13 juillet 2019

Nyamulagira, Shishaldin et Stromboli: un petit point est nécessaire

Stromboli, Italie, 926 m

Il est clair que l'activité éruptive, majoritairement explosive, se poursuit sur la célèbre île-volcan. Les différents évents dont j'ai parlé dans la mise à jour n°5 du post précédent restent le siège d'explosions stromboliennes (des bulles de gaz de gros volume qui viennent exploser au sommet de la "cheminée" et projettent des lambeaux de roche en fusion) parfois spectaculaires. Toutefois des phases d'effusion, qui ont lieu depuis avant le paroxysme, se maintiennent.
On dirait des phases de débordement de la colonne de magma, qui est clairement très agitée par son dégazage. Il n'est donc pas très étonnant que la partie supérieure de l'édifice, fragilisée par le paroxysme et la déstabilisation de la zone sommitale, soit un peu plus perméable et qu'il y ait de temps en temps des fuites de roche en fusion.
Elles ont lieu depuis le nouvel évent (cf mise à jour n°5 du post précédent à nouveau) ouvert au sud-ouest de la plate-forme,. Il ne s'agit pas de grosses coulées très alimentée, mais de courtes coulées de quelques centaines de mètres de long qui descendent tranquillement dans la Sciara del Fuoco. On voit très bien ces phases d'effusions sur les images de la webcam thermique installée à Ginostra. Ci-dessous un petit gif pour montrer l’écoulement de lave qui s'est formé dans l'après-midi du 12 juillet.

Formation d'une nouvelle coulée de lave, observée en infrarouges, dans la Sciara del Fuoco, le long de la paroi sud-ouest. Images: LGS

Cette effusion a aussi été repérée par le satellite SENTINEL 2, qui est passé sur la zone en cours de journée.

Les différents évents actifs, dont le nouveau, d'où est émise la coulée. Image: SENTINEL 2-ESA/Copernicus

Ces débordements se produisent aussi, depuis hier soir, à partir de la zone du Cône Nord-Est.

Les coulées dans la Sciara del Fuoco vues par la caméra thermique de l'INGV installée sur le versant nord-est. image: INGV
Le départ des coulées côté nord-est, vue par la webcam thermique installée près de la zone sommitale, face au cône nord. Image: LGS
Le niveau d'activité a été élevé à "Very High", sur la base des signaux géophysiques* le 06 juillet et est maintenu à ce niveau depuis lors. Il faut dire que la canonnade ne rigole pas: certaines projections montent à plusieurs centaines de mètres de hauteur régulièrement.


Activité classée "very high". image: LGS

En attendant voilà une petite idée de l'ambiance près de la zone sommitale, ici côté nord-est: c'est impressionnant!

LEs impacts de bombes et les incendies ont ravagé la maigre végétation qui se développait au sommet de l'édifice. Image: HTHP-INGV via Pier Giorgio


* si on la compare à d'autres éruptions explosives, elle est faible, donc "very high" reflète une activité plus élevée que l'habituelle sur cet édifice, pas en comparaison avec d'autres éruptions, bien entendu.

Sources: LGS; SENTINEL 2 - ESA/Copernicus; HTHP-INGV via Pier Giorgio

Shishaldin, Etats-Unis, 2857 m

L'Alalska Volcano Observatory a élevé les niveaux d'alerte d'un cran pour le Shishaldin, les passant de Vert à Jaune pour l'aviation et de "normal" à "advisory" pour l'alerte volcanique . Ils expliquent dans leur bulletin que non seulement la sismicité s'est renforcée de manière significative, mais qu'un pilote d'avion a même pu remarquer des lueurs d'incandescence dans le cratère sommital.

SENTINEL 2 permet de constater cette hausse d'activité car depuis la fin du moins de juin une source d'infrarouge, dont la nature n'est pas déterminée à ce jour, se manifeste et monte en puissance au fond du cratère, constatez par vous-même.

Une source d'émission infrarouge ("chaleur") se manifeste au fond du cratère et monte en puissance depuis fin juin. Images: SENTINEL 2-ESA/Copernicus


Dans leur bulletin, les volcanologues de l'AVO indiquent aussi que bien que cette activité soit au-dessus de la normale, cela ne signifie pas qu'une éruption va démarrer.
Toutefois le soupçon (pas la preuve ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit) quand à la mise en place d'une petite activité éruptive depuis quelques jours est légitime lorsqu'on se rend compte que la source de rayonnement infrarouge est assez puissante pour être détectée dans la bande 8 (842 nanomètres, infrarouge  proche), dont la longueur d'onde est assez proche du rouge (entre 670 et 700 nanomètres en gros) qui caractérise l'incandescence visible à l'oeil nu et est signe de très très hautes températures.


La source rayonne dans le proche infrarouge, longueur d'onde de haute énergie, qui implique de très hautes températures. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Souvent la détection dans la bande 8 est associée à une activité éruptive, car l'énergie rayonnée est corrélée à de très hautes températures, compatible avec la roche en fusion. Ici la source est de très petite diamètre et il pourrait ne s'agire que d'un évent de dégazage, mais l'observation d'une incandescence par le pilote rend encore un peu plus probable le fait qu'une petite éruption, une faible activité strombolienne tout au fond du cratère par exemple, ait débuté.
J'y ajouterai une interprétation personnelle: si l'on compare les images prisent fin juin et le 11 juillet, il semble qu'il y a autour de la source de chaleur une auréole noire: l'interprétation est difficile et je ne saurais rien affirmer quand à la nature de cette auréole, mais une interprétation possible serait un dépôt de scories, une accumulation de projections autour de l'évent.

En plus de la fonte de neige et glace dues aux fortes chaleurs enregistrées en Alaska cet été, qui fait apparaitre une multitude de tâches allongées sur les pentes (crêtes rocheuses), une auréole régulière, sombrer et centrée sur l'évent actif, pourrait être un dépôts de scories projetées par l'évent. Images: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus


Clairement la résolution des images est insuffisante pour avoir une quelconque certitude. Et si il s'avérait que cette interprétation (non officielle encore une fois), soit fausse, je la jetterais à la poubelle sans le moindre remords...comme toute idée fausse, aussi plaisante et rassurante soit elle.

L'idéal serait donc d'avoir un survol du cratère et des images claires de ce qu'il se passe au fond.

Sources: AVO/USGS; SENTINEL 2 - ESA/Copernicus


Nyamulagira, République Démocratique du Congo, 3058 m

Dans le post du 01 juillet nous avions vu que les images satellites permettaient de constater des modification importantes au niveau du Pit Crater ouvert au sommet: après avoir été rempli de coulées, il avait été purgé de son contenu. De mon côté des méthodes indirectes m'avaient conduit à penser que cette purge avait eu lieu autour du 12 juin  mais dans les commentaires de ce post (merci OD!) nous apprenions que ce renversement de situation avait probablement débuté avant le 08 juin.
Mon interprétation était alors que l'empilement de coulée avait été purgé mais que le fond du Pit Crater commençait a être à nouveau recouvert de nouvelle coulées.

L'image satellite prise le 02 juillet me conduit à comprendre la situation différemment. "Comprendre la situation" ne signifie pas que l'interprétation que je vais donner ci-dessous est la réalité, mais simplement qu'il me semble qu'en prenant en compte toutes les informations recueillies entre le post précédent, le commentaire et la nouvelle image, ma première interprétation me semble moins cohérente, plus fragile, que celle que je vais donner.

Donc je comprend maintenant la situation différemment que ce que je l'avais comprise début juillet:fin de la digression!

Lorsqu'on regarde l'image du 2 juillet donc, que voit-on: une surface de coulée marquée par une zone  à très haute température, située au nord-est du Pit Crater: c'est le même évent que celui que j'avais marqué sur l'image du 22 juin dans le post précédent. Et une surface de coulées encore assez chaude (faiblement visible en bande 12) qui sont des coulées en cours de refroidissement, émises par l'évent à très haute température, ou peut-être des zones très fracturées d'où s'échappent de grandes quantités de chaleur.
On remarque aussi, par comparaison avec l'image prise le 22 juin, que le niveau du plancher sombre est encore plus bas!




Donc, si je reprend la chronologie, très (trop) parcellaire, de cette situation, on a :
- un Pit Crater qui se rempli pendant plusieurs mois de coulées de lave, formant un plancher
- une vidange de ce Pit Crater qui aurait commencé avant le 08 juin
- un plancher dont le niveau est encore plus bas le 02 juillet qu'il ne l'était le 22 juin

Nouvelle interprétation: plutôt qu'une purge début juin suivi d'un nouveau remplissage fin juin, cette chronologie évoque plutôt une purge progressive du Pit Crater qui arait début début juin (peut-être même fin mai, qui sait?) mais qui se poursuit tranquillement à l'heure actuelle. Peut-être y'a-t-il des phases de re-remplissage limitées en volume, mais la dynamique globale reste visiblement l'évacuation de tout ce qui s'est accumulé au cours de l'année écoulée.
La question "où va toute cette matière" reste donc tout à fait entière, et la vigilance reste de mise, bien évidemment.

Source: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

3 commentaires:

  1. merci pour toute votre passion que vous nous transmettez pour notre plus grand plaisir. merci pour toutes ces informations très détaillées. Sincèrement, Catherine

    NB: Je ne comprends pas pourquoi la vidéo (qui montre la bulle de gaz) de la webcam est interdite au grand public, c'est donc une compagnie privée qui gère les vidéos? c'est quand même un peu scandaleux. Ce n'est pas un film d'auteur et ne sont-ce pas les impôts des italiens qui financent cela? un grand ZUT de ma part, pour rester polie. Merci pour avoir capté l'image effectivement ahurissante dont je ne me remets pas non plus.

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    1. Bonjour Mme Redolfi. Merci pour votre enthousiasme aussi: ça fait plaisir à lire! Pour la vidéo je n'ai pas de détails concernant les droits ou comment la production de ces images, la maintenance des webcams etc. est gérée, mais je sais par contre que sans le partage du lien dans les commentaires, j'aurais perdu les images et n'aurais pas pu les partager à mon tour. Merci donc aux internautes attentifs! :)
      Bonne journée à vous
      CV

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  2. merci pour toute votre passion que vous nous transmettez pour notre plus grand plaisir. merci pour toutes ces informations très détaillées. Sincèrement, Catherine

    NB: Je ne comprends pas pourquoi la vidéo (qui montre la bulle de gaz) de la webcam est interdite au grand public, c'est donc une compagnie privée qui gère les vidéos? c'est quand même un peu scandaleux. Ce n'est pas un film d'auteur et ne sont-ce pas les impôts des italiens qui financent cela? un grand ZUT de ma part, pour rester polie. Merci pour avoir capté l'image effectivement ahurissante dont je ne me remets pas non plus.

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