6 novembre 2018

Retour d'une petite activité éruptive sur l'Etna

Depuis la rédaction du post précédent, début septembre dernier, le calme était revenu sur le géant Sicilien, sauf une phase de paroxysme médiatique concernant l'effondrement du flanc est qui provoquera une catastrophe, j'essaierais d'y revenir. Cependant ce calme n'étais, comme d'habitude, que relatif: le calme absolu sur l'Etna, ça n'existe tout simplement pas. Il existe des moments où la colonne de magma fait éruption, et des phases où elle reste dans la plomberie, mais elle est toujours proche de la surface.
En l'occurence au cours des mois de septembre et octobre les images satellites ont permis de constater qu'une activité (dont je ne sais pas si elle fut "éruptive" ou non) restait présente dans les différents cratères sommitaux. En regardant les différentes images satellites prisent depuis la fin de l'éruption précédente (fin août), on peut constater que:

- l'activité a persisté sans jamais disparaitre, mais en s'amenuisant parfois, dans la Bocca Nuova, où 2 évents présentent de très hautes températures en permanence.
- l'activité dans la Voragine est généralement inexistante, sauf fin septembre, où de hautes températures ont été détectées sur une courte période de temps (autour du 25 septembre).
- l'activité dans le Cône Nord-Est s'est arrêtée à la mi-septembre pour reprendre (avec des émissions de cendres, peut-être du débourrage) fin septembre. Elle ne semble pas s'être arrêtée depuis.

- l'activité sur le Cône Sud-Est semble avoir repris vers la fin du mois de septembre, pour s'interrompre début octobre, et reprendre rapidement ensuite. Elle n'a toujours été présente que sur un seul évent: "U Puttusiddu", le plus à l'est.

La situation au niveau des cratères sommitaux le 30 octobre, vue par satellite. Plusieurs évents sont la source de rayonnements infrarouges importants, signes de hautes températures (pas obligatoirement signa d'activité éruptive, mais peut-être quand même). Image: SENTINEL2-ESA/Copernicus


Concernant U Puttusiddu il est possible d'avoir un peu plus de précision quand au retour de l'activité depuis début octobre. Même si la météo n'a pas souvent été favorable, et en sachant que de petits soucis informatiques m'ont fait rater une partie des images des webcams, il est clair qu'une activité strombolienne est présente sur l'évent U Puttusiddu depuis au moins le 21 octobre, activité qui a probablement débuté encore plus tôt.

Une très faible activité strombolienne était présente dès le 21 octobre. Image: Protection Civile de Giarre.
Cette activité, clairement éruptive cette fois, est toujours modeste mais semble s'être légèrement accentuée avec, selon le volcanologue Boris Behncke, une explosion toutes les 10 minutes environ (c'est une moyenne, pas une réalité) le 4 novembre au soir, ce qui n'était pas le cas fin octobre d'après les webcams.

L'activité strombolienne sur l'évent U Puttusiddu photographiée dans la nuit du 04 au 05 novembre. Notez la fumerolle à très haute température (petit spot incandescent) juste à sa droite. Image: Salvatore Lo Giudice
Bon maintenant qu'il est établit qu'une activité éruptive modeste est en cours sur l'Etna (et en ne perdant pas de vue qu'il n'est pas possible de prévoir comment elle va évoluer mais qu'il vaut mieux rester vigilant), je souhaite dire juste un mot concernant cette histoire de l'Etna qui glisse dans la mer et ça va être une catastrophe.

Est-ce que le versant est de l'Etna glisse dans la Mer Méditerranée? Oui
Est-il possible qu'un effondrement de (ce qu'à notre échelle nous considérions*) grande ampleur ait lieu? Oui
Cet effondrement pourrait-il entrainer la formation de tsunamis? Oui, le versant qui bouge plonge dans la mer? Pour autant ces tsunamis seront-ils obligatoirement immenses et destructeurs? On peut pas savoir à l'avance, le but de la science n'est pas la prédiction, mais l'analyse et la compréhension.
Est-ce possible? Oui. Est-ce probable? Non, pas à court terme.
Est-ce une nouveauté? Absolument pas, c'est connu depuis très très longtemps. L'origine de la Valle del Bove comme résultat de l'effondrement (donc de l'instabilité) du versant est remonte au moins au début des années 80.
Ce qui n'est pas un hasard: le 18 mai 1980 le Mont Saint Helens a fait prendre conscience qu'un édifice volcanique est une structure moins stable que ce que l'on imagine. Même si les causes de l'instabilité pour cette éruption du Mont Saint Helens sont totalement différentes de celles de l'Etna. Et justement depuis cette époque les chercheurs tentent de comprendre quels sont les paramètres qui peuvent jouer sur la stabilité de ces tas de lave qu'on appelle "volcans".

Concernant le tas de lave "'Etna"  l'analyse de la sismicité , couplée avec les données GPS, ont permis de constater que le versant Sud-Est Est continue de lentement se déplacer. Cette situation se manifeste par la présence des deux Rift-Zones principales (Nord-Est et Sud-Est) qui découpent l'édifice et le long desquelles le flanc Est glisse. Et par lesquelles le magma parvient parfois à sortir, donnant de spectaculaires éruptions latérales (2001 et 2002 par exemple mais bien d'autres encore).

L'article qui a inutilement secoué la toile courant octobre fait le point sur les causes du glissement. Car plusieurs hypothèses ont été proposées pour l'expliquer, les principales étant l'injection de magma, qui produit des contraintes à même d'écarter les roches et de créer l'instabilité côté Est (pas côté Ouest: l'édifice est en appui sur les monts Nébrodi, pas au Nord non plus puisqu'il s'appuie sur les monts Péloritains).

A cela s'ajoute une autre hypothèse qui est compatible avec la première et aurait facilité son action: un climat très humide au début de l'holocène, qui aurait saturé les roches de l'Etna (massif très poreux) en eau, diminuant sa résistance mécanique, provoquant la formation de la Valle del Bove.

Enfin une troisième hypothèse, proposée dès le début des années 90, fait entrer un jeu un mécanisme plus passif: le simple glissement de l'Etna sous l'effet de sa masse, hypothèse purement gravitationnelle donc.

Toutes ces hypothèses sont intéressantes mais elles se basaient alors uniquement sur les mesures faites à terre: pas de sismomètres ni de GPS sous l'eau!.

L'idée à donc été de voir si le glissement se réalisait aussi sous l'eau, au large de la côte est de la Sicile et il semble que c'est bien le cas. Il s'agit d'un mouvement lent, pour ainsi dire quasi permanent, situé du coup loin de la plomberie magmatique, donc loin de la source des contraintes. Et qui par ailleurs n'a pas pu subir les effets de pluies plus abondantes il y a quelques milliers d'années.

La découverte la plus importante de cette étude est que la vitesse de déplacement est importante au large mais diminue vers l'ouest, à terre. Et que, par ailleurs les failles qui se forment au large, en lien avec ce mouvement, ce couplent avec les failles connues sur le versant est de l'Etna de telle manière que tout cela indique que le glissement commence en fait au large, et qu'il se propage ensuite à l'Etna lui-même, situé juste à l'ouest, provoquant son instabilité. La cause majeure des mouvements ne semble donc pas être la masse de l'Etna, ni l'injection de magma, ni les pluies de l'holocène, mais autre chose.

Ce qui n’empêche pas que les intrusions magmatiques ou d'importants infiltrations d'eau facilitent l'instabilité, de temps en temps, de l'Etna, mais le principal moteur est à chercher ailleurs, au large, ce qui contrastent avec toutes les hypothèses précédentes qui étaient inhérentes à l'Etna lui-même: voilà l'apport de cette étude, une nouvelle et très interessante piste! Certainement pas le fait que l'Etna est instable, ça, c'est connu de très très longue date, pas besoin donc d'embrayer sur du catastrophisme. Ce qui est intéressant par ailleurs c'est que la masse qui se mettrait en mouvement ne serait pas forcément l'Etna, mais pourrait  tout aussi bien être une masse de sédiments découpés par ces failles.

Alors quel moteur? La région est fortement tectonique et les contraintes qui s'exercent sur le plancher  de la Mer Ionienne (à l'Est de la Sicile) provoquent son progressif enfoncement: de quoi provoquer le glissement vers ce plancher, c'est l'idée proposée par les chercheurs. Et il faudra plus d'étude sur un longue période de temps pour affiner la mécanique de ces mouvements.


* je veux dire par là que si seulement 1/100ème de la masse totale de ce qui bouge se décroche, ça sera déjà immense pour nous alors que pour l'ensemble ça ne sera qu'un petit fragment. Tout est une question d'échelle.

Sources; SENTINEL2-ESA/Copernicus; Salvatore Lo Giudice; Protection Civile de Giarre; Boris Behncke;"Gravitational collapse of Mount Etna’s southeastern flank"; M.Urlaub et al, 2018, SCIENCE ADVANCES.

4 commentaires:

  1. Tres belle analyse de la situation . Merci .Ca a du bouger un peu plus avec les tremblements de la mer ionienne ces derniers temps.

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  2. Si le flanc immergé du volcan est constitué de pas mal de cendres, l'eau en s'infiltrant peut jouer le role de lubrifiant et favoriser le glissement, comme un chateau de sable léché par les vagues ?

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  3. Pur hasard, je suis tombé ce soir sur une émission du channel science et vie qui traitait d'un écroulement de flanc de l'Etna il y a 8000 ans avec un comme conséquence un tsunami géant qui aurait dévasté le bassin oriental de la méditerranée

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    1. Bonjour. C'est une simulation numérique réalisée en 2006 en effet (Geophysical Research Letters (GRL) paper 10.1029/2006GL027790, 2006) qui tente d'expliquer un certain nombre de dépôts interprétés comme le résultat d'un tsunami important. L'idée étant de faire le lien avec l'une des avalanches de débris repérées au fond de l'eau (et en partie à terre à priori), juste au pied de l'Etna, mais il est très difficile d'établir un lien sûr et certain. C'est une hypothèse interessante, clairement, mais ce lien potentiel mérite encore d'être renforcé (les chercheurs eux-même emploient le conditionnel dans leur étude). :)
      Bonne journée
      CV

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