La décision, prise par le SERNAGEOMIN le 05 avril, ne signifie pas que l'activité éruptive est plus importante, mais que les risques que cette activité (toujours modeste) fait courir ont évolué au cours du temps.
Il me semble avoir décelé, au cours des années où j'ai du répondre à de nombreuses questions ou remarques de publics divers (enseignants, étudiants, familles etc) que la notion même de risque reste peu claire. Souvent un risque est perçu comme quelque chose d'imminent, ou ayant quelque chose d'inéluctable.
Dans le domaine de la perception du volcanisme cela se traduit par des associations d'idées comme, par exemple "dôme= danger". Cela vient peut-être du fait que certaines des éruptions les plus destructrices et connues ont effectivement formé des dômes (Montagne Pelée 1920 pour ne citer que cet exemple parmi la multitude), mais aussi du fait que depuis l'école on associe systématiquement magma visqueux = dôme=éruption dangereuse.
Alors qu'en fait non: ce n'est pas systématique et chaque éruption doit être regardée individuellement. Par exemple la formation du dôme au Mont Saint Helens en 2004-2008, le fameux "whaleback lava dome" ("dôme en dos de baleine") n'a été accompagnée de quasiment aucune activité explosive, des avalanches de blocs faibles, et pas (ou très peu, je ne me souvient plus) d'écoulements pyroclastiques. Risque quasi nul lors de sa formation, d’autant plus que la densité de population à proximité est faible.
Mais avant tout comment se définit un risque?
C'est la rencontre entre:
- un phénomène, qu'il soit naturel ou provoqué par l'homme: c'est ce qu'on appelle l'aléa, naturel ou anthropique. Pour le volcanisme il existe plusieurs types d'aléas: coulée de lave, écoulements pyroclastiques, panaches de cendres, lahars etc. Chaque aléa peut, selon ses caractéristiques, affecter un secteur géographique différent.
- la présence de population et/ou de biens dans une zone géographique donnée: c'est l'enjeu
- la vulnérabilité, qui décrit la "capacité de résistance" d'un enjeu face à un aléa. Par exemple si dans une zone sismique donnée vous avez deux maisons voisines, l'une aux normes antisismiques et l'autre non, la première sera moins vulnérable que la seconde. Donc pour un même aléa, la maison antisismique encours un risque moins important que sa voisine.
L'expression mathématique d'un risque est ainsi une simple multiplication:
Risque = Aléa x enjeu x vulnérabilité
A un moment donné le risque volcanique est nul si l'aléa est fort mais que l'enjeu est nul. Par exemple une éruption plinienne, donc intense, qui se déroule dans un zone où il n'y a strictement personne dans un rayon de 100 km (par exemple, chiffre au pif) n'induit aucun risque.
A un moment donné le risque volcanique est nul si l'enjeu est fort mais l'aléa nul, une zone avec beaucoup de monde mais sans activité volcanique en cours comme Clermont-Ferrand et la Chaîne des Puys par exemple.
Bon, maintenant qu'a été rappelé que le risque est la combinaison de trois paramètres, il faut simplement avoir en tête que ces paramètres varient dans le temps, d'où le "à un moment donné" ci-dessus. Le risque n'est pas une notion figée, ni inéluctable. Il s'évalue, s'anticipe.
Par exemple aujourd'hui 09 avril il est clair qu'en Chaîne des Puys:
- l'aléa est nul: aucune activité éruptive en cours! Je viens de regarder par la fenêtre, ce que je vous dit est sûr à 100%.
- l'enjeu est fort à l'est de la Chaîne des Puys: nombreuses villes et axes routiers, activités industrielles, aéroportuaires, etc. L'enjeu est moins fort à l'ouest, où la densité de population est moindre, bien qu'il existe de vastes zones agricole (ça fait partie de l'enjeu évidemment).
Le risque volcanique au 09 février 2018 est donc :
Risque = 0 x enjeux plus ou forts x vulnérabilité = 0
Mais si le 09 avril 2145 (au pif, toujours, j'ai pas de boule de cristal sous la main) une éruption débute, l'enjeu sera toujours globalement fort (autant voire plus de personnes et d'infrastructures), mais l'aléa ne sera plus nul, et sa valeur dépendra des phénomènes qui se produiront pendant l'éruption.
Activité explosive intense, type Puy Chopine ou Puy de la Nugère? Aléa fort
Effusion tranquille (coulée de lave) et peu d'explosions, comme pour le Puy de Lemptégy? Aléa faible à modéré. etc.
Pour en revenir au Nevados de Chillàn, c'est l'évolution de la possibilité qu'un risque se réalise qui justifie le changement d'alerte volcanique à l'orange.
En effet depuis décembre l'aléa principal de cette éruption est la croissance d'un dôme. Et même si je n'en ai pas reparlé sur le blog depuis janvier dernier, j'ai fais passer depuis quelques tweets montrant son évolution ou des informations le concernant.
La formation de ce dôme ne pose pas de dangers immédiats: sa croissance est lente, le dégazage du dyke qui le forme se passe plutôt bien, et génère des explosions souvent faibles, parfois (rarement) modérées.
On est clairement dans une situation où la croissance du dôme ne génère pas du tout le même type de risques qu'au Soufriere Hills en 1995-2010 ou à la Montagne Pelée en 1902!
Mais d'une manière générale la croissance d'un dôme de lave, qu'elle soit lente ou non, s'accompagne d'autres phénomènes (d'autres aléas) qui peuvent poser des problèmes. C'est le cas des avalanches de blocs ou des écoulements pyroclastiques qui se forment lorsque des portions de dômes s'effondrent dans une pente par exemple.
Sauf qu'ici le dôme à commencé à croitre lentement au fond d'un cratère: pas de risque imminent d'effondrement tant que le dôme reste dans le cratère!
Sauf que le dôme grandit et qu'il arrive bientôt au niveau du bord du cratère. Et si l'éruption dure assez longtemps et maintient sa croissance, il finira par déborder. La possibilité que les aléas "avalanches de blocs" et "écoulements pyroclastiques" se réalisent devient donc de plus en plus forte même si ils n'ont pas encore débuté. Le risque est anticipé.
Des images 3D réalisées par le volcanologue Nicolas Luengo via des photos prisent depuis un drône montrent bien que le dôme, dénommé "Gil-Cruz" est à peu près au niveau de la lèvre du cratère maintenant baptisé "Nicanor".
Le dôme "Gil-Cruz" en croissance dans le cratère "Nicanor", vue ne 3D. Image: Nicolas Luengo |
Autrement dit le risque d'effondrement de dôme a existé dès le départ puisque ça fait partie des phénomènes qui accompagnent de la croissance d'un dôme. Mais la possibilité qu'il se réalise était:
- nulle en décembre (dôme au fond du cratère donc stable)
- mais à progressivement augmenté avec la taille du dôme, car celui-ce peut déborder et donc s'effondrer.
Ce risque ne se réalisera pas si le dôme ne déborde pas. Car les volcanologues non plus n'ont pas de boule de cristal, et ne savent pas ce qu'il va se produire dans les jours/semaines qui arrivent.
L'activité éruptive ne change donc fondamentalement pas car il s'agit toujours d'une extrusion lente et de faibles explosions, et cela n'est donc pas la cause du passage au niveau d'alerte orange.
Par contre la possibilité qu'un autre aléa (l’effondrement de dôme), se produise augmente de plus en plus. Or ce type d'aléa se caractérise par la mise en place de dépôts de blocs et de cendres (avalanches et/ou écoulements pyroclastiques) sur la pente de l'édifice volcanique. Et ceci fait aussi émerger la possibilité qu'un autre aléa se produise: la coulée de boue (lahar).
Le fait qu'il devient de plus en plus probable que les écoulements pyroclastiques, les avalanches de blocs et les coulées de boue fassent leur apparition est la cause qui justifie le passage en alerte orange, sans pour autant que l'activité ait changé. Ces phénomènes n'existent toujours pas au moment où j'écris ces mots, mais ils ont été anticipés par les volcanologues.
L'ensemble des aléas possibles, étudiés à partir des dépôts anciens qui constituent le massif volcanique, a permis d'élaborer plusieurs scénarios éruptifs et d'identifier les zones où les aléas rencontrent des enjeux, ces zones qu'on appelle "zones à risque". L'ensemble est compilé sur un document appelé "carte de risques", indispensable.
Par contre la possibilité qu'un autre aléa (l’effondrement de dôme), se produise augmente de plus en plus. Or ce type d'aléa se caractérise par la mise en place de dépôts de blocs et de cendres (avalanches et/ou écoulements pyroclastiques) sur la pente de l'édifice volcanique. Et ceci fait aussi émerger la possibilité qu'un autre aléa se produise: la coulée de boue (lahar).
Le fait qu'il devient de plus en plus probable que les écoulements pyroclastiques, les avalanches de blocs et les coulées de boue fassent leur apparition est la cause qui justifie le passage en alerte orange, sans pour autant que l'activité ait changé. Ces phénomènes n'existent toujours pas au moment où j'écris ces mots, mais ils ont été anticipés par les volcanologues.
L'ensemble des aléas possibles, étudiés à partir des dépôts anciens qui constituent le massif volcanique, a permis d'élaborer plusieurs scénarios éruptifs et d'identifier les zones où les aléas rencontrent des enjeux, ces zones qu'on appelle "zones à risque". L'ensemble est compilé sur un document appelé "carte de risques", indispensable.
La carte de risques du Nevados de Chillàn. Image: SERNAGEOMIN |
Vue la faible importance (actuelle) de l'activité éruptive il est possible que les écoulements pyroclastiques et les avalanches ne soient pas très dynamiques, et que les zones affectées soient proches du cratère, donc des zones inhabitées.
Mais les coulées de boue peuvent parcourir de grandes distances or, au pied du massif, plusieurs zones habitées sont présentes. Vue la situation, le versant nord-est, où le dôme peut déborder, semble plus exposé que le versant sud-ouest et les zones à risque sont bien identifiées sur la carte de risques élaborée par le SERNAGEOMIN.
Sources: SERNAGEOMIN; Nicolas Luengo
Sources: SERNAGEOMIN; Nicolas Luengo
Bonjour,
RépondreSupprimerTrès bon article, après c'est sur l'enjeu est de plus en plus important surtout quand on construit des stations de ski sur un volcan ou que la population explose proche de volcans historique (Italie, RDC, Japon, Philippines, Indonésie...)
La notion de risque est différente selon les pays riches et en développement.