23 mars 2019

Le point sur l'activité des volcans Nyiragongo et Erta Ale

L'activité éruptive en ce moment est assez calme. Et par "calme" je ne veux pas du tout dire qu'il ne se passe rien! En permanence, sur Terre, des éruptions se déroulent dans plusieurs pays. Le nombre d'éruptions visibles, détectables*, au quotidien est la plupart du temps située entre 40 et 60, mais il ya un contraste fort entre la réalité ("plusieurs éruptions sont en cours en même temps, et tout le temps, mais pas toujours au même endroit et qui, la majeure partie du temps, ne pose pas de problèmes graves") et la perception par le public, qui voit l'éruption comme un phénomène plutôt rare, peu fréquent et qui pose souvent problème.
Le biais étant créé par le fait que seules les éruptions qui franchissent un certain "seuil de médiatisation" pour des raisons aussi diverses que variées et pas toujours objectives** sont alors relayées à une vaste échelle via les multiples canaux médiatiques, classiques ou réseaux sociaux...et sont portées à connaissance du public.

Donc par "assez calme" je veux dire qu'il n'y a pas actuellement sur Terre d'éruption qui connaisse une évolution franchement inédite, inattendue, surprenante, exceptionnelle. Bref: toutes les éruptions en cours actuellement sont dans une sorte "d'état de stabilité", raison pour laquelle je fait régulièrement passer des détails sur twitter, mais que je n'ai pas matière à écrire sur le blog quotidiennement, sinon à toujours répéter les mêmes choses ou presque.
Mais parce que je n'ai pas fait le point sur certaines situations depuis longtemps, et parce que d'autres activités éruptives permanentes varient ou semblent varier vers la hausse, il me semble intéressant de faire un point d'étape. Et on part pour le continent Africain pour commencer.
Nyiragongo, République Démocratique du Congo, 3470 m

Depuis la réouverture de l'accès au sommet, les images affluent à nouveau. Je dois à Mr Balland, lecteur du blog, des remerciements pour m'avoir fait passer le lien vers des images de l'activité en cours, car le dernier bulletin de l'Observatoire, transmis début mars, n'indiquait pas vraiment ce qu'il se passe depuis plusieurs jours maintenant, ce qui suggère que cette phase a débuté après la publication du bulletin.

Il est clair que l'activité a un peu augmenté au Nyiragongo, même si les causes de cette hausse ne sont pas claires. Elle se caractérise par une remontée importante du niveau du lac de magma ("lac de lave") principal, qui connait par moment d’impressionnantes phases de débordements. Un spectacle pas fréquent mais pas unique non plus sur ce lac, puisqu'il avait été, dans le cadre d'une expédition scientifique, photographié de près (moins de 2 m probablement) par Olivier Grunewald il y a quelques années.

En ce qui concerne l'activité en cours, voilà l'ambiance : chaud bouillant!





Le bulletin de l'OVG indiquait des fluctuations du niveau du lac principal, phénomène qui est plutôt habituel. Mais il était indiqué aussi que des secousses liées à des mouvements de magma à deux niveaux sous Nyiragongo: superficiel (entre 0 et 5 km de profondeur) et profond (entre 10 et 30 km de profondeur), ce qui correspond peu ou prou aux profondeurs où se se situeraient les réservoirs qui alimentent le lac. La question est donc: y a-t-l un lien (et si oui lequel) entre cette sismicité et la phase actuelle? La sismicité a-t-elle été provoquée par un transfert de magma depuis le réservoir profond jusqu'à la surface? N'oublions pas qu'il s'agit de questions qui n'ont pas encore de réponses (réponses qu'il ne faut pas anticiper sur la base d'une intuition ou d'un soupçon. Il faut attendre des faits, des indices convergents forts au minimum, qui peuvent éventuellement aller à l'encontre de l'intuition).



Bref: belle activité, plutôt élevée mais qui reste dans les limites de l'habituel pour cet édifice. Un spectacle magnifique en tout cas! D'autant plus qu'il semble (à confirmer tout de même) que l'évent secondaire, présent depuis 2016 est toujours actif et libère des coulées de lave.

* un nombre indéterminé d'éruptions quotidiennes sont indétectables car situées au fond des océans et loin d'appareils de détection.

** elles créent des problèmes, ou même sans créer de problèmes, des images visuellement spectaculaires (de haute ou faible qualité peu importe) sont produites par exemple.

Sources: Merci à Mr F. Balland; Instagram; Observatoire Volcanologique de Goma


Erta Ale, Éthiopie, 613 m

Ça c'est une situation pour laquelle je n'ai plus fait de point depuis un bon moment, tout simplement parce qu'elle reste globalement stable. Depuis mon post précédent (mai 2018!?!) en effet il n'y a pas eu de changement important dans la dynamique de cette éruption, qui reste effusive (= production de coulées de lave).
 
La source reste la Rift-Zone sud, ouverte début 2017 et qui a drainé le lac de magma sommital du Pit Crater Sud, qui ne s'est toujours pas reconstitué à ce jour. Mais l'émission de lave fluide n'est pas visible directement à la source, car le débit reste globalement faible et le point de sortie est couvert d'une croûte de lave solidifiée, qui empêche le rayonnement thermique de s'échapper et d'être détecté, notamment depuis l'espace.
 
Une fois sortie de la plomberie, cette lave fluide est canalisée dans les tunnels formés au cours de l'année 2017 et qui lui ont permis d'aller jusqu'à proximité de la plaine sédimentaire, une zone quasiment plate à plus de 10 km de là (il a fallu plus d'un an tout de même pour y arriver). Sur cette zone plate, la lave s'étale progressivement, en formant des "langues" successives, qui ont progressivement couvert une vaste surface, formant un delta de lave.

Depuis lors c'est ce système "tunnel d'alimentation + delta au bout du tunnel" qui reste en place et se développe.
 
Depuis le début de l'année 2019 c'est la frange nord du delta qui est progressivement élargie au fur et à mesure que la lave recouvre le terrain (essentiellement de très anciennes coulées de lave couvertes d'un peu de sable amené par le vent).

La situation le 20 mars vue par satellite. L'activité reste essentiellement centrée sur la Rif Zone sud, et est minimal au sommet. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

 
Il y a toujours eu depuis le début de cette phase (janvier 2017 donc) un signal thermique au sommet, signe qu'une petite activité y perdure. Peu d'images la montrent, notamment parce qu'elle se déroule au fond du Pit Crater, et est donc très peu accessible à la vue, mais aussi parce que le peu qui peut être distingué est souvent masqué par un important dégazage.

Cette activité éruptive, plutôt stable depuis plus de 2 ans maintenant, produit, mine de rien, la plus longue coulée de lave sur Terre actuellement.

Source: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

4 commentaires:

  1. Bonjour CV,
    Nyiragongo
    Merci de m'avoir cité. C'est impressionnant ce débordement, cela donne envie d'aller voir ce qui se passe là-bas, sauf que l'insécurité latente dans la région doit faire réfléchir avant d'y envisager une expédition, pour preuve il suffit de taper Goma et Actualité dans un moteur de recherche célèbre pour voir un peu ce qui s'y passe.
    Erta Alé
    Vous dites petit (débordement ou effondrement), c'est relatif car le point d'émission de chaleur semble avoir 100 à 150 m de long, cela ressemble beaucoup à l'ex "nouveau lac de lave de 2017" qui en réalité n'en était pas un, c'était un effondrement de la voûte du tunnel de lave qui va vers l'Erythrée, j'avais participé à une expédition pour aller l'observer vous aviez publié plusieurs de mes photos, en ressortant mes points GPS de l'époque ce nouveau phénomène est à environ 1 km plus en aval. Le terrain dans ce secteur est très accidenté, la progression n'est pas toujours facile, il fallait trouver des passages. Auront nous un jours des photos/vidéos de ce nouveau point chaud c'est moins sure surtout que les fortes chaleurs arrivent et il risque de subir le même sort débordement et solidification de la croûte en surface

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    1. Bonjour FB88. Oui: c'est un petit débordement à l'échelle de la situation ainsi qu'en débit...ce que j'aurais du préciser probablement :) L'objectivité n'est pas simple puisqu'on est souvent objectif du point de vue où l'on se place, ce qui est la difficulté de lobservation de terrain qui voit un phénomène qu'il décrit comme "spectaculaire" alors qu'à une échelle plus large il peut s'agir d'un phénomène faible à modéré. C'est fut le cas par exemple de gros blocs projetés à plusieurs dizaines de mètres de hauteur lors de la phase terminale de l'éruption du Kilauea l'an dernier: spectaculaire à voir certes, mais il s'agit néanmoins d'une activité explosive faible.
      Tout est question de perspective et, finalement, la rédaction d'un article de blog est complexe car la verbalisation de ce que l'on veut dire, expliquer, faire comprendre est complexe.
      Mais votre remarque est importante, et intéressante, parce qu'elle exprime une réalité vue sous un angle différent, depuis le sol en l'occurence.
      Merci beaucoup donc :)

      CV

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  2. Salut CV,

    Quelques précisions de l'OVG pour le Nyiragongo (avec qui je suis en contact) :
    01 février : lac à 25-30 mètres sous la lèvre du pit crater
    27 février : le lac affleure
    02 mars : premier débordement observé (par l'OVG) mais le lac est déjà perché
    11 mars : autre débordement, plus important

    A noter que les données de surveillance ne les inquiète pas outre mesure !

    Bon dimanche,


    Ludovic

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    1. Bonjour Ludovic. Merci de ces précisions importantes! Début mars fut donc un moment charnière avec l'édification rapide du rempart.

      Merci! :)

      CV

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