7 novembre 2018

Nouveau volcan au sud du Chili: pourquoi douter?

Bon, ça fait tout de même un moment maintenant (depuis 2003)  que je regarde tous les jours (saufs rares exceptions) ce qu'il se passe côté volcanisme, partout sur Terre. Et il m'est arrivé, rarement heureusement, de voire passer à plusieurs reprises des infos d'activité éruptives, parfois émanant d'organismes tout à fait sérieux et fiables, mais qui ont pu recevoir des informations erronées et les transmettre (des VAAC par exemple). L’erreur est humaine, et se tromper n'est évidemment pas un problème en soi. Ça m'est d'ailleurs arrivé parfois sur ce blog (une mauvaise lecture de graphique par exemple, je me souviens). Du coup quand je vois passer une information indiquant qu'une éruption sous glaciaire a eu lieu au sud du Chili, dans une zone où aucun centre éruptif n'est connu, je suis certes particulièrement excité, MAIS dubitatif.
Ça a commencé le 06 novembre au matin, avec une information fondée sur deux sources:
- une expédition Chilo-Japonaise sur la zone glaciaire du Sud, près du Lac Viedma. Des glaciologues passent début octobre près d'une zone couverte de glace, puis en repassant fin octobre, se rendent compte qu'un dépôt noir est présent.

La zone où le dépôt a été observé. Images: M.Minowa
- une image satellite prise SENTINEL 2, qui montre ce dépôt en entier.

Le dépôt vu par satellite. Image: SENTINEL2-ESA/Copernicus

Quand j'ai vu l'image c'est vrai j'ai tout de suite pensé à des coulées de lave, peut-être des coulées de boue. Mais quand ça a pu avoir lieu? Un rapide coup d’œil aux données satellites et on peut caler l'événement autour du 20 octobre (dépôt absent le 18, présent le 23) mais pas plus de précision que ça.
J'ai donc essayé de préciser la date car, oui mesdames et messieurs: c'est pour vous que j’essaie d'être précis! :)
Un moyen détourné est de regarder si le dépôt vu le 23 est encore chaud. Une éruption sur un site inconnu qui dure moins de 3 jours, il y a peu de chances me dis-je. Mais malheureusement tout est froid et, en plus, pas une trace de fumerolle. En élargissant un peu: pas de trace de panache de cendres non plus!
Là j'ai quand même commencé à avoir des doutes. Volcanique? Ou autre chose?

Mais il se dit qu'il s'agit d'une éruption sous-glaciaire alors bon: pourquoi pas! Mais quand on se souvient de Grimsvötn 2004, Grimsvötn 2011; Hudson 1991,  Veniaminof actuellement, EyjafJöll* 2010, Bristol Island 2016 et bien d'autres, il semble tout de même extraordinaire qu'il n'y ait eu aucun signal atmosphérique anormal (pic de So2, présence de cendres etc). Pas de signal thermique pourquoi pas, mais rien du tout? Bizarre!!
Mais bon: une éruption, une vraie, a eu lieu pas loin en 1988, sur l'évent appelé Viedma, et le volcan Lautaro n'est pas loin non plus, alors il faut garder l'esprit ouvert.

Toutefois, le (gros) doute étant permis par manque de faits concrets, il faut essayer d'en savoir plus sur la zone. Or une information essentielle manque sur les images transmises plus haut: la topographie de tout le secteur. A quoi ressemble concrètement la zone où le dépôt se trouve? Sur la comparaison d'images on dirait que le dépôt sort d'une caldera d'avalanche, un peu genre mont Saint Helens. Mais ce type de morphologie (en amphithéâtre) existe dans d'autres environnements géologiques, donc s'agit-il bien d'un cratère (morphologie volcanique)?

Bon là, il faut dégainer l'arme idéale pour avoir une réponse: Google Earth évidemment!
Si on calque les images satellites sur la topographie, voilà ce qu'on obtient. C'est une comparaison avant/après faite avec les images des 18 et 23 octobre.


Bon là j'avoue que, quand j'ai vu cette comparaison, la possibilité qu'une activité volcanique soit à l'origine du dépôt c'est clairement éloignée. En effet  le point de départ de la zone se trouve juste sous le sommet d'un "pic" rocheux situé sur un massif érodé par les glaciers (forme de fer à cheval de la tête des vallées glaciaires).

Si l'éruption est sous glaciaire, comme il a été proposé, comment se fait-il qu'elle se déroule dans une zone où l'épaisseur de glace est la plus faible (la roche est à nu pas loin)? Et dans ce cas: pourquoi serait-elle passée inaperçue?

Par ailleurs la position de la source du dépôt, dans une paroi à très forte pente, dans une zone (vallée glaciaire) où les pentes sont instables, laisse plutôt penser à un dépôt d'origine sédimentaire, à savoir ici un décrochement d'un bout de paroi. Et tout ça dans un contexte de réchauffement puisque l'été arrive bientôt au Chili (on voit une légère diminution de l'enneigement d'ailleurs entre les 18 et 23), ce qui est favorable à la survenue d'éboulements.

Bilan:
- Hypothèse "cause = volcanisme": peu de faits qui la corroborent. Ni source de chaleur, ni signaux atmosphériques, même minimes. Zones volcaniques connues proches mais pas sur le site du dépôt lui-même.
- hypothèse "cause= érosion": environnement glaciaire favorable, topographie favorable. Explique l'absence de signaux atmosphériques.

La brièveté de l'événement n'est pas un argument solide pour trancher, mais dans le contexte, il se cale mieux avec l'hypothèse "érosion".

Mon but ici n'est pas de trancher mais il me semble qu'en l'état actuel des choses, la seconde hypothèse me parait plus fortement étayée que la première. C'est à celle-ci que j'adhère donc pour l'heure. Mais si, d'aventure, de nouveaux et solides arguments arrivent en faveur de l'hypothèse "volcanisme" je serais le premier à m'y convertir. La science se nourrit de faits et pas de regrets ou d'envies personnelles, et moi aussi.

* j'ai volontairement pris des exemples où les situations diffèrent.

Sources: Tweeter; Aficientifico

4 commentaires:

  1. Application de la methode scientifique très intéressante. Merci pour votre blog.

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    1. Bonsoir. Merci, c'était en effet un peu l'idée :). En l'occurence le SERNAGEOMIN a publié un rapport qui parle de mouvement de masse et sont aussi dans l'hypothèse érosion plutôt qu'éruption.
      Bonne soirée
      CV

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  2. Sans parler de volcan, compte-tenu du volcanisme de la région, les traces ne pourraient-elles pas être liées à la vidange brutale (débâcle) d'un lac sous-glacière créé par une remontée de chaleur géothermique le long d'une faille?

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    1. Bonsoir. La meilleure raison d'en douter (pour l'heure toujours) c'est la position de la source. La topographie à l'endroit où démarre le dépôt (juste sous une crête, dans une paroi quasi verticale) n'est pas favorable à la rétention de l'eau de fonte, puis à sa brusque libération. Il faut un piège pour ça, et un piège bloqué par la glace par ailleurs.
      Non: la situation ne semble pas cohérente avec cette possibilité.
      Bonne soirée :)

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