30 septembre 2017

Ambae (Aoba) et Lopevi: on fait le point

Je suis pas mal la situation concernant l'activité de ces deux volcans actuellement sur twitter, mais il est temps de faire un point global je pense, car tout ne peux pas être dit en 140 caractères.
Lopevi, Vanuatu, 1413 m


Je commence par le plus simple. Le 23 septembre dernier le Geohazard élevait le niveau d'alerte concernant le Lopevi d'un cran, le passant de 1 à 2. L'activité sismique commençait à montrer alors une hausse importante, crise sismique qui se poursuit actuellement d'après le dernier rapport du Geohazard (28 septembre).
Mais la crise en question avait débuté vraisemblablement plus tôt puisque dès fin août les images du satellite MODIS montraient la présence d'un panache bleuté, contenant donc à priori du SO2, gaz magmatique par excellence.

Fort dégazage sur Lopevi déjà fin août. Image: MODIS/NASA
 
Le secteur est malheureusement quasiment tous les jours couvert de nuages et préciser à partir de quel moment ce panache est apparu n'est pas possible. Mais il semble clair qu'il était absent le 20 août (journée parfaitement dégagée) et on peut soupçonner sa présence malgré les nuages autour du 26 août. Pour l'heure, aucune autre signe d'activité n'est présent, en particulier rien n'indique qu'une éruption soit en cours, ce qui est confirmé par des images récente prisent lors d'un survol de l'édifice.

Le panache de gaz produit au sommet du Lopevi. Image: Pilot Paul (date non précisée mais peut-être le 28 septembre)

Bien sûr la situation est à suivre de près. Et je termine en remerciant Benoit Gardarin qui m'a fait remarquer il y a quelques jours déjà qu'un étrange panache de gaz pouvait être vu sur les images de la webcam et m'a ainsi mis sur la piste.

Sources: MODIS/NASA; Geohazard; Benoit Gardarin; Pilot Paul, via Yumi Toktok Stret News

Ambae (Aoba), Vanuatu, 1496 m

La situation est là plus complexe. Non pas que l'éruption soit étrange ou inattendue, pas vraiment. Disons seulement que la chronologie des événements mérite sans nul doute d'être précisée.
Car plusieurs détails m'ont taraudé depuis que cette activité a débuté. Tout d'abord le fait que, bien qu'elle se déroule en plein milieu d'un lac, elle ne produise pas plus de cendres. L’interaction magma/eau est plutôt explosive et on aurait donc pu s'attendre à une phase initiale plus riche en cendres. Mais surtout les premières images montraient, dans le lac, une île déjà bien formée avec l'activité en son centre. Or dans mon souvenir (confirmé sur Google Earth), il ne restait qu'un anneau morcelé du cône précédent, formé en 2005. J'ai donc trouvé la construction de cette nouvelle île étrangement rapide.
J'ai donc consulté les archives des images satellites, notamment de SENTINEL 2, histoire de voir si je pouvais glaner des informations, mais je ne m'attendais pas vraiment au scénario, incomplet et lui aussi morcelé, qui s'est dessiné.
En fait il n'est pas impossible que la phase en cours ne soit que le point culminant d'une phase d'activité commencée vers avril 2016.
Avant ça, on ne voit en effet dans le lac que les restes du cône édifié en 2005 décrit plus haut.

La situation en janvier 2016: on ne voir que des morceaux émergés du cône de 2005. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Mais à partir d'avril 2016, la situation évolue nettement car on voit à ce moment-là la présence, dans le lac, de particules en suspension, et une croissance nette de l'anneau qui commence déjà à se fermer, fermeture déjà bien avancée en juin. On peut donc en déduire qu'une activité accrue est déjà présente à ce moment-là. Mais il n'est pas possible de détailler cette activité concrètement: 
- s'agit-il uniquement d'un dégazage plus intense au fond du lac, qui remue la boue existante? Celle-ci peut ensuite s'agglomérer sur les restes de l'ancien anneau et le faire grandir.
- s'agit d'une activité plus intense (phréatique, phréatomagmatique) au fond du lac, qui ajoute des particules de cendres en plus pour construire l'anneau?

En avril 2016, la forme de l'anneau est déjà modifiée, ce qui n'était pas le cas en mars. Image.  SENTINEL 2 - ESA/Copernicus
Je dirais que ma préférence va vers la première solution car vers la fin août 2016, l'anneau est fermé, seule une "flaque d'eau" persiste en son centre et un panache blanc, pas très dense s'en échappe: le dégazage est devenu visible car l'évent de dégazage est isolé du reste du lac. Par contre, aucune trace d'activité explosive. Même la zone de végétation détruite à l'ouest par le dégazage permanent de l'édifice ne change pas (pas de dépôts de cendres).

L'évolution du cône entre juin et août: il se referme progressivement. Images SENTINEL 2 - ESA/Copernicus
Il faut préciser que tout au long de cette période, aucun signal thermique significatif n'a été détecté. La situation évolue peu, avec un panache blanc persistant, au cours du reste de l'année 2016 et jusqu'en mai (peut-être avril) 2017. A partir de ce moment-là le cône ci-dessus décrit commence à disparaitre, tout simplement. On voit nettement un lac se former à nouveau à la place du cône, lac à la couleur grise qui suggère que, là encore, des particules sont émises. Les causes de la disparition du cône sont difficiles à imaginer: un affaissement dû à des mouvements sur le fond du lac? Une érosion (bien que je ne crois pas vraiment, voire vraiment pas, à cette idée-là)?J'avoue que là, mon imagination patine...

Le cône commence à disparaitre et l'eau reforme un lac à la place. Image: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Ce n'est qu'à partir de juin que le cône, déjà pas mal grignoté au cours des semaines précédentes, commence à être reconstruit. 

On comprend donc pourquoi lorsque la phase actuelle, cette fois clairement et sans équivoque éruptive, a débuté, elle a formé si rapidement une île pleine et entière, vue qu'elle était déjà aux 3/4 construite par une précédente phase d'activité qui avait durée plusieurs mois en 2016, mais était passée inaperçue.

L'éruption en cours, toujours d'une intensité modérée, est mixte (effusive/explosive). Sur les images aériennes prisent quelques jours après le départ de l'éruption on pouvait le supposer grâce à la présence suspect de fumées blanches qui s'élevaient sur la côte est de l'île en croissance, au niveau du contact avec l'eau du lac. Cela est clairement confirmé grâces aux images satellites prisent les 26 et 28 septembre respectivement par SENTINEL 2 et LANDSAT 8.

Progression lente d'une coulée de lave en direction du sud-est. Images: SENTINEL 2-ESA/Copernicus; LANDSAT 8 - NASA/USGS

Cette activité, pourtant modeste, a tout de même recouvert une bonne partie du haut versant ouest de l'île-volcan de cendres, ce qui impact bien sûr la végétation. 

La végatation du haut versant ouest est bien impactée par les chutes de cendre et les gaz acides. Image: LANDSAT 8 - NASA/USGS
 
Les évacuations de la population insulaire est toujours en cours et depuis deux jours, c'est l'évacuation totale de l'île qui est discutée par les autorités (elle semble même avoir été ordonnée par le gouvernement des Vanuatu d'après la presse). Et je rejoins Robin Campion (volcanologue en poste au Mexique) qui, dans un commentaire laissé dans le post précédent, avoue son scepticisme quand à la mise en place d'une évacuation aussi drastique, vue l'intensité modérée de l'activité en cours. Avec ce type d'éruption, il y a fort peu de risques qu'une activité explosive violente fasse courir un risque immédiat à l'ensemble de la population insulaire, même si il a un contact avec de l'eau. La topographie joue un rôle protecteur: l'éruption se déroule dans une caldera marquée par un rempart vertical, ce qui constitue une barrière susceptible de freiner voire stopper d'éventuels écoulements pyroclastiques. Le problème principal est plutôt indirect, liée aux chutes de cendres et à la dispersion des gaz acides sous la forme de microparticules, qui polluent les eaux douces, et tuent progressivement la végétation (dont celle qui se consomme).

Quoi qu'il en soit, les choses sont organisées sur place, avec la mise en place de bateaux pour quitter l'île, l'acheminement d'eau et de provisions, de carburant (pour les véhicules ou la production d’électricité je suppose), etc. Le dernier rapport du NDMO, organe en charge de la gestion des crise, indiquait dans son rapport du 28 septembre qu'environ 8000 personnes, sur les quelques 11 000 minimum de l'île, étaient déplacé. Et à ce moment-là seules quelques centaines de personnes avaient quitté l'île. Une aide est apportée par l'Australie, qui fait parvenir de grandes quantité d'eau potable, et par la Nouvelle Zélande, qui a envoyé un volcanologue (Brad Scott) du Geonet sur place.


Sources:  SENTINEL 2-ESA/Copernicus; LANDSAT 8 - NASA/USGS; MODIS; Geohazard; NDMO; Presse du Vanuatu

5 commentaires:

  1. Les photos de l'anneau de tuff de 2015 montrent qu'il a un relief très surbaissé, avec des pentes tres faibles et des bords peu élvés. Il est donc possible que les variations de surface de l'île soient "simplement" le fait de changements de niveau du lac

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    1. Bonjour,

      Je suis assez d'accord avec Robin. En effet, la comparaison des images satellites permet de remarquer que le petit îlot au sud de l'île gagne lui aussi en superficie, alors qu'il est a priori plus loin de l'éventuelle source de boue... Mais la cause de cette baisse du niveau du lac reste probablement liée au dégazage...

      Quoiqu'il en soit, merci pour l'analyse !
      Bonne journée,





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    2. Bonjour à tous les deux. C'est très bien vu et je n'y est effectivement pas pensé. J'ai regardé de plus près les berges du lac et il y a effectivement une variation du niveau, ce qui est confirmé par l'observation de Thomas Delanoe ci-dessous. C'est cette baisse progressive du niveau (mais est-elle due à un réchauffement du lac ou a une faible pluviomètrie, ou les deux?)qui fait progressivement apparaitre le cône dans un premier temps, isole une flaque au milieu, et cette flaque s'évapore ensuite. Puis le niveau remonte un peu, la flaque se reforme, et l'anneau se morcelle à nouveau. J'ai regardé des images de 2015: pas de changement significatif de niveau, mais ça s'est peut-être déjà produit en 2014. Si le phénomène est récurrent, peu de chances qu'il soit lié à la crise actuelle du coup! Merci
      de votre relecture attentive et de vos réflexions constructives :)
      CV

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  2. J'ai eu la chance d'accéder au lac fin avril. Le cône était en effet bien défini, avec une espèce de mare de boue bouillante au milieu. Il est possible que cela soit lié à une baisse du niveau de l'eau, comme pouvait le suggérer certaines traces sur les berges du lac. Parallèlement il y avait déjà une bonne activité fumerollienne à l'époque, avec quelques dégazages / grondements qui nous ont un peu surpris (mais le volcan était déjà en Niveau 2 à l'époque).
    Je viens de mettre en ligne les images du survol si cela vous intéresse ici : https://youtu.be/FXmff9Fiwog

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    1. Bonjour Mr Delano. Merci pour cette séquence: beau survol et belle ambiance! CV

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