31 décembre 2017

Un point sur l'activité à l'Erta Ale

L'activité éruptive se poursuit sur l'Erta Ale et n'a pas connu depuis octobre dernier d'évolutions significatives sur son "style éruptif" (la manière dont le magma est émis). Toutefois il est possible que cette activité s’essouffle petit à petit.
Tout d'abord la situation globale. Elle est donnée par une observation des images satellites, qui montrent clairement que rien n'a changé depuis octobre. On retrouve:
- le lac de lave sommital, situé dans le Pit Crater Sud. Il reste bien brassé par un dégazage vigoureux et son  niveau remonte progressivement, estimé à environ 60 m sous le bord du pit crater.


C'est d'ailleurs probablement par le sommet que la majeure partie du gaz remonté avec le magma de cette éruption doit s'échapper, ce qui se visualise par la présence d'un abondant panache. Le magma dégazé, quand à lui, bifurque sous le sommet pour rejoindre la rift-zone et sortir plus tranquillement.
- Il forme au point de sortie, à environ 2700 m du sommet, l'autre lac de lave actuellement actif, dont la particularité est d'avoir une alimentation latérale, alors que les autres lacs de lave sont toujours alimentés par le fond puisqu'ils constituent la partie haute d'un conduit éruptif (une cheminée si vous préférez) plus ou moins vertical. Ses dimensions avoisinent 200m de long par 100m de large, confirmées par FB88, lecteur du blog qui m'a donné des détails collectés lors de son voyage sur place mi-décembre (et je l'en remercie encore chaleureusement).
La surface de ce lac est très peu dynamique: FB88 décrit ainsi une surface complètement recouverte d'une croûte solidifiée (solide encore un peu mou ou totalement durci, difficile à dire) qui se fracture plus ou moins régulièrement en plaques qui plongent dans la masse encore fondue et fluide en dessous.

Le lac de lave de la Rift Zone lorsque sa surface est encroûtée. Image: FB88, décembre 2017

Le lac de lave de la Rift Zone lorsque la surface se fracture. Image: FB88, décembre 2017



Le "trop plein" du lac se déverse vers le sud par le système de tunnels qui bifurque et cours ensuite jusqu'à la plaine, environ 16 km plus loin à l'est. De nombreux skylights jalonnent la surface de la  coulée principale, dont le cours a été bien chenalisé par la topographie. C'est au front de ce système de tunnels que la lave sort à l'air libre. La faible pente provoque un ralentissement de l'écoulement qui forme, depuis octobre, des lobes ("unités laviques") qui se posent les uns à côté des autres, certaines assez vigoureux pour atteindre la plaine sédimentaire, mais ils sont rares. Ils ont progressivement produit un delta de lave de belles dimensions (3300 m de long pour 1800 m de large, grosso modo) à proximité de la plaine sédimentaire. La plupart des nouveaux lobes se forment sur le delta lui-même ("débordements" sur l'image ci-dessous) et contribuent à l'épaissir.

Vue de l'espace la situation globale ne présente pas de changements significatifs depuis octobre dernier. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

La faible dynamique du lac de lave de la Rift-Zone (vitesse de progression lente entre le point d'alimentation du lac et son exutoire, solidification cyclique de sa surface), est couplée avec une baisse lente mais relativement régulière de la puissance du rayonnement thermique au niveau du delta de lave.
"Hein?". Bon c'est vrai que cette phrase est pas  très claire.
Les hautes températures au niveau du delta sont essentiellement associées aux zones où la lave est fondue, est fluide et coule, bref: là où la surface de la lave est directement au contact de l’atmosphère. Dès qu'une croûte se forme par refroidissement le rayonnement thermique reste détecté depuis l’espace mais sa puissance baisse de manière importante. Or les données satellites, justement, montrent une lente diminution de la puissance thermique rayonnée, ce qui suggère que la surface de lave à l'air libre sur le delta est de moins en moins importante. Soit les lobes de lave sont moins nombreux, soit ils sont plus petits (ou un peu des deux).

Baisse progressive de la puissance thermique rayonnée par le champ de lave en cours de formation depuis

Si cela se confirmait, cette évolution pourrait être reliée à une progressive baisse du débit de lave depuis la Rift Zone, ce qui serait compatible avec la faible dynamique du lac de lave décrite plus haut, et avec la remontée du lac sommital. Attention: cette baisse progressive de l'effusion n'est pour l'heure qu'une hypothèse de ma part. Il manque des données essentielles comme la déformation par exemple, pour essayer de mieux comprendre l'évolution en cours.

Cela fait presque un an (18 janvier 2017) que l'ouverture de la Rift Zone et le départ de l'effusion ont débuté et la suite des événements reste à surveiller: cette effusion excentrée va-t-elle s'arrêter brusquement (par un jeu d'effet de seuil au niveau du dyke qui l'alimente) ou cela lui prendra-t-il des mois?

En attendant la suite, je vous souhaite à toutes et à tous d'excellentes fêtes de fin d'année. A l'année prochaine!

Sources: FB88 (encore merci!); MIROVA; SENTINEL2 - ESA/Copernicus; youtube

15 commentaires:

  1. Un grand merci pour votre blog toujours aussi passionnant
    Bonne année 2018
    A vous lire avec plaisir

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  2. si le niveau du lac monte alors que le débit de lave semble descendre, çà veut dire que la communication avec celui de la rift zone se ferme progressivement?

    Ou alors il s'agit d'un regain d'effusion qui ne s'est pas encore fait sentir au niveau des coulées ?

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    1. Bonjour, et bonne année 2018!
      C'est ça: le fait que le lac sommital remonte pourrait résulter d'une baisse de débit du dyke qui alimente la rift zone, ce qui pourrait traduire sa fermeture.
      Comme je ne sais pas précisément ce qu'il se passe sous terre là-bas, je ne peux rien affirmer. Ce que j'ai voulu dire dans le post c'est que la (possible) baisse de débit d'un côté et la hausse du niveau de l'autre ne sont pas incompatibles :)
      Je ne pense pas qu'on ait un regain de l'alimentation car la communication avec la rift zone est rapide: 2 km c'est une distance courte pour le magma qui circule et une hausse de l’alimentation au sommet se verrait dans les heures suivantes au niveau de la Rift Zone (débordements du lac, breakouts et ce genre de choses).
      Non: le plus logique à priori c'est que le débit de l'éruption diminue progressivement et que le système tend vers sa configuration habituelle (le lac de lave sommital seul, en équilibre).
      Qui vivra verra !
      CV

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  3. Bonne année 2018 et un grand merci pour votre blog, et votre disponibilitée.

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    1. Bonne année à vous aussi, et merci pour l'encouragement :)

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  4. Bonjour,

    Bonne année à tous

    Peut ton parler d'une éruption historique au niveau de la quantité de lave émise et de la topologie? Au 21 siècle il y'a eu le Bardarbunga ( Islande) et bien évidemment la lave d Hawaï.

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    1. Bonjour et très bonne année à vous aussi! :)

      Le plus important pour répondre à votre question est de préciser une chose, qu'il faut garder en tête: l'éruption en cours à commencé en 1967. On peut donc, quoi qu'il arrive, dire qu'il s'agit d'une éruption particulièrement longue. Pas le record loin de là, mais le qualificatif "historique" peut convenir tout de même puisque la première éruption dite "historique" sur ce volcan remonte à 1873 et que, depuis lors, aucune n'a duré aussi longtemps que celle qui est en cours.
      Quand à la phase de cette éruption qui a débuté en janvier se se poursuit aujourd'hui elle est clairement très importante. Le volume émis est très difficile à estimer avec les données disponibles car je n'ai pas accès à l'épaisseur de lave accumulée aux différents endroits des champs de lave.

      Mais la surface recouverte depuis janvier 2017 doit avoisiner maintenant les 20 millions de m². Donc si l'épaisseur moyenne du champs de lave est de 5 m, on est à 100 millions de m3; s'il est à 10 m, c'est 200 millions etc. Donc même si on ignore le volume réellement émis, on peut déjà supposer qu'il est très important, mais probablement encore bien en deçà d'Holurhau-Bardarbunga en Islande dont le volume émis a dépassé 1 km3 (1 milliard de m3: il faudrait une épaisseur moyenne de tout le champ de lave de l'Erta Ale de 50 m, ce qui est peu réaliste.)

      Bref: éruption historique pour Erta Ale, oui! Par sa durée (1967-2018 à minima) et par la mise en place de cette phase, qui a probablement eu des équivalents par le passé et même des précédents plus importants encore, mais qui n'ont pas été observés ou décrits et ne sont donc pas "historiques" mais anté-historiques.

      Bonne journée
      CV

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  5. Meilleurs voeux volcaniques 2018 et bravo pour votre blog que je suis toujours avec passion

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  6. Ca n'a peut etre rien a voir, mais en fouinant sur google earth, je suis tombé en arret sur un drole de cratère à quelques kilomètres à l'Est de l'Erta Ale. Il est parfaitement circulaire, environ 1200 m de diamètre pour une profondeur d'une cinquantaine de mètres avec un fond plat.
    Je penche pour un impact météoritique mais alors il faudrait qu'il soit trés jeune dans cette region chahutée ! Votre avis ?

    Localisation : 13.28 N, 41.01 E. en bordure d'un champ de laves, à 43 km à l'Est de l'Erta Ale

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    1. Bonjour,

      Il s'agit de la caldera du Bowrali non ?


      https://earthobservatory.nasa.gov/IOTD/view.php?id=84081

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    2. Non, la caldera est a 4 km a l'Est du lac afrera, alors que ce cratère est à une douzaine de kilomètre au nord-est de ce même lac. Je peux rajouter qu'on dirait qu'il a été rempli par des ecoulement massifs venant des montagnes encore plus au nord-est. Le champ de lave au sud doit etre plus récent car il me semble que les coulées ont buté sur les parois de ce cratère.
      Drole de truc quand même, je ne trouve rien nulle part ! Pour l’instant j'en reste à un cratère d'impact.

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    3. Bonsoir. Je viens de jeter un oeil: l'asymétrie du dépôt qui borde le cratère est plutôt défavorable à une origine de type impact. Pour l'argumentaire qui suit je rédige sous l'oeil vigilant de lectrices ou lecteurs qui auraient plus de compétences en la matière que moi: ils sont invités à me corriger si nécessaire. Le dépôt d'un impact n'est pas lié au matériau de surface arraché et projeté plus loin, il se forme du fait qu'au moment de l'impact, une partie des roches comprimées par le choc se détendent brusquement. Or l'onde de choc qui comprime les roches est forcément sphérique, quel que soit l'angle d'impact Et puisque la zone qui est choquée est sphérique, l'onde de rebond l'est aussi et les matériaux sont donc projetés de manière sphérique: le dépôt tout autour du cratère est donc plutôt répartit de manière régulière. Dans le cas du cratère qui nous intéresse, le dépôt est largement déporté vers le sud avec une forme légèrement oblongue, suggérant le rôle du vent.
      L'autre argument est moins mécanique et plus géologique.Dans la paroi du cratère on voit une succession régulière de petites couches. Celles qui sont au-dessus sont érodées. Or le dépôt d'un impact n'est pas stratifié, en tout cas pas aussi bien.
      Or pour le cratère dont nous parlons, la succession régulière de dépôts, qui forme une séquence plutôt homogène semble-t-il, rappelle plus la rythmicité des explosions phréatomagmatiques.

      Pour ma par, je penche donc plutôt du côté d'une origine volcanique, une structure de type maar tout simplement. Une structure similaire est présente à 10 km à l'est du Gada Ale.
      Par contre tout à fait d'accord avec la chronologie: cratère d'abord, coulées ensuite.

      Bonne soirée :)
      CV

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    4. merci de ces précisions :)

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  7. Bonjour,
    Je viens de regarder, si depuis ce point on va vers le sud légèrement vers l'est on trouve aligné sur une cinquantaine de kilomètres un bon nombre de cratères de volcans, alors pourquoi cela ne serait pas tout simplement un ancien volcan qui se serait affaissé ?

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    1. et un truc etonnant, ce cratère a été eventré coté nord et rempli avec des "materiaux" en provenance de l'extèrieur ! (attention aux altitudes, on est sous le niveau de la mer !"

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