustration de ce que montrent les images satellites de temps en temps: des panaches de cendres, ou leur dépôt au sol, et parfois quelques températures assez élevées pour être détectables par la bande 12 de SENTINEL 2.

Formation d'un petit panache de cendres. Image: SENTINEL2-ESA/Copernicus
Zones à haute, mais pas TRÈS hautes, température. Image: SENTINEL2-ESA/Copernicus

Avouez qu'en regardant ces deux images satellites on ne s'attend pas forcément à une activité très soutenue. Mais il faut toujours se méfier des impressions que les images peuvent donner, car voilà ce qu'à pu voir Martin Rietze le 16 juillet dernier alors qu'il s'était rendu sur place.




Avouons que c'est plutôt joli! Et surtout ne colle pas à l'à-priori que l'on se fait à parti des images satellites et des images de la webcam.
Il me semble donc qu'on peut effectivement caractériser l'activité comme "éruptive" car il n'y a que peu de doutes quand au fait que du magma sort à la surface de la Terre sur Ebeko. Toutefois il est écrit dans le texte de présentation de la vidéo que l'activité est "strombolienne", ce qui me semble pour le coup assez étonnant.

Une activité strombolienne typique se produit à "conduit ouvert" c'est-à-dire que la colonne de magma est continue entre la surface et le réservoir ce qui permet un dégazage permanent et notamment la formation et la remontée  de bulles de gaz assez importantes jusqu'à la surface où elles explosent.

Or tout indique que le conduit n'est justement pas ouvert: pas de signaux thermiques importants (produit par le sommet de la colonne de magma qui affleure à la surface de la Terre), des explosions peu fréquentes, des panaches assez riches en cendres pour que les frictions entre les particules produisent des éclairs.
 
Rien de tout cela ne caractérise a priori le dynamisme "strombolien" mais ce ne sont de toutes façons pas les images qui permettent de poser le diagnostique: il faudrait des échantillons des particules de magma éjectées et l'observation des dépôts. Souvent les dépôts stromboliens sont fait de particules scoriacés (fragments très poreux, surface hérissée), constitués de particules de tailles variées (cendres, lappilis, bombes) avec en particulier des morphologies de type "fuseau" ou "bouse de vache" à proximité de l'évent, certains fragments sont plus anguleux car ils se fragmentent en percutant le sol alors qu'ils sont déjà assez solides.

Bref: le terme "strombolien" est utilisé un peu trop souvent à mon gout dans la description d'images qui montrent des projections incandescentes ayant des trajectoires paraboliques (on le voit souvent lors d'explosions vulcaniennes pas très fortes, par exemple).

Une dernière réflexion par rapport aux images: qu'elles soient produites par un satellite ou par un boitier reflex, les images ne montrent jamais la réalité et n'en sont qu'une représentation. Sur les images ci-dessus par exemple, dont on peut lire qu'elle sont faites "à vitesse réélle" (real speed video)* il est clair que ce n'est pas le cas: il s'agit d'une succession de poses un peu longues (chaque bombe ou bloc incandescent est visible sous la forme d'une trainée et pas d'un point) ce qui ne correspond déjà pas à la réalité. Mais surtout, selon le couple "temps de pose"/"sensibilité" choisie l'incandescence des blocs et bombes nous apparait plus ou moins forte, et colle plus ou moins avec ce que perçoit réellement le couple "oeil/cerveau" et l'image qu'il produit.

Ce que je veux dire par là c'est que les projections paraissent très incandescentes sur les images, mais cette incandescence n'était peut-être pas aussi forte à l'oeil nu. Or lors d’une activité strombolienne typique, l'incandescence des projections est très forte, du fait justement que le conduit est ouvert et que le magma est projeté à sa température la plus élevée.

Donc en ce qui me concerne je peux acter, grâce aux images de Martin Rietze, que l'activité est éruptive, mais je ne pense pas avoir pour le moment les informations nécessaires pour la caractériser comme "strombolienne". Mais au-delà de ces considérations géologiques, cela reste une belle séquence, et une belle surprise aussi!

* expression dont je me demande quelle est la signification, puisqu'il y a une différence entre une vitesse objective (objectivée par l'homme, en fait) calculée par le rapport entre la distance parcourue et le temps mis pour la parcourir, et la vitesse vécue, ressentie, par un individu qui n'est donc pas objective mais tout aussi réelle pour l'individu. Par exemple: nous nous déplaçons en permanence à environ 30000 m/seconde (vitesse objective de déplacement de la Terre autour du soleil) mais personne n'en a conscience (je suis assis sur ma chaise donc je ne me déplace pas, ce qui est la réalité ressentie).


Sources: Martin Rietze; SENTINEL 2 ESA/Copernicus; merci à Shérine France


Ulawun, Papouasie Nouvelle-Guinée,  2334 m


Une nouvelle phase paroxysmale a eu lieu le 03 juillet août sur Ulawun, d'une intensité similaire à celle du 26 juin dernier. Elle a duré environ 3 heures, entre 18 et 21 heures du matin (heure locale). A la lecture des bulletins du VAAC de Darwin, l'activité éruptive a débuté par la mise en place d'un panache de cendres qui s'élevait déjà jusqu'à environ 7 km d'altitude, panache détecté à 02h20 TU.

Je ne connais pas d'images prisent pendant la phase paroxysmale, nocturne, mais quelques images montrent l'activité éruptive avant le climax: tout comme le 26 juin il s'agit, semble-t-il, de fontaines de lave qui alimentent la colonne de cendres, mais la résolution de l'image est trop faible pour être sûr de la description.

L'activité éruptive au soir du 03 août. Image: Christopher Lagisa


Mais c'est dans son bulletin publié à 10h16 TU que le VAAC de Darwin décrit le climax du paroxysme avec l'arrivée du panache de cendres à une altitude estimée à 63000 pieds, soit environ 19 000 m! Et ce pic d'activité qui dure environ 3 heures, et se déroule en pleine nuit. Le développement et la dispersion du panache de gaz et cendres n'est donc observable que depuis l'espace, en utilisant des longueurs d'onde non visibles à l'oeil nu pour composer les images.

Formation et dispersion de l'imposant panache de cendres de la phase paroxysmale. Images: Himawari 8

Les chutes de cendres ont été décrites comme abondantes à proximité de l'édifice, ce que confirme l'image satellite SENTINEL 2 prise le lendemain qui montre par ailleurs que le versant le plus touché est le versant ouest-sud-ouest.

Le dépôt de cendres du au paroxysme a fortement impacté la végétation du versant ouest de l'édifice, jusqu'à la côte. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus


Si l'on y regarde de plus près on peut aussi voir la mise en place de dépôts dont la morphologie évoque fortement des écoulements pyroclastiques. Ces dépôts sont visibles aussi bien sur le versant sud-sud-ouest et nord-nord-est où ils sont plutôt court (quelques centaines de mètres à environ 1000 m de long), mais aussi dans la ravine ouverte à l'est-sud-est qui, en canalisant un écoulement pyroclastique, lui a permis d'atteindre environ 5 km de longueur.

Des dépôts évoquant fortement des écoulements pyroclastiques sont visibles sur plusieurs versants de l'édifice. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Si l'éruption n'a visiblement pas fait beaucoup de dégâts directs, mais a probablement engendré tout un tas de problèmes liés au chutes de cendres (destruction de parcelles cultivées par exemple), les pluies qui se sont abattues par la suite ont provoqué la formation de lahars qui ont détruit plusieurs ponts reliant les zones à proximité aux villes, ce qui affecte l'économie locale. Toutes les denrées, comestibles ou non (carburant par exemple) transitent sur ces ponts ui sont maintenant détruits et des pénuries de carburants pourraient arriver rapidement si des passages en dur ne sont pas reconstruits.

Sources: SENTINEL2-ESA/Copernicus; VAAC de Darwin; Himawari 8; Presse Papoue

6 commentaires:

  1. Juste une petite coquille, la nouvelle phase paroxysmale est bien du 03 août (non juillet) ! ;)

    Merci pour ces infos !

    Ludovic

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  2. Très bonne analyse CV sur "temps de pose"/"sensibilité" . En effet les capteurs numériques sont aujourd'hui si performants qu'il donnent des résultats bleuffants et spectaculaires... mais parfois très différents de ce que le couple Oeil/cerveau "voit.

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    1. Bonjour Mr Barois. Merci de votre retour. C'est vrai qu'à force de regarder des images le risque est de perdre le fait qu'elles ne sont jamais la réalité mais des représentations de la réalité. Du coup, il faut se méfier lors de l'interprétation que l'on tire de ces images.
      Bonne journée :)

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  3. bonsoir
    Totalement hors sujet: j'ai trouvé une super webcam du Stromboli avec le son ! :https://www.skylinewebcams.com/fr/webcam/italia/sicilia/messina/stromboli.html un bonheur! je ne m'en lasse pas. Et du coup je me demande: ça ne se peut pas qu'il y ait des lacs de lave dans les cratères? entre 2 bulles? Bon, je ne suis pas très volontaire pour aller vérifier, mais il me semble que c'est très chaud pas loin !et ils sont pas nombreux sur terre ces lacs ! très fort ce Stromboli ! j'y retourne !

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    1. Bonjour Unknown. Oui: célèbre webcam (j'en ai fait passer le lien sur twitter, et peut-être aussi dans d'anciens post, mais ma mémoire me fait défaut sur ce type de détails). J'utilise parfois des captures d'écran aussi pour illustrer certains post, notamment celui du paroxysme du 03 juillet.

      En tout cas merci et bonne journée :)

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